Pour protéger Lutte Cancer contre et environnement le tabagisme 10_VIVRE_DÉCEMBRE 2010
Augmentation de 6 % du prix du tabac Une hausse en trompe-l œil Augmenter de 6 % du prix du tabac n a pas d influence sur la consommation. Cela ne bénéficie qu au budget de l Etat et surtout aux cigarettiers. La hausse intervenue début novembre, à la demande de l industrie du tabac, est un mauvais coup porté à toutes les actions en faveur de la lutte contre le tabagisme. VIVRE_DÉCEMBRE 2010_11
Pour protéger / Lutte contre le tabagisme «P endant que l industrie compte ses profits, nous, nous comptons nos morts.» Ce constat douloureux émane d Yves Martinet, président du Comité national contre le tabagisme. Comme toute la communauté de la lutte contre le tabagisme, il est révolté par le niveau de la récente hausse du prix des cigarettes. «Ce n est pas nous qui l affirmons, mais une étude de Morgan Stanley, la banque d affaires américaine, poursuit-il. Pour agir efficacement sur la consommation, une hausse de prix doit être d au moins 10 %. Avec seulement 6 %, le choix a été fait de favoriser les revenus de l industrie du tabac et les taxes. Quelle que soit la hausse, l Etat y gagne. Il aurait donc pu le faire avec nous, mais il a préféré le faire avec l industrie du tabac. C est scandaleux.» Jouer sur l offre et sur la demande Après des années de recul, la consommation repart à la hausse. Selon l Observatoire français des drogues et des toxicomanies 1, la vente de cigarettes a augmenté APRÈS DES ANNÉES DE RECUL, LA CONSOMMATION DE TABAC REPART À LA HAUSSE, PARTICULIÈREMENT CHEZ LES FEMMES. 12_VIVRE_DÉCEMBRE 2010
URUGUAY CONTRE PHILIP MORRIS Quand David défie Goliath L Uruguay, petit pays d Amérique latine, est à la pointe de la lutte antitabac. Un combat qui lui vaut d être la cible de l industrie du tabac. «Ils ont appuyé là où ça fait mal, et forcément l industrie a réagi», analyse Sylviane Ratte, consultante en santé publique. L Uruguay a été le premier pays sud-américain à interdire le tabac dans les lieux publics en 2006. Les nouvelles mesures qu il comptait mettre en place (prohiber la publicité, augmenter les taxes, interdire la vente de plusieurs produits de la même marque et, enfin, imposer des messages antitabac couvrant 80 % de la taille des paquets) lui ont valu une plainte de Philip Morris. Le géant de l industrie du tabac a intenté une action contre l Uruguay le 26 mars dernier devant la Banque mondiale. Il conteste notamment la mesure concernant les messages sur les paquets. «C est une manière de priver les industriels de toute possibilité de séduire les jeunes», poursuit Sylviane Ratte. En juillet, l actuel président, José Mujica, déclarait que son pays devait «se battre avec des monstres qui ont plus de ressources que l Etat uruguayen». En effet, le produit intérieur brut (PIB) du pays représente la moitié du chiffre d affaires de Philip Morris. Le chef de la diplomatie lui-même envisageait alors de faire marche arrière, craignant un procès long et ruineux pour un petit pays de 3,4 millions d habitants. Finalement, le gouvernement a décidé de tenir bon et de durcir ses lois antitabac. Il suit ainsi l exemple de l ancien président uruguayen, Tabaré Vasquez, cancérologue et instigateur des premières lois de 2006. Ce dernier avait estimé que les déclarations de son successeur constituaient «un pas en arrière et un aveu de faiblesse». D après une enquête mondiale sur le tabagisme des adultes, réalisée par l OMS, la proportion de fumeurs dans la population uruguayenne est passée de 32 % à 25 % depuis 2006. En tout, plus de 130000 personnes auraient ainsi arrêté de fumer. Le bras de fer continue VIVRE_DÉCEMBRE 2010_13
Pour protéger / Lutte contre le tabagisme On sait parfaitement que la hausse de 6 % de 2009 et celle de 2010 ne vont rien changer. de 0,3 % sur les 8 premiers mois de l année 2010. Pour le tabac à rouler, c est pire. La hausse est de 4,7 %. Au cours de cette même période, on constate une chute de 49 % des journées de campagnes de prévention menées par le ministère de la Santé par l intermédiaire de l Inpes (Institut national de prévention et d éducation à la santé). «C est très inquiétant, constate Albert Hirsch, administrateur national de la Ligue contre le cancer. En matière de lutte contre le tabagisme, il convient de jouer à la fois sur l offre et sur la demande. On estime que les fortes hausses intervenues en 2003 et 2004 ont incité 1,5 million de fumeurs à arrêter. Mais on sait parfaitement que la hausse de 6 % de 2009 et celle de 2010 ne vont rien changer.» Des liens industrie-pouvoirs publics «Le premier Plan cancer (2003-2007) était un très bon plan en ce qui concerne la lutte contre le tabac. Mais le Plan cancer 2 (2009-2013) n est pas à la hauteur dans ce domaine, regrette Yves Martinet. De plus, des liens étroits subsistent entre l ancienne Seita (désor - mais Altadis) et les pouvoirs publics. Certains choix politiques se font aux dépens de la santé des Français. En 2009, Roselyne Bachelot, ministre de la Santé et des Sports, souhaitait une hausse de 10 %. Le ministère du Budget plaidait, lui, pour 6 %. Le ministre de l époque, Eric Woerth, expliquait qu il s agissait de trouver un équilibre entre les différents partenaires. Cela revenait à dire qu il fallait faire plaisir aux industries du tabac. Et le président de la République a arbitré en sa faveur.» Infiltration au plus haut niveau Le lobbying des industries du tabac auprès des gouvernements va à l encontre des dispositions de la Convention-cadre pour la lutte anti-tabac 2 (CCLAT) de l Organisation mondiale de la santé. Celle-ci a valeur de traité international et a été, à ce jour, ratifiée par 171 pays, dont la France. «C est le premier traité international de santé publique établi sous l égide de l OMS, signale Sylviane Ratte, consultante en santé publique, spécialiste internationale de la CCLAT. Il fait suite, notamment, à la découverte, dans les années quatre-vingt-dix, de l infiltration des industries du tabac au sein même des instances de l Organisation. Un de ses articles, le 5.3, protège les Etats signataires d éventuelles interférences entre l industrie du tabac et le système de santé. Cela réclame une transparence totale à tous les niveaux : fonctionnaires, députés, aucun pays n est à l abri. On l a vu il y a quelques 14_VIVRE_DÉCEMBRE 2010
DANS LES PAYS ÉMERGENTS, ON PEUT D ORES ET DÉJÀ CONSTATER LES DÉGÂTS DES OFFENSIVES DES INDUSTRIELS. années, en France, quand un grand cigarettier avait décidé de parrainer l Institut du cerveau et de la moelle épinière.» Prélèvement à la source Pour l instant, la CCLAT n exerce aucune coercition, malgré la violation de l article 5.3 dans de nombreux pays. «L industrie fait peur à certains gouvernements, affirme Sylviane Ratte. Mais il faut être optimiste. Personne n a forcé tous ces pays à ratifier le traité. Il faut que ces Etats prennent conscience de la force qu ils représentent en s unissant. Tout le monde peut y gagner, ne serait-ce qu en termes de coûts pour les systèmes de santé. Mais il faut rester à l affût.» La CCLAT ne se contente pas de dénoncer les rapports malsains entre industrie du tabac et gouvernants. Elle avance des propositions en matière de fiscalité sur le long terme. En particulier dans les pays émergents comme en Afrique où l on peut d ores et déjà constater les dégâts des offensives des industriels. Avec, partout, un ciblage systématique des femmes. «Sortons de notre frilosité, exhorte Albert Hirsch. Il faut continuer à jouer sur tous les tableaux, et notamment celui des prix. A la Ligue, nous travaillons actuellement avec l American Cancer Society pour étudier la faisabilité d un prélèvement à la source, directement auprès des industriels, sur le modèle du pollueur-payeur. Le produit de ce prélèvement serait VIVRE_DÉCEMBRE 2010_15
Pour protéger / Lutte contre le tabagisme En France, chaque année, 60 000 décès sont encore liés au tabac. Et aujourd hui, cette hausse prouve que la cigarette n est plus considérée comme un facteur de risque, mais comme un simple impôt. Tous les indicateurs sont au rouge abondé dans une caisse utilisée à la prévention de tous les méfaits sanitaires et sociaux de l usage du tabac. Il viendrait s ajouter de façon indépendante à la fiscalité existante. Libre ensuite à l industrie du tabac de répercuter cette hausse sur ses prix». Relâchement Cette controverse sur la hausse du prix du tabac intervient alors que l on note un relâchement généralisé de la lutte dans la société française. L interdiction de Cigarette électronique: attention danger! Depuis quelques années, on a vu apparaître, notamment sur Internet, des cigarettes électroniques sensées accompagner le sevrage tabagique. Elles sont composées notamment d un pulvérisateur et d une cartouche remplie de liquide contenant de la nicotine ou des substances aromatiques. Il y a deux ans, l Afssaps 1 a analysé les risques potentiels de cette cigarette. Elle a conclu qu il convenait d observer la plus grande prudence pour les utilisateurs et plus particulièrement pour les femmes qui allaitent, en raison de la toxicité de certaines substances.«il n est absolument pas démontré que cette cigarette ait une quelconque utilité, précise Yves Martinet, président du Comité national contre le tabagisme. De plus, on ne connaît pas les effets sur l organisme de l absorption de propylène glycol, un solvant contenu dans ces cigarettes. Certains pays l ont déjà interdite, et je pense que nous devrions faire de même.» 1 Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. fumer dans les lieux publics n est pas toujours respectée, faute de contrôles. Même chose pour l interdiction de vente aux mineurs. Et l industrie du tabac poursuit ses pressions. La Ligue instruit actuellement 4 procédures judiciaires contre des films de cinéma où l on voit clairement des placements de produits pour des cigarettes. «Les données du baromètre santé 2010 de l Inpes sont inquiétantes : chez les 15-75 ans, le taux de fumeurs quotidiens a augmenté de deux points entre 2005 et 2010, passant de 26,9 % à 28,7 %. Cette tendance s avère particulièrement forte chez les femmes (de 23 à 25,7 %), avec un taux de fumeuses très élevé, de 24 %, pour les femmes enceintes. D après le «Bulletin épidémiologique hebdomadaire» (BEH) de l Institut de veille sanitaire de mai 2010, la mortalité par cancer du poumon a été divisée par deux en 10 ans chez les hommes de 35 à 44 ans et multipliée par quatre en 15 ans chez les femmes de cette classe d âge, note Albert Hirsch. En France, chaque année, 60 000 décès sont encore liés au tabac. Et aujourd hui, cette hausse prouve que la cigarette n est plus considérée comme un facteur de risque, mais comme un simple impôt. Tous les indicateurs sont au rouge» 1 www.ofdt.fr 2 www.who.int/mediacentre/news/notes/2007/np26/fr Nicolas Démare 16_VIVRE_DÉCEMBRE 2010
Le paquet, outil marketing Avec les différentes interdictions, notamment de la publicité, les fabricants de cigarettes font de leurs paquets de véritables outils marketing. Les acteurs de la lutte antitabac envisagent donc la mise en place d un paquet neutre et standardisé pour limiter encore l impact sur les jeunes. Ce paquet aurait une couleur unie, portant uniquement le nom de la marque dans une typographie neutre avec un nombre de cigarettes invariable. Une étude a été menée sur le sujet, sous l égide de Karine Gallopel- Morvan, maître de conférences en marketing à l université de Rennes 1 (Institut de gestion de Rennes). Financée par l INCa (Institut national du cancer), la MILDT (Mission interministérielle de la lutte contre la drogue et la toxicomanie) et l Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), elle s est terminée à la fin de l année dernière. «Le paquet sert à contourner la réglementation, estime Karine Gallopel-Morvan. C est un support aujourd hui très utilisé dans le monde pour promouvoir une marque et donner l envie d acheter. Nous avons mené des enquêtes auprès de groupes de consommateurs, fumeurs ou non, sur la perception de différents paquets de cigarettes. Les résultats sont très intéressants. On note en effet que le packaging a une réelle influence sur les individus. Un paquet neutre (sans logo, sans couleur attractive) casse l imaginaire de la marque (par exemple, des cigarettes Marlboro insérées dans un paquet neutre sont beaucoup moins perçues comme les cigarettes du célèbre cow-boy de la marque). Si on ajoute des avertissements visuels sur les paquets (au lieu du format textuel que l on trouve aujourd hui en France), le paquet engendre des réactions de répulsion: les consommateurs ont moins envie de l acheter, de prendre une cigarette à l intérieur et le trouvent terne et fade. Nous avons également mis en lumière l influence de la couleur du paquet de cigarettes sur les réactions des individus. Ainsi un paquet blanc est associé à un objet pur et propre, contenant des cigarettes légères (et par inférence moins dangereuses pour la santé, ce qui est totalement faux). A l inverse, un packaging gris foncé fait penser que les cigarettes à l intérieur sont plus fortes et l attractivité du paquet est réduite.» Pour l instant, ce paquet neutre et standardisé a été seulement évoqué par les pouvoirs publics en France. Au niveau mondial, seule l Australie l a adopté et sera certainement la première à le mettre en place en 2012. Promises depuis des années, des images chocs, voire répulsives, devraient faire leur apparition sur les paquets de cigarettes dès l année prochaine. En avril dernier, Roselyne Bachelot, ministre de la Santé et des Sports, avait laissé un délai d un an aux fabricants de cigarettes avant de les contraindre à respecter l arrêté qu elle venait de signer en leur imposant d apposer des images chocs au dos du paquet. Il y aura 14 types d images dont celles de personnes atteintes de cancer du larynx ou des poumons. VIVRE_DÉCEMBRE 2010_17