Jacques T. Godbout, Le don, la dette et li dentité : homo donator vs homo oeconomicus, Montréal, Boréal, 2000, 190 p.



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Compte rendu Ouvrage recensé : Jacques T. Godbout, Le don, la dette et li dentité : homo donator vs homo oeconomicus, Montréal, Boréal, 2000, 190 p. par Mireille Tremblay Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, n 1, 2001, p. 212-216. Pour citer ce compte rendu, utiliser l'adresse suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/008346ar DOI: 10.7202/008346ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'uri https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'université de Montréal, l'université Laval et l'université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'érudit : info@erudit.org Document téléchargé le 3 February 2016 06:08

Les comptes rendus Le don, la dette et l identité: homo donator vs homo œconomicus Jacques T. GODBOUT Montréal, Boréal 2000, 190 p. POUR UNE SOCIOLOGIE DU DON : LA 3 e VOIE Pendant plusieurs années, Jacques T. Godbout s est intéressé à la participation des usagers à l administration des services de santé et des services sociaux. Ses travaux l ont conduit à déplorer la perte de pouvoir des citoyens au profit des technocrates et des producteurs de services. Selon lui, les mécanismes locaux et régionaux de participation à l organisation des services sociosanitaires, au cours des années 1970 et 1980, ont progressivement détourné les pouvoirs publics vers l appareil technocratique et professionnel, au détriment d un véritable fonctionnement démocratique. Par ailleurs, ses travaux concernant les relations entretenues par les CLSC avec les organismes communautaires lui avaient permis d observer le fossé qui sépare les services publics de l action communautaire. Dans son ouvrage Le don, la dette et l identité, il avoue que cette déception l a conduit à rechercher un autre mode de relations sociales qui échapperait à la «rupture entre producteurs et usagers» caractéristique du marché et de l État. C est en étudiant les organismes communautaires, fondés sur le don, qu il s est intéressé à cette manière de faire circuler les biens et les services. L ESPRIT DU DON Dans un ouvrage antérieur, L Esprit du don, publié chez Boréal en 1992 en collaboration avec Alain Caillé, Jacques Godbout formulait déjà l hypothèse que «le don forme système» et qu il doit faire l objet d une attention

Les comptes rendus 213 particulière des sciences sociales au même titre que l État ou le marché. Il constatait que les échanges fondés sur le don représentent un phénomène social qui a traversé tous les âges et qui domine encore aujourd hui les sociétés contemporaines. Pour lui, le système du don «n est rien d autre que le système social en tant que tel» et il est irréductible aux intérêts économiques ou aux rapports de pouvoir. Il postulait déjà «l appât du don» comme principe fondateur des interactions humaines, principe tout aussi puissant que l appât du gain. C est pourquoi il invitait les sciences sociales à étudier et à reconnaître l importance du don en tant que système explicatif des interactions humaines. Il dénonçait la réduction des interactions sociales à leur dimension économique, et il rejetait la conception de l homme comme un être dominé par ses intérêts d homo œconomicus. Non seulement Godbout faisait du don un concept indispensable en sciences sociales, mais il en faisait l apologie. Si les sciences sociales veulent contribuer à l amélioration des rapports humains, elles doivent considérer le don comme un système d interactions sociales aussi important que l État ou le marché. Dans Le don, la dette et l identité, il poursuit la réflexion amorcée dans L Esprit du don et suggère de redéfinir le sens des rapports sociaux à partir du don afin de «contribuer à cette nécessaire redéfinition de la société indépendamment du rapport salarial. Car celui-ci est la conséquence à la fois la plus évidente et la plus universelle du marché et de l État, et c est le fondement de leur fonctionnement» (p.12). C est la relation salariale qui consacre la rupture entre producteurs et consommateurs, rupture à laquelle, selon l auteur, on peut échapper. Alors que les appareils d État et les appareils du marché ont un public ou des clients qui leur sont extérieurs, les réseaux sociaux, au sein desquels circulent le don, sont autorégulés, ils n ont pas de public et ne produisent pas de clivage entre producteurs et consommateurs. Les organismes communautaires fonctionnant comme des réseaux sont ainsi régulés par des membres faisant tous partie d un même groupe et s identifiant les uns aux autres. Pour l auteur, il n y aurait pas de rupture consommateursproducteurs dans les circuits du don. Dans cet ouvrage, l auteur nous fait part des résultats de recherches l ayant conduit à préciser les concepts associés au don et à repérer les principes et les règles de la circulation de biens et de services dans la sphère du don à la parenté et aux étrangers. Il nous propose d étudier la circulation des biens et des services non pas en fonction de leur valeur économique et des intérêts des producteurs et des consommateurs mais en considérant la signification des relations qui conditionnent la circulation des biens et des services dans la sphère du don. Par l étude du don, il suggère de dépasser l analyse économique et matérielle des échanges sociaux pour y intégrer la recherche du sens des relations impliquées dans ces échanges. C est à un NPS, vol. 14, n o 1, 2001

214 Les comptes rendus changement de paradigme épistémologique qu il nous convie en mariant les sciences économiques et les sciences sociales. C est ainsi qu il nous propose «d entrer par le don» non seulement pour comprendre la valeur économique des échanges sociaux, mais également pour en saisir la portée affective ; «l objet est économico-social, mais le point de vue est symbolico-relationnel». LE DON ET LA DETTE Dans la première partie de son ouvrage, l auteur se penche sur le don dans la parenté, sous forme de cadeaux, de services ou d hospitalité, et nous montre comment les principes de régulation du don aux proches s éloignent des règles du marché et de l État. En rejetant les principes d égalité qui fonde les échanges marchands, celui de justice qui fonde le rapport avec l État ainsi que le principe de réciprocité (parce que le don peut être unilatéral), les lois qui régissent le don dans la parenté se distinguent nettement des lois du marché et de celles de l État. Le don entretient un rapport particulier avec la dette. Alors que la dette marchande doit être liquidée rapidement et que ce qui provient de l État est perçu comme un droit et un dû, le don à la parenté créé une «dette positive», une dette insolvable, résultat d un don librement consenti, non remboursable, générateur de «reconnaissance». Cette dette à laquelle un autre don gratuit et libre peut répondre engendre alors une «dette mutuelle positive» exprimant la confiance et la reconnaissance que deux personnes éprouvent l une envers l autre. Voilà une conception originale «d une dette qui n est pas un dû» et qui marque la spécificité du don aux proches. À côté du don, la notion de dette constitue le second concept fondateur du modèle proposé par l auteur. LE DON ET L IDENTITÉ La deuxième partie de l ouvrage porte sur le don aux étrangers. Deux domaines de recherche sont abordés, soit celui de la circulation de biens et de services dans le tiers secteur, et le domaine plus spécialisé des dons d organes. L étude du don aux étrangers a permis à l auteur de saisir et d illustrer un troisième concept essentiel à son modèle soit celui de l identité. Dans cette partie de l ouvrage, il reprend la thèse de «l appât du don» en tant que postulat, affirmant «que les êtres humains ont d abord envie de donner». Il cherche en outre à saisir ce qui freine cette tendance naturelle au don. Il constate alors que le don semble plus dangereux pour le receveur que pour le donateur. Le don aux étrangers, plus particulièrement le don d organes, qu il considère comme une allégorie biopsychosociale du don, semble porter atteinte à l identité du receveur, qui doit incorporer une partie NPS, vol. 14, n o 1, 2001

Les comptes rendus 215 de l identité du donneur. C est cette crainte qui limite le don, parce qu un don qui ne peut être rendu met en péril l identité, l autonomie et l indépendance de celui qui reçoit par rapport à celui qui donne, même si ce dernier est un inconnu. Alors que le don trouve ses racines dans la signification des relations personnelles et sociales, qu il se fonde sur la solidarité et le sentiment d appartenance à la communauté, sentiment qu il renforce, c est dans la même sphère de significations qu il rencontre les obstacles les plus importants. Le don qui engendre une dette non remboursable constitue une menace à l identité du receveur. Pour l auteur, le don doit être vécu comme une «dette positive» qui contribue à renforcer l identité du receveur au sein d une relation non individualiste afin d échapper aux risques qui lui sont inhérents. UN CHANGEMENT DE PARADIGME Dans Le don, la dette et l identité, Jacques Godbout propose donc une solution de rechange à une conception utilitariste de l homme, conception qui réduit l analyse des relations humaines à leur dimension économique. Il suggère de considérer d abord le don comme formant un système de relations sociales aussi important que le marché et l État. Le système du don permet de sortir de la relation producteurs-consommateurs dominée par le salariat et nous amène à considérer la signification affective des échanges sociaux. Il présente son modèle comme un changement de paradigme par rapport à la conception utilitariste et économique des relations humaines et des échanges sociaux. Il réaffirme «la nécessité de postuler un autre ressort psychologique à l action humaine, et de le poser comme postulat au même titre que l intérêt». Ce ressort, c est «l appât du don», «à côté de l homo œconomicus, l homo donator» qui agit de manière désintéressée. Dans une perspective antiutilitariste l auteur propose d adopter une vision plus humaniste des rapports sociaux et suggère de considérer, dans l étude de la circulation des biens et des services, la signification des relations sociales. Au-delà du cadre théorique et épistémologique, l auteur aborde les dimensions éthiques de la circulation des biens et des services. Il ne s agit pas seulement d intégrer de nouveaux concepts en sciences sociales, mais de considérer en outre le don comme une forme de relation sociale qui doit être encouragée, cette forme étant essentielle au progrès de la société et de l humanité. Ce n est donc plus simplement une proposition théorique ou épistémologique, il s agit tout autant d une proposition idéologique concernant la signification et la valeur des relations sociales. L auteur fait l apologie du don parce que, malgré la nécessité du marché et de l État pour réguler les échanges, «le don s oppose aux logiques mécanistes et déterministes pour NPS, vol. 14, n o 1, 2001

216 Les comptes rendus se rapprocher de la vie». La perspective constructiviste en sciences sociales, dans laquelle il semble s inscrire, reconnaît la contribution du chercheur à la construction de la société, en ce qu il donne un sens aux actions humaines, une direction, une valeur. Dans cette même perspective, il ne peut y avoir de rupture entre le sujet et l objet, entre le chercheur et la signification qu il accorde à ce qu il observe et tente de reconstruire. Et c est dans cette perspective que l auteur suggère une conception de l être humain qui répond à «l appât du don» et n est pas uniquement guidée par l intérêt ou l obéissance aux normes. C est ainsi que l auteur a tenté d échapper à la rupture entre producteurs et consommateurs caractéristique du marché ou de l État. Cependant, il est intéressant de constater que cette rupture est toujours présente, toujours à l affût puisque ce qui limite le don, semble-t-il, c est l apparition d une nouvelle rupture, soit celle entre donateur et receveur, le receveur désirant maintenir une distance avec le donateur afin de préserver son identité et son indépendance. Ne sommes-nous pas alors très près de la rupture entre producteurs et consommateurs? Bien que le salariat ne soit pas en cause dans le don, la perte de pouvoir ou d identité pour le receveur demeure un risque ; il y a donc toujours possibilité de rupture. Ainsi, on peut conclure que le don, s il permet de considérer la circulation des biens sous un angle plus vaste, ne réussit pas à dissoudre toutes les ruptures. Il serait sans doute intéressant de se pencher sur la signification de cette incontournable rupture. Quelles sont les circonstances et les conditions qui engendrent cette fracture et font passer une relation de la sphère du don, à celle de l échange marchand ou étatique? Quand «l appât du don» se transforme-t-il en appât du gain? Si les modalités de régulation de ces divers systèmes que sont le don, le marché et l État diffèrent, qu est-ce qui détermine que l on fasse appel à l un ou l autre pour réguler différentes transactions sociales? Dans la construction de la société et de ses modes de régulation, comment se négocient les frontières entre l État, le marché, le tiers secteur et la vie privée dans la circulation des biens et des services? Voilà autant de questions qui, à mon avis, éclaireraient la place du modèle du don en tant que système régulateur de la circulation des biens et des services, à côté du système public et du système marchand. Mireille TREMBLAY Fédération québécoise des Centres de réadaptation pour les personnes présentant une déficience intellectuelle (CRDI) NPS, vol. 14, n o 1, 2001