Le mur. Mais qu'est ce que c'est que ça? Qu'est ce que je fais là?

Transcription

1 Le mur «Le pire, c'est que ça a marché.» Et pendant que tout tournait autour de moi, que l'immense mur se floutait, que ma voix résonnait encore, ses paroles me martelaient la tête : «Quoi qu'il arrive, on se retrouvera.» J'ai ouvert les yeux et me suis relevée péniblement. J'ai tenté de retrouver mes repères sans succès. J'ai cligné des yeux. il n'y avait rien, aucune limite, pas de couleur, juste du blanc. Les seules choses palpables étaient le sol, sans couleur également, et puis ce mur de pierres, immense, dont je ne voyais pas le bout, qui montait et s'étalait à 'infini. Mais qu'est ce que c'est que ça? Qu'est ce que je fais là? J'essayais de me souvenir. De me souvenir de quelque chose qui m'indiquerait le lieu où je suis. Rien. Et je ne parlais pas seulement des raisons que je cherchais. Je ne me souvenais de rien, mis à part mon nom et mon âge. Ma tête était aussi vide et blanche que 'endroit où je me trouvais. La panique grandit en moi. Elle s'accrut encore plus quand le silence s'abattit, quand il se mit à m'assourdir. - Je m'appelle Amandine, j'ai vingt-cinq ans. J'ai prononcé ces mots pour essayer d'apaiser cette peur lancinante qui m'étouffait. Seul l'écho de ma voix me répondit. Un grondement sourd s'échappa de ma gorge pendant que des larmes affluaient à mes yeux..le me mis à longer le mur de pierres, lisse, parfait, en laissant traîner ma main sur la paroi, en tentant vainement de me souvenir de quelque chose. Rappelle-toi, rappelle-toi, rappelle-toi. Mais ma litanie résonnait dans ma tête autant que ma phrase prononcée plus

2 tôt. Et le mur s'allongeait toujours, toujours aussi lisse. Comme s'il me barrait le passage. Une barrière. Je m'arrêtais pour prendre conscience de l'ampleur de ma révélation. On me bloque le passage. Ma respiration s'accéléra, résonnant comme les halètements sourds d'un animal blessé, pendant que le désir de savoir ce qui se trouvait derrière me consumait entièrement. Puis, plus fort que le désir, l'espoir explosa en moi, balayant mes peurs et angoisses précédentes. Je me mis à courir, ma main glissant sur la surface lisse du mur, comme si ma vie en dépendait. Je m'efforçais de taper des pieds, de respirer fort, pour combler l'absence de bruit, pour combler le silence oppressant. Je courais, toujours et encore. Pendant combien de temps, je ne sais pas. Je ne sais rien. Et plus je courais, plus l'espoir grandissait en moi, me serrant le cœur. Tellement fort que je me mis à pleurer, sans ralentir ma course pour autant. De joie ou de peine, je ne sais pas. Parce que je ne sais rien. Un creux c'est fait ressentir, un fugitif instant sous ma main. Je m'arrêtais brusquement, revenais sur mes pas, tâtonnant le mur des deux mains. J'avais peur que ce ne soit qu'une illusion, comme un oasis dans un désert. En parlant de désert... Je tachais de me concentrer sur moi-même. Je n'avais rien encore une fois ; pas faim, pas soif, pas de fatigue, pas de débordement d'énergie. Rien. Et j'eu la fugace impression d'être inexistante, dans un lieu inexistant. Même rien ne correspondait à ma situation.

3 Je retrouvais mon creux, sentant soudain la texture de la pierre et de la terre qui s'effritait sous mes doigts. Une brèche. Une faille dans le mur. Une porte de secours. L'Issue. Je me mis à gratter frénétiquement, pour l'agrandir. Je pus bientôt glisser mes deux mains, pour continuer de creuser la paroi, en ignorant la brûlure de ma peau, la terre s'enfonçant sous mes ongles. Le bruit des cailloux tombant au sol se répétait à l'infini, m'apportant une compagnie dans ce silence imposant. Et plus le trou devenait profond, plus la vague d'espoir montait en moi, menaçant de dévaler sur mes joues. C'est à ce moment là que je l'entendis. Un souffle. Il provenait de l'autre côté. Je m'arrêtais, bloquant ma respiration. Le souffle se calma à son tour. -Il y a quelqu'un? Une voix. Contrôlée et rauque. Une voix d'homme. Et ce bruit, tout nouveau, brisa le silence qui habitait les lieux, m'écorchant les oreilles. -Oui. Ma voix. Un murmure, un souffle, laissant transparaître ma joie et ma peur. Il se mit à rire. Un rire franc, clair, qui résonna dans mes oreilles, dans ma tète. Je me mis à rire aussi. Sans doute le stress qui s'évaporait, sans doute le fait de savoir qu'on n'est pas seuls. - Comment es-tu? - Je ne sais pas. (Je pris une mèche de mes cheveux pour la regarder.) Brune, (je fixai mes mains), j'ai la peau tellement pâle que mes veines se voient par transparence. Et je m'appelle Amandine. J'ai vingt-cinq ans. - Qui es-tu Amandine?

4 - Je... je ne sais pas. Je pris ma tête entre mes mains, tentant de me rappeler de quelque chose que j'aime, de ma famille, de mes occupations. Mais je ne me souvenais de rien. Comme si je n'avais pas de vie, pas d'identité. Comme si j'étais une carapace vide. Et cette réalité s'abattit sur moi, me prenant à la gorge. J'étouffai un sanglot. - Toi aussi? (Il a reprit d'une voix moins assurée). Toi aussi tu as cette sensation dévastatrice de ne pas exister, de n'être qu'une loque, un bout de chose sans âme ni passé? - Oui. - Ne pleure pas Amandine. Je n'aime pas t'entendre pleurer. - Qui es-tu toi? - Alexandre. Vingt-sept ans. - Comment es-tu? - Je ne sais pas. Je ne peux pas me voir. Ces mots me frappèrent. - Je pourrais, moi. Je me remis à creuser, animée par le courage, l'espoir et le sentiment de solitude envolés. Les pierres tombaient plus facilement, plus rapidement. Et je pus voir son visage. Il me fixa en s'arrêtant également. - Je t'aurais plutôt imaginé avec des yeux bleus. - Comment sont-ils? Ils ne te plaisent pas? - Si, ils sont beaux. Verts foncés. Tu as les cheveux châtains et bouclés. Il me sourit. - Tu as de grands yeux marron, et des cheveux bruns et lisses. Et un grain de

5 beauté...juste là. Il tendit son doigt au travers du mur, pour me toucher sous la commissure des lèvres. Un frisson me parcourut. - Qu' y a-t-il de ton côté? - Rien. Tout s'effondra. Mes jambes lâchèrent, pendant que l'immense vide prit possession de mon corps. Rien. - Amandine... Sa voix. Un murmure, une supplique, un bruit de trop. - Laisse-moi. Ma voix. Un grondement, une menace de l'explosion de ma peine. Le bruit des pierres tombant sur le sol reprit. le n'eus pas la force de me lever pour l'aider, pas la force d'ouvrir les yeux. Rien. Et puis je sentis ses mains sur les miennes. Il releva ma tête, ses yeux s'enfonçant dans les miens. Et puis tout se mit à tourner autour de moi, le sol se déroba sous mes pieds, le mur se floutant. J'avais envie de crier, mais la seule chose qui parvenait à sortir de mes lèvres, la seule chose qui résonnait dans ce vide, c'était son nom. - Quoi qu'il arrive, on se retrouvera. Ses mots se gravèrent dans ma tête, son nom résonnait encore, pendant que le noir prenait le dessus sur le blanc, pendant que les ténèbres m'engloutissaient, et que ses mains me lâchaient, et qu'il disparaissait. Quand j'ouvris les yeux, les machines faisaient un bruit d'enfer. Je tournais la tête sur le côté pour découvrir son corps à côté du mien, sa main dans la mienne.

6 - Amandine. Sa voix. Douce, un murmure calme et reposant. - Alexandre. Ma voix. Fatiguée, enrouée, mais qui ne résonne pas. C'est là que tout me revient en tête. Son rire, la voiture en sens interdit, le crissement des pneus, la collision, la douleur lancinante, le néant, mais toujours sa main dans la mienne. - Amandine. Sa voix. Rassurante, prononçant mon nom comme une prière. Sa voix, et toujours la sienne. Nos mains, nos doigts entrelacés. Toujours là. - Alexandre. Ma voix. Son sourire et puis rien d'autre. Pour l'éternité.