Les agrocarburants FBI? (Fausse Bonne Idée) Le déclin annoncé des énergies fossiles comme le pétrole et le gaz, la lutte contre les émissions de CO 2, le développement des sources d énergies renouvelables, le renforcement de la sécurité d approvisionnement énergétique, la création d emplois, etc., sont quelques-uns des arguments régulièrement entendus pour justifier l accroissement de l utilisation des agrocarburants Qu en est-il en réalité : info ou intox?
Les agrocarburants, FBI? 1. Agrocarburants : quésako? Un agrocarburant est un carburant liquide produit à partir de la biomasse 1. Il existe aujourd hui deux grandes filières d agrocarburants dits de première génération. Ils ont en commun d utiliser des cultures alimentaires pour produire des carburants. La première filière est celle de la production d huiles végétales à partir desquelles est produit le biodiesel et qui utilise les graines de plantes comme le colza, le tournesol, le soja ou le palmier à huile. Ces graines sont pressées. L huile recueillie subit des transformations chimiques, donnant des esters méthyliques que l on mélange ensuite au diesel. 1 La biomasse est l ensemble de la matière organique d origine végétale ou animale. L utilisation de la biomasse pour produire de l énergie est réalisée à partir de la culture de végétaux, du bois ou de déchets solides (industriels, agricoles ou ménagers) et liquides (eaux usées, déjections animales). La seconde filière consiste à utiliser des sucres tels que le saccharose issu de certaines cultures comme la betterave, la canne à sucre ou encore l amidon provenant du blé ou du maïs. Ces sucres sont transformés en éthanol, ensuite mélangé à l essence. C est ce qu on appelle couramment le bioéthanol. Le bilan des émissions de gaz à effets de serre (GES) des agrocarburants varie en fonction des filières et, par conséquent aussi, leur impact sur l environnement. Il faut savoir que la production mondiale d agrocarburants a plus que triplé entre 2000 et 2008 et correspond à plus de 2 % de la consommation mondiale de combustibles pour le transport. { En moyenne, il faut 200 kg de céréales pour nourrir un individu pendant un an. Avec cette même quantité de céréales, on produit entre 50 et 75 litres de bioéthanol, selon les filières.
Le principal reproche fait aux agrocarburants est qu ils nécessitent de l espace généralement prélevé sur les cultures alimentaires ou sur les forêts. Dans un cas, cela contribue à pousser les prix alimentaires internationaux à la hausse, dans l autre, à augmenter les émissions de CO 2, à détruire la biodiversité et à fragiliser la situation économique et sociale des populations locales. Aux émissions de GES liées à la production, au transport et à la combustion des agrocarburants, il faut ajouter celles provenant de la conversion des prairies ou des forêts en terres de culture à vocation énergétique. En effet, les prairies et les forêts sont de véritables réservoirs à carbone. Or, celui-ci n est plus capté lorsqu elles sont transformées en cultures énergétiques. Il est donc important de prendre en compte l ensemble des émissions de GES liées à la production d agrocarburants pour en dresser le bilan. Et ce dernier peut être très négatif. évolution de la production d éthanol et de biodiesel dans le monde 70 60 En milliards de litres par an 50 40 30 20 10 0 2000 2008 Ethanol Biodiesel Années { 2 La production d éthanol en 2007 était de 28,5 Mtep 2, avec l origine géographique suivante : États-Unis (51 %), Brésil (37 %), Union européenne (4 %), autres pays (8 %). L essentiel de la production se situe donc au Brésil et aux États -Unis. La production de biodiesel en 2007 était de 7,5 Mtep, avec l origine géographique suivante : Union européenne (60 %), États-Unis (17 %), autres pays (33 %). L Allemagne et la France couvrent près de la moitié de la production mondiale de biodiesel. Mtep = million(s) de tonnes équivalent pétrole : 1 tep correspond au pouvoir calorifique d une tonne de pétrole.
La deuxième génération d agrocarburants est basée sur l utilisation de l ensemble de la plante, et non plus uniquement une partie. Son rendement sera probablement meilleur, même si les technologies de production ne sont pas au point. Mais il est trop tôt pour connaître l ensemble des impacts de ces filières. Il apparaît néanmoins que les agrocarburants de deuxième génération basés sur la valorisation de la biomasse permettraient une production locale plus importante et, par conséquent, une création d emplois liés au développement de cette nouvelle filière, notamment en Belgique. Sont aussi au stade de prototypes, des troisième et quatrième générations d agrocarburants, à partir d algues ou de plancton. Mais leur développement industriel ne peut être envisagé avant au moins une décennie. Le développement des agrocarburants de deuxième génération commercialement rentable à partir de déchets provenant de l agriculture, de la sylviculture et des industries de transformation pourrait conduire à une augmentation considérable du volume et des variétés des matières premières destinées à la production. Ceci pourrait réduire la compétition pour les terres ou d autres ressources et limiter, par la même occasion, la concurrence avec la production vivrière. Selon la FAO, les agrocarburants créent des opportunités nouvelles liées au développement agricole et rural, à l atténuation du changement climatique et à la sécurité énergétique. Mais si leur développement n est pas géré avec prudence, ils peuvent également présenter des risques importants, notamment en termes de réduction de la biodiversité, de déforestation et de concurrence avec les cultures alimentaires.
Les agrocarburants, FBI? 2. La politique européenne en matière d agrocarburants est-elle durable? En mars 2007, lors du Conseil des ministres européens, l Union européenne s est engagée à ce que les énergies renouvelables représentent 20 % de la consommation d énergie en 2020. Dans le même temps, une directive européenne prévoit que les 27 seront tenus de consommer 10 % d énergies renouvelables dans le secteur des transports en 2020 et 5,75 % en 2010. Mais ce texte ne précise ni de quelles sources d énergies renouvelables il s agit, ni quel en sera l impact sur l affectation des sols dans les pays producteurs. C est ainsi que 90 % des agrocarburants qui devraient être intégrés dans les carburants classiques prendraient la place des cultures alimentaires. Celles-ci seraient déplacées sur des terres prises, elles, sur les forêts. Les agrocarburants sont ainsi directement responsables de problèmes de famine et d accès aux denrées alimentaires de base et indirectement de la déforestation qui figure parmi les principaux facteurs d émissions de GES. En Belgique, l objectif est de faire passer la part des énergies renouvelables à 13 % de la consommation énergétique en 2020, tous secteurs confondus. Et la Région wallonne a estimé à 2000, le nombre d emplois qui auraient dû être créés, en 2010, grâce aux agrocarburants. Selon les politiques actuelles, une superficie supérieure à deux fois celle de la Belgique sera convertie dans le monde pour les cultures énergétiques en raison de l accroissement de la consommation d agrocarburants d ici 2020. Ceci causera des émissions supplémentaires de 27 à 56 millions de tonnes de gaz à effet de serre par an, soit l équivalent de 12 à 26 millions de voitures supplémentaires sur les routes européennes. À moins que les politiques ne changent, les agrocarburants qui arriveront sur le marché européen seront en moyenne entre 81 % et 167 % plus dévastateurs pour le climat que les combustibles fossiles qu ils sont censés remplacer et ce, en raison des impacts du changement d affectation des sols sur le bilan carbone. Si la Commission européenne n élabore pas une proposition législative visant à prendre en compte les impacts des changements d affectation des sols indirectement liés à la production des agrocarburants, les plans d action nationaux en matière d énergies renouvelables soumis en 2010 à la Commission risquent d encourager des développements qui auront l effet inverse de ceux escomptés Une telle proposition législative émanant de l Union européenne enverrait ainsi un signal clair aux marchés mondiaux et aux investisseurs internationaux, tout en stimulant le développement d agrocarburants soutenables sur le plan environnemental et qui, par ailleurs, ne prendraient pas la place de terres agricoles.
Les agrocarburants, FBI? Quel sont les impacts sociaux au Sud du développement des agrocarburants? La flambée des prix des denrées alimentaires est provoquée par la convergence de différents facteurs : phénomènes climatiques extrêmes, envolée des prix du pétrole et de l énergie, qui majore le coût des intrants tels que les engrais et l irrigation, la spéculation et la production subventionnée des agrocarburants. L envolée des prix alimentaires touche plus particulièrement les plus pauvres de la population qui consacrent une grande partie de leurs revenus à l alimentation. Les citadins et les ruraux pauvres sont tous affectés par les prix élevés des denrées alimentaires car la majorité des ménages ruraux les plus pauvres achètent plus d aliments qu ils n en produisent. Selon l IFPRI (International Food Policy Research Institute), un institut spécialisé sur les questions d alimentation et d agriculture, on peut s attendre à des hausses significatives de nombreuses denrées alimentaires à l horizon 2020, par exemple, de 16 à 30 % pour le blé selon les scénarios, ou encore de 54 % à 135 % pour le manioc, et de 23 à 41 % pour le maïs, en raison du développement des agrocarburants. La diminution des réserves en eau ou encore le déplacement des activités agricoles vers des zones plus fragiles comme les forêts pluviales et les savanes font également partie des conséquences du développement des agrocarburants. Expropriations forcées, violations des droits de l Homme, augmentation de la pauvreté et détérioration des conditions de travail dans de nombreux pays en développement sont liées à la course à l approvisionnement du marché européen en agrocarburants. À moins de mettre en place des mesures de sauvegarde spécifiques, la production de matières premières bioénergétiques peut être une menace pour la biodiversité et conduire à la dégradation des ressources naturelles telles que l eau et la terre. La menace que l essor de la bioénergie fait peser sur la biodiversité naturelle est principalement associée aux changements d utilisation de la terre comme la conversion des forêts naturelles. L introduction d espèces envahissantes pour la production de biocarburants est un autre facteur préoccupant. La biodiversité agricole pourrait être affectée par les pratiques de monoculture à grande échelle et par l introduction de matériaux génétiquement modifiés.
Toutefois, les agrocarburants offrent aussi l occasion d augmenter les revenus et l emploi dans les zones rurales, à condition que des mesures et des investissements spécifiques soient mis en œuvre pour permettre aux petits agriculteurs de tirer pleinement parti des marchés bioénergétiques naissants. { Étude de cas : les systèmes intégrés aliments-énergie Les systèmes intégrés aliments-énergie permettent de produire les aliments et les matières premières pour les carburants sur une même terre à travers notamment l adoption de cultures mixtes ou de valoriser les sous-produits de l agriculture vivrière à petite échelle pour la production énergétique. À titre d exemple, le Vietnam s est lancé dans un plan d aménagement du territoire basé sur l allocation de droits aux fermiers individuels. Les combustibles traditionnels tels que le bois et le charbon devenant de plus en plus rares et onéreux et contribuant à la déforestation, de nouvelles solutions ont dû être trouvées. Tirant profit de l accroissement de l élevage dans les communautés rurales à forte densité de population, l installation de digesteurs a été encouragée afin de récupérer les effluents pour produire du biogaz et de l électricité. Par ailleurs, la diversification des activités de type jardinage, chasse, pêche, élevage, etc., sur un même territoire permet une exploitation optimale des ressources. C est ainsi qu avec deux porcs et deux ou trois têtes de bétail, un fermier peut produire assez d énergie pour cuisiner et s éclairer sans apport extérieur. Source : http://www.fao.org/bioenergy/67564/fr/
3. Que défendent les syndicats? Travailler avant tout à la réduction de la consommation énergétique au niveau du transport et dans le bâtiment, secteurs dont les émissions de CO 2 continuent à croître. Encadrer la production et l importation de toutes les productions végétales destinées à la fabrication d agrocarburants par des normes environnementales et sociales garantissant le respect des droits de l Homme et des conditions de travail décentes pour les travailleurs du Sud. Dans cette perspective, l Union européenne doit inclure les impacts des changements d affectation des sols indirectement liés à la production des agrocarburants dans le calcul de leur bilan en termes d émissions de GES. Une telle proposition émanant de l Union européenne donnerait un signal clair aux marchés mondiaux et aux investisseurs. Développer des mécanismes de certification prenant en compte les enjeux environnementaux, économiques et sociaux et permettant de différencier les filières. Néanmoins, si la certification peut constituer un outil efficace pour développer les projets locaux de cultures énergétiques de manière plus durable socialement et écologiquement, elle reste impuissante pour lutter contre les impacts liés à l augmentation spectaculaire de la production qui serait nécessaire pour répondre aux besoins des pays industrialisés. Adopter des bonnes pratiques agricoles et d exploitation pour la production de matières premières qui préservent la biodiversité et évitent la déforestation (rotation des cultures, l introduction de stratégies d aménagement du paysage, le maintien de couloirs écologiques, ainsi que par l utilisation prudente et durable de sources de biomasse à biodiversité élevée comme les herbages, pour la production de matières premières, etc.). Promouvoir au niveau de la Belgique le renforcement de la filière bois-énergie et la transformation du méthane en biogaz. Poursuivre la recherche sur les deuxième, troisième et quatrième générations d agrocarburants et l évaluation exhaustive de l ensemble de leurs impacts sociaux, environnementaux et économiques. Pour aller plus loin http://www.cncd.be/agrocarburants-une-nouvelle-fleche http://ec.europa.eu/energy/renewables/biofuels/biofuels_en.htm http://www.fao.org Contactez-nous : Cellule RISE FGTB wallonne Rue Haute, 42 1000 Bruxelles Tél. : 02 506 83 96 Fax : 02 502 08 28 Courriel : cepag@rise.be