Gilles PACHÉ, Professeur agrégé de Sciences de Gestion, Université de la Méditerranée (Aix-Marseille II)

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Transcription:

PACKAGE DE SERVICES ET SITES MARCHANDS DU COMMERCE ÉLECTRONIQUE UNE DIMENSION LOGISTIQUE SUR-ESTIMÉE? Gilles PACHÉ, Professeur agrégé de Sciences de Gestion, Université de la Méditerranée (Aix-Marseille II) Résumé Malgré quelques échecs dont les médias se sont amplement faits l écho, le commerce électronique B2C connaît un important développement depuis le milieu des années 1990. De nombreux travaux académiques lui sont désormais consacrés en Europe et en Amérique du Nord. La plupart d entre eux présentent la performance du service logistique comme un facteur clé de succès, dans la mesure où l internaute semble très sensible à la réduction des délais de livraison. S appuyant sur une revue de la littérature, l article remet en question ce dogme managérial en argumentant sur le fait que, face à un site Web, l internaute est à la recherche d un «package de services» dont on peut se demander si la logistique est l élément déterminant (ou l attribut saillant). Mots-clefs. Commerce électronique B2C - Internaute - Package de services - Performance logistique. Abstract In spite of several failures that the media have talked about to great extent, the B2C e-commerce has developed greatly since the midnineties. Many academic works have been dedicated to this topic in Europe and North-America. Most of them present the performance of logistical service as a key factor of success because the e-consumer seems very sensitive to the reduction of delivery time. Using papers written on the subject, the article puts into question this managerial dogma arguing that, in front of a Web site, the e-consumer is undoubtedly looking for a package deal of services for which one may wonder if logistics is the determining element (or the major attribute). Key words. B2C e-commerce - E-consumer - Logistical performance - Package deal of services. 91

A D E T E M INTRODUCTION Il ne se passe pas une semaine sans que la presse professionnelle publie des articles, voire de copieux dossiers, sur les tendances d évolution du commerce électronique, qu il s agisse d étudier les transactions entre entreprises ou organisations (B2B), ou les transactions entre entreprises et consommateurs finaux (B2C). Il est vrai que l Internet marchand modifie en profondeur la manière dont se déroulent les échanges au sein des canaux de distribution et, plus largement, au sein des chaînes logistiques : la transparence des informations et l instantanéité des transactions ne sont plus un rêve d économiste néo-classique, mais de plus en plus une réalité managériale qui facilite la mise en contact de l offre et de la demande de produits à l échelle de la planète. Tout naturellement, la littérature académique ne pouvait ignorer les enjeux liés au développement du commerce électronique. Depuis cinq ans se multiplient ainsi, à une allure quasi-exponentielle, des conférences internationales et des revues, spécialisées ou non, consacrées au thème. Dans ce flot incessant de publications, celles qui s intéressent à la dimension logistique et, plus particulièrement, à la façon dont les produits commandés par un internaute lui sont livrés, occupent une place de choix. La question est, entre autres, de savoir comment gérer au mieux la distribution physique depuis un ou plusieurs points d expédition jusqu aux points de réception («point-relais», domicile ou lieu de travail). En effet, il est entendu que la réussite des acteurs du commerce électronique B2C sera directement dépendante de la qualité du service logistique rendu au consommateur, mesurée à partir des livraisons effectuées à temps et sans litige d aucune sorte. Tout le problème est alors de mettre en place les infrastructures logistiques adéquates pour atteindre cette qualité à un coût acceptable. Selon nous, un tel discours est surprenant car il se fonde sur un postulat pour l instant non discuté : les internautes sont prioritairement sensibles à la performance du service logistique et minorent les autres dimensions de l offre produits / services d un site marchand. C est par conséquent l efficacité de la chaîne logistique, notamment de son maillon le plus en aval (la distribution physique), qui conditionnerait à moyen terme la pérennité du commerce électronique en tant que canal de distribution. L article souhaite contribuer au débat en synthétisant un certain nombre de recherches conduites sur le sujet. La position ici défendue est que l internaute n est peut-être pas aussi sensible à la performance du service logistique qu on voudrait le croire, en faisant plutôt référence à un «package de services» pour juger de la qualité globale de l offre d un site Web. Il en ressort successivement trois questions de recherche qui constituent autant de pistes de réflexion et d action pour les entreprises voulant affermir leurs positions dans l univers concurrentiel de l Internet marchand (1). LA DISTRIBUTION PHYSIQUE DU COMMERCE ÉLECTRONIQUE : UNE RÉFLEXION EN TERMES DE GESTION DES CAPACITÉS La logistique du commerce électronique B2C soulève actuellement des questions à deux niveaux : à court terme et à long terme. Pour les analystes qui se situent dans une vision de court terme, il s avère important de capitaliser les connaissances sur les expérimentations en cours, dans le secret espoir d en tirer des enseignements suffisamment généraux pour construire un modèle standard. Sur le long terme, la réflexion est au moins aussi importante en vue de repérer les points de blocage éventuels que pourrait susciter l explosion des ventes transitant par ce nouveau canal de distribution (Jallat, 2001). En d autres termes, une démarche prospective doit permettre d éviter qu une succession de défaillances logistiques freine le développement de l Internet marchand ou, pour reprendre l expression imagée de Crespo de Carvalho (2001), que le monde des bits soit à la merci du monde des atomes. Force est de reconnaître que les médias se répandent dans une description, parfois désordonnée, des «chantiers» et des premières réalisations, mais sans qu il soit, hélas!, possible de prendre un certain recul théorique. Au demeurant, les success (1) Certains points développés dans l article doivent beaucoup à des échanges avec Dominique Bonet et Isabelle Bacus-Montfort, Maîtres de Conférences en Sciences de Gestion à l Université de la Méditerranée (Aix-Marseille II). Tous mes remerciements également à Frédéric Jallat, Professeur à l ESCP-EAP, pour ses stimulants et amicaux commentaires sur une première version de l article. 92

L internaute face au package de services proposé par les sites marchands du commerce électronique : une dimension logistique sur-estimée? Gilles Paché stories de l année se transforment parfois très rapidement en de retentissants échecs. Les mésaventures du site Web du groupe Casino, en 2002, en constituent une parfaite illustration. En revanche, un certain nombre de travaux académiques essaient de construire des cadres d analyse pertinents dont nous allons procéder à une rapide synthèse, en soulignant le passage d une vision purement technologique (et fragmentée) à une vision stratégique, prémisse d un modèle intégrateur à venir. Des recherches à dominante opérationnelle Pour les observateurs attentifs du fonctionnement de l Internet marchand, celui-ci pose de formidables défis technologiques qu il serait absurde d ignorer ou de minorer. Il oblige notamment à entrer en contact physique avec des clients finaux dilués dans un espace géographique élargi qui ignore les frontières. Cette «capillarité» extrême prend à contre-pied toutes les logiques de massification qui ont structuré les architectures logistiques modernes, en tout cas celles fondées sur la présence de points de vente de plus ou moins grande taille (Colin et Paché, 1988). En effet, le rôle d un magasin comme un hypermarché, voire un supermarché, est de proposer un assortiment qui attire vers lui un flux de chalands sur lesquels sont reportées des activités de transport, du domicile vers le magasin puis à nouveau vers le domicile, mais aussi de manutention des marchandises. Le commerce électronique B2C remet évidemment en question ces architectures logistiques traditionnelles, du moins pour l étape ultime de contact (physique) entre la clientèle et l offre marchande. Elle oblige les acteurs à résoudre l épineux problème de l acheminement des marchandises jusqu au domicile ou au lieu de travail de l internaute, dans des conditions satisfaisantes de coût et de qualité de service (la solution du «point-relais» chère aux vépécistes, dans lequel les produits commandés sont systématiquement retirés par les internautes, ne peut être satisfaisante pour des livraisons fréquentes et non plus ponctuelles). Deux angles d attaque sont ici privilégiés dans la littérature : 1 -Un angle d attaque par les infrastructures et les équipements matériels et humains. L idée de départ est qu il faut rechercher une solution d acheminement optimisatrice en fonction d un certain nombre de critères objectifs : largeur et profondeur de l assortiment, fenêtre des heures de livraison proposées aux internautes, quantité minimale de commandes, etc. À l aide d un modèle et d outils de simulation informatiques, plusieurs scénarios peuvent être envisagés (Punakivi et Saranen, 2001 ; Yrjölä, 2001). Ils conduisent à réfléchir sur l organisation la plus efficace possible de la préparation des ordres et, par extension, de l endroit où elle devra se réaliser : plutôt à partir d un centre de distribution, ou plutôt à partir d un ensemble de magasins existants, à moins que cela ne s effectue sur la base d un système hybride mixant les deux solutions précédentes. C est le cas de Peapod aux Etats-Unis qui, en fonction de la taille de ses marchés, dispose de deux logistiques différentes : deux entrepôts d environ 10.000 m 2, à Chicago et à Washington DC, pour les zones à faible densité de population ; cinq mini-dépôts d environ 800 m 2, installés dans les locaux de supermarchés partenaires (Stop & Shop et Giant) en Nouvelle-Angleterre et Long Island (New York), pour les zones à forte densité de population. 2 - Un angle d attaque par les flux. Etre capable de livrer les internautes à domicile (ou sur leur lieu de travail) suppose de passer d une vision en termes d infrastructures, ou de nœuds logistiques, à une vision en termes de transfert. Il faut en effet pouvoir assurer la synchronisation des approvisionnements entre les diverses entités de la chaîne logistique (fournisseurs, usines d assemblage, entrepôts régionaux et locaux, etc.), sous peine de ruptures récurrentes et, donc, de dégradation du service rendu. L approche technologique privilégie aujourd hui, certainement à tort, le maillon le plus sensible de la chaîne, à savoir la gestion du dernier kilomètre, voire des derniers mètres, pour atteindre le client final. Notons que ce thème n est pas en soi révolutionnaire, puisqu il a été traité de longue date par les vépécistes pour l acheminement de colis de petite taille. Mais le problème est exacerbé dans le cadre du commerce électronique, notamment alimentaire, compte tenu des volumes potentiels en jeu et de la répétition des livraisons : la 93

A D E T E M gestion du dernier kilomètre repose sur une rigoureuse planification des tournées, dépendant elle-même d éventuels investissements consentis par les internautes pour faciliter la réception des produits en leur absence, par exemple avec la construction de boxs (Browne et al., 2001 ; Punakivi et al., 2001). S y ajoute la lancinante question des impacts de la saturation des axes routiers avec la multiplication des véhicules en circulation dans les aires urbaines (Erber et al., 2001). Qu il s agisse de l angle d attaque par les infrastructures ou de l angle d attaque par les flux, la réflexion dominante reste celle d une vision optimisatrice recourant aux outils de la recherche opérationnelle. Les travaux récents de Netessine et Rudi (2000, 2001), démontrant mathématiquement que les distributeurs en ligne ont intérêt à déléguer la propriété et la gestion des stocks, puis les livraisons terminales, à des grossistes spécialisés (technique du «drop-shipping»), en constitue une sorte d archétype. Archétype qui renvoie d ailleurs, assez paradoxalement, aux travaux fondateurs de la logistique d entreprise, juste après la Seconde Guerre mondiale (Colin et Paché, 1988). Cette recherche d un mythique «one best way» minimise l importance des stratégies d acteurs, et passe sous silence l interrogation fondamentale : quels sont ceux qui seront les mieux placés pour gérer la distribution physique du commerce électronique en fonction de compétences accumulées, de capacités d innovation et d opportunités de mise en œuvre de synergies logistiques? Abandonnant l approche technologique, tout en l invoquant directement, quelques travaux essaient de construire un pont avec une approche plus stratégique. Vers une prise en compte des enjeux stratégiques Malgré la relative nouveauté du champ, la distribution physique du commerce électronique B2C fait l objet d un certain nombre de questionnements de nature stratégique, entre autres afin d appréhender les compétences nécessaires pour mener à bien le double objectif de maîtrise des coûts et de maximisation de la qualité de service rendue aux clients finaux. S agit-il de compétences aisément imitables, sans véritable barrière à l entrée? Au contraire, réclament-elles des ressources spécifiques, voire idiosyncrasiques, sur les plans matériel et humain? Il est symptomatique de remarquer que les manuels les plus récents intègrent désormais cette dimension stratégique (Dornier et Fender, 2001). Tour à tour y sont évoqués les acteurs jugés les plus aptes à piloter et/ou exploiter les flux dans la chaîne logistique en s appuyant, le cas échéant, sur des logiques d apprentissage organisationnel. On peut prendre comme exemple Easydis, filiale logistique du groupe Casino, dont la compétence en matière de distribution alimentaire traditionnelle la conduit à se diversifier vers le commerce électronique B2C, en étant notamment depuis 2001 le prestataire de services logistiques du site Web ChateauOnLine.com (vins). D ores et déjà quatre types de canaux de distribution électronique sont opérationnels en Europe, et impliquent dans leur gestion un ou plusieurs opérateurs complémentaires ou concurrents (Hultkrantz et Lumsden, 2001). Le premier canal, déjà évoqué, est celui des détaillants qui utilisent les infrastructures antérieurement mises en place pour approvisionner les magasins afin de livrer les internautes à domicile (ou sur le lieu de travail). Mais trois autres canaux, en partie aux mains des expéditeurs de produits, industriels et/ou grossistes, existent également : - l expéditeur construit un ou plusieurs entrepôts collecteurs, par exemple pour des produits importés, puis confie leur acheminement aux différents services postaux nationaux ; - l expéditeur construit un entrepôt collecteur, puis confie les livraisons terminales à un prestataire de services logistiques, disposant de ses propres infrastructures d éclatement ; - l expéditeur confie l intégralité de sa logistique de distribution à un ou plusieurs «integrators», comme UPS ou FedEx, qui livrent à l échelle de la planète à partir d un point d enlèvement unique. Question de recherche n 1 Quels sont aujourd hui les opérateurs les plus légitimes pour gérer la distribution physique du commerce électronique B2C, et les sources de leur avantage concurrentiel sont-elles durables? 94

L internaute face au package de services proposé par les sites marchands du commerce électronique : une dimension logistique sur-estimée? Gilles Paché Dans un ouvrage récent, Crespo de Carvalho (2001) synthétise les modèles alternatifs envisageables, en croisant une dimension technique (modes d organisation du réseau de logistique physique) et une dimension managériale (acteurs pouvant potentiellement gérer les infrastructures et les flux). Il en conclut à la diversité des configurations potentielles sans qu il soit possible, pour l instant, de repérer celle qui présente la plus forte probabilité de généralisation dans les prochaines années. Leur point commun est, certes, d intégrer l internaute dans les schémas logistiques, mais comme une sorte d agent «passif» dont les décisions de réapprovisionnement, à partir d un simple clic de souris, conditionnent la mise en marche technique des processus. L un des exemples les plus illustratifs est donné par la recherche de Smaros et al. (2000). Les auteurs identifient trois segments de demande : une demande répétitive continue (segment 1) ou occasionnelle (segment 2) et un achat ponctuel (segment 3). À partir de là sont proposés des modes optimaux de réapprovisionnement s appuyant, par exemple, sur un déclenchement automatique de commande en sortie de réfrigérateur grâce à un système de radiofréquence détectant des produits équipés d une puce électronique. Bref, une sorte d ECR à domicile, d ailleurs revendiqué comme tel! Si l approche présente un intérêt évident pour mieux gérer les livraisons sur un plan opérationnel, elle ne prend finalement pas en compte les attentes réelles de l internaute sur un plan plus comportemental. S INTERROGER SUR LES ATTENTES DE L INTERNAUTE EN MATIÈRE DE PERFORMANCE DU SERVICE LOGISTIQUE Etant connectées directement aux clients finaux, les entreprises sur la «toile» sont capables d observer et d analyser en temps réel des comportements d achat. Elles sont par conséquent en position d accroître leur vitesse de réaction (Rao, 1999), par exemple en ajustant quasi-instantanément la gamme de produits au profil réel des commandes, alors qu un industriel et/ou un distributeur conventionnel, avec ou sans magasin, devront supporter un temps de latence et d adaptation. Sur un registre proche, ces mêmes entreprises sur la «toile» pourront réaliser, dans des délais très brefs, des enquêtes de satisfaction en ligne permettant, le cas échéant, de modifier un ou plusieurs éléments de leur offre (Fernandes et White, 2000). En revanche, il est parfois oublié que les ventes en ligne s insèrent dans une logique de service au client qui oblige, comme le rappelle Jallat (2001), à faire référence aux différentes étapes du processus de création et de fabrication d une prestation,d un côté, et au résultat de ce processus (la prestation en elle-même), de l autre. Or, l internaute est-il fortement sensible à la performance logistique entendu comme l une des étapes du processus serviciel et, si oui, contribue-t-elle à sa fidélité à un site marchand? Il faut admettre que, dans le contexte du commerce électronique B2C, la valeur perceptuelle de la performance logistique ou plutôt d une éventuelle non-performance (retards de livraison, erreurs de préparation de commande, etc.) reste pour l instant une inconnue. Un vide relatif au niveau de la littérature Aurifeille et al. (1997) ont souligné le paradoxe fondamental de la performance logistique lorsqu on adopte la perspective du comportement du consommateur. Ce dernier n éprouve pas de satisfaction particulière lorsqu un produit est mis à sa disposition dans de bonnes conditions de coût et de qualité de service. En revanche, une dissatisfaction, voire une frustration, naîtront d une non-performance logistique relative découlant, par exemple, d une rupture d approvisionnement. Dans ce cas, l effet pourra être funeste pour l industriel (changement de marque) comme pour l intermédiaire distributeur (changement d enseigne). En d autres termes, la performance logistique se présente comme un «réducteur de freins», et non comme un inducteur de consommation. L objectif d une entreprise industrielle, commerciale ou de services sera, dès l instant, de se situer à l intérieur d une zone de tolérance entre le service maximum désiré et le service minimum adéquat : «À l intérieur de cette zone, le client n est pas explicitement attentif à la performance ; au-dessous, (il) est frustré et insatisfait ; au-dessus, il est agréablement surpris» (Samii, 2001, p. 133). 95

A D E T E M Assez timidement, un courant de recherche se développe sur ce thème, mettant en lumière les variables déterminantes de la sensibilité du consommateur à la performance du service logistique (Lichtlé et al., 2000). L idée est de faire émerger un cadre d analyse qui distinguerait variables individuelles et variables d environnement (Tableau 1). Toutefois, pour l instant, peu de résultats directement opérationnels sont à la disposition de la communauté scientifique pour en inférer, entre autres, une éventuelle relation entre la sensibilité à la logistique et l implication envers une catégorie de produits ou le degré d urgence dans la satisfaction du besoin. Il n est donc pas possible de dire si la performance logistique se présente (ou non) comme l une des composantes majeures du «système de préférences» du client, pour reprendre l analyse de Kostecki (1994). Tableau 1 Variables individuelles et variables d environnement influençant la sensibilité du consommateur à la performance du service logistique Variables individuelles Variables d environnement Source : d après Lichtlé et al. (2000). Implication, durable ou temporaire, envers la catégorie de produit Degré de fidélité ou d attachement à la marque Expérience du consommateur à l égard d un produit ou d un magasin Réaction face à une non-disponibilité d un produit ou d une marque Caractéristiques du produit recherché et du lieu d achat Degré de différenciation perçue entre les marques en présence Facteurs situationnels liés à certaines caractéristiques de l environnement physique, social, etc. moduler ses attentes en matière de performance logistique. S inspirant des travaux conduits sur les attitudes à l égard de l acte d achat, Filser (2001) émet l idée que les internautes se caractériseront, pour certains, par un profil apathique et, pour d autres, par un profil économique. L acheteur apathique appréciera des réapprovisionnements automatisés en produits de base, là où l acheteur économique comparera systématiquement l offre en ligne pour trouver la meilleure combinaison prix / qualité. Le respect d un niveau minimal de performance logistique n aura évidemment pas la même importance dans les deux cas, sans que l on puisse vraiment en dire plus. Par exemple, si l internaute adopte un modèle compensatoire, une défaillance logistique sera peut-être effacée par une remarquable performance de l offre produits, alors que s il adopte un modèle disjonctif, rien ne pourra rattraper une telle défaillance, jugée par lui rédhibitoire lorsque l attribut déterminant est la performance du service logistique (2). Bref, nous n avons aujourd hui aucune connaissance solide de la sensibilité de l internaute à la logistique. Plus grave encore, on ne sait pas avec certitude si la performance (ou non-performance) logistique influence directement le processus de prise de décision, sûrement parce que l internaute se réfère à un ensemble complexe d attributs (dont la logistique) pour évaluer ex post sa satisfaction lors d un achat en ligne. Ainsi, une étude conduite à un an d intervalle à partir de données recueillies auprès de 2 549 internautes américains constate que 14 % d entre eux ont décidé de ne plus passer par l Internet marchand, en se Ce type de questionnement est très présent dans l Internet marchand, même si les modèles d analyse construits pour la vente en magasin, entre autres en matière de «tactiques de choix» (Kahn et McAlister, 1997), ne s appliquent pas mécaniquement à la vente sans magasin. Filser (2001) indique notamment que les orientations d achat du consommateur pèsent d un poids tout particulier dans le commerce électronique B2C ; ceci va sans doute (2) Comme le rappelle Filser (1994) dans son analyse des modèles multi-attributs, le consommateur qui évalue le produit (ou le service) d une entreprise se réfère à une règle compensatoire lorsqu il juge que certains attributs positifs compensent certains attributs négatifs : sera retenu le produit (ou le service) ayant obtenu le meilleur «score» global d attitude. À l opposé, quand le consommateur se réfère à une règle disjonctive, il considère qu un attribut est plus important que les autres : sera retenu le produit (ou le service) le mieux évalué sur le critère en question. Ces règles ne s opposent pas, elles peuvent au contraire être utilisées simultanément ou successivement, mais dans des circonstances différentes. 96

L internaute face au package de services proposé par les sites marchands du commerce électronique : une dimension logistique sur-estimée? Gilles Paché retournant à nouveau vers les vépécistes traditionnels (Lohse et al., 2000). Les auteurs concluent simplement que les internautes ayant fait défection ont sans doute eu une mauvaise expérience avec un site Web! Or, rien ne permet de dire que des dysfonctionnements logistiques en sont pour partie (ou totalement?) à l origine : et s il s agissait d une défection aux multiples raisons, en relation avec un «package de services» jugé défaillant dans sa globalité? Question de recherche n 2 Quel poids accorde l internaute aux performances logistiques dans le jugement qu il porte sur un site marchand et à quelle règle, de type compensatoire ou disjonctif, se réfère-t-il lors de sa décision d un éventuel ré-achat? Performance logistique et environnement serviciel Écrire que la logistique est une composante d un «package de services» n apparaît pas d une grande originalité en regard de travaux anciens conduits en marketing. Il y est entendu que le consommateur acquiert non pas un produit ou un service, mais un produit-service plus ou moins complexe : tout service repose sur un support matériel qui rend possible le déroulement du processus de servuction (Eiglier et Langeard, 1987 ; Lovelock et Lapert, 1999 ; Samii, 2001), et tout produit est finalement jugé à l aune du service qu il rend. Voilà pour- quoi il semble pertinent de raisonner au final en référence au concept de services autour des produits : «Les services autour des produits sont des services fournis complémentairement à un produit en vue d en optimiser l utilisation et d en augmenter la valeur pour les clients (...). Attendus par les clients, ils sont inducteurs de la demande des produits et sources de différenciation de l offre de l entreprise» (Furrer, 1997, p. 99). L intérêt de l analyse de Furrer (1997) est de clairement décomposer les services autour des produits en deux catégories. La première catégorie regroupe les services à valeur ajoutée, relativement indépendants des produits qu ils entourent et qui constituent une sorte de «plus». La seconde catégorie, quant à elle, regroupe les services fonctionnant comme barrières à l entrée, partie intégrante de l offre de base et qui doivent absolument être offerts sous peine de pertes de clientèle. La démarche est tout à fait applicable, selon nous, aux achats en ligne sur l Internet marchand. Au-delà du simple produit en tant que bien tangible, l internaute va sûrement s intéresser à un environnement serviciel que Kotzab et Madlberger (2001) appréhendent selon trois dimensions (ou fonctions) complémentaires : - une fonction d assortiment ; - une fonction logistique ; - une fonction de conseil, de communication et de financement. 97

A D E T E M Tableau 2 Éléments du «package de services» pouvant être offert par un site marchand Assortiment Logistique Conseil Paiement Interactivité Publicité Nombre de produits proposés sur le site Web Différences entre assortiment en magasin et assortiment sur le site Web Quantité minimale de commande pour déclencher une livraison Montant des frais de livraison facturés Fenêtre (amplitude horaire) et délais de livraison Indication du magasin le plus proche pour trouver le(s) produit(s) Présence de moteurs de recherche interne et externe Alternatives de paiement, traditionnelles ou via Internet Sécurisation des modes de paiement (et des données personnelles) Informations commerciales par courrier électronique Accès à des forums d échange et de discussion Facilité de repérage et d accès du site Web Offres promotionnelles régulières ou ponctuelles Source : d après Kotzab et Madlberger (2001). Le Tableau 2 synthétise un certain nombre d éléments clés du «package de services» envisageable, éléments dont le poids relatif sera d ailleurs différencié en fonction du positionnement stratégique retenu par le site Web. Il rappelle que si les dimensions logistiques constituent bien l un des services autour des produits, reste à savoir s il s agit d un service à valeur ajoutée ou d un service fonctionnant comme barrière à l entrée. Ceci sous-entend qu il est indispensable de repérer les activités critiques dans l amélioration du service rendu aux internautes, d établir une série d indicateurs de suivi (sous l angle marketing et logistique), puis de contrôler, grâce à eux, l exécution des activités. Cette démarche rigoureuse, loin d être exclusive au commerce électronique B2C (Tchokogué et al., 2001), doit permettre de relativiser l importance de services que la presse professionnelle présente souvent comme étant à valeur ajoutée alors qu ils fonctionnent peut-être comme des barrières à l entrée. Une lecture attentive de récents travaux sur le commerce électronique B2C indique que le poids réel de la performance logistique dans le processus de prise de décision de l internaute, en matière de respect des délais notamment, peut ainsi être réévalué à la baisse. Certes, en un premier temps, tandis que le marché se structure petit à petit, une bonne performance logistique se présente comme une source d avantage concurrentiel. Cela risque de devenir de moins en moins vrai avec l alignement rapide des performances logistiques offertes par chacun des sites Web sur un standard coût / service. Ainsi, Li et al. (1999) ont pu montrer que plus les achats en ligne de l internaute sont fréquents, plus ce dernier va rechercher des utilités importantes en termes de communication (disponibilité des informations pour réduire le risque lors de la prise de décision), de distribution (facilités offertes au niveau du transfert de titres de propriété, notamment en matière de sécurité des paiements, d échange des produits défectueux, de logistique, etc.), et d accessibilité (usage aisé d un site marchand). Et c est, au final, la composition globale du «bouquet d utilités» qui génère un différentiel dans la qualité perçue du service. Dans sa recherche conduite en Finlande, Raijas (2002) parvient à une conclusion proche, mais à partir d une analyse des «blocages» du commerce électronique. Étudiant les raisons de la dissatisfaction 98