COUR DES COMPTES. Avril 2013



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COUR DES COMPTES Synthèse du Rapport public thématique Avril 2013 Les faiblesses de l État actionnaire d entreprises industrielles de défense Avertissement Cette synthèse est destinée à faciliter la lecture et l utilisation du rapport de la Cour des comptes. Seul le rapport engage la Cour des comptes. Les réponses des administrations et des organismes concernés figurent à la suite du rapport.

Sommaire Introduction........................................5 1 Les spécificités de l État actionnaire d entreprises industrielles de défense.............................7 2 L État unique actionnaire de référence : Safran, GIAT Industries et SNPE..................1 1 3 La montée progressive du contrôle actionnarial exercé par le groupe privé Dassault : Dassault-Aviation, THALES et DCNS.........................................15 4 Une entreprise sous contrôle public pluri-national : EADS..........................................19 Conclusion.........................................27 Recommandations..................................29 33

Introduction Le rapport examine sur une longue période la protection des intérêts publics de l État dans sa position d actionnaire de référence de la plupart des grands groupes industriels de défense opérant sur le sol français. Le sujet est d actualité : la réduction des budgets militaires occidentaux restreint les débouchés nationaux ; la montée en puissance des industries des pays émergents accroît la concurrence ; les tentatives de concentration industrielle entre entreprises françaises et/ou étrangères sont à l ordre du jour, même si elles se heurtent souvent aux coûts en emplois et en fermetures d établissements qu elles entraînent. L élaboration fin 2012 - début 2013 d un nouveau Livre blanc sur la défense nationale renforce cette actualité. Le rapport aborde toutes les participations directes ou indirectes, majoritaires ou minoritaires, dès lors qu elles sont d un niveau suffisant pour conférer à l État, seul ou de concert avec des partenaires, des pouvoirs de contrôle significatifs. Dans la pratique, il s agit : - d une part, de trois entreprises industrielles publiques du secteur de l armement : DCNS (constructions navales, groupe détenu à 63,58 % par l État), SNPE (matériaux énergétiques, détenue à 99,99 % par l État), GIAT Industries (armements terrestres, détenue à 100 % par l État) ; - d autre part, de trois groupes industriels privés : Safran (fournisseur de moteurs et de trains d atterrissage pour la composante aéroportée de la force de dissuasion, propulsion des missiles, participation étatique de 30,20 %), THALES (électronique militaire, participation publique indirecte de 27,08 %), EADS (missiles balistiques de la force de dissuasion, hélicoptères, avions militaires, etc. participation publique indirecte de 15 % devant passer à 12 %). Par ailleurs, de façon indirecte, l État est présent dans Dassault-Aviation (avions de combat) à travers EADS, deuxième actionnaire avec 46,32 % du capital, et MBDA (missiles tactiques), également à travers EADS, premier actionnaire à parité avec BAE Systems avec 37,25 % du capital. La Cour aborde successivement : - les spécificités de l État actionnaire d entreprises industrielles de défense (chapitre I ) ; - l État unique actionnaire de référence : Safran, GIAT Industries et SNPE (chapitre II) ; - la montée progressive du contrôle actionnarial exercé par le groupe privé Dassault : Dassault-Aviation, THALES et DCNS (chapitre III) ; - une entreprise sous contrôle public pluri-national : EADS (chapitre IV). 55

Cour des comptes 1 Les spécificités de l État actionnaire d entreprises industrielles de défense Face à des budgets d équipement des forces sous contrainte, la taille moyenne des groupes français de défense dans le contexte de la concurrence internationale paraît souvent un handicap En termes de budgets de défense, la France se situe au 4 ème rang mondial et occupe, avec 45,7 Md en 2011, une position intermédiaire, comparable à celles du Royaume-Uni (45,4 Md ) et de l Allemagne (34,1 Md ). De leur côté, les États- Unis, malgré une contrainte budgétaire accrue, disposent de moyens sans commune mesure avec ceux de tous les autres pays (540,8 Md ). Enfin, les principaux pays émergents enregistrent une croissance rapide de leurs budgets militaires. Pour les principales puissances militaires européennes, la contrainte budgétaire pèse naturellement sur les dépenses destinées à l équipement des forces, la France y consacrant annuellement des crédits de l ordre de 13 Md, soit un montant du même ordre que le Royaume-Uni, étant observé que de leur côté, les budgets d équipement des forces allemandes connaissent une tendance haussière mais sans crédits consacrés à des forces nucléaires, donc d un niveau relatif plus important en ce qui concerne les armements conventionnels. La réduction des budgets des puissances occidentales et la croissance simultanée de ceux des pays émergents (Brésil, Russie, Inde, Chine - BRIC) accroît une tension déjà forte sur les groupes industriels en présence. Cette tension s exerce naturellement de façon particulièrement marquée dans le domaine des exportations, et dans celui de la diversification, qui constituent les deux principales réponses industrielles à l évolution de la conjoncture mondiale en matière de défense. Les huit principaux groupes industriels de défense français présentent une dimension intermédiaire ou modeste au sein des trente premiers mondiaux : EADS (7 ème groupe industriel mondial de défense) et THALES (10 ème ) sont les seuls groupes figurant actuellement dans la liste des dix premiers fournisseurs d équipements militaires à l échelon mondial ; MBDA (13 ème ), DCNS (14 ème ) et Safran (16 ème ) occupent une position moyenne ; GIAT Industries (26 ème ) et Dassault-Aviation (27 ème ) sont relativement de petits groupes face 7

Les spécificités de l État actionnaire d entreprises industrielles de défense 8 à leurs principaux concurrents étrangers ; SNPE ne figure pas dans les 50 premières entreprises mondiales de défense. L État participe, directement ou indirectement, au capital de ces huit groupes. En tant qu actionnaire de référence pour six d entre eux, il doit agir en prenant en compte, d une part, l impératif d indépendance nationale en matière d équipement des forces de défense, d autre part, la préservation de ses intérêts patrimoniaux propres (les participations de l État dans des entreprises industrielles de défense représentaient une valeur globale de l ordre de 12,25 Md au 22 octobre 2012), et, enfin, les enjeux en termes d emplois, de commerce extérieur et d aménagement du territoire, compte tenu du poids pour le pays et pour les régions concernées par ces activités. Dans ce contexte, la fonction de l État actionnaire d industries de défense présente de fortes spécificités par rapport aux participations détenues dans le domaine civil Les enjeux sont spécifiques. Le livre blanc de 2003 et le ministère de la défense répartissent les armements en trois catégories : - une première catégorie qu il est impératif de conserver sous maîtrise nationale exclusive cela englobe les activités industrielles indispensables à l indépendance de la dissuasion nucléaire et à la «connaissance/anticipation» (cryptologie gouvernementale, sécurité des systèmes informatiques, etc.) ; - une deuxième catégorie pouvant faire l objet d interdépendances industrielles avec des pays alliés proches c est, par exemple, le cas des programmes d armement menés en coopération avec des partenaires européens ; - la troisième activité d armement concerne les matériels que l on peut acheter «sur étagère» sans risque de dépendance ce peut être le cas d équipements peu sophistiqués, largement disponibles auprès de fournisseurs diversifiés sur le marché mondial. Dans les deux premiers cas, disposer d un contrôle national durable du maintien des activités industrielles concernées sur le territoire français constitue un objectif stratégique. La question du contrôle actionnarial des industries de défense n est pas spécifique à la France. Les principales puissances militaires opérant dans le cadre d économies de marché internationalement ouvertes ont également eu à la résoudre, dans le cadre d une mondialisation croissante de l économie. Pour ce faire, les États-Unis disposent de l amendement Exon-Florio, venu compléter en 1988 le Defense production

Les spécificités de l État actionnaire d entreprises industrielles de défense act, qui donne au Président des États- Unis le pouvoir d interdire des acquisitions présumées menacer la «sécurité nationale», qu elles opèrent ou non dans le domaine de l armement, ou de subordonner son autorisation à la nomination de dirigeants américains choisis par le département de la défense (exerçant une fonction de proxy faisant écran entre les actionnaires et les décideurs opérationnels). La force du dispositif Exon-Florio vient de ce que le Président des États- Unis peut librement décider de ce qu il juge «stratégique». Ni la France, ni l Union européenne n ont été, jusqu à présent, en mesure de mettre en place un dispositif de protection non exclusivement réservé à une catégorie très restreinte d équipements relevant de la souveraineté nationale. C est ce qui explique que la présence directe ou indirecte de l État, en position d actionnaire de référence au capital des principales entreprises industrielles de défense opérant sur le territoire national, et dont les activités combinent le plus souvent des productions civiles et militaires étroitement complémentaires, constitue un moyen de protection sans équivalent pour les principales activités industrielles stratégiques pour la défense nationale. L organisation de la réflexion de l actionnaire au sein de l administration n est pas suffisamment coordonnée : elle est aujourd hui principalement menée, depuis 2004, par l Agence des participations de l État (APE) au sein du ministère de l économie, avec le concours de la direction générale de l armement (DGA), qui dépend du ministère de la défense. Conçue à l origine dans une perspective à dominante patrimoniale, visant à valoriser au mieux les participations de l État, la mission de l APE a été réorientée au début de l année 2011, laissant plus de place à la prise en compte d autres intérêts, et notamment ceux de la défense nationale. Au sein de la DGA, le suivi des participations publiques dans les industries de défense est assuré par une direction de la stratégie, chargée de tenir à jour notamment la «base industrielle et technologique de défense» (BITD) de la France. Actuellement, la coordination des positions de l APE et de la DGA concernant les décisions à prendre par l État-actionnaire n est pas toujours assurée, et une meilleure coordination serait souhaitable. 9

Cour des comptes 2 L État unique actionnaire de référence : Safran, GIAT Industries et SNPE Safran : les résultats initialement escomptés de la fusion Sagem-SNECMA ne se sont pas tous concrétisés, et la maîtrise de l avenir du groupe par l État-actionnaire est désormais limitée Après l ouverture du capital de SNECMA dans le cadre d une introduction en bourse, à l été 2004, le groupe Safran est résulté de la fusion-absorption, début 2005, de SNECMA (moteurs d avions, propulsion spatiale et services associés) par Sagem (électronique de défense et électronique grand public), qui a eu pour conséquence la privatisation de SNECMA, le nouveau groupe s appelant désormais Safran. Si, sur la base des cours de la bourse de l époque, l opération apparaissait patrimonialement équilibrée pour l État en 2005, en revanche, les synergies industrielles entre le motoriste et l électronicien se sont révélées décevantes, et les actifs en provenance de Sagem ne représentent plus, aujourd hui qu environ 10 % de la valeur du groupe, contre un tiers en 2005. Par ailleurs, la part de capital qu a conservée l État à l issue de la fusion (30,20 %) avait été fixée en prenant en compte le fait que, escomptant obtenir des droits de vote double deux ans plus tard, l État détiendrait à lui seul la minorité de blocage, avec près de 40 % des droits de vote à l assemblée générale. Ayant omis, en février 2007, de déclarer ce franchissement de seuil à l AMF, l APE s est tardivement aperçue qu elle ne pourrait exercer ses droits, et qu elle pourrait, au maximum, disposer de seulement 29,5 % des voix à l assemblée générale. La récente cession de 3,12 % du capital de Safran ne modifie pas sensiblement la donne. Même s il demeure le premier et seul actionnaire de référence, l État ne dispose désormais que de pouvoirs limités dans Safran, comme l a illustré, en 2012, l opposition de son conseil d administration à une opération d échange d actifs qui devait permettre de restructurer et de rationaliser l industrie française dans les domaines de l optronique (THALES) et de l avionique (Safran). En avril 2011, l État a toutefois obtenu la mise en place d une disposition statutaire visant à limiter la possibilité d une offre publique d achat (OPA) inamicales. 11

L État unique actionnaire de référence : Safran, GIAT Industries et SNPE 12 GIAT Industries : après une lourde restructuration, l entreprise paraît assainie depuis 2006, mais son avenir mérite d être clarifié La société GIAT Industries, créée en 1990, a été dotée lors de sa constitution de l'ensemble des moyens industriels (quatorze sites de production) et en personnels (près de 14 000 personnes) du groupement industriel des armements terrestres (GIAT), jusqu alors géré en régie par la direction des armements terrestres de la délégation générale pour l armement (DGA). La société, qui a commis plusieurs erreurs coûteuses de stratégie et de gestion (fermetures de sites ou réductions d effectifs trop tardives, signature de contrats export à perte, diversifications hasardeuses etc), n'a jamais pu atteindre, jusqu en 2006, le plein emploi de ses moyens : les exercices se soldaient par des pertes financières considérables, provenant aussi bien de l'exploitation que des provisions prises pour financer les plans sociaux successifs. Un plan de redressement «GIAT 2006» a été initié en avril 2003, avec le double objectif d'adapter le format de la société à une forte baisse de l'activité et de restaurer sa compétitivité, par une rationalisation drastique des moyens industriels, ainsi que par une baisse forte des effectifs. Pour la première fois de l histoire de la société, l'exploitation de l'exercice 2005 a été bénéficiaire. Aujourd hui, vingt-trois ans après sa création, GIAT Industries, devenu Nexter dans sa partie hors défaisance fin 2006, semble, avec un effectif d environ 2 700 personnes, avoir enfin atteint son équilibre et peut désormais envisager des alliances industrielles susceptibles d'assurer son avenir. En ce qui concerne l exercice du contrôle actionnarial, la société étant détenue à 100 % par l État, la Cour a constaté que, dans le cadre d une proposition de prise de participation de 24,03 % dans le capital de MNR group, holding du groupe Manurhin, le 13 février 2012 (souscription à une augmentation de capital de 2 M ), sur les six administrateurs représentant l État, trois avaient voté pour, deux s étaient abstenus et un avait voté contre (les abstentions et l opposition provenaient des trois représentants de l APE, le vote favorable émanait du représentant de la DGA) : le dispositif de concertation interministérielle prévu par le décret n 2011-130 du 31 janvier 2011 n a, en l occurrence, pas fonctionné. Plus généralement, si le plan de charge de GIAT Industries paraît assuré jusqu à 2016, la question se pose pour les années ultérieures, et dépend largement des prolongements de la réflexion actuelle sur le Livre blanc sur la défense nationale et de la future loi de programmation militaire. Actuellement, deux axes majeurs de restructuration industrielle semblent envisageables par l Étatactionnaire :

L État unique actionnaire de référence : Safran, GIAT Industries et SNPE - le premier concerne l éventuelle absorption de SNPE par GIAT Industries et vise à assurer un avenir à Eurenco, seule filiale stratégique demeurée dans l orbite de SNPE, dans un cadre français ou européen ; - le second axe de restructuration concerne la recherche d une partenaire français ou allemand pour GIAT Industries. SNPE : les dirigeants de cette entreprise publique, destinée à être vendue par sous-ensembles depuis l accident d AZF de septembre 2001, ont fait durablement obstruction à une restructuration décidée par l État La société nationale des poudres et des explosifs (SNPE) a été créée dès 1971, par apport de poudreries précédemment gérées en régie par le ministère de la défense, et dont le statut antérieur de monopole pour les poudres et explosifs civils et militaires ne pouvait plus être maintenu après l entrée en vigueur du traité de Rome. Jusqu en 2001, la société n a pas connu de problème majeur. Le destin de la société a été bouleversé par l accident survenu le 21 septembre 2001 dans l usine AZF du groupe Total. Quelques années plus tard, il devenait clair que l entreprise devait être vendue par sous-ensembles. Mais dès 1999, l État avait envisagé un rapprochement entre les activités de propulsion solide détenues d une part par, SNPE dans sa filiale SME, d autre part par le groupe SNECMA dans sa filiale SPS. L État était alors actionnaire principal ou unique des deux groupes. Les responsables de SNPE n ont pendant plusieurs années pas accepté la réalisation de cette opération. Il a fallu qu en novembre 2008 l État mette fin aux fonctions du PDG pour qu elle puisse être mise en œuvre. Encore a-t-il fallu attendre 2011 pour que cette consolidation de la filière française de la propulsion solide devienne effective. 13

Cour des comptes 3 La montée progressive du contrôle actionnarial exercé par le groupe privé Dassault : Dassault- Aviation, THALES et DCNS Au cours des trente dernières années, le groupe Dassault-Aviation, un temps contrôlé en majorité par l État, s en est en grande partie éloigné. En revanche, il est progressivement entré, directement ou indirectement, au capital de THALES et de DCNS dans un partenariat limitant singulièrement les marges de manœuvre de l État actionnaire. La perte progressive de tout contrôle actionnarial de l État sur Dassault- Aviation En 1979 : l État est entré au capital de Dassault-Aviation. La Sogepa (société de gestion des participations aéronautiques) avait été créée en 1978 à l initiative du Premier ministre afin d acquérir pour le compte de l État une participation dans le capital de la société des Avions Marcel Dassault (AMD-BA, devenue aujourd hui Dassault-Aviation). En 1981, Dassault-Aviation a été très temporairement nationalisé. En 1981, l État a pris théoriquement le contrôle de la société en montant sa participation à 45,76 % du capital, ce qui, compte tenu de droits de vote double, qui ont été immédiatement contestés par certains partenaires privés du groupe, lui assurait en principe une majorité en voix de 54,72 %. Dès cette période, des conventions orales, adoptées au moment de la signature d un protocole le 8 octobre 1981, ont organisé une autolimitation du pouvoir du secteur public. Rapidement, l État est passé, sans contrepartie visible, en-dessous de la barre des 50 % en voix En 1996, une tentative de fusion Aérospatiale/Dassault-Aviation voulue par l État a échoué. En 1996, le gouvernement a souhaité la fusion de Dassault-Aviation et d Aérospatiale, le holding familial Dassault (GIMD) devenant actionnaire minoritaire d Aérospatiale. Ce projet n a pas été mis en œuvre, la dissolution de l Assemblée nationale et les élections législatives intervenant quelques semaines plus tard. En 1998, un transfert des participations publiques dans Dassault- Aviation a été effectué au profit d Aérospatiale puis du groupe Lagardère, puis d EADS. Début 1998, le gouvernement a procédé au transfert 1515

La montée progressive du contrôle actionnarial exercé par le groupe privé Dassault 16 au groupe Aérospatiale de l ensemble des participations publiques dans Dassault-Aviation (soit 45,76 % du capital). Un décret autorisant la cession d Aérospatiale à Matra Hautes Technologies (MHT), filiale du groupe Lagardère a été pris début 1999. Aujourd hui, l ancienne participation publique dans Dassault-Aviation est directement détenue par la société holding de droit néerlandais EADS NV, qui n exerce de facto aucun contrôle actionnarial. Le producteur de l'avion Rafale a désormais pour principal actionnaire minoritaire EADS, co-producteur du principal concurrent de ce dernier, l'avion Eurofighter. En 2008 l État a décidé de partager le contrôle actionnarial de THALES avec Dassault-Aviation. En mai 2008, Alcatel-Lucent a manifesté son intention de céder la participation de 20,9 % dans THALES qu il détenait depuis la privatisation de Thomson- CSF. L Agence des participations de l État (APE) et la délégation générale pour l armement (DGA) avaient envisagé conjointement divers scénarios, et concluaient, sur la base d analyses approfondies que, par rapport aux autres solutions possibles, la substitution de Dassault-Aviation à Alcatel constituait, techniquement, la moins bonne option. Sans suivre la recommandation des services compétents, les pouvoirs publics ont retenu la solution de cession des parts d Alcatel à Dassault. Le dispositif retenu a consisté, d une part, à obtenir de Dassault- Aviation la signature d une convention d adhésion par laquelle il se substituerait à Alcatel-Lucent au sein du pacte d actionnaires existant entre cette dernière et l État, et, d autre part, à prolonger une convention sur la protection des intérêts stratégiques nationaux dans THALES. En marge du pacte d actionnaires, Dassault-Aviation a renoncé à son droit de veto, d une part, en cas d exercice d une option de montée au capital à hauteur de 35 % que DCNS détenait depuis 2007, option effectivement levée par THALES début 2012, d autre part, pour un échange d actifs avec Safran, souhaité par l État, concernant les activités optroniques, la navigation inertielle, la génération électrique, et le domaine des systèmes et équipements de missiles. En termes de participations au capital et de pourcentage des droits de vote, et du fait de divers mouvements ( notamment, l obtention de droits de vote double par Dassault-Aviation en juin 2012), la position de l État et de ses partenaires a évolué comme suit depuis 1998 :

La montée progressive du contrôle actionnarial exercé par le groupe privé Dassault Tableau : parts respectives des partenaires du pacte au capital de THALES Pacte Actionnaires % captital THALES % droits de vote Secteur Public 46,94 46,94 1998 Alcatel 16,36 16,36 Dassault-industrie 6,00 6,00 2006 2009 2012 Secteur Public 31,26 42,97 Alcatel-Lucent (2) 9,46 13,00 Secteur Public 26,51 41,67 Dassault-aviation 25,93 20,39 Secteur Public 27,08 36,86 Dassault-aviation 25,96 29,68 Source: Agence des participations de l État (APE) L équilibre du contrôle actionnarial de THALES a donc progressivement évolué au détriment de l État, et ne repose plus aujourd hui que sur la détention d une minorité de blocage au profit du secteur public en droits de vote, et l impossibilité pour Dassault-Aviation de dépasser le secteur public en termes de participation au capital, et/ou de dépasser le niveau de 30 % en droits de vote, sans avoir à proposer une OPA sur l ensemble de THALES. Dans ce cadre, alors qu Alcatel avait adopté un profil de partenaire dormant, Dassault-Aviation estime que «l État [ ] doit composer avec les autres actionnaires et ne peut plus décider de tout, et ce tout seul». La maîtrise de la gouvernance et de la stratégie industrielle de défense du groupe THALES 17 17

La montée progressive du contrôle actionnarial exercé par le groupe privé Dassault échappent de ce fait largement au premier actionnaire que demeure l État. Et l on constate effectivement que : - concernant la montée de THALES de 25 à 35 % au capital de DCNS en 2012, Dassault-Aviation, tout en respectant son engagement de ne pas s y opposer, a publiquement exprimé ses doutes sur la validité de la stratégie de l État consistant à souhaiter une montée de THALES à hauteur de 35 % de DCNS, sans lui garantir en contrepartie la perspective d en acquérir la majorité absolue ; - concernant le projet d échange d actifs optronique/avionique souhaité par l État entre THALES et Safran, Dassault-Aviation indique avoir soutenu le management de THALES dans son refus de céder à Safran son activité calculateurs. La décision de substituer Dassault- Aviation à Alcatel Lucent a ainsi, en fin de compte, contrarié la volonté l État sur un point de stratégie industrielle de défense qu il jugeait majeur. De 2007 à 2012, THALES prend une part croissante dans le contrôle de DCNS. En termes de maîtrise de la gouvernance et de la stratégie industrielle du groupe DCNS, la composition des organes sociaux implique désormais, pour les principales décisions de stratégie industrielle de défense notamment, un accord avec THALES et donc, dans le respect des dispositions du pacte d actionnaires, avec Dassault-Aviation. Néanmoins, la question d une évolution ultérieure de la composition du capital de DCNS ne se pose pas actuellement de façon urgente : la principale perspective de restructuration industrielle, dans le secteur de l armement naval, consisterait en une ouverture à un partenaire européen. 1818

Cour des comptes 4 Une entreprise sous contrôle public pluri-national : EADS Le dispositif de contrôle d EADS repose, dès le départ, sur un partenariat d actionnaires poursuivant des stratégies hétérogènes, voire concurrentes Les conditions initiales de l apport d Aérospatiale à Matra-Hautes Technologies (MHT), appartenant au groupe Lagardère, puis la fusion de l ensemble avec l allemand DASA et l espagnol CASA, pour créer EADS étaient en elles-mêmes peu favorables à la préservation des intérêts patrimoniaux de l État, la France étant en position de demandeur vis-à-vis de ses principaux partenaires. Dans le cadre des transactions sur les parités, Aérospatiale n a valu que deux fois Matra Hautes Technologies (MHT), et quelques mois plus tard, Aérospatiale-MHT n a valu qu une fois DASA (parité politique exigée par la partie allemande). Ces parités ne reflétaient certainement pas la valeur des apports industriels respectifs, au détriment d'aérospatiale. Mais, en dehors des doutes que la Cour a pu exprimer sur la force relative des positions de négociations des parties, les termes de l échange, lors de la constitution d EADS, ont souffert du fait de la faiblesse structurelle des fonds propres du côté d Aérospatiale, notamment lorsqu on la comparait à la trésorerie importante dont disposait à l époque DASA. Le dispositif de contrôle actionnarial qui a résulté de ces négociations, dont la situation fin 2012 est schématisée ci-après, s est rapidement révélé inadapté, et a nécessité divers aménagements, notamment en 2007, puis plus récemment, fin 2012/début 2013 : 19

Une entreprise sous contrôle public pluri-national : EADS Schéma - pactes d actionnaires - EADS Source: Agence des participations de l État (APE) 20 Divers pactes et accords organisaient le concert d actionnaires contrôlant EADS fin 2012, contenant notamment des dispositions relatives : - à la composition du conseil d administration d EADS ; - aux restrictions affectant le transfert des actions EADS, ainsi que les droits de préemption et de sortie conjointe de Daimler (actionnaire de DASA), Sogeade (holding réunissant l État et le groupe Lagardère), Lagardère, et l État (à travers Sogepa) ; - à des droits spécifiques de l État français (permettant un minimum de contrôle indirect sur certaines décisions stratégiques) ; - à la restriction des droits de l État français, notamment la limitation de sa participation à 15 % du capital, et à l impossibilité pour les partenaires français de désigner un fonctionnaire en exercice au conseil d administration d EADS, etc. La volonté de Daimler, réaffirmée lors de la réforme de la gouvernance de 2007 (accords dits Apple), avait été de doter cette société d une gouvernance aussi proche que possible de celle de toute autre société cotée sur plusieurs places européennes et au flottant important, et en particulier de la mettre à l abri de toute influence d actionnaires publics. On peut, a posteriori, regretter que ces conditions n aient pas été mieux subordonnées, lors des négociations initiales, à un engagement de stabilité, au capital du nouveau groupe, des partenaires industriels privés ayant exigé de telles restrictions.

Une entreprise sous contrôle public pluri-national : EADS Le désengagement des partenaires industriels a rapidement montré les faiblesses du dispositif actionnarial mis en place En 2006, les groupes Lagardère et Daimler, alors que le niveau des actions EADS était au plus haut, avaient simultanément entamé leur sortie de ce groupe. Ce dernier devait, peu de temps après, faire face à de fortes turbulences, s accompagnant d une crise de gouvernance liée au doublonnement francoallemand des responsabilités aux différents échelons de la hiérarchie supérieure du management, mis en place lors de la fusion. Dans le cadre des accords Apple de 2007, visant à résoudre les problèmes de gouvernance et à permettre à Daimler de céder à des investisseurs institutionnels, via un véhicule de portage «Dedalus», un deuxième bloc de titres, sans déséquilibrer la parité actionnariale entre la France et l Allemagne, un droit de préemption sur ces actions a été octroyé à l État allemand, bien qu il ne fût pas actionnaire d EADS. Daimler décidant de céder un nouveau bloc d actions d EADS, avant fin décembre 2012, l État allemand, qui n était toujours pas actionnaire d EADS, a indiqué son souhait de se porter acquéreur, via la banque publi-que d investissement Kreditanstalt für Wierderaufbau (KfW), avant fin 2012, du bloc de titres détenu par les partenaires allemands du pacte. L État allemand envisageait alors de reproduire, côté allemand, le modèle d organisation retenu du côté français entre l État et Lagardère. Du côté français l annonce de Lagardère de poursuivre son désengagement risquait de fragiliser la position de l État au sein du pacte franco-germanoespagnol : fin 2012, Sogeade était toujours détenue indirectement à 66 % par l État, et directement à 33 % par Lagardère SCA, mais diverses clauses aboutissaient à laisser entre les mains du groupe privé l essentiel des prérogatives de participation au conseil d administration d EADS, voire, depuis les accords Apple, à les accroître. Or les capitaux respectivement engagés par M. Arnaud Lagardère et l État français dans EADS étaient disproportionnés. Depuis 2006, l État continuait à supporter intégralement la participation publique de 15 %, alors que la part du groupe Lagardère n était plus, de 2006 à fin 2012, supportée qu à hauteur de 7,5 % par Désirade ; Désirade était détenue par Lagardère SCA, dont M. Arnaud Lagardère ne détient que 9,62 % du capital, le principal actionnaire étant la Qatar Investment Authority, qui contrôle 12,83 % du capital. Par équivalence, les capitaux propres de M. Arnaud Lagardère n étaient donc engagés, fin 2012, qu à hauteur de 0,72 % dans EADS. En outre, cet engagement était «porté», au 31 décembre 2011, par une trésorerie nette du groupe Lagardère 2121