Soins inventifs aux soins intensifs Colloque tenu à l Institut universitaire en santé mentale de Montréal le 3 octobre 2014 LES ACTES Les pratiques innovantes sur les unités de soins intensifs psychiatriques Journée rendue possible grâce à une contribution à visée éducative de JANSSEN
Le 16 mars 1978, l unité des soins intensifs de l Hôpital Louis- Hyppolyte Lafontaine, première unité structurée de soins intensifs au Québec, ouvrait ses portes. L ouverture de l unité s inscrivait dans un mouvement mondial, les 1 res unités de soins intensifs psychiatriques apparaissant au début des années 70 à New York et à Portsmouth en Angleterre. 35 ans plus tard, qu en est-il du modèle des unités de soins intensifs psychiatriques? Quelles sont les meilleures pratiques en situation de crise? Comment implanter ces nouvelles pratiques? Afin de répondre à ces questions, le Programme d évaluation et d intervention brève de l Institut universitaire en santé mentale de Montréal a organisé le colloque «Soins inventifs» le 3 octobre 2014. Cet événement a réuni plus de 145 psychiatres, intervenants, gestionnaires, patients partenaires qui provenaient de plusieurs institutions québécoises. Le colloque avait pour objectif de : mieux faire connaître les pratiques médicales et professionnelles innovantes des unités de soins intensifs psychiatriques; favoriser le réseautage entre les différents partenaires et intervenants des unités de soins intensifs au Québec; mieux faire connaître les enjeux cliniques par rapport aux patients des unités de soins intensifs; discuter des enjeux autour de la sécurité, des aspects psycholégaux, des interventions (médication, aménagement des lieux, mesures de contrôle). Les «Actes» présentent des «meilleures pratiques» mises de l avant lors des conférences de Lyne Brunet, chef de l unité des soins intensifs de l IUSMM et du D r Éric Teboul, responsable de l Unité des soins intensifs psychiatriques à l Hôpital Régional de Saint-Jérôme. Des résumés des ateliers de l après-midi sont également proposés.
Les soins intensifs d un Institut universitaire Lyne Brunet, chef de l unité des soins intensifs de l IUSMM. L implantation des meilleures pratiques dans un milieu de soins intensifs psychiatriques. Les meilleures pratiques : La formation OMEGA sur les habiletés d intervention en situation de crise; L utilisation quotidienne de la grille DASA sur l identification des signes précurseurs d agressivité; Un plan de match pour chaque patient aux changements de quart qui permet aux membres de l équipe d échanger sur les indices précurseurs de comportements à risque et, si nécessaire, la mise en place d un plan d action précoce visant la prévention et la gestion des comportements agressifs; L amélioration de l environnement, entre autres : - La diminution du nombre de salles de mesures de contrôle; - L aménagement de la salle de réconfort «Oasis». Les résultats : diminution des mesures d isolement et de contention
LE POINT SUR LE MANQUE D INSIGHT Éric TEBOUL M.D., CM, psychiatre, responsable de l Unité des soins intensifs psychiatriques à l Hôpital Régional de Saint-Jérôme depuis 1992. Insight : Capacité d une personne à reconnaître sa propre maladie mentale 1. L insight pauvre (l anosognosie) est la caractéristique la plus prévalente de la schizophrénie 2 et des autres troubles psychotiques et maniaques. Selon le D r Teboul, c est un défi de taille avec lequel on doit composer pour la grande majorité des patients qui se trouvent sur les unités de soins intensifs psychiatriques. Un insight pauvre a des répercussions importantes sur l observance thérapeutique (les patients ne prennent pas leurs médicaments de façon adéquate car ils ne se considèrent pas malades et n en reconnaissent donc pas la pertinence 3 ). Répercussions de l insight pauvre et de la non-observance 4-5 : rechutes psychotiques, réhospitalisations psychiatriques; tentatives de suicide; violence, arrestations; abus d alcool, de drogues. Les meilleures pratiques : Les antipsychotiques injectables à libération prolongée permettent une amélioration de l observance et donc la prévention des rechutes psychotiques 6, 7. Ainsi, des consensus d experts québécois 8 et pan-canadiens 9 recommandent de prioriser l utilisation de la médication antipsychotique en forme injectable à libération prolongée pour traiter les troubles psychotiques à toutes les phases, incluant dès le début de la maladie. Lorsque l absence d insight s avère un obstacle insurmontable au traitement (par exemple, non-acceptation de la médication antipsychotique quelle que soit la forme proposée), une ordonnance d autorisation de soins permet de traiter le patient malgré son manque d insight. Cette mesure a été démontrée efficace dans la prévention des rechutes et des réhospitalisations 10. 1. Marková I. S. (2005) Insight in Psychiatry. Cambridge, Cambridge University Press. 2. Wilson WH et al. Flexible system criteria in chronic schizophrenia. Comprehensive Psychiatry 1986;27:259-265 3. Mingrone C, et al. Insight in stable schizophrenia: relations with psychopathology and cognition. Comprehensive psychiatry 2013; 54(5): 484-492 4. Herings RM, Erkens JA. Pharmacoepidemiol Drug Saf 2003;12(5):423-4 5. Ascher-Svanum H et al. J Clin Psychiatry 2006;67:453-60 6. Kirson NY et al. Efficacy and Effectiveness of Depot Versus Oral Antipsychotics in Schizophrenia: Synthesizing Results Across Different Research Designs. J Clin Psychiatry, juin 2013;74(6):568-575 7. Kishimoto T et al. LAI versus oral antipsychotics in schizophrenia: A systematic review and metaanalysis of mirror-image studies. J Clin Psychiatry Oct 2013;74(10):957-965 8. Stip E et al. Les antipsychotiques injectables à action prolongée : avis d experts de l Association des médecins psychiatres du Québec. Canadian Journal of Psychiatry. 2011:56(6):367-376 9. Malla A et al. Long-Acting Injectable Antipsychotics: Recommendations for Clinicians. Can J Psychiatry. 2013;58(5, suppl.1):30s-35s 10. Nakhost A, Perry JC, and Frank D. Assessing the outcome of compulsory treatment orders on management of psychiatric patients at 2 McGill University-associated hospitals. Can J Psychiatry 2012:57(6):359-365
Les ateliers sur les meilleures pratiques LA PSYCHOPHARMACOLOGIE DE L AGRESSIVITÉ : RECHERCHE FONDAMENTALE ET CLINIQUE D r Gobbi Gabriella Gobbi, M.D., Ph.D., Associate Professor Neurobiological Psychiatry Unit, Dept. Psychiatry, McGill University D r Gobbi a présenté les mécanismes d action des médicaments utilisés dans la gestion de l agressivité et des données cliniques démontrant l utilité des stabilisateurs de l humeur et des antipsychotiques atypiques. Les meilleures pratiques : antipsychotique atypique plus valproate ou topiramate ou carbamazepine; pas de benzodiazépines; éviter des antipsychotiques typiques; ne pas mélanger les typiques et les atypiques. (Comai S, Tau M, Pavlovic Z, Gobbi G., J Clin Psychopharmacol. 2012) Sa présentation s est terminée sur les perspectives d avenir, particulièrement les études épigénétiques qui portent sur la régulation de l expression des gènes qui peuvent être influencés par l environnement et l histoire individuelle. LES IMPACTS DE L UTILISATION D UN INSTRUMENT D ÉVALUATION DU COMPORTEMENT AGRESSIF, LA GRILLE DASA, SUR UNE UNITÉ DE SOINS INTENSIFS Denise Desrochers, assistante-infirmière-chef de l unité des soins intensifs, IUSMM Un enjeu clinique très important sur une unité de soins intensifs est de déceler les premiers signes d agressivité et de colère chez un patient pour éviter l escalade. Pour ce faire, une grille de détection précoce du comportement agressif qui soutient le jugement infirmier par l utilisation de critères rigoureux, la DASAfr. (Traduite et adaptée du Dynamic Appraisal of situational Agression de Olgoff et Daffern, 2007) a été implantée sur l unité des soins intensifs de l IUSMM en 2010. Une recherche évaluative de Caroline Larue et du D r Alexandre Dumais (2012) a permis de montrer, au moyen de la passation d un questionnaire sur la satisfaction et d un sondage sur le climat de travail, que l utilisation de la grille a eu un impact positif sur la qualité des soins, la cohésion de l équipe et la qualité de vie au travail.
ARRÊTER DE FUMER DANS UNE UNITÉ DES SOINS INTENSIFS PSYCHIATRIQUES? William Semaan, chef de service, Approches intensives; directeur universitaire, Service de psychiatrie adulte, Centre hospitalier de Sherbrooke Présentation d une recherche qui étudie l impact sur les patients de l interdiction totale de la cigarette sur une unité des soins intensifs psychiatriques au CHUS par une étude comparative de variables cliniques (la contention, l isolement, les sorties contre avis médical, les gardes en établissement), avant l interdiction (1 er octobre 2005 au 31 mars 2007) et après l interdiction (1 er avril 2007 1 er octobre 2008). Les résultats montrent une diminution significative pour toutes les variables à l exception des gardes en établissement (augmentation mais non significative) depuis l implantation de l unité sans fumée. Mandat LES ASPECTS PSYCHOLÉGAUX DE L INTERVENTION (projet RADAR : Recommandations, analyses de la dangerosité envers autrui et du risque) Anne-Renée Courtemanche, criminologue, Stéphane Gagnon, conseiller clinique, Vickie Saint-Denis, psychologue, Mario Roy, psychiatre Offrir une expertise en évaluation et intervention cliniques auprès des personnes présentant une psychopathologie associée à une dangerosité envers autrui; Contribuer à l émergence des meilleures pratiques et au développement de la recherche appliquée. Évaluation du risque de dangerosité Raisons : divergences dans l équipe traitante; craintes dans l équipe; identifications des facteurs de risque et de protection. Rôle de consultant afin : de soutenir l équipe après l évaluation; de clarifier les orientations long terme; d émettre des recommandations pour les audiences au Tribunal administratif du Québec.
L IMPACT DE L IMPLANTATION DE LA FORMATION OMÉGA SUR LE BIEN-ÊTRE DES PARTICIPANTS Richard Boyer, chercheur, Centre de recherche de l IUSMM, Stéphane Guay, directeur, Centre d étude sur le trauma, IUSMM; professeur, École de criminologie, Université de Montréal Le programme de formation Oméga vise à développer chez les participants des habiletés et des modes d intervention pour assurer leur sécurité et celles des autres en situation d agressivité. Les résultats d une recherche évaluative, menée selon un devis pré expérimental de type prépost avec suivi à long terme sans groupe témoin, indiquent que l implantation de l approche Oméga a eu des effets positifs sur le bien-être psychologique des travailleurs, sur leurs perceptions de la sécurité au travail et sur leur sentiment d efficacité personnelle pour gérer des situations de violence au travail. UN PROJET-PILOTE SUR LE RETOUR POST-ISOLEMENT AVEC UN PAIR AIDANT Chad Chouinard, pair aidant, patient-partenaire, Marie-Hélène Goulet, candidate au doctorat en sciences infirmières, Université de Montréal Le protocole isolement/contention de l IUSMM stipule qu un retour post-isolement doit être effectué avec le patient afin de réduire le traumatisme relié à l événement. Buts du projet-pilote Décrire l intégration d un pair aidant dans l intervention de retour post-isolement auprès du patient et vérifier les retombées de cette intervention sur les patients, les intervenants et le pair aidant. Hypothèse de départ Une personne avec un vécu expérientiel de l isolement/ contention pourrait comprendre davantage ce que vit le patient. Les résultats seront connus en début de l année 2016.
LA SALLE DE RÉCONFORT : UNE INTERVENTION PRÉVENTIVE À L AGITATION? Caroline Larue, chercheuse, IUSMM; professeure, Faculté des sciences infirmières, Université de Montréal La salle de réconfort est une pièce confortable qui contient des objets sensoriels que le patient choisit pour reprendre le contrôle de ses émotions et de ses comportements en toute sécurité. Il s agit d une intervention préventive pour aider à réduire le recours à l isolement avec ou sans contention auprès de patients ayant des comportements d agitation ou d agressivité. Les résultats préliminaires d une évaluation de l anxiété et de l intensité des comportements perturbateurs avant et après l utilisation de la salle de réconfort ont montré que la chambre de réconfort: réduit le degré d anxiété; est utilisée essentiellement pour réduire la tension émotive; réduit les manifestations physiologiques de l anxiété; est davantage utilisée par les femmes. UNE BIBLIOTHÈQUE VIVANTE Une Bibliothèque vivante ressemble à une bibliothèque classique mais au lieu d emprunter un livre, les lecteurs rencontrent les Livres de la bibliothèque vivante qui sont des personnes qui représentent des groupes fréquemment confrontés à des préjugés. Lors du colloque, une bibliothèque vivante a permis de rencontrer des patients qui ont été suivis sur une unité de soins intensifs. Vous pouvez lire le compte-rendu d un patient partenaire qui a couvert l activité sur le site du PIRAP Volume 3, Numéro 7 : Octobre 2014 (5-17). http://pirap.org/bulletins-2/ Voici un commentaire recueilli auprès d un livre vivant : «Aujourd hui, le docteur Teboul parlait de l introspection. Moi je suis un introspectif de nature. Je suis porté à beaucoup m analyser, mais je ne faisais pas l introspection qu eux voulaient que je fasse. Par exemple, prendre conscience de ma maladie. Aujourd hui, j essaie d adapter ça un peu plus à ma réalité». Rédaction et réalisation Éric Skulski, agent de planification, programmation et de recherche, Programmes de la santé mentale et dépendance.