MADE IN SWITZERLAND Freitag confectionne des accessoires en toile de bâche et des vêtements biodégradables De bâche et de compost PHOTO : NADJA SCHMID, LINDA SUTER PAR DAVE HERTIG 07 2015 79
READER S DIGEST EN 1993, les frères Markus et Daniel Freitag créent leur entreprise. Pour fabriquer des sacoches à la fois robustes et adaptées à la ville, ils découpent de vieilles enveloppes de semi-remorques et récupèrent les ceintures de sécurité en guise de bandoulières. Le succès ne se pas fait attendre et d autres produits ne tardent pas à suivre. Porte-monnaie, étuis de smartphones, vêtements, Freitag propose une large palette d accessoires de mode. En vous baladant dans n importe quelle ville suisse, vous n échapperez pas à une nette impression : tous les passants un tant soit peu tendance ont, dans leur panoplie, au moins un élément signé Freitag. Découpés dans des bâches de camion arborant les logos multicolores de sociétés de logistique, besaces et autres accessoires de la marque sont facilement identifiables. Tous sont des pièces uniques, fabriquées à la main. Parfait pour une société comme la nôtre, désespérément en demande d'individualisation! Précurseur, à l'époque, le projet des deux jeunes Suisses a d'emblée fait parler de lui : ainsi le département de design du Musée d art moderne de New York a-t-il intégré un sac Freitag de la première heure à sa collection permanente. Mais pour une start-up, surfer sur la tendance suffit-il à survivre? Qui plus est quand d'autres vous copient et vendent des produits similaires à des prix inférieurs? Pendant un temps, le distributeur Migros a tenté de commercialiser une gamme de sacs à bandoulière en toile de bâche recyclée sous le nom de Donnerstag (qui veut dire jeudi, alors que Freitag signifie vendredi). L'ESPRIT AVANT L'ARGENT Vingt-deux ans après la naissance de sa petite entreprise, Markus Freitag en parle encore avec le même enthousiasme. Alors que notre entretien touche à sa fin, il n a toujours pas dit un mot de sa réussite économique. On se demande même si l'aspect financier l'intéresse... Pour Markus et son frère, la vie d'entreprise est davantage une affaire de philosophie que de bénéfices. Ils parlent de recontextualisation pour désigner la réhabilitation des matériaux de production. Ils ne s'arrêteront pas là. En 2014, ils franchissent un nouveau cap en lançant une ligne vestimentaire. Son point fort : fabriqués sans résidus ni produits toxiques, Une enveloppe de semi-remorque n'est pas un simple métrage de tissu, dans lequel il suffit de prélever le même patron à l'infini : l'atelier de découpe de Zurich (photo du haut). Chaque sac est une pièce unique fabriquée à la main : une couturière à l'œuvre (ci-contre). PHOTOS : (ENTREPÔT + COUTURIÈRE) JOËL TETTAMANTI ; (SACS) ROLAND TÄNNLER 80 07 2015
READER S DIGEST les chemises et les pantalons usagés peuvent être compostés, et ce grâce à un textile novateur développé selon les préceptes de la philosophie Freitag du recyclage. Les matières premières, en provenance d'europe, ne sont jamais traitées à plus de 2500 kilomètres de Zurich. «Il nous arrive souvent de discuter d'éventuels compromis, admet Markus Freitag, mais c'est toujours la volonté de viser le mieux qui l'emporte.» Car le seul atelier que, dans un premier temps, Markus et Daniel avaient retenu pour travailler la fibre a fait faillite au bout de deux ans de préparatifs et de développement. Sa fermeture n'avait aucun rapport avec la commande Freitag, mais elle a différé le lancement. Si les frères Freitag n avaient pas tenu dur comme fer à travailler avec des sous-traitants installés dans un rayon de 2500 kilomètres, tout aurait été plus simple ; car le coton, lui aussi, est biodégradable. Mais pour les deux entrepreneurs suisses, le facteur du transport est un point non négociable. Autre preuve de leur fermeté, le fil à coudre fabriqué spécialement pour eux coûte déjà 7 euros par pantalon, malgré le nombre encore réduit de vêtements confectionnés. DES COÛTS DE PRODUCTION ÉLEVÉS Dans ces conditions, et malgré des prix qui positionnent la marque au niveau «art de vivre» haut de gamme, on comprend que la marge soit plutôt mince. D autant plus que 70 % de la valeur ajoutée du produit, dont la matière première n est que de la vieille toile de bâche, est réalisée en Suisse, où les coûts sont élevés. Le caractère unique de chaque pièce, lui aussi, fait monter les coûts. Car fabriquer des produits très individualisés implique aussi de photographier chacun d'eux pour les proposer à la vente. Même si son bilan financier reste secret, il est évident que la rentabilité n'est pas la raison de vivre de la société. «Pour nous, Freitag est plus souvent un organisme à but non lucratif qu une mine d or. Un gestionnaire pur et dur trouverait pas mal de choses à redire», commente Markus Freitag sans ciller. Tant qu ils peuvent investir, l'entreprise va bien c est le point de vue des deux fondateurs et uniques actionnaires de Freitag. Hormis une petite subvention des parents au départ, les deux frères n'ont jamais eu à contracter de crédit. Au fil de la conversation, leur philosophie du recyclage a pris une autre dimension. Freitag, c'est bien plus qu un fabricant de sacs. Un laboratoire pour de nouvelles expériences inspirées de leurs principes? Markus aime bien cette idée. Être un Freitag rend-il heureux? «Je ne connais personne avec qui j aimerais changer de place», répond-il avec un sourire. 82 07 2015
INNOVATION ET ENVIRONNEMENT Freitag a bâti sa réputation avec ses sacs en bâche de camion recyclées. Puis porte-monnaie, étuis de smartphones et sacs à dos sont venus étoffer sa gamme. En dehors de la Suisse, ses principaux marchés sont l'allemagne, l'italie et le Japon. Les frères Freitag Markus (*1971) a fait des études de décorateur et de concepteur d'exposition ; Daniel (*1972) était graphiste. Comme ils ne trouvaient pas de sac qui corresponde à leurs besoins, ils ont décidé de le fabriquer eux-mêmes. Ils le voulaient solide et étanche. La maison Freitag est née en 1993. Swiss made L'achat, le lessivage et la découpe des toiles s'effectuent à Zurich. Les sacs sont ensuite assemblés à l'étranger. Pour la logistique, retour à Zurich, où sont également centralisés le marketing, la communication, le service du personnel et l'administratif. Les dix boutiques Freitag dont cinq en Suisse sont gérées par la société elle-même. Les produits de la marque sont distribués dans le monde entier. La philosophie des cycles Le cycle, explique Freitag, est l'essence même de la société. Ses créations, ses circuits de production, la fabrication et la distribution sont tous pensés pour épargner les ressources. L'inspiration, les frères Freitag l'ont puisée dans le tas de compost de leurs parents et d'un voyage en Inde. Ils voyaient les gens fouiller dans les Les frères Daniel (à gauche) et Markus Freitag. poubelles pour réutiliser ce qu'ils trouvaient au rebut. DH PHOTO : ROLAND TÄNNLER