Le médecin français prescrit. LESMÉDECINS JOUENT-ILSLEJEU? PRESCRIPTION. a c t u a l i t é s 19



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Transcription:

a c t u a l i t é s 19 PRESCRIPTION LESMÉDECINS JOUENT-ILSLEJEU? Si les habitudes de prescription des médecins français sont tenaces, les données économiques les ont rattrapés parlecoldelablouse. Désormais tenus de prendre en considération le poids financier de leurs ordonnances, ils lèvent le stylo. Doucement, mais sûrement. ANNE-LAURE MERCIER Le médecin français prescrit. Un peu, beaucoup, passionnément à la folie. Selon une enquête sur «le rapport des Français et des Européens à l ordonnance et aux médicaments», publiée en octobre 2005 par l assurance-maladie, 90 % des consultations hexagonales se soldent par une ordonnance, contre 83 % en Espagne, 72 % en Allemagne et 43 % aux Pays- Bas. L ordonnance locale est en moyenne plus longue qu ailleurs, avec un ratio de quatre médicaments par acte pour les généralistes. Et les médecins sondés jugent ce taux de 90 % plutôt bas. Ils estiment que ces 10 % de consultations se concluant sans ordonnance renvoient à des situations non thérapeutiques, comme la délivrance d attestations pour la pratique sportive. L équation «consultation = ordonnance = médicaments» n a donc pas été volée, faisant même de la France le pays où le poids du médicament dans le PIB est le plus élevé. L assurance-maladie a remboursé plus de 2,7 milliards de boîtes de médicaments en 2005. Les dépenses de médicaments ont atteint 16,7 milliards d euros, contre 12,1 en 2000. Le médecin français prescrit : oui, mais quoi? Le panier des 80 millions de traitements prescrits chaque année en ville regorge d antibiotiques, de tranquillisants et d hypnotiques, de médicaments anticholestérol, de veinotoniques et de vasodilatateurs. La «french touch» : le niveau élevé de la consommation de ces médicaments date de quelques années, sans aucune explication thérapeutique. Cette singularité nationale repose plutôt sur des habitudes, de prescription comme de consommation. La situation, non sans conséquence sur l économie du pays, n aura pas échappé à l œil du gouvernement qui donne depuis peu des coups de pied dans la ruche. Ne disposant d aucun instrument juridique contraignant sur la prescription, les pouvoirs publics ont opté pour un plan Médicament, ont signé une convention avec les médecins en juin dernier et ont conjugué leurs efforts avec l assurance-maladie pour infléchir les pratiques de nos praticiens. Banco! Les campagnes orchestrées par la Cnam sur les antibiotiques, alliées à un premier accord de bon usage des soins signé avec les généralistes sur l usage du test de diagnostic rapide de l angine, ont permis de diminuer la CORBIS

MÉDECIN TRAITANT a c t u a l i t é s 21 Taux de prescription en DCI SOURCE : IMS / HEALTH EPPM AOÛT 2006 L accord du 5 juin 2002, revalorisant les honoraires des médecins en contrepartie d une hausse des prescriptions en DCI ou en génériques, a amorcé un véritable changement dans les pratiques de prescription des généralistes. Depuis, leur taux par prescription ne cesse d augmenter régulièrement, avec une nette accélération à partir de l été 2005 ainsi que, dans une moindre mesure, chez les spécialistes. Les comportements de prescription en DCI de ces derniers se stabilisent depuis le début de l année. prescription de 13 % en deux ans. Pourquoi s arrêter en si bon chemin? Depuis 2005, l assurance-maladie étend son entreprise d infléchissement des prescriptions aux statines (anticholestérol) et aux psychotropes. En 2006, c était au tour des inhibiteurs de la pompe à protons (ulcères, lésions gastriques). Cette année, les IEC et les sartans (hypertension artérielle, insuffisance cardiaque) apparaissent dans sa ligne de mire. Soutenue par une armée de 700 délégués, l assurance-maladie entre en contact direct avec les professionnels, en particulier les médecins généralistes. La stratégie semble payante : une expérimentation, menée récemment par la caisse primaire de l Aude, visant à faire privilégier les antibiotiques de première intention a fait diminuer de 10 % le coût de la ligne de prescription en trois mois, comparativement aux autres caisses de la région. De son côté, la Mutualité sociale agricole (MSA) utilise un logiciel baptisé ARCHIMED (Analyse, recherche, informations médicalisées) pour analyser la pratique des médecins, la consommation des assurés et le contenu des ordonnances au regard des pathologies. ARCHI- MED identifie ainsi facilement les anomalies de prescription. Le retour personnalisé d informations aux médecins sur leurs pratiques, par courrier ou au cours d un entretien individuel, permet alors de modifier sensiblement les habitudes de prescription des praticiens. Au total, les volumes de statines prescrits n ont augmenté que de 6 à 7 % en 2005, contre 13 % par an en moyenne auparavant. Gardons toutefois les pieds sur terre : ce changement de comportement de prescription concerne principalement les nouveaux patients. Le nombre d instaurations de traitements par statines a diminué de 20 % au deuxième semestre 2005 par rapport à la même période un an auparavant. La tendance antérieure était à une croissance rapide. Quoi qu il en soit, l inflexion poursuit son bonhomme de chemin. A la fin du mois de mai 2006, les objectifs conventionnels sont atteints, voire dépassés, pour les antibiotiques, les psychotropes et les statines. Les montants remboursés ont reculé de 10 % pour les premiers, de 5 % pour les seconds, de 5 % également pour les derniers alors que l objectif est une stabilisation. Des économies substantielles. Diminuer le ratio prescriptions par acte, c est bien. Monter la prescription dans le répertoire des génériques, c est mieux. Le marché des génériques permet en effet de dégager de substantielles économies pour la collectivité, mais aussi de mieux couvrir le coût des innovations. Le gouvernement français en a donc également fait son cheval de bataille, instaurant le droit de substitution pour les pharmaciens en juin 1999. Puis, en signant un accord conventionnel en 2002 promouvant la prescription en Dénomination commune internationale (DCI). Des campagnes d information ont également été lancées, à destination du grand public comme des professionnels. Ces derniers ont signé, en Développer la prescription des génériques janvier 2005, la convention médicale qui fait du développement de la prescription des génériques un des axes des engagements de maîtrise médicalisée des dépenses des médecins libéraux. Le succès est indéniable, mais insuffisant. S il est loin le temps où nous occupions l avant-dernière place au sein de l OCDE en terme de développement des génériques, avec des ventes inférieures à 2 % de l ensemble du marché des médicaments remboursables, le marché français des génériques est encore modeste. Certes, il est passé de 130 millions de boîtes vendues en 2000 à 380 millions en 2005, mais il ne représente qu environ 15 % de l ensemble des boîtes de médicaments remboursables en France. Contre 56 % en Allemagne et 53 % au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Les médecins prescrivent encore insuffisamment dans le répertoire, l essentiel du marché résultant de la substitution faite par les pharmaciens. Sur les 15 % de boîtes de médicaments remboursables délivrées en générique, les prescriptions par les médecins ne dépassent pas 4 % des boîtes. Un abandon des prescriptions. L Enquête permanente des prescriptions médicales menée par IMS montre qu un tiers des généralistes prescrivent régulièrement en DCI mais que 10 % de leurs confrères la refusent. Une grande moitié des omnipraticiens se situent entre les deux. Cette sorte d «abandon» des prescriptions de médicaments dès lors qu ils sont

22 SOURCE : CHIFFRES & REPÈRES, ASSURANCE-MALADIE 2005 Le nombre de boîtes d anxiolytiques et d hypnotiques a baissé de 11,3%. Les dépenses de remboursement ont diminué de 3,3%, permettant d économiser 11 millions d euros. Au cours de l année 2005, le taux de croissance des dépenses de remboursement des médicaments anti-cholestérol a enregistré un fort ralentissement, d un rythme de 11,8% en janvier 2005 à 1,8% en décembre 2005. Cette évolution a permis d économiser 122 millions d euros. Surl année2005,lenombredeboîtesabaisséde4,1%.lesdépensesderemboursement ont baissé de 3,8%, permettant d économiser 35 millions d euros. génériqués au profit de produits non génériqués explique la stagnation de la part du répertoire français dans l ensemble des médicaments. Le Haut conseil pour l avenir de l assurancemaladie (HCAAM) estime ainsi, dans son avis sur le médicament adopté en juin 2006, que même si tous les pharmaciens substituaient à 100 % les médicaments du répertoire, le marché n atteindrait que 25 % des médicaments remboursables, en volume. L accord tripartite, signé en mars 2006 entre les syndicats nationaux de médecins, de pharmaciens et l assurancemaladie afin d améliorer la prescription dans le répertoire et la délivrance de génériques, fera-t-il effet malgré l absence de mesures pénalisantes? D autres leviers à l amélioration des pratiques de prescription tardent à être actionnés. Ainsi, la formation médicale continue commence seulement à être déployée. La rédaction de référentiels de bon usage des médicaments par l Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) et la HAS (Haute autorité de santé) n est pas encore systématisée. Les systèmes d information mis en place par les pouvoirs publics restent insuffisants : aucune base publique d information sur les médicaments n existe à ce jour, comprenant des éléments d aide à la prescription tels que le service médical rendu (SMR), l amélioration du service médical rendu (ASMR), les interactions médicamenteuses, les effets secondaires et les équivalents «généricables». Sans compter que la certification des logiciels d aide à la prescription ne verra le jour qu au cours du 1er semestre 2007. Sensibiliser médecin et patient. Enfin, à terme, sensibiliser le médecin sans éduquer le patient créerait l impasse. La prescription pharmaceutique les unit. Le patient baigne dans un univers médiatisant, ce que le HCAAM appelle les techniques médicales «objectives» (une première chirurgicale, le dernier médicament innovant, etc.). Insensible au prix, il est à l écart de la publicité directe et/ou comparative. Ajoutez à cela une approche générale de consommateur et la pression du patient, voire même sa volatilité, renforce le réflexe de prescription des médecins. L éducation à la santé, en toute logique, fait également partie des possibles facteurs de changement en matière de PHARMACEUTIQUES _ FÉVRIER 2007

MÉDECIN TRAITANT a c t u a l i t é s 23 SOURCE : ECO SANTÉ FRANCE, 2005 Le niveau des prescriptions de médicaments par les praticiens libéraux en 2003 * Effectif des omnipraticiens: 60 761 *Effectifdesspécialistes:53105 Total des prescriptions Prescription moyenne par acte de consultation, visite et acte technique Prescription moyenne par médecin pour toute l'année prescription. Une pression par les prix pourrait également assurer un bouclage «vertueux» des comportements. La mise en place du nouveau parcours de soins devrait enfin influer sur la prescription de médicaments. L institution du médecin traitant assure une meilleure permanence dans le suivi des patients, qui sera prolongée par le dossier médical personnel, et assure une stabilisation de la clientèle, modifiant le rapport entre le médecin et ses patients. De quoi rompre, peutêtre, l équation consultation = ordonnance, élément central de la surprescription de médicaments en France. Chiffrer les économies qu une politique adaptée d amélioration de la prescription permettrait d atteindre est un exercice périlleux et difficile. Les analyses documentées se font rares. Toutefois, la Cour des comptes a évalué le potentiel d économies sur les dépenses de médicaments à 4 milliards d euros, dans son rapport de 2004. Malgré une lourde pression sur leurs épaules, les médecins libéraux sont montés dans le train de la maîtrise médicalisée des dépenses. Train de sénateur, certes, mais les comportements évoluent incontestablement. En 2005, pour la première fois depuis 2000, le montant de l objectif national des dépenses d assurance-maladie a été conforme aux objectifs votés par le Parlement. Petit à petit Les prescriptions des généralistes à la loupe La Direction de la recherche, des études, de l évaluation et des statistiques(drees) s est penchée en 2002 sur les prescriptions des médecins généralistes et leurs déterminants*. L enquête, publiée ennovembre2005,aétémenée auprès de 922 praticiens au cours de 44 000 consultations réaliséesàleurcabinetet6000 visites effectuées au domicile de leurs patients. Premier enseignement:78%des consultations généralistes aboutissent à la prescription d au moins un médicament. En moyenne, 2,9 médicaments sont prescrits par consultation. Ce chiffremonteà4,2encasde pathologie cardiovasculaire. Les médicaments du système nerveux central, de l appareil digestif et de l appareil respiratoire représentent entre 15et20%desprescriptions. L étude de la Drees indique également que, lorsque l omnipraticien a le choix entre un princeps et un générique, il prescrit effectivement un génériquedans37%descas. Elle met en évidence«l influence significative»delanaturedela pathologie diagnostiquée et du degré de certitude du diagnostic sur les décisions prises par le médecin en matière de prescription. Le nombre de médicaments prescrits varie aussi selon la relation liant le médecinàsonpatientetladurée de la consultation. Le professionnel de santé prescrira davantage à sa patientèle régulière, aux femmes et aux personnes âgées. Autre caractéristique: les généralistes de secteur à honoraires libres (secteur 2) prescrivent moins de médicaments que leurs confrères du secteur à honoraires fixes (secteur 1). Les médecins non conventionnés ont au contraire une probabilité beaucoup plus forte de prescrire lors de leurs consultations mais ils prescrivent moins de médicaments que leurs confrères du secteur 1. Enfin, femmes, ouvriers, agriculteurs et bénéficiaires de la couverture maladie universelle bénéficient plus facilement d un générique. * Etudes et Résultats n 440, téléchargeable dans son intégralité à partir de l adresse suivante: www.sante.gouv.fr/drees/etuderesultat/er440/er440.pdf

24 LES SPÉCIALISTES, PREMIERS TOUCHÉS PAR LE PARCOURS DE SOINS Le dispositif du médecin traitant est entré en application depuis le 1er juillet 2005. Quel en est le premier bilan chiffré en termes d activité par spécialité et par pathologie? Les impacts sont-ils les mêmes pour toutes les spécialités? Sinon, quelles sont les spécialités les plus affectées? Et quelles sont les pathologies les plus concernées? JEAN-MARIE HARDRÉ, IMS, DIRECTEUR GÉNÉRAL ADJOINT, DIRECTEUR DES PANELS DOMINIQUE PERROT, IMS, DIRECTEUR DU CONSULTING GARO/PHANIE Premier constat : une baisse globale de 3 % de l activité de l ensemble des médecins, généralistes et spécialistes, qui repasse sous la barre des 600 millions de diagnostics réalisés en consultation sur un an. Ce ralentissement s explique en grande partie par l absence de pathologies hivernales sur la période 2005-2006. Absence visible lorsqu on analyse en détail les diagnostics posés et les maladies traitées. Dans ce contexte de récession, les médecins généralistes constatent un recul très léger de 1 % de leur activité avec 446 millions de diagnostics. Soit 6,6 millions de moins par rapport à l année précédente (une Absence de Pathologies hivernales centaine par an et par médecin). Pour le reste, leur activité est relativement stable avec, pour l essentiel, une légère baisse (1,4 million) dans le domaine des troubles du comportement, compensée par une légère PHARMACEUTIQUES _ FÉVRIER 2007

MÉDECIN TRAITANT actualités 25 hausse (1,4 million) dans les domaines des maladies de peau et des maladies des systèmes osseux et musculaires. Ce recul très limité de leur activité masque en réalité une augmentation de 2 % de la «part de marché» des généralistes, pour atteindre 75 % de l ensemble des diagnostics de la médecine de ville. De leur côté, les spécialistes voient Une barrière à la consultation leur activité chuter de 7 % pour un montant total annuel de 153 millions de diagnostics. Soit 11,6 millions de moins. Ce ralentissement significatif cache des disparités très importantes. Quatre spécialités font face à des baisses supérieures à 10 % : les ORL (-18 %), les rhumatologues ( 13 %), les dermatologues (-12 %) et les pédiatres (-11 %). L absence de pathologies hivernales explique en partie seulement les baisses pour les ORL (39 % de la baisse) et pour les pédiatres (27 %). Mais elle ne l explique pas du tout pour les autres. Deux mécanismes d action différents. Le nouveau parcours de soins est clairement à l origine de cette baisse avec deux mécanismes d action différents. Le premier est le transfert d activité. A ce titre, la baisse observée chez les rhumatologues est tout à fait exemplaire (1 million de diagnostics en moins). Les diagnostics sur les maladies des systèmes osseux n ont pas évolué d une année sur l autre (stable à 52,5 millions de diagnostics). Ils se sont déplacés : 1 million de moins chez les rhumatologues, à 5,6 millions, et 1,1 million de plus chez le généraliste, à 45,9 millions. A la marge, d autres spécialités ont également perdu un peu d activité au profit des généralistes sur ce diagnostic (gynécologie, cardiologie). Second mécanisme observé : l attrition. Certaines maladies enregistrent une baisse spectaculaire du nombre de diagnostics, avec une forte baisse chez les spécialistes, compensée en partie seulement par une augmentation chez les généralistes. Les maladies de peau (21,4 millions de diagnostics par an) affichent ainsi une baisse de 1,4 million des diagnostics posés par les dermatologues, compensée par seulement 4 million de diagnostics supplémentaires chez les généralistes. Ici, le parcours de soins crée une barrière à la consultation du médecin, spécialiste ou généraliste, pour des pathologies dermatologiques légères. Dans le cas précis de cette pathologie, il y a un transfert seulement partiel de cette baisse vers l automédication et le conseil par le pharmacien.

MÉDECIN TRAITANT actualités 27 1 ère année du parcours de soins : évolution de l activité des spécialistes, mesurée en diagnostics posés SOURCE : EPPM EVOLUTION COMPARÉE CUMUL SEPT 2005/AOÛT 2006 VERSUS CUMUL SEPT 2004/AOÛT 2005 Et que dire de la baisse de 11 % de l activité des pédiatres, spécialité non concernée par le parcours de soins? C est une demi-surprise. Tout d abord, parce que le médecin traitant des parents devient le médecin de leurs enfants. Ensuite, parce que le message entendu par le grand public a été généralisé. Dans le doute, il vaut mieux passer par son généraliste pour être totalement remboursé. Le patient qui ne respecte pas le parcours de soins coordonné doit assumer une majoration de sa participation aux frais d'assurance-maladie (ticket modérateur) de 10 %, dans la limite de 2,50 euros. La réaction du grand public à une incitation aussi légère est à ce titre révélatrice. C est probablement un levier très efficace pour accompagner la transformation du système de santé. C est aussi un vrai défi au moment de promouvoir l automédication. Méthodologie du bilan : la source de l EPPM Pour faire ce bilan, nous nous sommes appuyés sur différentes sources de données IMS, avec comme source principale l Etude permanente de la prescription médicale (EPPM). Cette base de données analyse la pratique médicale «ville» de toutes les spécialités médicales en actes, en diagnostics et en prescriptions. Nous avons comparé l activité des généralistes et des spécialistes sur deux années successives. La période de référence est la dernière année avant la mise en place du parcours de soins, en incluant les mois de juillet et août 2005 (période du 1er septembre 2004 au 31 août 2005). La période d observation est «l an Un» du parcours de soins (période allant du 1er septembre 2005 au 31 août 2006). Les résultats sont ici présentés en nombre de diagnostics posés lors des consultations. En moyenne, on observe 1,5 diagnostic par consultation et 400 millions de consultations par an pour 600 millions de diagnostics. Mais le ratio de 1,5 diagnostic par consultation n est pas le même pour toutes les spécialités. Une évaluation des effets du parcours de soins en nombre de diagnostics posés permet d analyser correctement les transferts d activités entre spécialités, en tenant compte de l effet de concentration de certaines spécialités (plusieurs diagnostics posés dans la même consultation, notamment chez les généralistes). Une évaluation des effets du parcours de soins en nombre d actes minorerait artificiellement le mécanisme de transfert et majorerait le mécanisme d attrition. Le Cherche Midi éditeur, 20 euros ; en librairie à partir du 22 juin. www.le-medicamentparlons-en.com ou www.cherche-midi.com