CHRONIQUE JURIDIQUE Qu il me soit permis de dédier cette chronique à Christophe DOAT Au sommaire de cette livraison : 1. L évolution de la notion de «faute intentionnelle» dans la jurisprudence récente. 2. L obligation de résultat du garagiste réparateur. 3. Souscription du contrat par internet. Preuve de la déclaration inexacte du risque non rapportée. 4. Accidents du travail et faute inexcusable suite.. I) L évolution de la notion de «faute intentionnelle» dans la jurisprudence récente. Dans deux arrêts des 30 juin 2011 et 14 juin 2012 la seconde Chambre de la Cour de Cassation mais aussi le 11 juillet 2012 la troisième formation de la Cour ont illustré leurs arrêts par des commentaires qui amènent à revoir la notion. Avant de reprendre lesdits arrêts rappelons que la 1 ère Chambre civile a dans un arrêt du 12 juin 1974 (Bull. civ. 1974, I n 181) précisé à propos de la responsabilité professionnelle du notaire «que la faute intentionnelle est limitée au cas où l assuré a voulu non seulement l action ou l omission génératrice de dommages, mais encore ces dommages eux-mêmes, qu il ne suffirait pas que l assuré ait voulu commettre une faute lourde ou qu il ait eu conscience d en commettre une s il a ainsi non seulement augmenté la probabilité de réalisation du dommage sans le rendre certain par une volonté de le provoquer». En s en tenant à l assurance des risques professionnels, revoyons les décisions précitées : Arrêt du 30 juin 2011 (N 10-23004). Le syndic d une copropriété a souscrit pour le compte de cette dernière un contrat «multirisque immeuble». Mais le contrat fut annulé en raison d une déclaration inexacte du risque, et la copropriété eut à répondre des conséquences de plusieurs «dégâts des eaux» subis par un locataire occupant dont le coût total s élevait à 99 304.09... 1
Le syndic fut condamné à garantir la copropriété des dommages mis à sa charge et appela en garantie son assureur de responsabilité professionnelle. La Cour d Appel saisie par le syndic à la suite de la première décision, considéra que «la Sté avait, au moment où elle souscrivait la police d assurance «multirisque immeuble», la volonté et la conscience de mettre à la charge de son propre assureur les conséquences du dommage qui résulterait de sa fausse déclaration intentionnelle» La seconde chambre a fait sien ce motif de rejet de la Cour d Appel d Aix en Provence et a rejeté le pourvoi formé par le syndic considérant que «le syndic avait eu l intention de causer le dommage tel qu il est survenu». Ce faisant la formation de la Cour de Cassation ne s est pas placée au moment où le syndic a souscrit le contrat mais au jour de la décision pour prendre acte de l annulation du contrat qui avait été précédemment prononcée, et partant pour appuyer l argumentation sur l intention de causer le dommage et d en faire supporter le coût à son assureur de responsabilité professionnelle. Je rejoins la critique formulée à ce sujet par certains (éminents) représentants de la doctrine. Il suffit plutôt que l assuré ait volontairement provoqué le sinistre ou ait eu parfaitement conscience de ses actes pour que l assurance ne le prenne pas en garantie. Arrêt du 14 juin 2012 (N 11-17367). Une Sté a souscrit un contrat «Responsabilité des dirigeants» pour lequel un avenant a étendu la garantie «aux amendes et/ou pénalités civiles» imposées aux assurés par la législation ou la règlementation. Le directeur général délégué de la Sté a été sanctionné par l AMF d une amende de 500 000 pour manquement à l obligation d information du public, par diffusion d informations inexactes. Le recours contre cette décision a été rejeté par la Cour d Appel de Paris. Un jugement correctionnel l a également condamné à une amende de 100 000 pour diffusion d informations fausses ou trompeuses visant à agir sur le cours des titres sur un marché réglementé. Le montant de cette amende a été imputé sur le montant de la condamnation de l AMF. Ce dirigeant a fait assigner l assureur RCMS pour faire prendre en charge les condamnations en exécution du contrat. La seconde Chambre s est fondée sur les dispositions contractuelles du contrat de base et non sur l avenant pour considérer que «la faute intentionnelle de l article L. 113-1, alinéa 2, du Code des assurances consiste dans la volonté de commettre le dommage tel qu il est survenu». Dans le paragraphe suivant la formation de la Cour de cassation précise que M. X a bien eu la volonté, non pas de se voir sanctionner, mais de parvenir à tromper le public sur la situation de la Sté afin de mieux en négocier la cession ; 2
qu il ne s agit ni d une faute d inattention, ou de négligence, ni d une erreur de fait, mais de l expression consciente d une volonté délibérée de fournir au public des informations propres à modifier l appréhension de la situation financière de la société.qu une telle attitude est au surplus exclusive du caractère aléatoire du contrat d assurances» Il apparait que l argumentation de la seconde chambre se fonde sur les principes de la responsabilité civile. Il conviendra de suivre la jurisprudence de cette formation de la Cour de cassation car l analyse après coup de la conscience que devait avoir l assuré des conséquences de ses actes au regard de son assurance de responsabilité professionnelle risque de nous entrainer dans des considérations subjectives qui pourront faire considérer la faute lourde comme.intentionnelle. Arrêt 3 ème Chambre civile du 11 juillet 2012 (N 11-16414 et 11-17043). Un couple avait fait construire sur leur terrain une maison d habitation. Après l apparition de fissures généralisées, il avait obtenu la condamnation du constructeur et de son assureur. Les époux X ont fait démolir la construction et construire une nouvelle villa par un entrepreneur Y. garanti par Groupama. D importantes fissures étant apparues, les deux conjoints ont assigné l entrepreneur et son assureur. Le constructeur a appelé en garantie la Sté C fournisseur du ferraillage pour les fondations ainsi que la Sté S qui avait réalisé le kit de ferraillage avec plan et son assureur. L assureur Groupama affirmait dans ses écritures que l entrepreneur Y «a fait le choix en connaissance de cause de l inadaptation des fondations au sol d assise, sachant qu elle entrainerait nécessairement les désordres déjà observés par lui (dans la précédente construction) de sorte que les (nouveaux) désordres constatés ne présentaient aucun caractère aléatoire» La 3 ème chambre indique que : «à moins de la stipulation d une clause d exclusion formelle et limitée, seule la faute intentionnelle ou dolosive de l assuré est de nature à exclure la garantie de l assureur ; qu une telle faute n est caractérisée que par la volonté de l assuré de commettre le dommage tel qu il est survenu, et non pas seulement de créer le risque de ce dommage..» Et plus loin dans le dispositif de l arrêt «il ne peut y avoir de faute intentionnelle de l assuré lorsque la certitude du préjudice à l origine de la mise en œuvre de la garantie n était pas acquise». Comme les lecteurs le constateront les motivations des deux formations de la Cour sont quelque peu différentes. Certes la 3 ème chambre est compétente pour les litiges relevant du droit de la construction mais la seconde chambre est compétente quant à elle pour les contentieux du droit de l assurance D autres décisions que nous commenterons nous conduisent malheureusement à être attentifs à l évolution de la jurisprudence de cette formation. 3
II) L obligation dite de résultat allégée du garagiste réparateur. Les garagistes sont tenus d une obligation allégée de résultat c'est-à-dire qu ils doivent effectuer la remise en état ou la réparation d un véhicule qui leur est confié et ne peuvent s en exonérer qu en prouvant le fait d un tiers, la faute du propriétaire ou utilisateur du véhicule ou la force majeure. Mais ils ne sont tenus que de remettre en état ou de réparer que les conséquences des pannes ou dommages qui leur auront été signalés par le client d où l intérêt pour eux d établir un ordre de réparations dûment signé par le client aussi précis que possible. Ce qui implique que les réparations qui pourraient être nécessaires mais qui ne sont pas visées par l OR (Ordre de Réparations) ne sont pas susceptibles d entrainer la mise en jeu de sa responsabilité sauf ce qui concerne la sécurité du véhicule et de ses conducteur/passagers. C est pourquoi on évoque une obligation de résultat allégée. Dans un premier arrêt du 4 mai 2012, la 1 ère chambre civile (n 11-18 380) considéra qu il n était pas établi que «la défectuosité du turbo compresseur préexistait à l intervention du garagiste, était décelable et réparable à un coût moindre que celui du remplacement de la pièce et, partant que le dommage invoqué avait pour origine un manquement du professionnel à son obligation de résultat». Le manquement à l obligation de résultat n était pas établi pour le garagiste en charge d une révision le 11 juillet 2008 sur un véhicule BMW qui subit le 8 août une panne du turbo compresseur. La juridiction de proximité avait affirmé pour retenir la responsabilité contractuelle du professionnel que le seul fait que le propriétaire du véhicule soit tombé en panne moins d un mois après une révision générale suffisait à démontrer sa responsabilité. La 1 ère chambre a répondu par la négative avec le considérant cité ci-dessus. Dans une seconde décision du 30 mai 2012, la même 1 ère chambre (n 11-14 408) à propos d une remise en état partielle commandée pour un véhicule Datsun- Nissan de 1982 ayant parcouru 195 000 kms la Cour constatant que le véhicule n avait subi pu être entièrement réparé en raison de la recherche de pièces d occasion considéra qu il incombait au garagiste de prouver que les détériorations subies par le véhicule pendant son long stationnement et constatées par huissier existaient avant la mise en dépôt du véhicule. «en l espèce les réparations effectuées par le garagiste n avaient pas permis de remédier aux désordres, de sorte que celui-ci avait failli à l obligation de résultat à laquelle il était tenu à l égard de son client du chef de ces réparations.». D où la nécessité pour le garagiste de mentionner sur l OR les dommages apparents présentés par le véhicule lors de sa réception III) Souscription du contrat par internet. Déclaration inexacte du risque : preuve non rapportée. 4
C est la chambre criminelle dans un arrêt du 15 mai 2012 (n 11-85 420) qui considère qu en l espèce «contrat ayant été souscrit par internet et le contenu des questions posées dans le formulaire de la compagnie, à l assurée n a pas été configuré pour être accessible». La MAAF assureur du véhicule impliqué dans un accident de la circulation ayant provoqué un décès, a invoqué la nullité du contrat d assurance souscrit par internet pour fausse déclaration intentionnelle, l assurée ayant omis de déclarer des sinistres antérieurs et fait état d un coefficient de réduction majoration inexact. L arrêt énonce que Mme C (la sociétaire) «a omis de déclarer, lors de la souscription du contrat, les sinistres survenus dans les deux dernières années, mais pour autant, la Sté MAAF n établit pas l existence d une fausse déclaration intentionnelle, ni ne démontre à la supposer établie, que celle-ci aurait modifié le risque ou l opinion que l assureur pouvait en avoir, et ce d autant moins qu il a été souscrit par internet et que le contenu des questions posées, dans le formulaire de la Sté MAAF à l assurée, n a pas été configuré pour être accessible». J ai eu l occasion à propos des questionnaires plus ou moins imposés par beaucoup d assureurs et notamment pour les risques professionnels, de rappeler de la même chambre criminelle en Commission juridique et fiscale de la CSCA cet extrait d un arrêt du 10 janvier 2012 : «Qu en effet le formalisme implique, quelle que soit la technique de commercialisation employée, que les questions que l assureur entend, au regard des éléments qui lui ont été communiqués, devoir poser par écrit notamment par formulaire, interviennent dans la phase précontractuelle, ce qu il doit prouver, en les produisant avec les réponses qui y ont été apportées, pour pouvoir établir que l assuré a été mis en mesure d y répondre en connaissant leur contenu». Je considère ce dispositif comme particulièrement important dans la mesure où il implique que l assuré doit pouvoir répondre aux questions posées en connaissant leur signification ou leur portée. Pendant un certain nombre d années une Sté à forme mutuelle mais travaillant avec des intermédiaires reproduisait dans les conditions particulières des contrats RC notamment les questionnaires et les réponses y apportées par le souscripteur. C est un des aspects de l obligation d information et du devoir de conseil qui va aller en se développant à mon avis. IV) Accidents du travail et faute inexcusable (suite). J ai relevé dans la jurisprudence les décisions ci-après rappelées qui illustrent ou complètent mes précédents développements. Procès dit «du bitume». Je rappelle brièvement les faits mentionnés dans la rubrique juridique de cette Chronique n 169 : Mai 2010 condamnation d Eurovia par le TASS (Tribunal des Affaires Sociales de la Sécurité Sociale) de Bourg en Bresse pour faute 5
inexcusable suite au décès d un salarié provoqué par un cancer de la peau. Le jugement reprochait à l employeur de ne pas avoir eu conscience du danger auquel a été exposé (pendant de nombreuses années) le salarié aux rayons ultraviolets et aux émanations du bitume de manière conjuguée. Mars 2011, Eurovia ayant relevé appel de la décision, les magistrats de la Cour d Appel de Lyon sollicitent l avis du CRRMP (Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles). Mai 2011 la Cour différait sa décision et sollicitait un second avis d experts, le CRRMP de Dijon qui concluait que «l intéressé a été exposé de façon habituelle aux UV générés par le rayonnement solaire du fait de ses activités en extérieur et aux facteurs de risques que constituent les goudrons issus de produits houillés ainsi que les huiles minérales servant d agent fluxant des bitumes incriminés dans l apparition du cancer de la peau» 13 11 2012 la Cour d APPEL rend son arrêt et condamne Eurovia (Groupe Vinci) pour faute inexcusable en retenant le lien existant entre la maladie qui a provoqué le décès du salarié et son activité professionnelle dans Eurovia. Selon les magistrats l employeur ne justifie pas avoir équipé l intéressé de protections des yeux ou d écrans de protection faciale ainsi que de combinaisons de travail alors qu il était fréquemment exposé à l action conjuguée du soleil «premier facteur causal de tous les cancers de peau, qui ne peut être limité à un risque environnemental et personnel» et «d un produit potentiellement dangereux qu il était chargé d épandre». Ce procès, prend soin de préciser la Cour, n est pas le procès en général ni du goudron, ni du bitume, ni des entreprises de travaux publics en général Le montant des dommages et intérêts alloués à la famille de la victime s élève à 155 000. Eurovia et ses conseils s interrogent sur l opportunité de se pourvoir en cassation pour éviter que l affaire ne constitue véritablement un cas de jurisprudence. Les entreprises de TP en charge de travaux routiers doivent reconsidérer la procédure de protection de leurs salariés en raison des risques conjugués de l exposition au soleil et aux composants du bitume. AM Best Company qui est un fournisseur d informations de premier plan pour le secteur de l assurance évoquait il y a quelques années un coût potentiel des sinistres liés à l amiante et au soleil/bitume de 65 Md$... Le problème des protections des salariés face au risque UV entre autres se pose désormais avec acuité Accidents du travail : faute inexcusable de l employeur (prescription). 6
Dans deux arrêts rendus le 31 mai 2012 (n 11-13 814 et 11-10 424) la 2 ème Chambre de la Cour de cassation a précisé les causes de l interruption de la prescription biennale en matière de faute inexcusable : «Il résulte du dernier alinéa de l art. L.431-2 du Code de la sécurité sociale qu en cas d accident susceptible d entraîner la reconnaissance de la faute inexcusable de l employeur, la prescription biennale opposable aux demandes d indemnisation complémentaire de la victime ou de ses ayants droit est interrompue par l exercice de l action pénale engagée pour les mêmes faits» (Dans les deux espèces). «Ne constituent pas une telle cause d interruption, le dépôt d une plainte entre les mains du procureur de la république (1 er dossier) ; ni les instructions adressées par le procureur de la République à un officier de police judiciaire lors de l enquête préliminaire, ni les procès verbaux dressés par l inspection du travail» (2 ème dossier). C est donc la citation directe qui est à privilégier par rapport au dépôt de plainte y compris avec constitution de partie civile. Camille FRANCK Membre de la Commission juridique et fiscale de la CSCA 7