Le mouvement altermondialiste en Afrique



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ALTERNATIVES SUD, VOL. 17-2010 / 251 Le mouvement altermondialiste en Afrique Demba Moussa Dembélé 1 Depuis la création du Forum social africain en 2002, le mouvement altermondialiste africain a fait tâche d huile et gagné en crédibilité au sein du Forum social mondial. Avec des intensités variables selon les contextes nationaux, les forums ont contribué à l amélioration de la capacité offensive des mouvements sociaux africains contre le modèle de développement dominant et les politiques néolibérales, et pour la souveraineté alimentaire. En février 2011, la prochaine édition du Forum social mondial (FSM) aura lieu à Dakar, capitale du Sénégal. Après l édition du FSM de Nairobi (Kenya) en 2007 et la tenue du Forum mondial polycentrique de Bamako (Mali) en 2006, ce sera donc la troisième fois que le continent africain abritera un événement majeur du FSM. Ce qui témoigne du rôle important joué par les mouvements sociaux africains dans le mouvement altermondialiste mondial. Dès le début des années 1980, les mouvements sociaux africains avaient opposé une vive résistance aux politiques néolibérales imposées par la Banque mondiale et le FMI en réponse à la crise de la dette extérieure des pays africains. Ces mouvements avaient participé à toutes les grandes mobilisations contre la dette illégitime du continent dans le cadre du mouvement Jubilé 2000, puis dans le réseau international Jubilé Sud. En décembre 2000, une grande conférence internationale sur la dette de l Afrique et du tiers-monde 1. Membre du Forum africain des alternatives et du comité d organisation du Forum social mondial 2011, Dakar, Sénégal.

252 / ÉTAT DES RÉSISTANCES DANS LE SUD - AFRIQUE fut organisée à Dakar, avec la présence de plus de 300 participants venus des pays du Sud ainsi que d Europe et d Amérique du Nord. Des représentants du mouvement social africain avaient également pris part à la grande mobilisation historique de Seattle en décembre 1999, qui avait fait échouer la conférence ministérielle de l Organisation mondiale du commerce (OMC). Cette mobilisation marqua une étape décisive dans le rejet du système néolibéral, dont le «libre-échange», incarné par l OMC, était une des clés de voûte. La bataille de Seattle et les autres batailles qui l ont précédée avaient préparé le terrain pour le lancement du Forum social mondial en janvier 2001 à Porto Alegre au Brésil. Et c est tout naturellement que des représentants des mouvements sociaux africains prirent part à la première édition du FSM. Mais ce fut une participation très symbolique car les Africains toutes régions confondues étaient à peine visibles à Porto Alegre. Ayant fait ce constat au cours d une réunion d évaluation, ils décidèrent de réunir les conditions d une présence plus significative aux prochaines éditions du FSM. Naissance du Forum social africain De là, a germé l idée de créer un Forum social africain (FSA), comme instrument d une grande mobilisation des mouvements africains dans la dynamique créée par le FSM. Ainsi, en janvier 2002, fut créé le FSA à Bamako au Mali. La naissance du FSA fut rehaussée par la présence de feu le professeur Joseph Ki-Zerbo, historien et penseur africain éminent 2 et par celle d Ahmed Ben Bella, figure de proue de la lutte de libération du peuple algérien contre le colonialisme français. Plus de huit ans après sa naissance, le FSA a fait tâche d huile, suscitant la naissance de forums nationaux, sousrégionaux et thématiques à travers de nombreux pays du continent. On ne compte plus aujourd hui le nombre d initiatives nationales, d Est en Ouest, du Nord au Sud. Plusieurs éditions des forums sous-régionaux ont été organisées en Afrique australe, en Afrique de l Ouest et en Afrique du Nord. À cela, il faut ajouter des forums thématiques sur divers sujets, comme 2. Joseph Ki-Zerbo, décédé en décembre 2006, a notamment collaboré à la grande édition de L Histoire générale de l Afrique publiée par l Unesco. C était un critique féroce de la plupart des régimes africains, un pourfendeur des politiques de la Banque mondiale et du FMI et un partisan ardent du développement endogène («On ne développe pas. On se développe»).

LE MOUVEMENT ALTERMONDIALISTE EN AFRIQUE / 253 les migrations, la souveraineté alimentaire, les ressources naturelles et les conflits, etc. Après la première édition de Bamako, d autres éditions du FSA furent organisées en Éthiopie (janvier 2003), en Zambie (décembre 2004) et au Niger (novembre 2008). En 2006, le continent africain obtint l organisation de l un des trois forums polycentriques à Bamako (Mali) et en 2007, la septième édition du FSM à Nairobi (Kenya). Ces deux événements témoignèrent de la crédibilité acquise par le mouvement altermondialiste africain au sein du FSM. Implantation inégale Si le FSA a pu établir sa présence dans toutes les régions du continent, il faut cependant noter que cette présence a connu un développement inégal. Il existe des régions où l influence du mouvement altermondialiste africain est très limitée. Il s agit de l Afrique centrale et de la région des Grandes Lacs. À la notable exception de la République démocratique du Congo (RDC) et dans une moindre mesure du Cameroun, le mouvement altermondialiste reste peu développé, voire inexistant, en Centrafrique, au Congo, au Gabon, en Guinée Équatoriale et au Tchad. C est également le cas du Burundi et du Rwanda, et des pays de l océan indien, comme l île Maurice, Madagascar et les Seychelles. Les régions où le FSA est bien implanté sont l Afrique de l Ouest, l Afrique australe et l Afrique du Nord. En Afrique de l Ouest, à l exception de pays sortant de conflits, comme la Guinée-Bissau, le Liberia et la Sierra Leone, le mouvement altermondialiste est assez bien implanté. L Afrique de l Ouest reste un des bastions du FSA, en grande partie parce que c est son berceau et qu elle abrite son secrétariat, logé à Enda Tiers Monde, à Dakar. Une autre raison de l importance de l Afrique de l Ouest pour le FSA est la présence du puissant mouvement social nigérian, pays le plus peuplé d Afrique. L Afrique australe reste également une région-clé pour le FSA. Les mouvements sociaux dans cette région sont parmi les plus actifs et les mieux organisés du continent. La lutte anti-apartheid et les guerres de libération en Angola, au Mozambique, en Namibie, au Zimbabwe, entre autres, y ont eu une grande influence sur le niveau de conscience politique et de mobilisation. L Afrique du Nord, à l exception de la Libye, constitue un autre bastion solide du mouvement altermondialiste. Les mouvements sociaux du Maroc, de l Algérie et de la Tunisie ont su surmonter les

254 / ÉTAT DES RÉSISTANCES DANS LE SUD - AFRIQUE obstacles liés aux problèmes politiques de la sous-région (conflit du Sahara occidental, tensions entre l Algérie et le Maroc, etc.) pour former le Forum social maghrébin, qui est devenu une des pièces maîtresses du FSA. Impact du mouvement altermondialiste De manière générale, les idées défendues par le mouvement altermondialiste africain ont contribué à une prise de conscience citoyenne grandissante à travers le continent. Elles ont également amené certains dirigeants à s interroger plus encore sur les grands défis et enjeux mondiaux ayant un impact direct sur le développement de l Afrique. Les activités du FSA ont participé à l amélioration de la capacité offensive du mouvement social africain contre les politiques néolibérales. Leurs critiques ont contribué au discrédit des institutions financières internationales et à celui du discours néolibéral en général. En d autres mots, les luttes engagées par les mouvements sociaux associés au FSA sur différents fronts ont incontestablement eu une influence significative sur les débats sur le développement du continent africain, et cela dans plusieurs domaines. Critique de la dette extérieure illégitime et des politiques des IFI La lutte contre la dette extérieure illégitime de l Afrique et les politiques non moins illégitimes et désastreuses de la Banque mondiale et du FMI, constitue sans doute le domaine où les résultats les plus probants ont été obtenus par les mouvements sociaux africains. Par exemple, l Initiative d allégement de la dette multilatérale (IADM), prise en 2005 au Sommet du G8 en Écosse, a marqué un tournant dans la lutte pour l annulation de la dette de l Afrique et d autres pays du Sud. En effet, pour la première fois, les «créanciers» bilatéraux et multilatéraux décidaient d annuler 100 % de la dette d un certain nombre de pays, dont quatorze pays africains 3. Cette décision était à la fois le résultat de la formidable pression de l opinion publique internationale mais également de la reconnaissance de l échec de l Initiative «en faveur» des «pays pauvres très 3. Bénin, Burkina Faso, Éthiopie, Gambie, Ghana, Madagascar, Malawi, Mali, Mozambique, Niger, Ouganda, Sénégal, Tanzanie, Zambie.

LE MOUVEMENT ALTERMONDIALISTE EN AFRIQUE / 255 endettés» (PPTE), lancée en 1996 par la Banque mondiale et le FMI, et «renforcée» en 1999. La lutte contre la dette par les mouvements africains, membres du réseau international Jubilé Sud, avait eu un large écho non seulement au sein de l opinion africaine et internationale, mais également au niveau des instances africaines. L un des développements les plus significatifs à cet égard fut l atelier sur la dette, organisé par la commission de l Union africaine à Addis-Abeba (Éthiopie) en mars 2005. En effet, cet atelier vit la participation de représentants de mouvements altermondialistes africains et européens 4, dont les contributions influencèrent le contenu du document soumis aux chefs d État africains (Union africaine, 2005). Ce document reflétait la position commune de l Afrique sur la question de la dette et faisait partie des documents soumis par les dirigeants africains à ceux du G8 lors du sommet de Gleneagles en Écosse qui prit la décision rappelée plus haut. La lutte contre la dette illégitime s est accompagnée d une critique sans merci et d un rejet total des prescriptions de la Banque mondiale et du FMI qui ont aggravé la crise de la dette et entraîné la détérioration des indicateurs de développement humain de la plupart des pays endettés. Dans un rapport consacré à la dette africaine, la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced) confirmait ces critiques et soulignait la responsabilité des programmes d ajustement structurel dans l explosion de la dette extérieure africaine et ses conséquences économiques et sociales dans beaucoup de pays endettés (Cnuced, 2004). Critique de l OMC et du «libre-échange» Parmi les prescriptions des institutions financières internationales, la libéralisation des politiques de commerce figure en bonne place. Au nom du dogme du libre-échange basé sur le principe des «avantages comparatifs», ces institutions obligèrent les pays africains à s engager dans des politiques d ouverture commerciale qui ont coûté cher au continent. Elles ont ruiné l industrie domestique, accentué la dépendance à l égard des produits de base et entraîné 4. Parmi ces altermondialistes africains, il y avait des représentants d Afrodad (Zimbabwe), de Kendren (Kenya) et de Jubilé Afrique. Éric Toussaint, président du Comité pour l abolition de la dette du tiers-monde, était également présent, ainsi que des membres d Oxfam Grande-Bretagne.

256 / ÉTAT DES RÉSISTANCES DANS LE SUD - AFRIQUE la chute de la part de l Afrique dans le commerce mondial entre 1980 et 2007 (Cnuced, 2008). On comprend dès lors la vigueur avec laquelle les mouvements sociaux ont engagé le combat contre les politiques de libéralisation du commerce et les tentatives d imposer aux pays africains des accords de libre-échange. Africa Trade Network (ATN) engagea la bataille sur ce front, faisant jonction avec les mouvements contre la dette. Les critiques, étayées par des études ciblées et des campagnes nationales ou sous-régionales bien orchestrées, avaient été facilitées par la grande hypocrisie qui règne dans le système du commerce international. En effet, les pays occidentaux, États-Unis en tête, n hésitent pas à piétiner les règles de l OMC, en pratiquant diverses formes de protectionnisme et surtout en octroyant des subventions massives à leurs exportations agricoles. Le scandale du coton, comme les subventions sur les produits alimentaires, tels que les cuisses de poulets, la tomate, le lait en poudre, etc. avaient fini de discréditer le «libre-échange» aux yeux de l opinion et de plusieurs dirigeants et décideurs africains 5. Campagne pour la souveraineté alimentaire Comme l illustrent ces subventions, les politiques de «libreéchange» sont particulièrement dévastatrices pour les producteurs agricoles africains. C est pourquoi la lutte contre le «libre-échange» est étroitement liée à la campagne pour promouvoir la souveraineté alimentaire. Les émeutes de la faim dans plusieurs pays consécutives à la crise alimentaire mondiale ont mis en lumière de manière dramatique les conséquences de la dépendance alimentaire croissante de l Afrique 6. Et pourtant, celle-ci pourrait se nourrir et même exporter vers le reste du monde si des politiques adéquates étaient suivies 7. 5. Les États-Unis octroyaient à quelque 25 000 exportateurs de coton des subventions estimées entre 3 et 4 milliards de dollars, entraînant ainsi une chute d environ 25 % des prix du coton sur le marché mondial. Cela avait pour conséquence des pertes de recettes estimées à plus de 300 millions de dollars pour plus de dix millions de cotonculteurs africains (Dembélé, 2006). 6. En 2008 et 2009, ces émeutes secouèrent des pays comme le Cameroun, le Burkina Faso, le Niger, le Mali, le Sénégal, etc. Plus récemment (août 2010), ce fut le tour du Mozambique. 7. Sous la pression des organisations de producteurs, les dirigeants africains ont adopté à Maputo une résolution préconisant un investissement annuel minimum de 10 % du

LE MOUVEMENT ALTERMONDIALISTE EN AFRIQUE / 257 En Afrique de l Ouest, les organisations affiliées au Réseau des organisations paysannes et de producteurs d Afrique de l Ouest (Roppa) proposent aux pays membres de la Communauté des États de l Afrique de l Ouest (Cedeao) : «L élaboration et la mise en œuvre d une Charte sous-régionale de souveraineté alimentaire [ainsi que] la définition et la mise en œuvre d une politique commerciale et des mesures de protection conformes aux objectifs de la Charte de la souveraineté alimentaire» (Roppa, 2006). Le combat du Roppa pour la souveraineté alimentaire, basée sur l agriculture familiale, semble avoir trouvé des oreilles attentives chez certains dirigeants de la sous-région, comme au Sénégal, dont le gouvernement a pris l engagement d atteindre la souveraineté alimentaire vers 2015. La lutte contre les APE Au vu de la vigoureuse résistance des mouvements sociaux africains contre les politiques mentionnées ci-dessus et vu leur ferme soutien à l intégration sous-régionale et continentale, on comprend dès lors leur farouche opposition à la signature des Accords de partenariat économique (APE), tels que les voulait la Commission européenne. L opposition aux APE a entraîné la formation d une formidable coalition comprenant toutes les composantes du mouvement social africain. En fait, ces mouvements avaient compris que l objectif primordial de l Union européenne dans les APE était d avoir un traité de «libre-échange» lui permettant de capter les marchés africains des biens et services! Un tel objectif était contraire aux intérêts fondamentaux de l Afrique. D abord, il fermait la porte à toute possibilité d industrialisation du continent. L ONG britannique Oxfam rapporte cet aveu d un membre de l Union européenne : «Alors que la libéralisation du commerce pourrait encourager les consommateurs à acheter des produits [à des prix abordables], elle pourrait aussi accélérer l effondrement du secteur manufacturier moderne de l Afrique de l Ouest» (Oxfam, 2006). Ensuite, les APE étaient une grave menace à l intégration sous-régionale, en dépit des déclarations de «soutien» à cette budget national dans l agriculture dans le but de réussir un taux de croissance de 7 % dans ce secteur. Malheureusement, la plupart des chefs d État n ont pas respecté cette résolution.

258 / ÉTAT DES RÉSISTANCES DANS LE SUD - AFRIQUE intégration. En effet, en divisant les pays africains en «pays moins avancés» (PMA) et «pays intermédiaires», la Commission européenne avait l intention d instituer deux tarifs douaniers dans une même communauté sous-régionale! Un tel objectif remettrait en cause les acquis de l intégration et serait un frein à toute avancée dans cette direction. Pour les mouvements africains, les APE devraient être un ensemble de politiques qui servent le développement de l Afrique, par exemple, en contribuant à développer les capacités de production domestique en vue de permettre de transformer davantage les matières premières sur place. En outre, les APE devraient aider à renforcer l intégration africaine. Enfin, les mouvements sociaux rejetaient la clause de la «nation la plus favorisée» (NPF) ainsi que le principe de «traitement national» que l UE voulaient imposer aux pays africains 8. Grâce à leur travail de plaidoyer auprès des décideurs et à leurs publications, le tout accompagné par de grandes mobilisations sociales, les mouvements sociaux africains ont réussi à freiner les ardeurs de la Commission européenne et à galvaniser la résistance des pays africains. Et le monde a été témoin du refus opposé par les dirigeants africains à la signature précipitée des APE, lors du Sommet Afrique/Europe, tenu à Lisbonne les 6 et 7 décembre 2007 (Ramonet, 2008). Bientôt trois ans après «la date butoir» fixée par la Commission européenne fin décembre 2007, plusieurs sous-régions africaines, dont la Cedeao, l Afrique de l Est, la SADC, la CEMAC, continuent de négocier le contenu des APE 9. Et les négociateurs africains le font en étroite collaboration et avec le soutien de leurs mouvements sociaux! 8. La clause NPF signifie que toute faveur accordée par les pays africains à des pays tiers devrait être automatiquement accordée à l Union européenne. Le rejet de cette clause est motivé par le fait que les pays africains devraient pouvoir développer des relations commerciales privilégiées avec les pays du Sud sans qu ils soient obligés de développer le même type de relations avec les pays européens. Quant à la notion de «traitement national», elle signifie que les pays européens voudraient que leurs investisseurs dans les pays africains soient traités sur le même pied d égalité que les investisseurs africains! Une telle mesure ôterait toute possibilité aux gouvernements africains d accorder des soutiens aux investisseurs locaux en vue de favoriser le développement d industries domestiques (nationales ou sous-régionales). 9. Certes, certains pays, comme la Côte d Ivoire et le Ghana, en Afrique de l Ouest, ont paraphé des accords dits «intérimaires», mais refusent de signer tout accord définitif en dehors du cadre sous-régional.

LE MOUVEMENT ALTERMONDIALISTE EN AFRIQUE / 259 Les conséquences de la crise financière internationale La crise qui a éclaté en septembre 2008 aux États-Unis, avant de se transmettre aux pays européens et de se transformer en crise économique mondiale, a confirmé certaines des analyses et critiques formulées par le mouvement altermondialiste africain à l égard des politiques imposées par la Banque mondiale et le FMI depuis près de trente ans. La remise en cause des politiques préconisées par ces institutions par les pays occidentaux, avec notamment l intervention massive des États en Europe et aux États-Unis, par le biais de plans de relance au mépris de l inflation, les nationalisations de banques et même d entreprises privées, et l effondrement du mythe de marchés «autorégulateurs» ont porté un rude coup au dogme néolibéral, aujourd hui discrédité et en proie à une profonde crise de légitimité. C est pour ces raisons que plusieurs voix au sein du mouvement altermondialiste africain exhortent les dirigeants africains à enfin ouvrir les yeux et avoir le courage d amorcer les ruptures avec les politiques associées au système néolibéral pour promouvoir un autre modèle de développement (Dembélé, 2009 ; Amin, 2009 ; Tandon, 2009). Des conclusions similaires ont été adoptées par certaines institutions du système des Nations unies, comme la Cnuced qui appelle ouvertement à rejeter la confiance aveugle accordée au rôle des marchés et au modèle de croissance tirée par les exportations. Lors d un symposium, organisé en mai 2010 à Genève, la Cnuced a décrété la faillite du modèle néolibéral et appelé à promouvoir un autre modèle de développement, dans lequel la demande domestique et l État doivent jouer un rôle de premier plan (IPS Europe, 2010) 10. Perspectives Le FSM de Dakar devrait amplifier les appels lancés par la Cnuced et le mouvement social africain, pour un rejet total du modèle néolibéral et la nécessité d explorer une autre voie de développement. Sans nul doute, le FSM 2011 marquera une nouvelle étape dans la maturation et le renforcement du mouvement altermondialiste africain. La note d orientation du FSM définit trois objectifs 10. D ailleurs la Cnuced a consacré plusieurs rapports à la réhabilitation de l État et sa transformation en instrument efficace au service du développement non seulement en Afrique mais aussi dans les «pays les moins avancés» (Cnuced, 2007 et 2009).

260 / ÉTAT DES RÉSISTANCES DANS LE SUD - AFRIQUE stratégiques : «1) renforcer la capacité offensive contre le capitalisme ; 2) approfondir les luttes et résistances contre le capitalisme, l impérialisme et l oppression ; et 3) proposer des alternatives démocratiques et populaires». En outre, la note met l accent sur la nécessité de faire appel aux mouvements populaires luttant pour les droits fondamentaux, pour la préservation de leurs ressources et de leurs cultures, ainsi qu aux peuples et mouvements luttant pour la reconnaissance de leurs droits légitimes à former un État ou pour leur droit à l autodétermination. En d autres mots, le FSM de Dakar veut apporter un infléchissement plus radical vers les mouvements en prise directe avec des luttes sur des questions immédiates de survie et non seulement des luttes pour des droits théoriques et parfois lointains. Le FSM de Dakar devrait donc laisser une marque durable sur le développement du mouvement altermondialiste africain. Celuici devrait en sortir renforcé, en tant qu acteur avec lequel il faut compter dans la recherche de solutions aux défis fondamentaux de développement de l Afrique. Car le mouvement altermondialiste africain n est pas seulement composé d activistes pouvant mobiliser des foules, mais également d intellectuels au fait des grands enjeux et débats qui agitent le monde contemporain. Que ce soit dans les grandes organisations de recherche, ou à titre individuel, ces intellectuels hommes et femmes ont, par leurs réflexions, contribué à déconstruire le discours dominant sur la dette, le libreéchange, l agriculture, la circulation des capitaux, les relations de l Afrique avec le reste du monde, etc. Ils ont ainsi contribué à discréditer les politiques néolibérales imposées par les institutions financières internationales et les pays occidentaux. En guise de conclusion, les idées et les politiques défendues par le mouvement altermondialiste africain devraient continuer à trouver une audience de plus en plus large, surtout à la lumière de l effondrement du fondamentalisme de marché, de la profonde crise de légitimité du système capitaliste et des institutions financières internationales. Les réactions des pays occidentaux face à la crise financière, la redistribution des cartes qui se dessine à l échelle mondiale entre les pays du Nord et certains pays du Sud, les alternatives qu offrent certains pays d Amérique latine et la marge de manœuvre grandissante qu offre la coopération Sud-Sud aux pays africains, tout cela crée un terrain fertile à la maturation et à l enracinement des idées défendues par le mouvement altermondialiste africain.

LE MOUVEMENT ALTERMONDIALISTE EN AFRIQUE / 261 D ores et déjà, on en entrevoit les manifestations, comme l illustre cette déclaration du président de la Commission de l Union africaine, Jean Ping : «On sait maintenant que le marché capitaliste ne va pas tout résoudre et que rien n est irréversible. Personne ne pourra plus nous dicter ce que nous devons faire L Afrique doit d abord compter sur elle-même» (Jeune Afrique, 2009). Bibliographie Amin S. (2009), Sur la crise. Sortir de la crise du capitalisme ou sortir du capitalisme en crise, Pantin, Le Temps des cerises. Cnuced (2004), Développement économique en Afrique, viabilité de la dette : oasis ou mirage?, New York/Genève, Nations unies, septembre. Cnuced (2007), Développement économique en Afrique ; Retrouver une marge d action : la mobilisation des ressources et l État développementiste, New York/Genève, Nations unies, septembre. Cnuced (2008), Développement économique en Afrique 2008, Résultats à l Exportation après la Libéralisation du Commerce : Quelques tendances et Perspectives, Nations unies, New York/Genève, septembre. Cnuced (2009), Rapport 2009 sur les pays les moins avancés : État, gouvernance et développement, internet, septembre. Dembélé D. M. (2006), «l Afrique prise au piège de l aide», Relations, Montréal, novembre. Dembélé D. M. (2009), «The International Financial Crisis : Lessons and Responses from Africa», Pambazuka News, n 424, 19 mars. Jeune Afrique (2009), 15-21 novembre, p. 18. IPS Europe/Terra Viva Europe (2010), «World : Markets Can t Self-Regulate ; State Should Step In : UNCTAD», 16 mai. Oxfam International (2006), Unequal Partners : How ACP-EU Economic Partnership Agreements Could Harm the Development Prospects of Many of the World Poorest Countries, Londres, septembre. Ramonet I. (2008), «L Afrique dit non!», Le Monde diplomatique, janvier. Roppa (2006), Appel de Niamey pour la souveraineté alimentaire en Afrique de l Ouest, Niamey (Niger), 10 novembre. Tandon Y. (2009), Reflections and Foresights on Development and Globalisation : Daring To Think Different, Genève, South Centre. Union africaine (2005), Rapport de la réunion des éminentes personnalités, 2-3 mai, Dakar, Sénégal, www.union-africaine.org.