La viande bovine bio en questions



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Transcription:

La viande bovine bio en questions Le développement de l élevage allaitant biologique en Wallonie : D un marché de crise qui s impose à un marché durable qui reste à construire. Après une période d arrêt de 2003 à 2005, la récente recrudescence des reconversions, avec une augmentation de 29 % en 2006, porte à 3,5 % la part de la superficie agricole wallonne reconvertie au mode de production biologique. La bonne maitrise technique des agriculteurs et le régime efficace d aide au maintien, sont à mettre au crédit de cette évolution. Côté marché, les signaux sont globalement positifs au niveau européen. En cause, la structuration progressive des filières longues stimulées par la grande distribution et les chaînes de magasins spécialisés. Les observateurs annoncent pour les années à venir, une offre déficitaire sur les marchés européens des viandes porcine et bovine avec, en réaction, une forte augmentation de la production bovine destinée à l exportation dans les pays traditionnellement producteurs d Amérique latine (1). Cependant, ces chiffres globaux ne doivent pas occulter les particularités de chaque filière dont l analyse peut révéler des situations divergentes. C est le cas notamment de la filière viande bovine bio en Wallonie. Bien que la grande distribution y draine 55% de la demande, la consommation nationale est stationnaire depuis 2001. D autre part, en Wallonie, 70% des animaux allaitants issus de l agriculture biologique produits sont valorisés sur le marché conventionnel. En réponse à cette situation et en concertation avec le secteur bio, la Direction de la recherche de la DGA à commandé une étude sur le sujet donnant lieu au projet ViaBio. Pour les chercheurs impliqués dans cette recherche pluridisciplinaire, si les crises agroalimentaires ont certes permis aux filières longues de se mettre en place, l enjeu actuel est de construire le marché de l après-crise. Il s agit pour la filière bio de qualifier son produit et de se doter d une représentation commune de ses consommateurs de manière à communiquer efficacement avec eux. ViaBio regroupe des agronomes de la Section Systèmes agricoles du CRA-W à Libramont (SSA), des sociologues de l Unité SEED de l ULg à Arlon, le Laboratoire de Technologie des denrées alimentaires de la Faculté de Médecine vétérinaire de Liège (TDA), l Unité de Génétique de la Faculté des sciences agronomiques de l UCL à Louvain-La-Neuve (GENA) et enfin le Centre d Essais Bio (CEB). Les partenaires du projet étudient les possibilités d une qualification spécifique de la viande bovine issue de l agriculture biologique. (1) organic monitor.com mais la croissance en europe est plus faible et on connais la volatilitécependant, pour être durable, ce développement doit aussi s appuier sur un marché spécifique

Trois constats pour un diagnostic Au terme d une recherche menée dans le cadre du programme fédéral sur le développement durable, la Section Systèmes agricoles du CRA-W et l unité SEED de l ULg formulent trois constats qui sont à la base du projet ViaBio. 1) Consolidation du marché. Après une phase de croissance rapide, le marché de la viande bovine biologique subit depuis 2001 une forte consolidation. Parallèlement à la stagnation des volumes globaux, on observe une augmentation de la consommation de viandes hachées comparativement à la viande de découpe. Par contre, les primes octroyées aux agriculteurs bio permettent le maintien des structures bio d élevage allaitant et d une offre importante en bétail maigre qui doit se satisfaire de débouchés forts aléatoires sur un marché conventionnel principalement orienté vers les viandes de fabrication et les centres d engraissement italiens. 2) Un produit peu différencié. La viande bio proposée dans les linéaires présente des caractéristiques sensorielles semblables à la viande conventionnelle sans pour autant lui être identique : les différences sensorielles peu marquées permettent la comparaison et peuvent êtres interprétées, sur base des critères habituellement utilisés par les consommateurs, comme des défauts. 3) Le système de production. Les pratiques d engraissement rencontrent des difficultés quant au respect du cahier des charges. Pour les animaux destinés à la production de viande, certains points tels que l obligation de pâturage, le pourcentage de concentrés dans la ration et l utilisation des antiparasitaires posent problème. Comment l analyse des chercheurs permet-elle d interpréter ces observations? Dans l urgence, les filières bio se sont structurées en référence au modèle préexistant conventionnel. La qualité conventionnelle, une viande à la fois maigre et tendre propre à la race Blanc-Bleu-Belge, reste l objectif à atteindre pour les opérateurs : tout écart est sanctionné au stade carcasse par une pénalité commerciale. En conséquence, le décalage entre les obligations de moyens imposées à l amont de la filière par les règles de production bio et les obligations de résultats exigées au niveau de l aval est amplifié pendant que la filière se rationalise. C est au nom de cette qualité que le cahier des charges devient une contrainte lourde, difficile à respecter dans son intégralité. C est aussi en raison des ces contraintes que, malgré tous les efforts des opérateurs, la viande proposée aux consommateurs n atteint pas les standards de qualité conventionnels. On soulignera que cette conception de la qualité standard est partagée par la plupart des acteurs de la filière et que, par conséquent, malgré les contradictions et les difficultés qu elle engendre, les filières n ont pas la capacité de la remettre en question. Dans ces conditions, un référentiel de filière propre au bio ne peut véritablement émerger : le produit proposé, peu différencié et moins régulier, perd en crédibilité, il est difficilement appréciable par les consommateurs et le marché de la viande bovine bio à la découpe stagne. Pour y remédier l aval renforce ses exigences en mobilisant les connaissances acquises sur le produit conventionnel. Pris entre normes du cahier des charges et marché, les systèmes «engraisseurs» s ajustent aux contraintes économiques à court terme, au risque de perdre en cohérence agronomique et environnementale. Transformer une contrainte en ressource Dans ce contexte général, équiper la filière bio en élaborant un référentiel de productionconsommation qui lui est propre peut constituer une solution innovante. Le projet ViaBio

s inscrit dans cet objectif en cherchant à identifier quels sont les itinéraires techniques d élevage-engraissement qui permettent d utiliser les obligations de moyen du cahier des charges bio comme autant de ressources utiles pour différencier le produit fini proposé aux consommateurs. Les moyens à mettre en œuvre ont été précisés au cours de tests préliminaires portant sur les facteurs qui induisent des différences significatives sur les propriétés sensorielles de la viande bovine. Dans une première série de tests, on a cherché à évaluer la différence perçue entre des viandes labellisées et le taurillon BBB Meritus pris comme référence standard. 53% des dégustateurs ont été capables de distinguer la viande de taurillon limousin bio du standard et signalent que la différence concerne essentiellement la consistance jugée plus ferme. Ensuite vient le goût vis-à-vis duquel les avis sont partagés : 52% estiment que la viande bio a plus de goût contre 48% qui jugent le contraire. D autre part, 68% des panelistes ont distingué la viande produite sous l appellation «Bleue des prés» (Vache de réforme BBB) et invoquent majoritairement le goût comme critère discriminant. Ici, la race est identique mais plusieurs facteurs de différenciation doivent être invoqués : le sexe, l âge, le mode d élevage, le régime alimentaire Enfin, dans les mêmes conditions, 75% des panelistes on distingué l Irish-beef du standard. Dans ce cas, c est tout le référentiel d élevage (race, pâturage, alimentation, sexe, âge ) et de transformation (maturation) qui diffère et génère une différence sensorielle évidente sur le produit fini. Une deuxième série de tests a été conduite pour mettre en évidence, de façon plus fine, l importance relative des différents paramètres d élevage comme facteurs de différenciation. Les résultats montrent que par leur viande, des taureaux de même race et engraissés avec la même ration n ont pas pu êtres distingués d un point de vue sensoriel qu ils soient ou non issus du même troupeau d origine. Par contre, lorsqu on introduit une différence dans l intensité du régime alimentaire (race, troupeau d origine, spécification d abattage et nature des aliments restant identiques) elle se traduit par un ensemble de caractéristiques sensibles perceptible par 59% des dégustateurs. La différence entre taureau et génisse (race, troupeau d origine, régime alimentaire et âge à l abattage identiques) est quant à elle clairement perçue par 68 % des panelistes. Photo 2 : Dégustation de viandes bovines par des consommateurs au Centre de Recherche Agronomique, Section Systèmes agricoles à Libramont. Ces essais préliminaires qui ont une valeur indicative, montrent qu il est possible, mais toutefois difficile, d induire une différence significative dans les qualités sensorielles du produit viande bovine. L incidence de la race, en l occurrence le Limousin comparé au BBB, est un facteur qui n a pas pu être isolé en tant que tel. Son importance semble être assez faible et du même ordre de grandeur que l incidence du facteur «intensité du régime alimentaire». Par contre, les différences physiologiques entre mâles et femelles, en influençant notamment la vitesse de croissance et le dépôt de gras intramusculaire, peuvent jouer un rôle décisif à côté des facteurs race et régime. Il sera donc nécessaire d agir simultanément sur plusieurs facteurs si l on veut induire une différenciation convaincante, c est à dire qui soit reconnaissable d une dégustation à l autre par les consommateurs. Le passage à

un système d élevage-engraissement axé sur les femelles ou les bœufs semble être une des voies possibles tandis que l option taurillon garde son intérêt à condition d accentuer les facteurs pâturage, régimes, âge et niveau de finition. La maturation après l abattage, outre son effet favorable bien connu sur la tendreté, peut également jouer un rôle dans le développement de propriétés sensorielles particulières. Les options techniques envisagées ici au niveau de l élevage-engraissement et de la transformation ne sont pas sans conséquences sur l organisation de l exploitation, son impact environnemental, sa rentabilité, la saisonnalité de l offre, la planification de la collecte, les critères de classement des carcasses, les modalités de transformation, et l hétérogénéité du produit. Ces transformations complexes seront évaluées dans le cadre du projet. Photo 1 : Le pâturage des taurillons, une condition de l élevage bio Un travail de recherche avec des animaux, des professionnels et des consommateurs Pour mettre à l épreuve les hypothèses des chercheurs, des vaches de réforme et des génisses de race limousine ont été engraissées avec une ration à base de fourrages préfanés, complémentée de, respectivement, 30 et 40% d un mélange de céréales et de protéagineux. Dans un deuxième temps, les effets du pourcentage de concentré (40 et 60%) et d un passage à l herbe avant la finition seront testés sur taurillons Limousins. Les viandes sont maturées six jours en carcasse prolongés ou non de 21 jours de maturation sous vide. Toutes les viandes sont analysées en laboratoire (couleur, tendreté, pertes de jus, pertes à la cuisson) et par un jury d analyse sensorielle dans le but de les comparer à leur équivalent conventionnel. Parallèlement les sociologues de l ULg travaillent avec des groupes de consommateurs pour identifier quels sont les critères de qualité mobilisés dans leur appréciation de la viande bovine et quels sont les apprentissages nécessaires à l établissement d un lien entre les caractéristiques sensorielles du produit et certaines spécificités pertinentes du mode d élevage bio.

C est autour de ce projet que le 4 décembre 2006, Monsieur Vincent Léonard du CEB en collaboration avec la SSA et les services extérieurs de la DGA, a invité les éleveurs à une rencontre sur le thème de la qualification de la viande bovine bio. Les débats ont tourné autour de : «qui sont nos consommateurs? Sont-ils des végétariens ou des gros mangeurs de viande rouge, des exclusifs bio ou des occasionnels? Comment les satisfaire, les fidéliser? Devons-nous nous orienter vers le «baby-beef» et produire une viande irréprochable sur le plan de la tendreté ou plutôt vers la femelle de réforme pour obtenir une viande plus savoureuse? Les consommateurs peuvent-ils l apprécier? Est-ce rentable en bio?» L importance de savoir à quel type de consommateur on s adresse a été soulignée. Selon qu on s adresse à des consommateurs bio «exclusifs» ou «occasionnels», les objectifs concernant le produit sont différents. Pour les premiers, la crédibilité du bio tient à la certification et au label qui justifie la différence de prix. Ils sont plutôt végétariens ou petits mangeurs de viande rouge et apprécient le produit de type standard. Les seconds ne sont pas acquis par principe au bio et font d avantage des conciliations et des choix entre plusieurs préoccupations comme le goût, la santé, l environnement et l équité. Ils panachent leurs achats et pourront s attacher à un produit bio dont les différences sensibles sont suffisamment marquées pour leur permettre des apprentissages. Les participants ont eu l occasion de goûter, trois viandes a priori très différentes. La «Bleue des prés», le taurillon limousin bio et le taurillon BBB Meritus. Ils ont pu se rendre compte à quel point il est difficile pour les consommateurs d identifier une différence et ensuite de la reconnaître d un acte de consommation à l autre. En contrepartie de ce point de vue de consommateur, les acteurs de la filière mettent en avant les multiples difficultés pratiques qu implique la différenciation. Agir quand tout va bien pour intégrer l incertitude quant à l avenir Pour les chercheurs associés dans le projet ViaBio, franchir le pas de la différenciation en viande bovine bio est nécessaire pour trois raisons : 1) crédibiliser le produit et le mode de production bio à court terme 2) développer durablement ce marché en l élargissant aux consommateurs de type occasionnel qui seraient plus exigeants en terme de qualification du produit mais aussi plus nombreux et globalement plus stables 3) anticiper et se protéger d une offre en produits différenciés bio en provenance de pays exportateurs. Pour aboutir, cette innovation demande des changements spécifiques à différents niveaux de la filière, et cet effort ne peut être supporté par un seul de ses maillons, chacun devant y contribuer de façon concertée. Ce qui justifie l implication de la recherche dans ce processus de transformation, c est la coexistence de plusieurs modèles de production-consommation dans une perspective de développement durable. En multipliant, dans une région, les façons de produire, les options possibles pour les éleveurs et les filières, on multiplie ses capacités à répondre à la concurrence des autres régions et, plus encore, aux défis toujours inattendus que l avenir réserve. D. JAMAR (CRA-W SSA) P. STASSART (ULg, SEED) P. BARET (UCL, GENA) V. LEONARD (CEB)