De la nature juridique des titres dématérialisés intermédiés en droit français



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De la nature juridique des titres dématérialisés intermédiés en droit français Antoine Maffei La dématérialisation obligatoire des valeurs mobilières a été introduite en France par l article 94-II de la loi de finance n 81-1160 du 30 décembre 1981. Cette dématérialisation est générale et irréversible. Elle est entrée en vigueur le 3 novembre 1984, soit il y a vingt ans 1. La préoccupation principale du législateur de l époque était de renforcer les moyens de contrôle fiscaux dans le contexte de l introduction de l impôt sur la fortune. Le potentiel révolutionnaire de cette modification dans le contexte de la globalisation des marchés et du développement des moyens informatiques n avait, à l époque, été qu imparfaitement appréhendée. L article 94-II précité est aujourd hui codifié sous l article L. 211-4 du Code Monétaire et Financier ( CMF ) et sous l article L. 228-1 du Code de Commerce ( CC ). Les libellés de leurs textes respectifs sont d une extrême simplicité. Article L. 211-4 du CMF 2 : Les valeurs mobilières émises en territoire français et soumises à la législation française, quelle que soit leur forme, doivent être inscrites en comptes tenus par l émetteur ou par un intermédiaire habilité. Les titres des sociétés par actions qui ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé, à l exception des actions de sociétés d investissement à capital variable SICAV, doivent être inscrits à un compte tenu chez lui par l émetteur au nom du propriétaire des titres. Par dérogation aux obligations de l alinéa précédent, lorsque les titres sont admis aux opérations d un dépositaire central, ils peuvent être inscrits en compte chez un intermédiaire habilité si cela est prévu dans les statuts de la personne morale émettrice lorsqu il s agit de titres de capital, ou dans le contrat d émission, lorsqu il s agit d autres titres. Le dépositaire central est soumis aux obligations prévues par le chapitre II du titre VI du livre V. Avocat à la Cour, De Pardieu Brocas Maffei, Paris (France). 1 Voir l art. 1 du décret n 83-359 du 2 mai 1983. Dix-huit mois après la date de publication du présent décret, les titres de valeurs mobilières ne sont plus matérialisés que par une inscription en compte. 2 Art. L. 211-4 du CMF, dans sa rédaction issue de l ordonnance n 2004-604 du 24 juin 2004, ratifiée par la loi n 2004-1343 du 9 décembre 2004. Rev. dr. unif. 2005-1/2 237

Vers une sécurité juridique accrue pour les titres financiers détenus auprès d un intermédiaire Article L. 228-1 du CC 3 : Les sociétés par actions émettent toutes valeurs mobilières dans les conditions du présent livre. Les valeurs mobilières émises par les sociétés par actions sont définies à l article L. 211-2 du code monétaire et financier 4. Les valeurs mobilières émises par les sociétés par actions revêtent la forme de titres au porteur ou de titres nominatifs, sauf pour les sociétés pour lesquelles la loi ou les statuts imposent la seule forme nominative, pour tout ou partie du capital. Nonobstant toute convention contraire, tout propriétaire dont les titres font partie d une émission comprenant à la fois des titres au porteur et des titres nominatifs a la faculté de convertir ses titres dans l autre forme. Ces valeurs mobilières, quelle que soit leur forme, doivent être inscrites en compte au nom de leur propriétaire 5, dans les conditions prévues par le II de l article 94 de la loi de finances pour 1982 (nº 81-1160 du 30 décembre 1981). (Voir Article L. 211-4 CMF) L objet de cette note sera de décrire brièvement les modalités de transfert des instruments financiers inscrits en compte 6 et ensuite d évoquer la nature juridique de cette inscription. Sera ensuite évoquée la protection du tiers acquéreur de bonne foi. 3 Art. L. 228-1 du CC, dans sa rédaction issue de l ordonnance n 2004-604 du 24 juin 2004, ratifiée par la loi n 2004-1343 du 9 décembre 2004. 4 Art. L. 211-2 du CMF : Constituent des valeurs mobilières, les titres émis par des personnes morales, publiques ou privées, transmissibles par inscription en compte ou tradition, qui confèrent des droits identiques par catégorie et donnent accès, directement ou indirectement, à une quotité du capital de la personne morale émettrice ou à un droit de créance général sur son patrimoine. Sont également des valeurs mobilières les parts de fonds communs de placement et de fonds communs de créance. 5 Article 228-1, alinéa 7 : Toutefois, lorsque des titres de capital de la société ont été admis aux négociations sur un marché réglementé et que leur propriétaire n'a pas son domicile sur le territoire français, au sens de l'article 102 du code civil, tout intermédiaire peut être inscrit pour le compte de ce propriétaire. Cet alinéa a pour effet de reconnaître en droit français le concept du nominee agissant pour le compte d un beneficial owner. 6 Les instruments financiers sont définis au I de l art. L. 211-1 du CMF. Art. L. 211-1, I du CMF : I. - Les instruments financiers comprennent : 1. Les actions et autres titres donnant ou pouvant donner accès, directement ou indirectement, au capital ou aux droits de vote, transmissibles par inscription en compte ou tradition ; 2. Les titres de créance qui représentent chacun un droit de créance sur la personne morale ou le fonds commun de créances qui les émet, transmissibles par inscription en compte ou tradition, à l exclusion des effets de commerce et des bons de caisse ; 3. Les parts ou actions d organismes de placements collectifs ; 4. Les instruments financiers à terme (dans la plupart des cas, les instruments financiers à terme ne sont pas susceptibles d être inscrits en compte) ; 5. Et tous instruments financiers équivalents à ceux mentionnés aux précédents alinéas, émis sur le fondement de droits étrangers. 238 Unif. L. Rev. 2005-1/2

Antoine Maffei De la nature juridique des titres dématérialisés intermédiés en droit français A titre liminaire, il convient toutefois de rappeler que, dans le contexte de l introduction de la dématérialisation, le législateur n a pas voulu bouleverser le régime des valeurs mobilières antérieur à la dématérialisation. Pour le législateur comme pour la doctrine, la réforme issue de la dématérialisation n était qu une simple réforme technique qui ne devait pas modifier les droits des titulaires de titres 7. C est ainsi que la distinction entre les titres au porteur et les titres nominatifs a été maintenue. La volonté de ne pas bouleverser ce régime a dès le début été mise en lumière par la jurisprudence de la Cour de Cassation. Soulignons que lors de l introduction du régime de dématérialisation en 1984, les titres non négociés sur un marché réglementé étaient obligatoirement inscrits sous forme nominative auprès de l émetteur 8. Cette disposition a récemment fait l objet d aménagements par l ordonnance n 2004-604 du 24 juin 2004 qui modifie l article L. 211-4 du CMF pour permettre l inscription auprès d un intermédiaire habilité de titres non cotés (voir plus haut). I. LE TRANSFERT DE PROPRIETE Le décret n 83-359 du 2 mai 1983 dispose que les titres inscrits en compte se transmettent par virement de compte à compte 9. A l origine, aucune disposition particulière n était prévue concernant les modalités de transfert de propriété de titres dématérialisés. C est ainsi que la Cour de Cassation a continué à faire régir par le principe du consensualisme de l article 1583 du Code Civil le transfert de propriété. La Chambre Commerciale de la Cour de Cassation a en effet réduit la portée de l inscription à une mesure d opposabilité 10, affirmant que l article 94-II de la loi du 30 décembre 1981 n avait aucune portée quant au transfert de la propriété, qui a lieu dès l accord des 7 Conseil National du Crédit et du Titre (ed.), Problèmes juridiques liés à la dématérialisation des moyens de paiement et des titres (mai 1997), 120. 8 Les titres nominatifs pouvaient également être gérés en nominatif administré par un intermédiaire habilité. Art. 4 du décret 83-359 du 2 mai 1983 : Un titulaire de titres nominatifs peut charger un intermédiaire habilité de gérer son compte ouvert chez un émetteur. En ce cas, les inscriptions figurant sur ce compte sont reproduites dans un compte d administration tenu par un intermédiaire habilité et le titulaire s oblige à ne plus donner d ordre qu à ce dernier. 9 Art. 2 du décret n 83-359 du 2 mai 1983. 10 Com. 23 nov. 1993, Bull. IV, n 431, p. 313. Com. 22 nov. 1988, Bull. n 322, p. 216. Voir également Alain GHOZI, Le dépôt de valeurs mobilières dématérialisées en droit privé, in Problèmes juridiques... supra note 7 à 181. Le Professeur Ghozi soulève également une contradiction avec une décision de la Chambre civile de la Cour de Cassation du 27 octobre 1993 (Bull. I, n 299, p. 205 confirmé par 1 ère Civ, 6 mars 1996, D. 1996 IR, p. 96). Dans ce dernier arrêt, la Cour considère que le transfert en compte et pas seulement l ordre de virement vaut mise en possession et constitue la tradition constitutive de don manuel. Voir également à ce propos, Jean-Pierre BOUERE / Hubert DE VAUPLANE : Réflexions sur les conséquences apportées par la dématérialisation, sur la portée de l inscription en compte et la nature juridique de la relation entre le teneur de compte et son client, Bull. Joly, juillet 1997, 617. Rev. dr. unif. 2005-1/2 239

Vers une sécurité juridique accrue pour les titres financiers détenus auprès d un intermédiaire parties sur les titres et sur leur prix 11. La Cour de Cassation a ainsi fait application du droit commun de la vente régi par les articles 1583 et suivants du Code Civil pour apprécier la date et la validité du transfert de propriété. Les difficultés que suscitaient ces décisions ont amené le législateur à introduire des dispositions particulières concernant les titres négociés sur un marché réglementé ou concernant les opérations réalisées hors marché et portant sur des titres inscrits auprès d un intermédiaire participant à un système de règlement livraison. Ces modifications ont été introduites par les lois n 93-1444 du 31 décembre 1993 et n 98-546 du 2 juillet 1998 actuellement codifiées sous l article 431-2 du CMF. Ce texte dispose que : pour les titres négociés sur un marché réglementé, le transfert de propriété résulte de l inscription au compte de l acheteur à la date et dans les conditions définies par les règles de place. Ce transfert fait l objet d une résolution de plein droit si le compte de l intermédiaire habilité de l acheteur n a pas été crédité selon les conditions des règles de place 12, pour les opérations réalisées hors marché réglementé, le transfert résulte de leur dénouement irrévocable, tel que les règles de fonctionnement du système de règlement livraison l ont fixé 13. Le client acquiert la propriété s il en a réglé le prix. L intermédiaire reste propriétaire tant que ce prix n a pas été réglé. Jusqu à récemment, les dispositifs spéciaux précités coexistaient avec la règle du consensualisme pour ce qui concernait les titres non cotés et non traités dans un système de règlement livraison. L article 24 de l ordonnance n 2004-604 du 24 juin 2004 a modifié l article L. 228-1 du CC en créant un nouvel alinéa 9 14. Celui-ci : 11 Voir Marie-Charlotte PINIOT, Dématérialisation des titres et jurisprudence de la Cour de Cassation, in : Problèmes juridiques..., supra note 7, 215. 12 Cette règle insérée dans le deuxième alinéa de l art. L. 431-2 du CMF s applique aux instruments financiers mentionnés aux 1, 2 et 3 du I de l art. L. 211-1 du CMF, à savoir les titres de capital, les titres de créances et les parts ou actions d Organismes de Placement Collectif en Valeurs Mobilières (OPCVM) (voir note 6 ci-dessus). Les titres émis sur le fondement d un droit étranger ne sont pas inclus dans le champ d application de cette disposition. 13 Il convient de noter que les titres étrangers peuvent être visés par cette disposition dès lors qu ils sont traités dans un système de règlement livraison régi par l art. L. 330-1 du CMF qui transpose notamment la Directive Européenne n 98-26 du 19 mai 1998 concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres. 14 Art. L. 228-1 du CC, alinéa 9 : En cas de cession de valeurs mobilières admises aux négociations sur un marché réglementé ou de valeurs mobilières non admises aux négociations sur un marché réglementé mais inscrites en compte chez un intermédiaire habilité participant à un système de règlement et de livraison mentionné à l art. L. 330-1 du code monétaire et financier, le transfert de propriété s effectue dans les conditions prévues à l art. L. 431-2 de ce code. Dans les autres cas, le transfert de propriété résulte de l inscription des valeurs mobilières au compte de l acheteur, dans des conditions fixées par décret en Conseil d Etat. 240 Unif. L. Rev. 2005-1/2

Antoine Maffei De la nature juridique des titres dématérialisés intermédiés en droit français renvoie à l article L. 431-2 du CMF pour les titres cotés ou traités dans un système de règlement livraison 15, précise que dans les autres cas (à savoir les opérations de gré à gré), le transfert de propriété résulte de l inscription de valeurs mobilières au compte de l acheteur dans des conditions fixées par décret en Conseil d Etat 16. L article L. 228-1 du CC a pour effet d intégrer dans le droit des sociétés, tel que codifié par le CC, l ensemble du dispositif de transfert de propriété de titres inscrits en compte. Ce dispositif est maintenant régi par un principe unique, à savoir que le transfert de propriété résulte : du dénouement irrévocable de l opération pour les opérations portant sur des titres inscrits en compte chez un intermédiaire habilité participant à un système de règlement livraison (concernant des titres non cotés), de l inscription en compte pour tous les autres titres (titres cotés et autres). En l occurrence, le CC traite le régime applicable aux transferts des titres non intermédiés et renvoie au CMF pour définir les règles se rapportant au transfert des titres intermédiés. Le CMF traite le régime de transfert de titres intermédiés. L inscription en compte devient ainsi la règle essentielle matérialisant le transfert de propriété de titres en droit français. II. NATURE DE L INSCRIPTION EN COMPTE ET DES DROITS S Y RAPPORTANT Les récentes modifications apportées aux règles régissant le transfert de propriété des titres dématérialisés ont consacré le principe ancien selon lequel le transfert de propriété de ceux-ci s effectue solo traditione 17 et non plus solo consensu. La nature réelle voire même corporelle de l inscription est confortée par la caractérisation de l inscription en compte comme dépôt régulier et par des décisions jurisprudentielles notamment en matière de don manuel. 15 Une modification des dispositions de l art. L. 431-2 du CMF est actuellement à l étude afin d appliquer à l ensemble des titres la règle selon laquelle le transfert de propriété résulte de l inscription au compte de l acheteur. 16 A ce jour, ce décret n a pas encore été adopté. 17 Voir Paul DIDIER, Les biens négociables, in Aspects actuels du droit des affaires, Mélanges en l honneur de Yves Guyon, Dalloz (2003), 326. Selon nous, peut être assimilée à la règle du transfert par tradition des titres, la règle selon laquelle le transfert de propriété résulte du dénouement irrévocable de l opération selon les règles de place, règle applicable en cas d opération réalisée hors d un marché réglementé portant sur des instruments financiers inscrits en compte chez un intermédiaire habilité participant à un système de règlement livraison. Rev. dr. unif. 2005-1/2 241

Vers une sécurité juridique accrue pour les titres financiers détenus auprès d un intermédiaire a) L inscription en compte est la valeur mobilière L inscription en compte ne constitue plus un simple moyen de preuve 18 ou une simple mesure d opposabilité ou de publicité. Elle est la valeur mobilière 19. La dématérialisation ne semble pas avoir changé la nature du droit entre l émetteur et le titulaire d un titre inscrit en compte 20. Ce dernier dispose à l encontre de la société émettrice d un droit de créance pour les titres de créance ou d associé pour les titres de capital. Ce droit trouve son ancrage dans le droit des sociétés. Un lien direct est maintenu entre les titulaires de titres et l émetteur, que les titres soient détenus directement ou par l intermédiaire d un teneur de compte conservateur. C est toutefois la question de la nature du droit du titulaire de compte à l encontre de son teneur de compte conservateur qui se pose : droit réel ou droit personnel. Une tendance minoritaire de la doctrine a soutenu la caractérisation de ce droit en droit personnel. Cette thèse a en effet dans le passé été soutenue par Hervé CAUSSE 21. Plus récemment, Frédéric NIZARD constate que, à la suite de la dématérialisation, le titre a disparu et avec lui l idée d incorporation du droit dans le titre et de propriété de titres 22. Selon cette thèse, l inscription ne serait pas un meuble corporel susceptible de propriété et de possession. Dans ce même courant de pensées, les droits constitués par les titres sont des droits de nature personnelle qui ne peuvent pas faire l objet de propriété ou de dépôt 23. Ce courant reste toutefois fortement minoritaire. La caractérisation de l inscription en compte comme droit réel fait l objet d un consensus. C est ainsi que le doyen ROBLOT écrivait : le titulaire n a pas réellement seulement contre l émetteur ou l intermédiaire habilité un droit de créance qui assujettit le teneur de comptes à un certain nombre d obligations rigoureuses. Il a par la valeur représentée par l inscription, un droit qui se rattache à la catégorie de droits réels par les pouvoirs qu il confirme en vue de son utilisation directe et immédiate et par son opposabilité absolue. 24 Depuis, le dispositif législatif 25 et réglementaire ainsi que la jurisprudence ont conforté la notion d inscription en compte comme constituant un droit réel. 18 Voir BOUERE / DE VAUPLANE, supra note 10, p. 623. 19 HOVASSE, Droit des Sociétés (juillet-août 1997), 18, note sous Com. 10 juin 1997. 20 Problèmes juridiques..., supra note 7, 124. 21 H. CAUSSE, Les titres négociables, Litec (1993), n 657, (p.) 326. 22 Frédéric NIZARD, Les titres négociables, Economica / Revue Banque Edition (2003), para. 654 et s. 23 Idem, n 709, (p.) 330. 24 R. ROBLOT, La dématérialisation des valeurs mobilières, ANSA (1984), n 18. 25 Notamment l introduction de la loi n 96-297 du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières aujourd hui codifiée dans le CMF (voir les arts. L. 413-2 et L. 533-7 du CMF). 242 Unif. L. Rev. 2005-1/2

Antoine Maffei De la nature juridique des titres dématérialisés intermédiés en droit français Les textes et la jurisprudence ont consacré le droit de propriété des titulaires de comptes et écarté l existence d un tel droit au profit du teneur de compte 26. L article L. 533-7 du CMF dispose en effet que les prestataires de services d investissement protègent le droit de propriété des investisseurs sur les instruments financiers dont ils assurent la tenue de compte. Ils ne peuvent utiliser ces titres pour leur propre compte qu avec le consentement explicite de l investisseur. L article L. 431-2 du CMF consacre également le transfert de propriété qui résulte de l inscription en compte. Le droit de propriété n est toutefois pas constitué sous forme de copropriété sur des valeurs mobilières de même nature 27. b) Le contrat de conservation, réceptacle d un dépôt régulier Le législateur a confié à l Autorité des Marchés Financiers ( AMF ) le soin de déterminer les conditions d exercice de l activité de conservation et d administration d instruments financiers. Son Règlement Général fournit un corps de règles notamment destinées à assurer la protection des titulaires d instruments financiers inscrits en compte. Les personnes morales établies en France exerçant l activité de conservation et d administration d instruments financiers doivent à cet effet obtenir un agrément du Comité des Etablissements de Crédit et des Entreprises d Investissement 28. Il s agit là d une caractéristique essentielle du dispositif de tenue de compte titre qui, en France, constitue une activité réglementée et encadrée. Cette activité de tenue de compte s exerce sous le contrôle de l AMF, selon les dispositions de son Règlement Général. L AMF impose aux intermédiaires habilités agissant comme teneurs de compte conservateurs plusieurs obligations et interdictions énoncées dans son Règlement Général et dans le cahier des charges du teneur de compte conservateur 29, dont elle peut sanctionner les manquements 30 : obligation d apporter tous ses soins à la conservation des instruments financiers, obligation de veiller à la stricte comptabilisation des instruments financiers et de leurs mouvements selon les règles de la comptabilité en partie double, interdiction de faire usage des instruments financiers inscrits en compte et des droits qui y sont attachés sans l accord exprès de leurs titulaires, interdiction de transférer la propriété des instruments financiers sans l accord de leurs titulaires, obligation de restituer les instruments financiers confiés par les clients (cette restitution intervenant par virement de compte à compte, chez un teneur de 26 Ph. GOUTAY, La dématérialisation de valeurs mobilières, Bull. Joly (1999), 415 et s. 27 Problèmes juridiques..., supra note 7, 125. 28 Art. L. 542-1 du CMF. 29 Le cahier des charges du teneur de compte conservateur est intégré dans le Règlement Général de l AMF (arts. 332-1 et s). 30 Art. 332-4 du Règlement Général de l AMF. Rev. dr. unif. 2005-1/2 243

Vers une sécurité juridique accrue pour les titres financiers détenus auprès d un intermédiaire compte conservateur que le titulaire désigne), obligation de cloisonner les avoirs des clients. Ces obligations et interdictions conduisent à analyser le contrat liant le teneur de compte conservateur et son client en un dépôt régulier. Cette qualification s appuie également sur les dispositions du CMF qui font référence aux obligations caractéristiques du contrat de dépôt, à savoir la conservation 31 et la restitution 32. Le caractère régulier de ce dépôt se déduit notamment de l interdiction faite au conservateur d utiliser les titres déposés 33. Cette analyse, partagée par la chambre criminelle de la Cour de Cassation 34, n est pas remise en cause par le caractère fongible des instruments financiers. Dès lors que les titres déposés sont clairement identifiés et cloisonnés par l inscription en compte des titulaires, il ne saurait y avoir de transfert de propriété du déposant au profit du dépositaire, faute de confusion avec des titres identiques appartenant à ce dernier 35. c) La nature du droit du titulaire consacrée par la jurisprudence sur le don manuel Le don manuel est une libéralité entre vifs qui s opère par tradition et qui n est soumise à aucune formalité. La tradition n est pas un acte d exécution du contrat, elle est un élément constitutif de celui-ci. Cette tradition doit être effectuée dans des conditions telles qu elle entraîne une dépossession effective et définitive du donateur. Avant la dématérialisation des valeurs mobilières, la possibilité d opérer un don manuel reposait sur une distinction. A la différence des titres nominatifs, les titres au porteur pouvaient être l objet d un tel contrat. Depuis le 3 novembre 1984, se posait donc la question de savoir si les valeurs mobilières étaient désormais exclues du don manuel, une remise de la main à la main étant désormais impossible. La Cour de Cassation a admis que les titres dématérialisés peuvent faire l objet d un don manuel. Cette décision consacre le caractère réel du droit du titulaire de valeurs mobilières. Il ne saurait en effet s agir d un droit personnel, la donation d une créance impliquant le respect des formalités prévues par le Code Civil 36. L exigence de tradition s opère selon le mode de fonctionnement des comptes, c est-à-dire par virement 37, lequel vaut remise de la chose. Afin de respecter les conditions de mise en possession et d irrévocabilité, la tradition est considérée réalisée lorsque les titres sont inscrits sur le compte du donataire 38. 31 Articles L. 321-2, L. 322-1 et L. 542-1 du CMF. 32 Art. L. 322-2 du CMF. 33 Art. L. 533-7 du CMF. 34 Cass. Crim. 30 mai 1996, Bull. criminel 1996 n 224, p. 625. 35 GHOZI, supra note 10, (p.) 201; T. BONNEAU / F. DRUMMOND, Droit des marchés financiers, Economica (2001), n 232, (p.) 211 ; Cass. 1 ère Civ. 29 novembre 1983, Bull, I, n 280. 36 Sous réserve des créances incorporées dans un titre, pour lesquelles le transfert du titre vaut don manuel de la créance. 37 Cass. Com. 19 mai 1998, Dalloz 1998, JP, p. 551. 38 Cass. 1 ère Civ. 6 mars 1996, Bull, I, n 119. 244 Unif. L. Rev. 2005-1/2

Antoine Maffei De la nature juridique des titres dématérialisés intermédiés en droit français d) La nature du droit du titulaire consacrée par les règles relatives au gage de compte d instruments financiers Le gage de compte d instruments financiers est une garantie créée par la loi du 2 juillet 1996 39. De constitution et de réalisation simples, le gage de compte d instruments financiers peut porter sur les titres de capital, les titres de créance et les parts ou actions d OPCVM mentionnés au I de l article L. 211-1 du CMF, sur les instruments financiers équivalents émis sur le fondement de droits étrangers, ainsi que sur des espèces, pour autant qu elles proviennent des fruits et produits des instruments financiers inscrits sur le compte gagé 40. Le gage de compte d instruments financiers confère au créancier des prérogatives lui permettant d assurer efficacement son désintéressement. Dès lors qu il dispose d une créance certaine, liquide et exigible, le créancier gagiste peut réaliser la garantie notamment en se faisant attribuer en propriété les titres inscrits sur le compte, dès lors que ces titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé 41. Les dispositions du CMF relatives au gage de compte d instruments financiers reconnaissent également au créancier gagiste un droit de rétention sur les instruments financiers et sommes figurant au compte gagé 42. Or, la Cour de Cassation a récemment qualifié le droit de rétention de droit réel 43. e) La nature du droit du titulaire consacrée par les dispositions applicables en cas de redressement ou de liquidation judiciaire du conservateur de titres L article L. 431-6 du CMF prévoit que lorsqu un teneur de compte fait l objet d une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, les déposants peuvent demander que leurs titres soient transférés dans les livres d un autre teneur de compte. L article L. 431-6 instaure ainsi au profit des titulaires de titres un véritable 39 Le régime antérieur à la loi du 2 juillet 1996 prévoyait la constitution d un gage sur les titres inscrits en compte plutôt que sur le compte lui-même (art. 29 de la loi n 83-1 du 3 janvier 1983). 40 H. DE VAUPLANE et J.P. BORNET, Droit des marchés financiers, Litec (2001), n 66, (p.) 73. L ordonnance n 2005-171 du 24 février 2005 modifie l art. L. 431-4 du CMF en insérant la disposition suivante : III. Lorsque les instruments financiers figurant dans le compte gagé sont en forme nominative et que le teneur du compte n est pas une personne autorisée à recevoir des fonds du public au sens de l art. L. 312-2, les fruits et produits mentionnés au I versés en toute monnaie doivent être inscrits au crédit d un compte spécial ouvert au nom du titulaire du compte gagé dans les livres d un intermédiaire habilité ou d un établissement de crédit. Ce compte spécial est réputé faire partie intégrante du compte gagé à la date de signature de la déclaration de gage. Le créancier gagiste peut obtenir, sur simple demande au teneur du compte spécial, une attestation comportant l inventaire des sommes en toute monnaie inscrites au crédit de ce compte à la date de la délivrance de cette attestation. Cette disposition a pour objet d organiser le régime des fruits et produits des instruments financiers gagés lorsqu ils sont en forme nominative et conservés par l émetteur. 41 Art. 3 du décret 97-509 du 21 mai 1997. 42 Art. L. 431-4, IV du CMF, dans sa rédaction issue de l ordonnance n 2005-171 du 24 février 2005 ; Orléans, 7 octobre 2004, BRDA 4/05, (p.) 13. 43 Cass. 1 ère Civ. 7 janvier 1992, Bull. I, n 4. Rev. dr. unif. 2005-1/2 245

Vers une sécurité juridique accrue pour les titres financiers détenus auprès d un intermédiaire droit de revendication sui generis dont les modalités de mise en œuvre diffèrent de celles visées par l article L. 621-115 du CC. Ces modalités consacrent toutefois le même principe issu du droit commun permettant au créancier propriétaire d échapper aux contraintes de la procédure collective par le biais d une action en revendication, ce qui conforte l analyse du droit en droit réel. On perçoit à cet égard l utilité de l obligation de ségrégation : les instruments financiers des déposants étant distingués de ceux du prestataire défaillant, le virement des titres dans les livres d un autre teneur de compte conservateur, et partant, leur revendication, en est facilitée. L article L. 431-6 du CMF prévoit qu en cas de faillite du prestataire, il est procédé à une vérification de manière à s assurer que l ensemble des titres détenus en compte sont en nombre suffisant pour que le dépositaire puisse remplir ses obligations vis-à-vis des déposants. En cas d insuffisance, il est procédé à une répartition proportionnelle entre les titulaires des titres. A proportion des titres rendus disponibles, leurs propriétaires peuvent les faire virer à un compte tenu par un autre intermédiaire ou par la personne morale émettrice. Pour la fraction des titres non restitués, les titulaires sont dispensés de déclarer leurs créances dans les conditions de l article L. 621-43 du CC. f) Les titres émis sur le fondement de droits étrangers La nature du droit du titulaire de valeurs mobilières se pose non seulement pour les titres émis en France mais aussi pour les titres émis sur le fondement de droits étrangers et inscrits sur un compte ouvert dans les livres d un teneur de compte conservateur en France. Le décret n 83-359 du 2 mai 1983 44, dont la plupart des dispositions ont été abrogées, prévoit que les articles 5 (alinéa 2 et 3), 7, 9 à 13, 15, 16, 17 (alinéa 2) et 18 à 35 du décret n 49-1105 du 4 août 1949 restent applicables aux titres émis sur le fondement de droits étrangers et admis aux opérations d un dépositaire central. L article 19 ter du décret de 1949 dispose que les titres déposés chez un dépositaire central sont inscrits en compte et bénéficient des dispositions concernant les comptes courants de valeurs mobilières (auxquelles l article 22 du décret de 1983 renvoie) pour autant qu elles sont compatibles avec la forme et les caractéristiques de ces titres. Selon l article 11 du même décret, les obligations du dépositaire central vis-à-vis des établissements affiliés et celles de ces derniers à l égard de leurs clients sont régies par les règles du Code Civil régissant le dépôt. Il doit également être observé que l article 12 du décret de 1949 donne explicitement aux titulaires de titres le droit d exercer une action en revendication, conformément à l article L. 621-121 du CC 45. 44 Art. 22 du décret 83-359 du 2 mai 1983. 45 L art. L. 621-121 est intégré dans le dispositif du CC régissant les procédures collectives. Selon cet article : 246 Unif. L. Rev. 2005-1/2

Antoine Maffei De la nature juridique des titres dématérialisés intermédiés en droit français En raison de ce qui précède, les titulaires de titres émis sur le fondement de droits étrangers et admis aux opérations d un dépositaire central devraient être considérés comme des propriétaires, sous réserve que la forme et les caractéristiques des titres soient compatibles avec une telle qualification 46. g) Conséquences de la qualification de droit réel sur la saisie des instruments financiers inscrits en compte La nature réelle du droit du titulaire des instruments financiers inscrits en compte emporte une conséquence majeure. Dans le contexte d une chaîne d intermédiation, seul le titulaire du compte d instruments financiers ouvert dans les livres de l intermédiaire en bout de la chaîne de détention des titres est propriétaire des titres inscrits auprès de cet intermédiaire. Les autres comptes de la chaîne d intermédiation ne sont que des comptes miroirs, et partant, ne sont pas susceptibles de saisie. Notons que les inscriptions en compte figurant sur le compte d un adhérent d Euroclear France sont le miroir des inscriptions en compte figurant dans les livres de cet intermédiaire, à l exception des comptes ouverts pour compte propre par un adhérent d Euroclear France dans les livres de cette dernière. Ces comptes miroirs ne sont pas représentatifs d un droit de propriété sur les titres inscrits en compte. Ces inscriptions ont simplement pour objet de s assurer que la somme des titres circulant en France dans le périmètre d Euroclear France correspond au nombre de titres émis figurant au crédit du compte d émission dans les livres d Euroclear France 47. Pour chaque instrument financier, les inscriptions en compte au nom d adhérents d Euroclear France dans les livres de celle-ci doivent correspondre aux inscriptions en compte figurant dans les livres tenus par ces mêmes adhérents d Euroclear France agissant en qualité de teneurs de compte conservateurs. Peuvent être revendiqués, s ils se trouvent encore dans le portefeuille du débiteur, les effets de commerce ou autres titres non payés, remis par leur propriétaire pour être recouvrés ou pour être spécialement affectés à des paiements déterminés. Il convient d observer que l art. 12 du décret de 1949 octroie expressément aux titulaires des titres un droit de revendication. 46 La Convention de La Haye du 13 décembre 2002 sur la loi applicable à certains droits sur des titres détenus auprès d un intermédiaire prévoit que la loi régissant les questions objet de la Convention est la loi régissant le contrat de conservation ou si celui-ci désigne une autre loi, cette loi, pour autant que l intermédiaire ait au moment de la conclusion du contrat de conservation un établissement dans le pays dont le droit régit ce contrat (art. 4). 47 Art. 4.1 des règles de fonctionnement du dépositaire central Euroclear France, dans sa version du 12 janvier 2005 : Euroclear France prend en charge dans ses écritures, à un compte émission, l intégralité des titres composant chaque émission d instruments financiers scripturaux soumise aux dispositions de l art. L 211-4 du Code monétaire et financier ou aux dispositions des articles L 213-1 à L 213-4 du même code et admise à ses opérations. Rev. dr. unif. 2005-1/2 247

Vers une sécurité juridique accrue pour les titres financiers détenus auprès d un intermédiaire III. PROTECTION DU TIERS ACQUEREUR DE BONNE FOI La reconnaissance de l existence d un droit de propriété du titulaire de valeurs mobilières soulève la question de savoir à quel moment intervient le transfert de propriété. Dans ce cadre, quel est le rôle de l inscription en compte? L inscription en compte n a pas une simple fonction de publicité ou d opposabilité aux tiers du transfert de propriété : l inscription en compte est translative de propriété des titres 48. En conséquence, dans l hypothèse où une personne cède deux fois les mêmes titres à deux cessionnaires différents, celui qui est inscrit en compte le premier en est le propriétaire 49. De même, dans les rapports entre le cédant et le cessionnaire des titres, l inscription en compte emporte présomption de propriété au profit de ce dernier 50. Pour le Professeur Paul DIDIER, les impératifs de rapidité et de sécurité de transmission des valeurs mobilières devraient aboutir à les faire échapper à la règle nemo plus juris. Il est en effet impossible, pour des opérations courantes comme la vente de valeurs mobilières, de procéder à une recherche d origine de propriété, à l instar de celle instituée pour les ventes d immeubles 51. La matérialisation du titre par l inscription en compte renforcerait ainsi la situation juridique du sous-acquéreur de bonne foi : le cessionnaire inscrit en compte présentant l apparence d un propriétaire, le sous-acquéreur de bonne foi des titres ne subirait pas le risque d une action en revendication du cédant. L inscription en compte pourrait ainsi jouer un rôle similaire à celui de l article 2279 du Code civil. Quelques auteurs vont plus loin en proposant une application directe de cet article aux titres inscrits en compte. Selon le professeur Didier R. MARTIN, l inscription en compte est le signe de la nature corporelle des valeurs mobilières 52. La loi du 30 décembre 1981 n a pas dématérialisé les valeurs mobilières ; elle les a détitrisées. La loi de 1981 a consacré un abandon de la théorie de l incorporation du droit dans un titre pour lui substituer une figuration nouvelle de la valeur mobilière : l inscription en compte. Le titre n est pas réduit à un état abstrait, il reste matériel. Etant un bien meuble corporel, l article 2279 du Code Civil lui est applicable. D autres auteurs refusent de considérer les valeurs mobilières comme des biens corporels. Selon eux, l absence de corporalité n est pas un obstacle à l application de 48 Articles L. 228-1 du CC et L. 432-1 du CMF. 49 Le transfert de propriété intervenant au moment de l inscription en compte, les valeurs mobilières échappent à l art. 1138 du Code Civil qui tranche les conflits qui s élèvent entre deux cessionnaires en donnant la préférence à la première cession. 50 Cass. Com 10 juin 1997, D. 1999, JP, p. 89. 51 DIDIER, supra note 17. 52 D.R. MARTIN, De la nature corporelle des valeurs mobilières, Dalloz (1996), Chr, 47. 248 Unif. L. Rev. 2005-1/2

Antoine Maffei De la nature juridique des titres dématérialisés intermédiés en droit français l article 2279 dans la mesure où cet article ne distingue pas entre les deux catégories de meubles et qu une possession des biens incorporels est possible 53. Il convient toutefois d indiquer que ces opinions ne font pas l unanimité au sein de la doctrine. * * * Au cours de ses vingt années d existence, le dispositif français de dématérialisation, révolutionnaire dès l origine, s est progressivement développé, enrichi par les expériences vécues depuis son introduction. Dans le contexte des travaux internationaux dont ceux d UNIDROIT et ceux conduits par l Union Européenne, la place de Paris se penche sur les textes actuels afin de les rendre plus cohérents et plus lisibles. Des améliorations substantielles ont été réalisées dans un passé récent sur le transfert de propriété. Certaines améliorations sont souhaitables concernant les effets de l inscription en compte et la nature juridique de celle-ci. Finalement, le statut des titres étrangers devrait faire l objet d un toilettage. La protection du tiers acquéreur de bonne foi pourrait faire l objet de clarifications tout comme l insaisissabilité des titres détenus dans la chaîne de détention. 53 H. LE NABASQUE / A. REYGROBELLET, L inscription en compte des valeurs mobilières, Revue de Droit Bancaire et Financier (juillet août 2000), 261 et s. Rev. dr. unif. 2005-1/2 249