Document commenté LA MONARCHIE IMPÉRIALE SELON LE DISCOURS DE MÉCÈNE.

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1 Document commenté LA MONARCHIE IMPÉRIALE SELON LE DISCOURS DE MÉCÈNE Je suis donc d avis que, sans t arrêter à des mots spécieux, tu ne te laisses pas abuser, mais qu au contraire, pesant avec soin les résultats que l on tire des faits eux-mêmes, tu mettes un terme à l audace de la multitude et mettes entre tes mains et celles des autres citoyens d élite l administration des affaires publiques, afin que les délibérations au Sénat soient réservées aux hommes les plus sensés ; les postes d exécution aux hommes les plus aptes au commandement pendant que le service rémunéré dans les armées est confié aux hommes les plus vigoureux et les plus pauvres. 4 De cette façon, chaque groupe de citoyens accomplira avec zèle les fonctions qui lui incombent et rendra avec empressement les services qu il attend des autres [ ] Garde-toi de penser que je te conseille d asservir le peuple et le Sénat et ainsi d instaurer une tyrannie. Jamais je n oserais le dire, jamais tu n oserais le faire. Mais il sera honorable et utile pour toi et pour l État de tout régler par des lois appropriées, après consultation de l élite des citoyens, sans que personne de la multitude n ait la possibilité de vous contredire ou de vous faire opposition ; 2 que toi et tes conseillers conduisiez les guerres selon vos propres vœux, et que les autres citoyens exécutent sur-le-champ l ordre qu ils auront reçu ; que le choix des magistrats vous appartienne, que vous déterminiez les récompenses et les châtiments. Ainsi, le bénéfice de tout cela sera que toute résolution arrêtée par toi et par tes pairs devienne aussitôt loi, 3 et que les guerres contre nos ennemis soient menées en secret et en temps opportun ; que ceux qui aspirent aux honneurs doivent leur élévation à leur mérite, et non au sort ou à la brigue ; que les bons soient récompensés sans exciter l envie, les méchants châtiés sans exciter de sédition. 4 Que toutes les affaires pour qu elles soient bien conduites, ne soient ni portées à la connaissance de l assemblée du peuple, ni soumises aux délibérations publiques, ni livrées à la brigue des partis, ni exposées aux dangers de l ambition ; nous jouirons alors agréablement des biens que nous possédons, sans être engagés dans des expéditions risquées ni dans des séditions impies. 5 Ce sont là, en effet, les inconvénients de toute démocratie attendu que les citoyens puissants, prétendant au premier rang et salariant les citoyens les plus faibles, bouleversent tout qui se sont produits chez nous en grand nombre et il n y a pas d autre moyen de les faire cesser que celui que je propose. 6 La preuve, c est que depuis si longtemps nous sommes en proie aux guerres et aux séditions. La cause, c est le chiffre élevé de notre population et l importance des affaires à régler : les hommes se remarquent par la diversité de leurs tendances et de leurs désirs, qu ils soient divisés par leurs races ou par leurs dons de toute sorte, et les affaires de l État ont atteint un tel développement qu elles ne peuvent être administrées qu avec une extrême difficulté Puisses-tu, en considérant ces faits et en mesurant toutes les autres circonstances confuses, n abandonner ni toi-même ni la patrie, pour éviter de passer aux yeux de quelques-uns pour un ambitieux [ ]. Qui ignore, d ailleurs, les circonstances qui t y ont poussé? 2 Si donc il y a matière à un blâme, il est juste d en accuser les meurtriers de ton père ; s ils ne l avaient pas tué si injustement et si déplorablement, tu n aurais pas pris les armes contre eux, tu n aurais pas levé des légions, tu ne te serais pas ligué avec Antoine et Lépide, et tu ne les aurais pas combattus à leur tour. [ ] 3 De telle sorte que nous devons, dans notre propre intérêt et dans celui de l État, obéir à la fortune qui te donne la monarchie. Dion Cassius, Histoire romaine, LII, 14, 3-4 ; 15 et 18, 1-3. Un témoignage essentiel qui permet d aborder le problème de la mise en place d une nouvelle organisation de la res publica et de concevoir son traitement, plus de deux siècles et demi après la naissance du principat. Il est donc important de juger de la place de cette présentation du régime dans le cadre des luttes politiques de l époque sévérienne, entre principat augustéen et «monarchie militaire». Documents et exercices 1

2 1 - Introduction Nature du texte Il s agit d une histoire annalistique (cf. la mention des consulats, en suivant les Fastes capitolins) en langue grecque, en quatre-vingts livres, ab Urbe condita, couvrant l histoire romaine des origines légendaires (l arrivée d Énée en Italie) jusqu au règne de Sévère Alexandre ( ): cinquante livres sont consacrés à la République, trente au principat, selon une composition par décade. Demeurent dans leur intégralité les livres 36 à 60, des années 68 a. C. à 47 p. C.; des compléments ont été apportés par les abréviateurs byzantins (Zonaras, plus proche du texte, au XII e siècle; Xiphilin au XI e ) qui permettent de pallier, parfois, les lacunes de la conservation du texte. L extrait est tiré du livre LII qui couvre l année 29, les consulats d Octavien (le 5 e ) et de Sextus Apuleius, et rapporte un débat sur l organisation de l empire au retour de César le Jeune des provinces orientales, après la victoire d Actium et la chute d Alexandrie. L auteur met en scène Agrippa et Mécène, deux conseillers du vainqueur de la guerre civile, qui exposent, l un après l autre, leurs conceptions sur la nature du régime à mettre en place (chapitres 2 à 13 puis 14 à 40). Mécène, dans son discours, est censé défendre l idéal monarchique face à la tradition républicaine (démocratique) incarnée par Agrippa: il envisage d abord (14 à 18) les aspects fondamentaux du problème (nécessité du pouvoir personnel, formes de gestion de l État) puis (19 à 33) les mesures concrètes d organisation et de fonctionnement, enfin (34 à 40) la figure idéale du princeps. Auteur Cl(audius) Cassius Dio, d une famille connue depuis l époque de Néron, originaire de Nicée en Bithynie, est apparenté à Dion de Pruse (Chrysostome). Le père (M. [?] Cassius Apronianus) est membre du Sénat et a parcouru un cursus honorum, en étant notamment proconsul de Lycie-Pamphylie, légat d Auguste propréteur de Cilicie puis de Dalmatie et, entre les deux, consul suffect. Son fils a revêtu la préture en 194, ce qui permet d induire une naissance aux alentours de 164. Son enfance est romaine, ce qui en fait un témoin du règne de Commode, de la crise de 193 (il a assisté aux funérailles de Pertinax) et de l avènement de Septime Sévère. Proche de Pertinax, ayant suivi une carrière d abord essentiellement italienne jusqu à la mort de Caracalla (mentionné comme son amicus lors de la campagne orientale; il est notamment présent à Nicomédie en 214), il est consul suffect en 204/206, curateur de Pergame et de Smyrne en 218/222, et connaît une accélération de sa carrière au contact de Sévère Alexandre. Il représente bien une résurgence du Sénat durant ce règne, en incarnant l élite sénatoriale. Il est proconsul d Afrique en 223, légat d Auguste propréteur de Dalmatie en 224/226 puis de Pannonie Supérieure en 226/228 avant d être le collègue de l empereur au consulat en 229 et de disparaître définitivement de la scène politique, cette année-là, en butte à l hostilité des prétoriens. On trouve une mention, dans son œuvre, de dix années de recherches et de douze années de rédaction, ce qui ne permet nullement d établir une chronologie précise: en 197, Dion Cassius présenta son travail, sur les années de guerres civiles écoulées, durant une lecture publique devant l empereur, insistant sur l échec des opposants successifs au triomphateur (Didius Julianus, Pescennius Niger et Clodius Albinus). Selon F. G. B. Millar, A Study of Cassius Dio, Oxford, 1964, le livre LII aurait été rédigé en 214 (pour une rédaction de l ensemble de l œuvre courant sur la période ). Pour une mise à jour de la réflexion, cf. F. Millar, «Rome in Greek Culture: Cassius Dio and Ulpian», La Cultura storica nei primi due secoli dell impero romano, Rome, 2005, p Le Principat, de la mort de César aux Sévères (44 a. C.-238 p. C.)

3 Contexte Le récit des premières années du principat d Auguste (31-27) permet d aborder sa définition politique, idéologique et institutionnelle, de la victoire d Actium aux séances sénatoriales de janvier 27. Mais la transition difficile entre principat antonin et monarchie sévérienne est également un moment important pour la réflexion de Dion, et pour notre approche de ce texte. La définition du régime politique ainsi donnée, en fonction d une relecture des origines dans le contexte des difficultés de l élite sénatoriale sous les Sévères, ne permet pas de nier pour autant la possibilité d un débat originel, entre la restauration pure et simple de la res publica et la mise en place d une monarchie, à la lecture des catégories post-aristotéliciennes (cf. Aelius Aristide). Cf. U. Espinoza Ruiz, Debate Agrippa-Mecenas en Dion Cassio: repuesta senatorial a la crisis del imperio romano en época severiana, Madrid, 1982, p et le compte rendu de J.-M. Roddaz, «De César à Auguste: l image de la monarchie chez un historien du siècle des Sévères. Réflexions sur l œuvre de Dion Cassius à propos d ouvrages récents», RÉA, LXXXV, 1983, p ; on peut se reporter également aux articles de F. Millar réunis dans Rome, the Greek World and the East, Hannah M. Cotton et Guy M. Rogers (éd.), The Roman Republic and the Augustan Revolution (volume 1), Chapel Hill et Londres, The University of North Carolina Press, Analyse du texte La définition d un programme politique par Mécène (une réflexion sénatoriale sur la répartition des pouvoirs [?] avec, au III e siècle, l opposition empereur-élite sénatoriale et arméecivils) qui rappelle les dérives passées, souligne l engrenage qui a justifié l intervention armée d Octavien et la guerre civile, et défend un partage des pouvoirs justifiant, par les faits, la prééminence d un seul (cf. Le monde romain, Paris, Bréal, 2010,p ). A - De la nécessité d un nouveau régime : la faillite de la République L argumentation de l auteur permet d envisager le blocage d un système politique qui facilite l inversion du rapport classique entre république et monarchie et donc le retour sur des classifications politiques et morales développées abondamment chez les prédécesseurs de Dion. 1. Le blocage d un système politique Le siècle de guerres civiles écoulé illustre l échec des institutions républicaines qui n ont plus fonctionné selon le schéma idéal exposé par Polybe au milieu du II e siècle. Un régime mixte qui permet d équilibrer une composante démocratique (les comices), une composante oligarchique (le Sénat) et une composante monarchique (le pouvoir des magistrats supérieurs à imperium tempéré par leur collégialité et l annualité). De fait, et brièvement dans cet extrait, Mécène souligne les débordements attachés à ce siècle de guerres et de séditions: les relations de clientèle, l usage de la brigue, et donc leurs conséquences, la manipulation des comices et le recours à la force, conduisent inévitablement à des relations contre nature, ces armées de prolétaires qui sont aux mains des ambitieux («les salariant»). L approche négative de l action des imperatores, ces généraux vainqueurs bâtissant leur carrière politique à Rome sur des succès militaires dans les provinces, n inclut bien évidemment pas le dernier représentant de cette lignée, Octavien, fils adoptif de César, mais elle contient un enseignement de taille dans la recherche des facteurs ayant précipité la chute du régime républicain: l allusion à une augmentation des populations, de toutes races, qui vient rappeler que le grippage des institutions n est pas seulement interne mais résulte de la transformation d une cité-état en un véritable empire aux frontières sans cesse reculées: en Orient, en Afrique, en Espagne et en Gaule. Cet empire ne peut se suffire d une République brisée par les ambitieux. Documents et exercices 3

4 2. Le retour à la paix et la nécessité d un nouveau régime Les malheurs des guerres civiles (qu un Virgile a chantés avec beaucoup de sincérité mais aussi d à-propos dans les Géorgiques et l Énéide) semblent déboucher sur un nouveau constat; le pouvoir fut souvent remis aux insensés et l audace de la multitude n eut plus de bornes. Face à un représentant de la thèse adverse (Agrippa militant pour la restauration de la République, qu Auguste lui-même semble accréditer dans ses Res Gestae, mais que Dion Cassius renverse dans son Histoire romaine: remettre tout le pouvoir au Sénat et au peuple ou bien le recevoir d eux), Mécène constate la nécessité de la monarchie qui saura redonner un sens aux expressions de Concorde et de paix civile. L invocation des meurtriers de César, puis celle d Antoine et de Lépide, permet de souligner l aboutissement des guerres civiles. Contrairement aux thèses classiques qui liaient la disparition de la république/démocratie à la suppression de la liberté de parole, à l esclavage du peuple et donc à une nouvelle phase de troubles, Mécène allie monarchie et retour à la paix, pacification intérieure et extérieure, à Rome et dans l empire, selon une nouvelle répartition des responsabilités au sein du nouveau régime (cf. le thème tacitéen d une libertas-securitas en ouverture des Annales). B - Qui ébauche un partage des responsabilités : le prince et le Sénat Il s agit de mettre en relief l esquisse d un partage institutionnel qui met l accent sur le rôle assigné à l élite de la cité pour dépeindre la constitution modérée ainsi mise en place. 1. Les aristoi dans la société politique impériale Le rôle attribué à Auguste dans cette République restaurée est toujours lié à la place accordée, dans le même temps, à une élite de la cité qui concourt ainsi à l administration des affaires publiques. Le contrôle de toutes les institutions (les assemblées délibératives étant négligées et les magistratures directement pourvues) ne se conçoit que dans le cadre d une coopération étroite avec cette élite des citoyens qui n est pas sans rappeler les gens de bien qui entourent naturellement le bon prince selon les propos de Pline dans son Panégyrique de Trajan ( 45). Cette lecture oligarchique des institutions, ainsi modifiées par une suspension affirmée du contrôle démocratique des décisions prises, ne doit pas nous faire oublier les préoccupations plus actuelles de l auteur, cherchant à réaffirmer le poids du Sénat en des temps où cette assemblée a dû légitimer une approche plus militaire du pouvoir impérial avec les Sévères (crise de ) mais également le fait que l assemblée sénatoriale augustéenne fut profondément renouvelée, en raison des politiques antérieures de Sylla ou César, mais également des conséquences des affrontements. L élite qui semble partager l administration des affaires avec le prince se trouve en fait directement soumise à une autorité qui conditionne son accession à l assemblée et son avancement dans la carrière des honneurs (la récompense des meilleurs par le prince). 2. La réforme institutionnelle La constitution modérée est au service d une libertas reconquise que les guerres civiles avaient rendue impossible. Mais elle rend compte de toute l ambiguïté de la restauration des années 31-23, telle qu elle est rapportée dans nos sources et dans cet extrait: l autobiographie d Auguste, jamais achevée et qui ne nous est pas parvenue, fut rédigée dans ces années qui virent le régime se composer progressivement 1 ; elle était dédiée à 1. Sur les pouvoirs du prince avec l imperium et la puissance tribunicienne notamment, cf. J.-L. Ferrary, «Les pouvoirs d Auguste : l affranchissement de la limite du pomerium», Rome, les Césars et la Ville aux deux premiers siècles de notre ère, sous la direction de N. Belayche, Rennes, PUR, 2001, p et «À propos des pouvoirs d Auguste», Cahiers du Centre Gustave-Glotz, XII, 2001, p Le Principat, de la mort de César aux Sévères (44 a. C.-238 p. C.)

5 Agrippa et Mécène, les deux acteurs de cette joute oratoire censée témoigner d une réflexion sur le novus status (cf. Tacite [Annales, I, 2] et Suétone [Auguste, 28] caractérisant ainsi le régime augustéen). L essentiel de la proposition de Mécène réside dans la dénonciation des dérives de la crise de la République et par voie de conséquence une concentration des pouvoirs dans les mains du prince (du premier au Sénat et dans la République) et de l élite des citoyens: il s agit par exemple du contrôle de toutes les nominations aux magistratures (ce qui permet de contrecarrer les comices, qui ont pourtant continué à se réunir, du moins formellement, jusqu à la période antonine, sinon à l époque de Dion) mais également l expression de la loi partagée entre Sénat et prince (les sénatus-consultes ayant dorénavant force de lois et les édits, constitutions et rescrits impériaux). Ces aspects qui illustrent un bouleversement de l équilibre polybien conduisent à s interroger sur la réalité du régime ainsi dessiné. C - Pour mieux justifier la conservation du pouvoir par un seul Il s agit de rejeter l accusation de tyrannie et d affirmer l excellence de la monarchie (le terme est employé chez les auteurs de langue grecque et particulièrement après la fin du I er siècle). 1. Il ne s agit pas d une tyrannie Est rejetée l hypothèse de l établissement d un régime qui serait, selon le modèle aristotélicien, celui d une monarchie non justifiée ou, d un point de vue romain, issu d une dérive du pouvoir que l on a pu reprocher auparavant à Sylla puis César. Les allusions au passé récent, à l aventure des grands imperatores, permettent de rejeter toute identification à cette souveraineté d Auguste qui n a pas été déposée après Actium et qui ne peut correspondre au pouvoir d un seul, tel qu il fut envisagé et qui a échoué. La justification passe par l affirmation de la clôture des guerres civiles qui correspond à l accomplissement d un vœu, la vengeance de César assassiné (la dédicace du temple de Mars Ultor en 2 a. C.), et doit déboucher sur une conservation du pouvoir au nom des intérêts de Rome et du peuple romain. 2. Mais d une monarchie justifiée par les faits L engrenage des guerres civiles a conduit Octavien à lever une armée et à prendre le pouvoir (cf. le début de ses Res Gestae) mais l idéologie de la victoire et les vertus du prince (en cette année 29 du triple triomphe et du vote du clipeus virtutis sur le bouclier des vertus, cf. Le monde romain, Paris, Bréal, 2010, p. 115 et 165 n. 15) permettent d accorder à Auguste le bénéfice du retour à une paix qui instaure une liberté supérieure (différente pour la multitude et les gens de bien) et le privilège d incarner à lui seul un régime qui met entre ses mains l essentiel du pouvoir de concert avec le Sénat, et notamment le contrôle exclusif des armées pour en finir avec la guerre et fermer définitivement le temple de Janus. Conclusion Cette élaboration sévérienne d une réflexion augustéenne est nourrie par les enseignements des périodes postérieures, l aboutissement d un régime monarchique par la suspension presque définitive des comices populaires, l équilibre très fragile entre prince, armée et élite sénatoriale, l expression de la loi qui a trouvé sa formulation sous Hadrien, dans une perspective qui justifie une monarchie sénatoriale au nom des aspirations du III e siècle en rejetant, si tant est que la restauration de la République ait jamais été conçue, le propos d un Agrippa, représentant d un peuple qui a trouvé des compensations d un autre ordre dans le règne de l optimus princeps (cf. Le monde romain, Paris, Bréal, 2010,p ). Documents et exercices 5

6 Documents proposés Les triomphes et les consulats 4.- J ai eu deux fois l honneur de l ovation et trois fois celui du triomphe curule. J ai reçu vingt et une acclamations impératoriennes. Le Sénat m ayant, dans la suite, décerné plusieurs triomphes, je les ai déclinés. J ai déposé au Capitole les lauriers de mes faisceaux, après avoir accompli les vœux que j avais formés pendant chaque guerre. À l occasion des succès obtenus par moi ou par mes lieutenants, sous mes auspices, tant sur terre que sur mer, le Sénat a décrété cinquante-cinq fois des actions de grâces aux dieux immortels. Ces actions de grâces ont duré en tout huit cent quatre-vingt-dix jours. Dans mes triomphes, devant mon char ont été conduits neuf rois ou fils de rois. J avais été consul treize fois quand j écrivais ce qui précède, et j étais dans la trente-septième année de ma puissance tribunicienne. Les charges déclinées 5.- La dictature m ayant été conférée en mon absence et en ma présence par le Sénat et le peuple, sous le consulat de M. Marcellus et L. Arruntius, je ne l ai pas acceptée. Je n ai pas cherché, au milieu d une très grande disette, à détourner de moi la responsabilité des approvisionnements, et je l ai assumée de telle manière que, peu de jours après, la cité tout entière était, à mes frais et sous ma responsabilité, dégagée de toute crainte et de tout danger. Le consulat qu on me confia alors pour l année et pour toute ma vie, je ne l ai pas accepté. Les charges déclinées et la puissance tribunicienne 6.- Sous les consulats de M. Vinucius et Q. Lucretius, sous ceux de P. et Cn. Lentulus, sous ceux enfin de Paullus Fabius Maximus et Q. Tubero, le Sénat et le peuple étant unanimes à décider que je fusse seul responsable de la Les Res Gestae Divi Augusti ( 4-8). surveillance des mœurs et des lois, avec les pouvoirs les plus étendus, je ne voulus pas que me fût confiée une magistrature qui fût contraire à la tradition ancestrale ; mais les actes que le Sénat attendit alors de moi, je les accomplis en vertu de ma puissance tribunicienne ; et, pour cette fonction même, je sollicitai et reçus cinq fois du Sénat un collègue. Titres et sacerdoces 7.- J ai été pendant dix années consécutives triumvir chargé d organiser la République. J ai été prince du Sénat pendant quarante ans, jusqu au moment où j écrivais ces lignes. J ai été pontife suprême, augure, j ai fait partie du collège des quinze chargés des cérémonies sacrées, du collège des sept chargés des banquets, frère arvale, sodale, titien et fétial. L activité censoriale 8.- Pendant mon cinquième consulat, sur l ordre du peuple et du Sénat, j ai augmenté le nombre des patriciens. J ai dressé trois fois la liste du Sénat, et dans mon sixième consulat j ai fait le recensement du peuple avec M. Agrippa pour collègue. Il y avait quarante-deux ans qu on ne l avait point fait. Lors de ce recensement, je comptai citoyens romains. Sous les consulats de C. Censorinus et de C. Asinius, j ai fait seul le recensement avec les pouvoirs consulaires. Lors de ce recensement, je comptai citoyens romains. Pour la troisième fois j ai fait le cens avec les pouvoirs consulaires, ayant pour collègue mon fils Tibère César, sous les consulats de Sex. Pompée et de Sex. Appuleius ; lors de ce recensement, je comptai citoyens romains. Par de nouvelles lois prises sur mon initiative, j ai remis en honneur bien des exemples de nos ancêtres, qui tendaient à disparaître de notre siècle, et moi-même j ai laissé à l imitation de la postérité beaucoup de mes actes en exemple. Cf. édition et commentaire de J. Scheid, Paris, Les Belles Lettres, CUF, 2007 ; pour approfondir le sujet, cf. Z. Yavetz, «The Res Gestae and Augustus Public Image», dans F. Miller et E. Segal (éd.) Caesar Augustus. Seven Aspects, Oxford, , p et les articles de F. Millar, Rome, the Greek World and the East, Hannah M. Cotton et Guy M. Rogers (éd.), The Roman Republic and the Augustan Revolution (volume 1), Chapel Hill et Londres, The University of North Carolina Press, Comprendre le texte et ses centres d intérêt Ce document permet d aborder la nature des pouvoirs du prince tels que ce dernier a pu les concevoir et en donner une lecture qui respecte néanmoins la tradition républicaine et facilite la compréhension du régime augustéen Le Principat, de la mort de César aux Sévères (44 a. C.-238 p. C.)

7 Présenter et mettre en place le document Il s agit d une inscription anatolienne (Ancyre - Ankara), version bilingue, latine et grecque, à partir d un modèle romain destiné à une large publication, probablement dans le cadre du culte impérial, le document ayant été apposé dans le vestibule du temple de Rome et d Auguste (version latine) et sur l un de ses murs extérieurs (version grecque). Il est le résultat d une réécriture constante (de 23 à 2 a. C.), avec des modifications l année même de la mort du prince (consuls mentionnés dans le 8). On peut rapprocher un tel texte du calendrier d Auguste connu par les inscriptions (cf. Le monde romain, Paris, Bréal, 2010, p ). Construire le plan à partir des centres d intérêt suivants (qui ne constituent pas le plan en soi) Le texte permet à Auguste de livrer sa vision de son œuvre personnelle, ses réalisations (res gestae), en traitant à la fois des honneurs qu il a reçus, de ses décisions et réalisations à proprement parler. L extrait concerne plus particulièrement les honores, et permet d envisager le thème de l exemple ainsi donné à la jeunesse de l empire, d une conduite illustrant l excellence du nouveau régime. Peuvent être traités les pouvoirs détenus, durant la guerre civile, puis lors du retour à la paix. On peut donc esquisser une titulature modèle et aborder l étendue des responsabilités du prince (recensement, annone ) [Qu il (Vespasien) lui soit permis de déclarer la guerre et de faire la paix] et de faire des traités avec qui il voudra, ainsi que cela a été permis au divin Auguste, à Tibère Jules César Auguste et à Tibère Claude César Auguste Germanicus. Qu il lui soit permis aussi de réunir le Sénat, de lui soumettre des propositions (ius relationis) et d en écarter, de faire voter des sénatus-consultes par relatio (proposition) ou par discessio (vote par déplacement) ainsi qu il a été permis au divin Auguste, à Tibère Jules César Auguste et à Tibère Claude César Auguste Germanicus. De même, lorsque selon son désir, en raison de son auctoritas, sur son ordre, le Sénat sera convoqué par son représentant ou par lui-même en personne, que tout ce qui y sera fait soit tenu pour régulier et valable comme si le Sénat avait été convoqué et tenu conformément à la loi. Que tous ceux qui brigueront une magistrature, à potestas, à imperium, ou une charge (curatio), et qui auront été recommandés (par le prince) au Sénat et au peuple romain (commendatio) et auxquels il aura donné son suffrage soient élus extraordinairement par les comices. Qu il lui soit permis de reculer et d étendre les limites du pomœrium lorsqu il le jugera utile au La Lex de Imperio Vespasiani. bien de la République ainsi que cela a été permis à Tibère Claude César Auguste Germanicus. Qu il ait le droit et le pouvoir (ius potestasque) d accomplir tous les actes qu il jugera utiles à la République et dignes de la majesté des choses divines et humaines, publiques et privées, ainsi que cela a été permis au divin Auguste, à Tibère Jules César Auguste et à Tibère Claude César Auguste Germanicus. Que l empereur César Vespasien soit délié de l observation des lois et plébiscites dont le divin Auguste, Tibère Jules César Auguste et Tibère Claude César Auguste Germanicus ont été formellement dispensés, et que tout ce que le divin Auguste, Tibère Jules César Auguste et Tibère Claude César Auguste Germanicus ont eu le droit de faire en vertu de n importe quelle loi ou rogatio, que l empereur César Vespasien Auguste puisse également le faire. Sanction : Que tous les actes, faits, décrets, ordres (acta, gesta, decreta, imperata) émanant de l empereur César Vespasien Auguste et que tout ce qui aura été accompli de par son ordre ou celui de ses représentants, antérieurement au vote de la présente loi, que tout cela soit tenu pour juste et ratifié comme si cela avait été fait par ordre du peuple ou de la plèbe. ILS [= Inscriptiones Latinae Selectae, Berlin, ], 244 ; Roman Statutes I, Michael Crawford (éd.), Londres, 1996, n 39, p À propos des pouvoirs du prince, les réflexions inaugurales de P. Brunt, «Lex de Imperio Vespasiani», Journal of Roman Studies, LXVII, 1977, p et les prolongements de J.-L. Ferrary, «À propos des pouvoirs d Auguste», Cahiers du Centre Gustave-Glotz, XII, 2001, p Documents et exercices 7

8 Comprendre le texte et ses centres d intérêt Ce document est le seul qui puisse nous permettre d envisager la nature des pouvoirs du prince du point de vue légal et de traiter de l investiture et de la légitimation du pouvoir impérial au regard de la loi. Présenter et mettre en place le document Cette loi dont le style est proche du sénatus-consulte, après résolution du Sénat, est datée des premières semaines du principat de Vespasien, encore en Orient, après la mort de Vitellius, au terme d une longue année de guerre civile (68-69 ; cf. Le monde romain, Paris, Bréal, 2010,p ). Construire le plan à partir des centres d intérêt suivants (qui ne constituent pas le plan en soi) On peut s intéresser à la nature des attributions de l empereur fondées sur l imperium, mais également à la succession impériale telle qu elle est rapportée à l issue d une crise (en omettant tous les titulaires de l année écoulée mais également les mauvais empereurs, Caligula, Néron), la tabula Banasitana, un siècle plus tard, permettant de réfléchir à l évolution de cette «histoire officielle», réintroduisant Caligula, Néron et Galba 2. Enfin, le problème de la légalité des décisions en période exceptionnelle est également posé (confirmation a posteriori dans la sanction). 2. Sur la Tabula Banasitana, cf. Le monde romain, Paris, Bréal, 2010, p. 108, n Le Principat, de la mort de César aux Sévères (44 a. C.-238 p. C.)

9 LA CONSTITUTION DE L EMPIRE ROMAIN SELON AELIUS ARISTIDE. 90 Il me semble que dans cette cité vous avez établi une constitution qui ne ressemble à aucune autre. Auparavant en effet on pensait qu il y avait dans la société des hommes trois types de constitutions. Deux étaient connues sous deux noms chacune, selon qu on les appréciait d après les manières d être de ceux qui les dirigent : la tyrannie et l oligarchie, la royauté et l aristocratie. Une troisième catégorie correspondait à la démocratie, que l on pouvait conduire bien ou mal. Les cités avaient donc reçu chacune leur constitution selon les décisions du choix ou du hasard. Dans votre cité, rien de semblable : c est comme s il y avait mélange de toutes les constitutions, moins l aspect mauvais de chacune. Voici précisément pourquoi un tel type l a emporté. Si l on regarde la force du peuple et comment il obtient facilement tout ce qu il peut vouloir et demander, on pensera qu il s agit d une démocratie complète sans les fautes de la démocratie ; quand on s intéresse au Sénat des anciens, où siège le conseil et qui contrôle les magistratures d autorité, on pensera qu il n existe pas d aristocratie plus parfaite que celle-ci ; quand on aura tourné les yeux vers l éphore et le prytane qui préside à tout cela, cet homme à qui le peuple doit d obtenir ce qu il veut, et de qui le petit nombre tient ses magistratures et ses pouvoirs, on verra en lui celui qui détient la monarchie la plus parfaite, qui n a point part aux vices de la tyrannie, et qui dépasse en grandeur la majesté royale. 91 Il n y a rien d étonnant à ce que vous soyez les seuls à avoir fait ces distinctions, ces observations, tant au sujet du gouvernement du monde que de celui de la cité elle-même. Vous êtes en effet les seuls à gouverner pour ainsi dire selon la nature. Éloge de Rome (XXVI e Discours), Cf. Éloges grecs de Rome, discours traduits et commentés par L. Pernot, Paris, Les Belles Lettres, coll. La Roue à Livres, 1997 et L. Pernot, La Rhétorique de l éloge dans le monde gréco-romain, Paris, Collection des Études Augustiniennes, Série Antiquité, n 137-8, Comprendre le texte et ses centres d intérêt Il s agit d envisager la description de l État impérial selon les concepts de la philosophie politique grecque classique (Aristote) revisités au II e siècle de notre ère par un représentant du courant de la seconde sophistique, qui marque le renouveau de la culture grecque et un essor de la partie orientale de l Empire. Présenter et mettre en place le document Aelius Aristide, citoyen romain, est d origine asiatique et mène une carrière de rhéteur sous les Antonins, qui le conduit notamment à prononcer, sinon devant l empereur Antonin, du moins devant des membres de l élite, probablement un 21 avril 143 ou 144, natalis Urbis mais également jour de célébration de ces Romaia institués par Hadrien, un discours (XXVI e ) couramment dénommé Éloge de Rome mais plus justement En l honneur de Rome, qui permet d insister sur l excellence de la domination romaine, stade ultime de l intelligence politique grecque (cf. édition et traduction anglaise du texte avec commentaires par J.-H. Oliver, «The ruling power», TAPS, 43, 1953, p ). Construire le plan à partir des centres d intérêt suivants (qui ne constituent pas le plan en soi) On soulignera les emprunts à Aristote et la lecture antérieure de la mixité de la constitution romaine que l on doit à Polybe 3, en relevant chez Aristide l affirmation nouvelle d une priorité accordée à l aspect monarchique qui rend compte d une évolution consacrée des institutions d Auguste aux Antonins. 3. À propos de Polybe, cf. Cl. Nicolet, «Polybe et la constitution de Rome: aristocratie et démocratie», dans Cl. Nicolet (dir.), Demokratia et Aristokratia, Paris, 1983, p Documents et exercices 9

10 LE BON ROI SELON DION DE PRUSE. I.21 Le bon roi croit encore qu il appartient à sa fonction de recevoir la plus large part, non de richesses ou de plaisirs, mais de souci et d anxiété. Aussi est-il finalement plus attaché au labeur que la plupart des autres ne le sont au plaisir ou aux richesses. Car il sait que le plaisir, outre le mal qu il cause de façon générale à ceux qui s y adonnent continuellement, les rend rapidement incapables d en éprouver, tandis que le labeur, en plus des autres bénéfices qu on en retire, accroît l aptitude de l homme au travail. 22 Il est le seul qui puisse donc appeler «camarades» ses soldats et «amis» ses collaborateurs, sans galvauder le mot même d amitié. Et il peut non seulement recevoir le titre de Père de son peuple et de ses sujets, mais encore le justifier par ses actions. Mais être appelé «maître», pas même par ses esclaves et encore moins par les hommes libres, ne peut lui causer aucune joie, 23 car il se considère luimême comme exerçant la royauté non pour sa satisfaction personnelle mais pour celle de tous les hommes. Aussi il éprouve plus de plaisir encore à dispenser ses bienfaits que n en éprouvent ceux qui les reçoivent, et dans ce simple plaisir, il est insatiable. Car il tient pour obligatoires les autres fonctions de la royauté, tandis que l évergétisme seul est volontaire et bienheureux. 24 Il est prodigue de ses bienfaits, comme si la source en était inépuisable, mais pour toute action nuisible au contraire, il ne peut pas davantage en être la cause que le soleil ne peut être celle des ténèbres. III.86 De plus, le bon roi considère l amitié comme le plus beau et le plus sacré de ses biens, persuadé que le manque de moyens matériels est moins honteux ou moins dangereux pour le souverain que le manque d amis, et qu il maintient son état heureux moins au moyen de ses revenus, de ses armées ou de ses autres ressources que grâce à la loyauté de ses amis. 87 [ ] Car, plus grandes et plus nombreuses sont les responsabilités du roi, plus grand est le nombre des collaborateurs dont il a besoin et plus grande la fidélité qu il doit attendre d eux. Le souverain est en effet contraint de confier à d autres les plus grandes et les plus sérieuses de ses affaires, ou alors de les abandonner. Discours sur la Royauté, I, et III, Comprendre le texte et ses centres d intérêt L approche des institutions romaines se poursuit par une réflexion portant sur le bon prince à l époque où se développe, tant dans la littérature latine (Pline, Panégyrique de Trajan) que grecque, le portrait de l optimus princeps; sont opposés deux modèles de comportement du souverain, le tyran (Domitien, avec les défauts que Tacite, Pline et Suétone rapportent) et le meilleur des princes possible, Trajan, adopté par Nerva. Sur la conception de la philosophie, sa pratique et ses rapports avec le pouvoir, partir de P. HADOT, Qu est-ce que la philosophie antique?, Paris, 1995 et La Citadelle intérieure. Introduction aux Pensées de Marc Aurèle, Paris, Concernant les rapports entre idéologie et principat, P. VEYNE, L Empire gréco-romain, Paris, 2005, chap. 1 et 7, «Qu était-ce qu un empereur romain?», p et «Buts de l art, propagande et faste monarchique», p Présenter et mettre en place le document Dion de Pruse (dit aussi Dion Chrysostome), en Bithynie, est un représentant de cette génération de penseurs (fin I er siècle, début II e ) qui réfléchit sur la monarchie romaine (ses Discours sur la royauté, en grec, abordent sans complexe cette définition du principat, encore taboue sous Auguste ou les Julio-Claudiens). Sophiste, stoïcien, il a adressé ses discours à Trajan (en 98 et 104), après un exil forcé sous Domitien. Construire le plan à partir des centres d intérêt suivants (qui ne constituent pas le plan en soi) Les qualités propres du souverain répondent à cette définition stoïcienne du pouvoir, qui est revêtu par l homme privé comme une charge; le souverain remplit au mieux sa charge grâce aux vertus dont les dieux l ont paré, qui lui permettent de s entourer d amis qui l aident dans sa tâche, et dont l exemple profite à tous Le Principat, de la mort de César aux Sévères (44 a. C.-238 p. C.)

11 LETTRE DE MACRIN AU SÉNAT ET AU PEUPLE DE ROME. «Vous savez ce que fut, depuis le début, ma conduite dans la vie, et combien mon caractère inclinait à l honnêteté. Vous connaissez la clémence dont j ai fait preuve lors de ma dernière fonction administrative, qui était peu différente de la fonction et des pouvoirs d un empereur, puisque l empereur lui-même compte sur les préfets du prétoire. Il n est donc pas nécessaire de faire un long discours. Je n approuvais pas ce que faisait Antoninus comme vous le savez, et j ai pris des risques pour vous dans de nombreuses circonstances où il vous traitait sans ménagement, car il croyait à toute calomnie qu il avait entendue. Il me décriait également et critiquait souvent publiquement ma modération et mon humanité envers ses sujets, m accusant de paresse et de faiblesse [ ]. Aussi longtemps que je gouvernerai tout le monde vivra en sécurité et échappera aux effusions de sang, et il s agira plus d un régime aristocratique que d une monarchie. Et que personne ne pense que je sois indigne ou considère comme une erreur de la Fortune le fait que je sois parvenu à la dignité que j occupe en venant de l ordre équestre. À quoi bon une origine noble si elle ne s accompagne pas de probité et d humanité? Les dons de la Fortune échoient aussi aux gens qui ne la servent pas, tandis que la vertu confère à chacun un renom qui lui est propre [ ]. À quoi vous a donc servi la noble origine de Commode et la transmission à Antoninus du pouvoir de son père? Certains reçoivent l empire comme un héritage qui leur serait dû. Ainsi, ils en mésusent et en font un simulacre comme une propriété privée personnelle. Mais d autres qui reçoivent l empire de vos mains vous doivent cette préférence et tentent de vous rendre les bienfaits qu ils ont reçus. Chez les empereurs d origine patricienne, la noblesse dégénère en morgue parce qu ils méprisent leurs sujets et qu ils les considèrent comme inférieurs. Mais ceux qui sont de milieu modeste et parviennent à l empire l administrent avec attention comme une récompense de leur travail et conservent le même respect et la même estime qu ils en avaient l habitude pour des personnages qui, dans le passé, furent plus puissants qu eux. Pour ma part, je me propose de ne rien faire sans votre avis. Je ferai de vous mes collaborateurs et mes conseillers pour l administration de l État. Vous vivrez en sécurité et en liberté, ces biens que vous avez perdus sous des empereurs patriciens mais que Marc-Aurèle le premier, puis Pertinax, ont tenté de vous rendre, tous deux étant issus de milieux ordinaires quand ils sont parvenus au pouvoir.» Hérodien, Histoire des Empereurs romains, V, 1, passim. Comprendre le texte et ses centres d intérêt Une crise de succession est le meilleur moment pour étudier les mécanismes de la dévolution des pouvoirs et le rôle assigné, notamment au III e siècle, à ses principaux acteurs, le prince, le Sénat et l armée. La mort de Caracalla en Orient et l avènement de Macrin (en 217) témoignent, en outre, d une profonde mutation des esprits mais également de la permanence des règles de légitimation du pouvoir. Pour le contexte, M. CHRISTOL, L Empire romain du III e siècle. Histoire politique ( après J.-C.), Paris, Errance, [1997] ; à propos de nos sources, en particulier Hérodien, G. ALFÖLDY, «The Crisis of the Third Century as Seen by Contemporaries», Greek, Roman, and Byzantine Studies, 15, 1974, p , republié dans G. ALFÖLDY, Die Krise des Römischen Reiches. Geschichte, Geschichtsschreibung und Geschichtsbetrachtung. Ausgewählte Beiträge, Stuttgart, 1989, p Présenter et mettre en place le document Hérodien, d origine orientale (Syrie, Asie Mineure?), qui indique dans son œuvre qu il a été témoin des événements postérieurs à la mort de Marc Aurèle et a pris part à certains d entre eux comme membre d un service impérial public (procurateur équestre, affranchi impérial?), nous livre une histoire de Rome de 180 à l avènement de Gordien III (en 238), conçue pour un public non romain à partir de sources officielles en langue grecque. Construire le plan à partir des centres d intérêt suivants (qui ne constituent pas le plan en soi) Cette lettre (recomposée mais crédible) permet de relever la place du Sénat et du peuple, reconnue par Macrin, dans l investiture du prince, de souligner l importance des circonstances ayant présidé au remplacement de Caracalla (campagne parthique, complot et incertitude militaire) et de renforcer l image d un idéal du bon prince qui peut, dans le cas présent, exalter les vertus d un homme neuf qui, le premier, accède à l empire, en étant encore chevalier (préfet du prétoire). Documents et exercices 11

12 Dissertations proposées Principat et République: rupture et continuité des aspects politiques et sociaux d Auguste à Septime Sévère Réfléchir aux termes et aux intentions du sujet Les termes de ce sujet impliquent une réflexion qui doit, à partir des données fournies par les deux premiers siècles de l Empire, envisager une étude du modèle politique et social romain issu des guerres civiles. Recenser les aspects à étudier Il ne s agit donc pas uniquement de s interroger sur le pouvoir impérial (cf. sujet développé dans Le Monde romain, Paris, Bréal, 2010, p ) mais de traiter des transformations de la cité qui impliquent son système d organisation politique, les bouleversements sociaux consécutifs et les rapports entre une cité et le territoire qu elle a conquis et provincialisé. Définir les articulations possibles du plan On peut s intéresser dans un premier temps à l utilisation des institutions républicaines par le princeps. Les comices et leur rôle, les ordines et les carrières qui en découlent, le Sénat et la législation impériale. Dans un second temps, le rapport de la cité et du territoire qu elle a conquis permet d envisager la citoyenneté, la romanisation consécutive à la provincialisation et ses conséquences. Le Sénat, d Auguste aux Sévères Réfléchir aux termes et aux intentions du sujet Sujet classique qui doit comprendre une étude de l assemblée elle-même et de son rôle durant la période considérée, par rapport notamment aux pouvoirs du prince, mais aussi l aspect social de la naissance d un ordre, auquel une place importante a été attribuée dans l administration de l Empire à Rome et dans les provinces. Recenser les aspects à étudier Les aspects politiques et sociaux doivent permettre d étudier la composition de l assemblée en fonction des grandes réformes entreprises notamment par Auguste. Le renouvellement des élites et l augmentation régulière des provinciaux en son sein constituent un autre élément d approche de son évolution au cours de la période. Enfin, le poids politique de l ordre et de l assemblée se mesure dans ses rapports avec les princes et les armées. Définir les articulations possibles du plan Le travail doit d abord envisager la définition du Sénat, assemblée et ordre, dans sa composition et son évolution au cours de la période. Cela permet d envisager ensuite son rôle politique à Rome et dans les provinces (et notamment la fonction législative et le contrôle d une partie de l administration provinciale) avant, dans un troisième temps, d étudier le poids social de cet ordre qui compose une partie importante de l élite des honestiores de l Empire (aspects sociologiques et culturels) Le Principat, de la mort de César aux Sévères (44 a. C.-238 p. C.)