Disparités régionales des injonctions thérapeutiques aux usagers de stupéfiants



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Transcription:

POLITIQUES Santé publique 2000, volume 12, n o 3, pp. 405-418 Disparités régionales des injonctions thérapeutiques aux usagers de stupéfiants Under court order towards the drug users : regional disparities L. Simmat-Durand (1) Résumé : Les relances successives de l injonction thérapeutique, obligation de soins offerte aux usagers de stupéfiants en alternative aux poursuites pénales par les dispositions de la loi de 1970, ont permis de faire progresser le nombre de mesures prononcées sur le territoire national, mais sans commune mesure avec la progression des interpellations pour usage illicite de stupéfiants. La mise en place de cette alternative sanitaire s est trouvée cantonnée à la région parisienne jusqu au début des années quatre-vingt. Elle s est ensuite diffusée sur le reste du territoire national sans pour autant toucher tous les départements, la région parisienne conservant la moitié des mesures prononcées en 1997. Le rapprochement de données par département avec les statistiques sur les interpellations et les condamnations permet de comparer les parts respectives des orientations judiciaires des personnes interpellées pour consommation de stupéfiants, selon les différentes régions. La mise en œuvre de la loi, c est-à-dire les pratiques dans son application selon les tribunaux, montre ainsi des disparités régionales qui sont difficilement attribuables à la seule présence ou absence d usagers de stupéfiants dans les régions. Summary : The regular follow-up of treatment under court order, forcing the drug users to accept some medical care instead of criminal prosecution as per the clause of 1970 s law, have improved the number of measures taken on the national territory, but with no possible comparison regarding the progression of detentions by police for illegal use of drugs. The implementation of this medical alternative was confined to the Paris area until the beginning of the 80 s. It spread afterwards over the rest of the country although it did not affect all the departements, as the Paris area retained half of the taken measures in 1997. The collection of the datas per departement and statistics on detentions by police and sentences, allows the comparison of the respective parts of the legal trends of detained people for drug consumption, according to the different regions. The implementation of the law, that is to say the way the law is applied according to the courts, shows regional disparities which can hardly be attributable to the sole presence, or lack of, drug consumers in the regions. Mots-clés :usage de stupéfiants - injonction thérapeutique - loi de 1970 - obligation de soins - drogues illicites. Key words : use of drugs - court order - 1970 s law - forcing medical care - illegal drugs. (1) Maître de Conférences à l université René Descartes, Paris V. Tirés à part : L. Simmat-Durand Réception : 25/11/1999 - Acceptation : 12/09/2000

406 L. SIMMAT-DURAND Principal dispositif sanitaire de la loi de 1970 sur la répression de l usage de stupéfiants, l injonction thérapeutique a fait l objet de plusieurs relances de la part du ministère de la Santé, au tournant des années 1990 [13]. Cette remise en place d un dispositif qui ne s est jamais développé et avait été quasiment abandonné au début des années 1980, traduit le changement de référentiel opéré en matière d usage illicite de stupéfiants et l apparition du concept de réduction des risques, qui implique un fort investissement sur les actions de prévention. Comparativement à la montée en flèche du nombre des interpellations pour usage de stupéfiants, de moins de 2 000 en 1971 à près de 58 000 en 1996, l injonction thérapeutique est une mesure peu utilisée : moins d un millier de mesures jusqu en 1979, 2 075 en 1981 et après les relances successives, 8 052 en 1997. Cette faible progression traduit tout autant l ambiguïté de la mesure, l enjeu des débats sur la dépénalisation, en particulier du cannabis dès le rapport Pelletier de 1978 [10], que l attitude et les représentations des magistrats, voire le manque de structures sanitaires adéquates [14]. La progression observée ces dernières années de 6 149 injonctions thérapeutiques en 1993 à 8 812 en 1996 et 8 052 en 1997, montre la capacité des juridictions à répondre à des demandes répétées de l administration centrale en termes d utilisation d une mesure, qui n est que l une des possibilités de prise en charge des usagers de stupéfiants. Elle ne rend pas compte du faible impact local de cette incitation et son peu d extension à l ensemble du territoire, ce qui était le dernier objectif visé, par la circulaire du 28 avril 1995 (2). Ces variations régionales vont être abordées sous différents aspects : en nombre absolu et relatif tout d abord selon les départements, en relation avec le contentieux des infractions à la législation sur les stupéfiants dont sont saisies les juridictions concernées, par une différenciation selon les produits utilisés, enfin selon les ressources sanitaires disponibles. Ces différents aspects nécessitent le recours à des sources administratives variées que nous présenterons au fur et à mesure de leur introduction dans le corps du texte. Les variations régionales Le ministère de la Justice publie depuis 1992 le nombre d injonctions thérapeutiques prononcées par chaque tribunal de grande instance pour l ensemble du territoire français (3). Le nombre de tribunaux étant supérieur à celui des départements, il convient soit de travailler directement sur les juridictions, soit de procéder à des regroupements ; selon les nécessités de l analyse, nous effectuerons l une ou l autre de ces opérations. La signification de ces classements est légèrement différente : chaque juridiction comprend un parquet, chargé de l orientation des affaires pénales et qui décide des mesures applicables aux usagers de stupéfiants dénoncés par (2) Circulaire DGLDT/CRM/DGS n o 20c du 28 avril 1995 relative à l harmonisation des pratiques relatives à l injonction thérapeutique. (3) En fait la collecte des données démarée dès avant le vote de la loi en 1969, a été interrompue après 1983, la publication dès l année 1981, pour être reprise en 1992. Nous nous intéressons ici à cette deuxième période ; une exploitation des statistiques disponibles depuis 1969 figure dans Simmat- Durand et Rouault (1997).

INJONCTIONS THÉRAPEUTIQUES À L ENCONTRE DES USAGERS DE STUPÉFIANTS : DISPARITÉS RÉGIONALES 407 les services de police et de gendarmerie. Chaque parquet étant autonome, le regroupement par département fait perdre l information sur la politique des parquets, parfois différente au sein d un même département (4). Néanmoins, les données concernant les interpellations (produites par les services de police et de gendarmerie) sont publiées par département, ce qui rend cette seconde catégorie plus pertinente pour effectuer des comparaisons. Les disparités régionales masquées par les statistiques globales demeurent. En France métropolitaine, sur 175 tribunaux de grande instance, 17, soit 10 % n ont prononcé aucune mesure en 1996 et 13 % en ont prononcé plus de 100 (10 % en 1993). La concentration des mesures ne se réduit que très faiblement : en 1994, l ensemble des tribunaux ayant prononcé plus de 100 mesures, chacun totalise 73 % des mesures, contre 67 % en 1995 et 70 % en 1996. La carte des injonctions thérapeutiques (figure 1) est ainsi très proche de celle publiée par l OCRTIS (5) concernant les interpellations. Cinq pôles principaux apparaissent, par ordre décroissant, la région parisienne, qui tend à s étendre à la grande banlieue, la région Nord, le sud de la France (Marseille, Grasse), et enfin un pôle proche de la frontière 500 et + (4) 100 500 (17) 50 100 (9) 10 50 (28) 0 10 (38) Figure 1 : Répartition des injonctions thérapeutiques en 1996 selon les départements. Source : établi par nous à partir de données du Ministère de la Justice (L activité pénale des juridictions). (4) La politique peut d ailleurs être également différente entre magistrats d un même parquet. Par souci de simplification et parce que seules des recherches empiriques permettraient de l aborder, nous occulterons ce point ici. (5) Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants. Ministère de l intérieur.

408 L. SIMMAT-DURAND Est. Par contre, peu de juridictions de l Ouest ou de la façade atlantique réalisent un nombre conséquent d injonctions thérapeutiques : Tours est apparu dans le peloton de tête en 1996. Néanmoins, de 1995 à 1997, on assiste à une baisse assez générale du nombre d injonctions prononcées dans les tribunaux de grande instance. L hypothèse d une influence de la circulaire du 28 avril 1995 est plausible. En effet, cette circulaire demandant à la fois de relancer la mesure et d en exclure les usagers de cannabis, n aura pas eu l effet escompté, mais au contraire réduit le nombre de mesures, la plupart des juridictions l utilisant pour de tels usagers (cf. infra). Quasiment toute la croissance enregistrée au niveau national de 1995 à 1996 est due à la seule activité du tribunal de Bobigny qui en augmentant son activité déjà la plus forte de France de cinq cents mesures, contrebalance la plupart des mouvements de recul des autres juridictions. De 1996 à 1997, le retrait de Bobigny de cinq cents mesures et celui de Metz de plus de cent mesures explique la nouvelle baisse au niveau national. Ainsi en 1996, 16 départements n ont vu prononcer aucune injonction thérapeutique et plus des deux tiers en connaissent moins de cinquante dans l année. La concentration sur la région parisienne, les régions frontalières du Nord et de l Est et le bassin méditerranéen affirmée sur toute la période ne régresse pas malgré les tentatives pour étendre la mesure, en particulier dans le cadre des contrats d objectifs départementaux de la politique de la ville. En 1981, la région parisienne est pratiquement la seule à appliquer la mesure : 92 % des injonctions pour les cours de Paris et Versailles réunies (6). Deux explications sont plausibles : tout à la fois la concentration du phénomène «toxicomanie» sur la région parisienne et la centralisation des structures de soins. Ce monopole parisien n a pas disparu mais s est considérablement atténué puisque 48 % des injonctions proviennent de ces deux cours en 1993 et 41 % en 1996. De nouveaux pôles sont apparus, en particulier dans le Nord et l Est de la France, ce qui cadre bien avec la répartition géographique des interpellations. Seules, six cours d Appel ont moins d une vingtaine d injonctions pour l année 1994 et cinq pour 1995 et 1996. L apparition plus ou moins récente de la toxicomanie dans les régions est loin d être la seule explication à ces variations. Certaines juridictions n ont utilisé l injonction thérapeutique qu après sa relance par le ministère de la Justice en 1987, relance qui a été accompagnée des crédits nécessaires. La presse nationale s était alors intéressée à la création des services d injonctions thérapeutiques, en particulier celui de Paris et la mesure était présentée comme tout à fait novatrice [13]. Les différentes relances en faveur de cette mesure et les moyens croissants qui y ont été consacrés dans le cadre du plan de lutte contre la toxicomanie ont donc permis d accentuer le recours. Pour d autres juridictions, ce sont les mesures prises en 1993 au niveau local et le nouveau fonctionnement sous forme de partenariat qui ont permis la mise en place de la mesure. (6) La cour d Appel de Paris comporte les TGI de Paris, Créteil, Bobigny, Auxerre, Sens, Fontainebleau, Evry, Melun et Meaux ; la cour d Appel de Versailles ceux de Nanterre, Chartres et Versailles.

INJONCTIONS THÉRAPEUTIQUES À L ENCONTRE DES USAGERS DE STUPÉFIANTS : DISPARITÉS RÉGIONALES 409 Variations régionales de l injonction thérapeutique et activité en matière de stupéfiants Un des arguments principaux en défaveur du recours à l injonction thérapeutique sur certaines parties du territoire est l absence de contentieux liés aux infractions à la législation sur les stupéfiants dans certaines régions : les parquets ne recourent pas à l injonction thérapeutique car l activité de leur juridiction ne s y prête pas. Deux sources de données sont susceptibles de nous permettre d étudier cet aspect : les interpellations comptabilisées par les services de police et de gendarmerie et les condamnations prononcées par les tribunaux correctionnels. Les interpellations L intérêt de comparer le nombre d interpellations et le volume des injonctions est évident : le parquet est tributaire de l approvisionnement policier, qui lui fournit des «clients» susceptibles de recevoir une telle orientation judiciaire. L orientation vers l injonction thérapeutique constitue une sélection parmi les interpellations d usagers de stupéfiants : en 1996, les différents services de police et de gendarmerie ont interpellé 56 144 consommateurs (usage sans revente) de stupéfiants dont 8 812 seulement ont bénéficié d une injonction thérapeutique, soit moins de 16 %. Les autres ont soit bénéficié d un classement sans suite, avec ou sans mise en garde, soit fait l objet de poursuites pénales devant le tribunal correctionnel (7). Les critères de sélection sont variés et surtout variables selon les parquets : produit stupéfiant, âge de la personne interpellée, récidive, statut social, etc. [14] et rendent compte de politiques locales plus que d une application d une politique nationale [12]. Si l on entre dans le détail de cette répartition pour l ensemble des départements français, 16 n ont aucune injonction thérapeutique pour l année 1996, 26 départements en voient prononcer pour moins de 5 % des interpellations, 38 départements entre 5 et 16 %, 12 départements entre 16 et 32 % et enfin 8 pour plus de 32 %, soit deux fois la moyenne. En résumé, dans quatre départements sur dix, moins de 5 % des interpellations débouchent sur une injonction thérapeutique, tandis qu à l opposé un petit nombre y soumet plus du tiers de ses interpellations. Si l on compare pour chaque département le nombre d injonctions thérapeutiques et le rapport entre injonctions et interpellations, on aperçoit une grande hétérogénéité, un même nombre d alternatives sanitaires pouvant correspondre à des rapports variant de 1 à 3. Ainsi, les 57 injonctions thérapeutiques de la Meuse représentent 20,4 % des interpellations de ce département, alors que les 56 de la Seine-Maritime n en constituent que 7 %. Sur une plus longue période, la progression du nombre des injonctions thérapeutiques s accompagne d un déploiement sur l ensemble du territoire de 1981 à 1994. Si l on compare les données de 1981 à celles de 1993 et 1994, après un regroupement selon les cours d Appel, on peut observer cette progression. Par contre, le mouvement d expansion (7) En 1996 (dernière année publiée), 6 676 personnes ont été condamnées pour usage de stupéfiants en infraction principale.

410 L. SIMMAT-DURAND semble avoir trouvé ses limites pour 1995 et 1996. L étude différentielle par département est délicate, car le parquet compétent est celui du domicile de la personne alors que les interpellations sont généralement publiées en fonction du lieu des faits. Pour la région parisienne, où les mouvements quotidiens entre départements sont très forts, le biais est évident. Ainsi, pour l année 1992 par exemple, 58,7 % seulement des personnes vues dans le cadre de l injonction thérapeutique à Paris étaient domiciliées dans la capitale [4]. De même, nous avons constaté que 19 % des injonctions thérapeutiques suivies par le parquet de Nanterre correspondent à des faits ayant eu lieu en dehors du département [14]. L OCRTIS (8) publie des données sur les interpellations domiciliées qui répondent en partie à cette attente mais qui ne distinguent pas les usagers simples des usagers revendeurs et ne concernent que les héroïnomanes. Or, aux termes de la loi de 1970, seul l usager simple peut bénéficier d une injonction thérapeutique et les produits ne sont pas distingués. Ces données seront utilisées plus loin pour observer les variations selon le produit. Si l on rapporte pour chaque département le nombre d usagers d héroïne interpellés et ceux domiciliés, on obtient une estimation des mouvements liés en particulier à l approvisionnement en stupéfiants. Ainsi, dans certains départements, 12 % seulement des usagers d héroïne interpellés ont un domicile sur place (Jura, Landes) ; Ce phénomène correspond souvent à ce que l on appelle un tourisme de la drogue, à l occasion des vacances. Pour la ville de Paris, 46 % seulement des usagers interpellés sont domiciliés dans la capitale, mais 86 % en Seine St Denis. À l opposé, certains départements sont excédentaires, le nombre d interpellations réalisées étant supérieur au nombre d usagers domiciliés, par exemple dans les Yvelines ou le Val d Oise. Ces départements sont situés en région parisienne, ce qui compense sans doute le déficit de la capitale. Par exemple, seules 311 interpellations d usagers d héroïne sont réalisées dans le département du Val d Oise, alors que 504 interpellations comportent un domicile dans ce département, soit un rapport de 162 % (figure 2). On mesure ici le biais lié à l utilisation trop rapide de ces statistiques ; la compétence des parquets en matière de stupéfiants étant celle du domicile, le rapport des injonctions thérapeutiques aux interpellations d un département pour travailler au niveau local ne peut que constituer une approximation, aucun département ne fonctionnant en vase clos (100 % des interpellations domiciliées). Les condamnations Les données concernant les orientations par le parquet entre injonction thérapeutique, classements sans suite et poursuites n ont plus été collectées après 1981. Une étude des politiques pénales locales à partir des statistiques des parquets, n est donc plus possible. Elle aurait permis une comparaison avec l enquête de 1981 [7]. Une enquête par questionnaire a été réalisée dans les juridictions en 1996 [11] qui permet de suivre l évolution à quinze ans d intervalle [14]. (8) Office Central pour la Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants, Ministère de l Intérieur.

INJONCTIONS THÉRAPEUTIQUES À L ENCONTRE DES USAGERS DE STUPÉFIANTS : DISPARITÉS RÉGIONALES 411 France - Rapport usagers d'héroïne domiciliés sur usagers interpellés 100 à 1 100 (25) 90 à 100 (9) 70 à 90 (21) 50 à 70 (13) 0 à 50 (28) Figure 2 : Rapport des interpellations d usagers d héroïne domiciliées au total des interpellations d usage d héroïne du département, 1996. Source : établi par nous à partir des données de l OCRTIS. Les seules données judiciaires actuellement disponibles qui peuvent être directement rapprochées des injonctions thérapeutiques, sont celles concernant les condamnations, mais les données par juridiction ne distinguent pas les différentes infractions à la législation sur les stupéfiants (ILS). On ne dispose donc pas d une estimation des condamnations pour usage simple mais de l ensemble du contentieux. Le rapprochement est cependant intéressant : une juridiction ne devrait pas tout à la fois prononcer de nombreuses condamnations en matière d ILS et n avoir aucun usager susceptible de recevoir une injonction thérapeutique. Or, sur l ensemble des 175 juridictions pour l année 1996, la dispersion reste forte comme le montre la figure n 3: à nombre de condamnations égal, le nombre d injonctions thérapeutiques peut varier de 1 à 1 000 (lecture horizontale). Par contre, à nombre d injonctions égal, la dispersion en matière de condamnations est relativement moins forte de 1 à 180 (lecture verticale). Les très grosses juridictions prononcent à la fois le plus grand nombre d injonctions thérapeutiques et de condamnations, même si la répartition entre les deux orientations peut être divergente : ainsi Bobigny prononce deux fois plus d injonctions thérapeutiques (1 406) que de

412 L. SIMMAT-DURAND condamnations (721), du fait sans doute de l utilisation de l alternative sanitaire majoritairement pour des usagers de cannabis, qui de toute façon ne seraient pas condamnés. Dans ce sens, l injonction thérapeutique montre un renforcement de la répression vis-à-vis des usagers puisqu elle s impute sur les classements sans suite et non sur les poursuites. Cette dernière remarque nous amène à introduire la question des produits stupéfiants qui est un point fondamental dans la diversité des politiques pénales des parquets. Variations selon le produit Les données concernant l injonction thérapeutique publiées au niveau judiciaire ne comportent aucune indication sur le produit principal utilisé par l usager de stupéfiants. Or, cette donnée est essentielle, ne serait-ce que parce que les multiples circulaires y font explicitement référence. Ainsi, si de 1970 à 1978 tous les produits étaient visés, la circulaire de 1978 avait introduit une distinction entre les drogues, en demandant que les usagers de haschich soient écartés de l injonction et des poursuites. Le retour à la répression au milieu des années 1980 était revenu sur cette distinction, tous les usagers redevenant susceptibles d alternative sanitaire ou de poursuites. Le critère alors introduit concernait les modes de consommation : usager occasionnel ou habituel. Dans les faits, ce critère recouvrait de nouveau partiellement la distinction drogue douce/drogue dure mais aussi une notion de réitération puisque pour le policier, l usager habituel était celui qui avait déjà été interpellé. 10 000 Nombre de condamnation pour ILS 1 000 100 10 1 1 10 100 1 000 10 000 Nombre th rapeutiques d injonctions Figure 3 : Répartition des tribunaux correctionnels selon le nombre d injonctions thérapeutiques et de condamnations pour ILS (1996). Source : établi à partir des données publiées par le ministère de la Justice.

INJONCTIONS THÉRAPEUTIQUES À L ENCONTRE DES USAGERS DE STUPÉFIANTS : DISPARITÉS RÉGIONALES 413 Enfin, la circulaire d avril 1995 donne des indications beaucoup plus précises : «Il conviendrait à cet égard que ne fassent l objet d injonctions thérapeutiques que les usagers de stupéfiants tels que l héroïne ou la cocaïne, ou ceux qui s adonnant au cannabis en font une consommation massive, répétée ou associée à d autres produits (médicaments, alcool,...)». Une assertion couramment rencontrée dans les publications est que l usager de cannabis ne fait pas l objet d une injonction thérapeutique ni de soins. Les statistiques sanitaires accréditent une telle vision, l usager de cannabis n est que faiblement présent dans les structures sanitaires, même s il compose l essentiel des interpellations policières. Ainsi, sur toute la période 1971-1996, la part des interpellations pour usage de cannabis s est élevée, passant de 40 % en 1971 à 76 % en 1974 pour diminuer jusqu en 1981. Après 1985, elle n est jamais repassée en dessous des 60 %. En 1996, 73,7 % des interpellations d usage concernent le cannabis en produit principal, contre 21,1 % pour l héroïne. Les interpellations pour usage d héroïne Mais là aussi les chiffres globaux masquent de très fortes différences départementales. Si l on fait la part des usagers d héroïne parmi l ensemble des interpellations d usagers par département, on passe de 1 % à plus de 39 % (figure 4). Ainsi, pour une moyenne nationale de 21,5 % d usagers d héroïne, 10 % des départements en présentent moins de 1 %, 35 % de 1 à 11 %, 31 % de 11 à 21,5 %, 16 % entre 22 et 30 % et enfin 8 % plus de 30 %. Autrement dit, la très grande majorité des départements comporte moins d interpellations pour héroïne qu en moyenne. Les départements montrant une très forte proportion sont Paris et les Hauts de Seine, mais pas le reste de la banlieue, l Aisne, la Gironde, la Marne, le Rhin, le Nord et la Moselle. La plupart d entre eux prononce un nombre important d injonctions thérapeutiques. Cette proportion d usagers d héroïne peut néanmoins résulter de politiques pénales ou de stratégies policières mises en œuvre localement. À Paris, par exemple, les usagers de cannabis font pour une large part, l objet de simples inscriptions en mains courantes, sans enregistrement statistique, ce qui a pour effet mécanique d augmenter la proportion d usagers d autres produits. De même, du fait de l activité des Douanes, variable selon les régions, la part des usagers d héroïne peut augmenter de manière mécanique si les usagers de cannabis font plus souvent l objet d une transaction douanière, par exemple dans les régions frontalières du Nord. Les autres données sur les produits Les données administratives publiées ne répartissent pas les injonctions thérapeutiques par produit. Seules, quelques données en provenance des DDASS le font, mais ne sont pas publiées en détail et ne concernent que les injonctions thérapeutiques effectivement mises en œuvre. Le rapport de la DGLDT pour 1995 indique ainsi : «Dans 52 départements (sur les 81 départements utilisant cette mesure), plus du tiers des toxicomanes bénéficiant d une injonction thérapeutique consomment de l héroïne [...] 29 départements privilégient la mesure d injonction thérapeutique aux usagers de cannabis [...]. Tant les procureurs que les DDASS

414 L. SIMMAT-DURAND 25,1 à 50 (19) 18,2 à 25,1 (18) 11 à 18,2 (19) 5,7 à 11 (19) 0 à 5,7 21 Figure 4 : Pourcentage d usagers d héroïne dans les interpellations d usagers. Source : établi par nous à partir des données de l OCRTIS. estiment que cette mesure est l occasion d aborder et de traiter certains problèmes familiaux et sociaux». Quelques données d enquêtes permettent de travailler réellement sur cette question. Les publications portent rarement sur la même année, le risque est grand de travailler sur des données trop partielles, d autant plus que les publications sur le sujet sont rares. Ainsi, outre quelques rapports ou enquêtes portant généralement sur une partie seulement des départements, on peut trouver des données très fines pour un seul département, au fil de l accès à de telles publications (voir tableau I). La part de chaque produit dans les injonctions thérapeutiques prononcées est variable selon les juridictions et montre une évolution vers une diversification des produits. Ainsi pour les Hauts-de-Seine, la part de l héroïne est passée de 93 % en 1988-1989 [6] à 79 % en 1995 [15]. Il ne faut pas négliger pour les années récentes l influence du développement des traitements de substitution dans le retrait de l héroïne, ce qu indiquent les enquêtes sur le recours sanitaire. La part de la cocaïne est notable pour la banlieue parisienne dans les années très récentes : 11 % dans le département des Hauts-de-Seine. Cela est confirmé dans les chiffres publiés pour la ville de Paris selon le lieu de résidence : 7 % en moyenne des injonctions de 1992 concernent la cocaïne mais 9,7 % pour ceux qui résident en dehors de l agglomération parisienne. Pour la Gironde, le rapport signale que la place de l ecstasy a

INJONCTIONS THÉRAPEUTIQUES À L ENCONTRE DES USAGERS DE STUPÉFIANTS : DISPARITÉS RÉGIONALES 415 Tableau I : Répartition des injonctions thérapeutiques selon le produit et le département (en % par département) Département (année) Produit principal Héroïne Cocaïne Cannabis Autres Hauts-de-Seine (1995) 79 11 6 4 Paris (1992) 89 4 7 Nord (1991) 58 42 Gironde (1996) 81 19 Seine St Denis (1996) 62 4 34 Sources multiples, voir bibliographie. fortement augmenté (15 % des personnes soumises à une injonction), suite à des opérations policières menées dans les «rave parties» [3]. Selon l enquête effectuée en 1996 auprès des parquets [11], une majorité d entre-eux mettent en œuvre l injonction thérapeutique pour les usagers de cannabis, alors même que certains relativisent l existence d un état de dépendance pour ceux-ci. Cette différenciation des prises en charge selon le produit traduit en fait des conceptions et des politiques pénales différenciées. Les parquets plutôt en faveur des poursuites pénales des usagers de stupéfiants tendent à prononcer les injonctions thérapeutiques pour le cannabis, tandis que ceux qui veulent éviter les poursuites, classent sans suite pour le cannabis et prononcent l injonction pour les autres drogues. Malgré les circulaires et les formations destinées aux magistrats, ceux-ci sont toujours divisés sur la place de la justice pénale dans la prise en charge des usagers. M. Setbon [12] note que les magistrats des parquets les plus farouchement opposés à l injonction thérapeutique nient la réalité même de l usage de l héroïne en estimant que tout consommateur est également vendeur, donc que l usage simple n existe pas, ce qui exclut l orientation pénale vers une injonction thérapeutique. On voit dans cette conception peu de changements par rapport à l enquête de 1981, sauf en ce qui concerne les ressources sanitaires. A cette époque en effet, le premier motif invoqué de non mise en œuvre de la loi par les magistrats était l absence d interlocuteurs dans le champ sanitaire [14]. En 1996 par contre, certains parquets passent outre la défaillance de la DDASS en recourant à un classement sous condition et en adressant directement les usagers de stupéfiants aux associations ou centres spécialisés [11], sous des concepts divers comme celui de «l incitation aux soins». Les ressources départementales consacrées à la toxicomanie Les ressources des départements en structures susceptibles de prendre en charge les usagers de stupéfiants seraient un élément fondamental du recours ou du non-recours à l injonction thérapeutique, bien que celle-ci soit une mesure pénale, décidée par un magistrat du parquet. Pour examiner ce point, nous pouvons rapprocher le relevé des dépenses des centres spécialisés de soins aux toxicomanes par département, financés par l État (chapitre 47-15,

416 L. SIMMAT-DURAND article 40 du budget de l État), l enveloppe spécifique destinée aux injonctions thérapeutiques (9) et le nombre de mesures prononcées par les parquets. Il est à noter que le nombre de mesures effectivement suivies et comptabilisées par les DDASS est inférieur, en raison de l ineffectivité de la mesure dans bien des cas (10). Nous souhaitons étudier le lien existant entre le nombre d injonctions prononcées et les ressources globales du département que traduit l enveloppe du budget de l État, dont le montant total est de 538 millions de francs pour l année 1995. Selon les départements, ce budget varie de zéro à plus de 20 millions de francs annuels, pour un montant moyen de 5,4 millions. Les budgets ont été regroupés en classes afin de faciliter la lecture. De même, nous avons distingué des groupes d injonctions thérapeutiques définissant des recours faibles à forts (tableau II). Les départements ne disposant d aucune structure de prise en charge de la toxicomanie génèrent peu d injonctions thérapeutiques. Les enquêtes auprès des magistrats des parquets montrent bien, qu en l absence d interlocuteur, ils tendent à privilégier d autres solutions (classements simples ou au contraire poursuites). L analyse précédente, portant sur l année 1990, permettait à M me Facy de conclure : «Ainsi les tendances générales d équipements en structures spécialisées vont dans le sens global des activités en toxicomanie, y compris l application de l injonction» [6]. Ce constat peut cependant être relativisé : 21 départements ayant des budgets supérieurs à un million de francs prononcent moins de 20 injonctions thérapeutiques par an. Mais le rapport de la Cour des Comptes [1] relève bien que la dotation des régions dépend plus de sa précocité en matière d équipements que des besoins actuels : les départements les plus richement dotés sont ceux équipés depuis de nombreuses années. Si l on rapproche maintenant le budget spécifique des injonctions thérapeutiques du nombre de celles-ci, les écarts sont également forts. Le Tableau II : Répartition des départements selon les dépenses et le nombre d injonctions thérapeutiques Enveloppe 1995 Nombre d injonctions 0 1 à 19 20 à 100 > 100 aucun 13 7 1 0 21 < 1 M 2 7 5 1 15 1 à 5 M 1 14 14 3 32 5 à 10 M 3 3 4 7 17 Total > 10 M 0 0 4 11 15 Total 19 31 28 22 100 Source : Bulletin Officiel et ministère de la Justice. (9) Nous ne disposons que de l année 1995. (10) Voir à ce propos Setbon (1998) et Simmat-Durand et al. (1998). Le rapport de la DGLDT (1997) indique que pour l année 1995, 7 220 personnes ont été orientées par les DDASS dont 6 072 ont effectivement eu un contact avec le système de soins.

INJONCTIONS THÉRAPEUTIQUES À L ENCONTRE DES USAGERS DE STUPÉFIANTS : DISPARITÉS RÉGIONALES 417 coût d une injonction (budget spécifique divisé par le nombre de mesures), s élevant en moyenne à 1 251 francs varie de 300 à 8 750 selon les départements. Les données des DDASS montrent des écarts encore plus importants, le nombre d injonctions réellement prises en charge étant inférieur à celui utilisé ici [5]. Le coût tend néanmoins à diminuer quand le nombre des injonctions augmente. Du fait de l anticipation des demandes sur l activité, onze départements ont reçu un budget spécifique de 5 à 35 000 francs au titre de l année 1995 alors qu aucune injonction n avait été prononcée. A l inverse cinq n ont eu aucun budget en ayant prononcé entre 1 et 27 injonctions. Le rapport du budget spécifique de l injonction thérapeutique aux dépenses totales du département en structures spécialisées est également intéressant à étudier : il est en moyenne de 1 % mais varie localement jusqu à 40 %. Ce pourcentage élevé est le fait de départements dans lesquels est prononcé un nombre conséquent d injonctions thérapeutiques en l absence même d une dotation importante : la Réunion, le Pasde-Calais et le Var en particulier. Mais on ne peut mesurer l influence du biais lié à l utilisation de l injonction pour des usagers de cannabis qui ne nécessitent pas une prise en charge lourde. La plus ou moins forte dotation des départements a également une influence sur le contenu même de l injonction thérapeutique comme l a montré F. Facy [5] : les départements les plus riches font procéder à la fois à l examen médical et à l enquête sociale prévus par la loi, les plus pauvres n ont pas les moyens de faire procéder à l examen médical. Cette hiérarchie doit néanmoins être relativisée ; ainsi les Hauts-de-Seine dont les dépenses sont fortes (1,4 million) compte tenu du nombre élevé de centres spécialisés de soins aux toxicomanes, et qui réalisent un nombre important d injonctions (autour de 300), ne font pas procéder à un examen médical mais seulement à une enquête de personnalité. Conclusion La première évaluation faite de l application de la loi de 1970 par le rapport de la mission d étude sur l ensemble des problèmes de la drogue [10] montrait déjà les disparités de traitement entre les usagers de stupéfiants, selon leur statut, le produit utilisé, les magistrats concernés ou les ressources sanitaires. Une seconde période s ouvre ensuite, où les alternatives sanitaires prévues par la loi disparaissent de la scène publique, pour laisser place à une répression beaucoup plus dense, les usagers se livrant à la revente étant alors assimilés à des trafiquants et objets de poursuites pénales. La faible progression du nombre de mesures ordonnées et l abandon par le ministère de la Justice de tout recueil de données concernant ces alternatives sanitaires en sont d autres signes. Le choc de l épidémie du sida, qui rend la première place à une intervention située dans un contexte de santé publique et fait «redécouvrir» la population des usagers, en particulier par voie intraveineuse, comme un groupe à risques susceptible de répandre le virus, impose le recours à des mesures d urgence. Les alternatives sanitaires sont réactivées, sans aucune évaluation de leur efficacité, avec comme nouvel objectif la mise en contact des usagers avec les services sanitaires. Ce n est plus une obligation de soins mais un contrôle social d une population marginalisée dont on découvre

418 L. SIMMAT-DURAND l état de santé déplorable et qui marque l échec de l État providence : deux tiers des toxicomanes ne disposent pas d une couverture sociale [16]. Les difficultés propres à l application de l injonction thérapeutique persistent néanmoins, les circulaires demandant son extension à l ensemble du territoire français n ayant guère eu l impact souhaité. Le rapport Henrion [8] conclut de nouveau : «La commission, dans sa majorité, a estimé qu il n était pas souhaitable qu une loi pénale fasse l objet d une application aussi différenciée». Toutes les données publiées monopolisées ici montrent pourtant l évidence de ces disparités qui ne peuvent être attribuées simplement à l absence de toxicomanie dans certaines régions ou aux inégalités dans les ressources disponibles, mais bien à des politiques variées permises par un cadre légal trop généraliste et inadapté à l évolution du phénomène de la «drogue» depuis une trentaine d années. BIBLIOGRAPHIE 1. Cour des Comptes. Le dispositif de lutte contre la toxicomanie. Rapport public particulier. Les éditions du Journal Officiel, juillet 1998, 248 p. 2. Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) du Nord. Les injonctions thérapeutiques prononcées dans le département du Nord en 1991, Lille, 1992, 18 p. 3. Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) de Gironde. Injonctions thérapeutiques, incitations aux soins, bilan d activité, 1996, 10 p. 4. Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) de Paris. Comité départemental de lutte contre la toxicomanie, séance du 6 décembre 1993, 28 p. 5. Direction Générale à la Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie (DGLDT). Bilan de l activité interministérielle en 1995, Paris, 1997. 6. Facy F. Description de l activité des services chargés notamment du suivi des mesures d injonction thérapeutique, 1992, 41 p. 7. Gortais J., Pérez-Diaz C. Stupéfiants et justice pénale, SEPC, Paris, 1983 (Études et Données Pénales n 43). 8. Henrion R. Rapport de la commission de réflexion sur la drogue et la toxicomanie, Paris, La Documentation Française, 1995. 9. Padieu R. L information statistique sur les drogues et les toxicomanies, Rapport INSEE, décembre 1990, 2 volumes. 10. Pelletier M. Rapport de la mission d étude sur l ensemble des problèmes de la drogue, Paris, La Documentation Française, 1978. 11. Sagant V. Bilan de l application de la circulaire du 28 avril 1995 concernant l harmonisation des pratiques relatives à l injonction thérapeutique, Ministère de la Justice, janvier 1997, 95 p. 12. Setbon M. L injonction thérapeutique, Évaluation du dispositif légal de prise en charge sanitaire des usagers de drogues interpellés, CNRS, GAPP, mars 1998, 144 p. 13. Simmat-Durand L., Rouault T. Les obligations de soins aux toxicomanes, in Psychotropes, Paris, Masson, décembre 1997, vol 3 n 4, pp. 127-144. 14. Simmat-Durand L., Cesoni M.L., Goyaux N., Kletzlen A., Martineau H. L usager de stupéfiants entre répression et soins, la mise en œuvre de la loi de 1970, Guyancourt, Cesdip, 1998 (Études et Données Pénales n 77), 504 p. 15. Simon F., Melgrani L. Rapport d activité 1995, Service des Injonctions thérapeutiques, DDASS des Hauts-de-Seine, 22 p. 16. Trouvé C. Malivoire de Camas, La protection sociale des toxicomanes, Rapport IGAS, ministère de la Santé et de la Protection Sociale, 1989.