Abderman SOLTANI Pratique de l asset management, 2012 ISBN : 978-2-212-55349-9
Chapitre 3 Gérer la relation client La connaissance client est pour le chargé d affaires le moyen le plus naturel d atteindre son objectif commercial. Pour le responsable de la conformité et du contrôle interne (RCCI) qui la connaît sous l acronyme KYC (Know Your Customer, c est-à-dire «connaissez votre client»), elle revêt un enjeu réglementaire vital pour la préservation des intérêts de la société de gestion. Les règles qui régissent l entrée en relation client ne se limitent pas au contexte légal. Elles concernent tout autant le devoir d informer que de conseiller dans des conditions de prévention de tout conflit d intérêt. L entrée en relation client revêt plusieurs dimensions placées au cœur des préoccupations commerciales et réglementaires. En pratique L accélération du calendrier réglementaire L accélération du calendrier réglementaire peut être vécue comme une contrainte supplémentaire et coûteuse pour les acteurs de la gestion d actifs, notamment les sociétés de type entrepreneurial. L agenda réglementaire auquel doivent se préparer les professionnels de l asset management est le suivant : MIF 1 LAB/FT 3 e directive UCIT IV UCIT V MIF 2 AIFM 01/11/2007 30/01/2009 01/07/2011 Entrée en vigueur prévue pour 2013. Texte publié le MIF : directive des marchés d instruments financiers LAB : directive lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme Ucits : Undertakings for Collective Investments in Transferable Securities AIFM : Alternative Investment Fund Managers 20/10/2011. Pas encore adopté, prévu courant 2014. Entrée en vigueur prévue pour juin 2013 (adoptée le 08/06/2011). La faillite de Lehman Brothers (15 septembre 2008) et le scandale lié à l affaire Bernard Madoff (19 décembre 2008) ont sans conteste accéléré le mouvement de refondation du système de régulation, dans un contexte de crise persistante, d exacerbation de la concurrence et d accumulation des risques. Les sociétés de gestion sont donc amenées à s adapter à ce nouvel environnement réglementaire. 119
PRATIQUE DE L ASSET MANAGEMENT La connaissance client se trouve au centre de deux directives, celle antiblanchiment (3 e directive LAB) et celle des marchés d instruments financiers (MIF). Pour le chargé d affaires comme pour le responsable de la conformité, l entrée en relation avec un client doit être envisagée comme le moyen de recueillir les informations destinées à définir les prestations les plus adaptées, tout en détectant les comportements atypiques susceptibles de nuire au prestataire d investissements. Il s agit d établir un rapport de confiance fondé aussi bien sur la protection de l établissement financier que de l investisseur. Un examen approfondi du risque de non-conformité montre la forte proximité existant entre les préoccupations commerciales et réglementaires. Le risque de non-conformité peut se matérialiser par de fortes sanctions financières, disciplinaires, et nuire au final le fonds de commerce de la société par la dégradation de son image. Parce qu elle est diffuse et touche de multiples fonctions (commerciale, conformité, risque, middle-office, back-office), la maîtrise des risques de nonconformité passe par une approche collaborative de l ensemble des métiers. L efficacité et la rationalisation de l investissement doivent s inscrire dans une double démarche : permettre aussi bien aux sociétés de type big player qu entrepreneurial de relever ces enjeux réglementaires, tout en ne perdant pas de vue la satisfaction du client. Le schéma ci-dessous traduit tout l intérêt d adopter une double démarche pour articuler les objectifs de chaque acteur. La conjugaison de la démarche réglementaire et commerciale Cadre réglementaire Démarche réglementaire Besoin commercial Démarche commerciale KYC Recueil des données clients identité client, factures, ses objectifs Identifier le client Recueil des données clients identité client, factures, ses objectifs MIF1&2 Classification et protection des clients : Test compétences clients, adéquation produits/ clients Profilage client Segmentation clientèle retails/institutionnels asset type : produits/ clients UCIT3 &4 Informations clients prospectus simplifié, UCIT IV DICI*/KID Risque de non-conformité * document d information clé pour l investisseur. Présentation offre produit Risque commercial Valorisation intérêt produits ses caractéristiques 120
GÉRER LA RELATION CLIENT LA CONNAISSANCE CLIENT, BIEN PLUS QU UN OBJECTIF RÉGLEMENTAIRE Le processus de la connaissance du client a pour objectif de préserver l intégrité des marchés de comportements délictuels (blanchiment, financement du terrorisme ) et d assurer la protection de l investisseur. Il répond donc au besoin de protection du prestataire d investissements (PSI*) face à un comportement déloyal l exposant à une lourde sanction pénale, financière et au final portant gravement atteinte à son image. Il s agit de prévenir également un risque de défaillance de la protection du client, et ce faisant celui du «capital réputation» de l établissement. La connaissance client constitue un préalable à toute autorisation d effectuer des transactions, ou plus largement d établir un courant d affaires. En pratique Le risque de non-conformité Il est défini comme le risque de sanction judiciaire, administrative ou disciplinaire, de perte financière significative ou d atteinte à la réputation, qui naît du non-respect de dispositions propres aux activités bancaires et financières (législatives, réglementaires, normes professionnelles et déontologiques, instructions de l organe exécutif). Le chargé d affaires se situe aux avant-postes de la sélection du client et de la qualité de mise à jour de sa situation. Il lui faudra trouver le bon dosage pour que le rendez-vous ne se réduise pas à une démarche purement administrative et réglementaire. Il ne faut pas perdre de vue qu il s agit d un moment privilégié de mise en confiance devant déboucher pour une majorité des prospects sur l établissement d un courant d affaires. La 3 e directive antiblanchiment La maîtrise du risque de blanchiment est l affaire de tous les praticiens, quelles que soient leurs fonctions au sein de la société de gestion, des réseaux bancaires et d assurance. Le blanchiment revêt des formes très différentes et emprunte des techniques de camouflage de plus en plus sophistiquées. Sa détection passe par une bonne connaissance de son processus. L exigence de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme est portée au plus haut niveau mondial à travers le Gafi (Groupe d action financière). 121
PRATIQUE DE L ASSET MANAGEMENT En pratique Le rôle du Gafi Créé en 1989, le Gafi (Groupe d action financière, FATF en anglais) est un organisme intergouvernemental (Afrique du Sud, Allemagne, Argentine, Australie, Autriche, Belgique, Brésil, Canada, Chine, Union européenne, Conseil de coopération du Golfe, Danemark, Espagne, États-Unis, Fédération de Russie, Finlande, France, Grèce, Hong-Kong, Chine, Inde, Irlande, Islande, Italie, Japon, Luxembourg, Mexique, Norvège, Nouvelle-Zélande, République de Corée, Royaume des Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Singapour, Suède, Suisse, Turquie). Son but est de définir les politiques de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme à l échelle nationale comme mondiale. Cette instance intergouvernementale établit des techniques de prévention contre le risque de blanchiment. Elle agit en relation avec des ONG internationales, ce qui donne un rayon d action à la mesure de l enjeu. L utilité du Gafi se traduit par la reconduction systématique de ses mandats depuis sa création. Le prochain expire en 2012 et sera vraisemblablement reconduit. La dimension politique de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme ne peut que justifier une gouvernance régalienne à l échelle mondiale. Le processus du blanchiment Le blanchiment vise à conférer une légalité de façade à des fonds provenant d activités illicites et criminelles (détournement de fonds publics, trafic de drogue ou d armes ). La lutte antiblanchiment ne se contente pas de répondre à des préoccupations d ordre moral ou réglementaire, mais a pour but de défendre l intégrité du fonctionnement de l économie et des marchés de capitaux. L impact sur le fonctionnement du marché des actifs peut être illustré comme suit : Blanchiment et impact des prix sur les actifs financiers Prix 47 Prix 46 Q0 Q1 Participation des fonds illicites au mécanisme d offre et demande de capitaux, les prix des actifs augmentent, le signal des prix est faussé. Quantité L intrusion de fonds illicites sur le marché des capitaux influence le niveau des prix et accroît l incertitude. Le blanchisseur n a pas pour objectif 122
GÉRER LA RELATION CLIENT premier de rechercher un rendement mais de protéger son gain initial. L apport illicite de liquidités fausse le signal des prix pour les autres participants honnêtes. Les mouvements d entrée et de sortie du marché par les blanchisseurs sont donc très préjudiciables aux investisseurs. Le mécanisme à l œuvre dans le blanchiment d argent suit les étapes suivantes : le blanchisseur va chercher à pénétrer les circuits financiers à l aide de la création ou de l achat de sociétés légales générant beaucoup de liquidités ; l étape du «lavage» vise à tromper la vigilance des acteurs financiers en opérant dans différents pays, comptes et établissements financiers et bancaires, afin de brouiller la piste d audit de traçabilité de la provenance des fonds ; l infiltration correspond au placement des sommes blanchies dans les véhicules financiers. L exemple de blanchiment qui résume assez bien ce processus est le schéma mis en place en 1996 par Franklin Jurado, dans la création du cartel de Cali. L opération qu il avait conçue reposait sur l ouverture d une centaine de comptes dans une soixantaine de banques implantées dans près de 10 pays. Il avait établi le circuit de blanchiment suivant : Illustration du circuit de blanchiment de Franklin Jurado ➊ Origine des fonds Colombie ➋ Paradis fiscal ➌ Compte de Jorge Perez en Allemagne ➍ Compte de Ruiz à Monaco ➐ Investissements par des sociétés européennes ➏ Compte anonyme en Autriche ➎ Compte de sociétés suisses et luxembourgeoises Le processus de connaissance client s exerce lors de la prospection et se prolonge tout au long de la période commerciale : le contrôle négatif de risque de blanchiment au cours de la prospection ne préjuge pas d une survenance ultérieure, durant la période commerciale. L actualisation des informations des clients doit donc être privilégiée. Les techniques d analyse de scoring 1 exploitent ces informations pour situer l investisseur sur une échelle de risque. 1. Scoring : technique d analyse destinée à diagnostiquer préventivement les difficultés des entreprises. 123
PRATIQUE DE L ASSET MANAGEMENT Les contrôles lors de la phase de prospection : cadre juridique et conséquences pratiques L ordonnance n 2009-104 et la directive 2005/60/CE donnent le cadre de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme auquel doivent se référer les professionnels et plus particulièrement les RCCI (responsable de la conformité et du contrôle interne), soumis à des obligations déclaratives et d analyse des risques. Si la société de gestion distribue directement ses produits financiers, les mesures de vérification et de contrôle relèvent directement de sa responsabilité (article L. 561-7 du Code monétaire et financier). Si elle a recours à un ou plusieurs mandataires pour distribuer ses produits : lorsque le mandataire est soumis au dispositif de lutte antiblanchiment, il est soumis aux mêmes contraintes qu une société de gestion gérant en direct la clientèle ; lorsque le mandataire n est pas soumis au dispositif de lutte antiblanchiment, il revient à la société de gestion de préciser dans le contrat de mandat les mesures de contrôle et les procédures qu il doit respecter (modalités de recueil des informations et documents que le mandataire récupère en son nom et pour son compte, conditions de surveillance et de vérification mises en place par la société de gestion, dont elle doit s acquitter en sa qualité de mandataire). Comprendre le processus de connaissance du client Quatre étapes essentielles marquent la procédure KYC : le recueil des informations, le contrôle, l évaluation et la décision. n Le recueil des informations Il s agit de collecter les informations des personnes physiques et morales (pièces d identité, passeport, factures, extraits Kbis, déclarations fiscales, situation patrimoniale). Les personnes morales doivent en outre fournir les statuts de la société, un extrait du registre du commerce, les éléments permettant d apprécier le pouvoir de la société, comme les résolutions d assemblée générale* (AG), les délibérations de conseil d administration ou des mandataires sociaux Pour les sociétés étrangères, le recours à une personne officielle comme un notaire ou un tiers de confiance est vivement conseillé pour attester de la qualité des informations. Les informations relatives aux bénéficiaires effectifs 1 sont également demandées. Dans le cas où le titulaire du compte n est pas forcément l ayant droit, une fiche de renseignements du bénéficiaire réel doit être établie. Elle porte à minima l identité, l adresse, le pays du domicile économique. 124
GÉRER LA RELATION CLIENT Les objectifs de placement souhaités, l option de service financier souhaitée et la sensibilité au risque sont renseignés dans la fiche client. n Le contrôle Il s agit de vérifier l identité du client et l existence ou non de sanctions à son encontre : la vérification de l exactitude de l identité s effectue à l aide des pièces officielles et, pour les personnes morales, sur le site Infogreffe. Le recoupement d informations à partir de factures, documents fiscaux, permet de vérifier la domiciliation de la personne morale ou physique. L envoi d un courrier commercial peut compléter le contrôle de la pertinence de l adresse. L absence de retour de type NPAI (n habite plus à l adresse indiquée) doit conduire à approfondir le contrôle et montrer la plus grande vigilance ; le contrôle de l existence de sanctions à l encontre du client, personne physique ou morale, est indispensable. Il s appuie sur la consultation des listes officielles nationales et supranationales (ONU, Union européenne ) et d autres listes établies en interne. Il est vivement recommandé de consulter les médias spécialisés, comme WorldCheck, KYC360, ou Factivia. La troisième directive antiblanchiment, transposée en droit français le 30 janvier 2009, prévoit que les personnes exposées politiquement, dites PEP, fassent l objet d une identification. n L évaluation Au vu des contrôles menés, l établissement peut alors procéder à l évaluation du risque de blanchiment. Le profilage du risque client aboutit à l attribution de trois types de valeurs : faible, normal ou élevé. n La décision Au terme de l évaluation, et selon le seuil de déclenchement du risque, la société de gestion pourra effectuer une simple alerte ou une déclaration de soupçon à Tracfin (traitement du renseignement et actions contre les circuits financiers clandestins), ou effectuer une enquête plus approfondie. Le respect scrupuleux de la confidentialité de la procédure de contrôle d un client en conditionne la portée juridique : l établissement financier effectuant la déclaration de soupçon, ainsi que ses collaborateurs, ne doivent pas 1. Le ou les bénéficiaires effectifs correspondent aux personnes (physiques ou morales) qui en dernier lieu contrôlent ou possèdent le client et (ou) une personne physique au profit de laquelle une transaction est effectuée. 125
PRATIQUE DE L ASSET MANAGEMENT en tenir informé le client sous peine d encourir une amende de 22 500. Tracfin est tenu de garantir de son côté la stricte confidentialité des données qui lui sont communiquées. Les différentes phases de la connaissance client peuvent être illustrées à l aide du schéma suivant. Processus de validation du KYC Prospect ➊ Recueil des informations ➋ Contrôle des informations i Alertes et enquêtes ➌ Évaluation risque client Filtre des noms Nom fictif Entreprise fantôme Carte d identité Passeport Document réf. et validation Surveillance des transactions Blocage TRACFIN ➍ Décision * Traitement du renseignement et actions contre les circuits financiers clandestins. Attention! Il faut avoir à l esprit que les logiciels de contrôle peuvent faire ressortir des homonymes ou des noms voisins. Il faut donc de se garder de toute conclusion hâtive susceptible d induire en erreur le chargé d affaires. Contrôle de la connaissance client durant la relation commerciale Si le contrôle a établi l absence de sanctions, la relation commerciale peut alors se concrétiser par la constitution d un portefeuille de valeurs. Pour autant, le prestataire de service d investissements ne doit pas relâcher sa vigilance. Des changements de situation, des informations complémentaires sur le client ou encore des transactions atypiques peuvent constituer des risques qu il faut savoir évaluer afin de les détecter tout au long de la relation commerciale. C est pourquoi la procédure KYC de contrôle permanent de l intégrité du client s impose. Elle doit permettre de prévenir et réagir en conséquence à ce type de risque. La troisième directive de lutte contre le blanchiment a prévu l organisation de la démarche qui s impose aux acteurs financiers et bancaires. 126
GÉRER LA RELATION CLIENT La méthodologie retenue repose sur : la définition et la mise en place d une cartographie des risques de blanchiment de capitaux qui permet de diriger les investigations en fonction des sources de vulnérabilité identifiées ; compte tenu de la masse d informations se rapportant aux instruments financiers, aux types de marchés financiers, aux caractéristiques du client, aux bases de comparaison externes et internes, la technique du scoring a été retenue. Elle permet l établissement d un profilage client déterminé en fonction d un score (notation) de niveau de risque. En pratique Le scoring est une technique d analyse employée pour prévenir la survenance d un risque. Elle est couramment utilisée en matière d octroi de crédit. Une formule de score (Z) permet de calculer une note à partir de ratios et d effectuer une comparaison avec des clients ayant rencontré des difficultés ou défaillants. Selon la note attribuée, la probabilité de réalisation de l événement (blanchiment) est plus ou moins forte sur l échelle de risque. Les paramètres les plus significatifs qui entrent dans le calcul du score en matière de blanchiment sont : l origine des fonds ; le pays de résidence du client ; le pays de résidence fiscale du client ; la nature des opérations ; les montants des opérations ; les espaces géographiques des relations d affaires du client ; la valeur estimée des actifs ; les types de sous-jacents traités ; etc. Les paramètres entrant dans le calcul du score sont enrichis ou pondérés en fonction des besoins d éclairage du moment, comme la situation d un pays ou une zone géographique basculant dans une zone de très forte instabilité politique ou entrant en guerre. Par exemple, la Côte d Ivoire, à la suite du résultat des élections proclamé le 3 novembre 2010, a basculé dans l instabilité en raison de la contestation des résultats par le président sortant Laurent Gbagbo. L ONU, l UE et l Union africaine ont établi une liste de 19 personnes frappées d interdiction et de sanctions, dont le président sortant. L approche statique du scoring doit ainsi être complétée par sa gestion dynamique, de manière à tenir compte des changements de situation des facteurs de risque, favorable ou défavorable. 127