Hôpital et kinésithérapie : l attractivité en question(s) Activité-stratégie-performance : une triade pour l attractivité Eric Roussel Directeur des soins Paris (75) La séquence activité-stratégie-performance est un process 1 qui entre dans le cycle de gestion des établissements de santé et des pôles d activité. Cette procédure est à la fois un dispositif de régulation et un projet de progression (Joël De Rosnay 2 parle de boucle de rétroaction) qui permet de formaliser et contractualiser un projet d entreprise 3. Bien que cette procédure respecte l annualité budgétaire des comptes publics, elle est souvent pluriannuelle et toujours prospective. Nous pouvons considérer que ce cycle vertueux fondé à la fois sur la lisibilité des actions et sur la contractualisation de l activité est source d attractivité pour l hôpital. En effet si les «usagers» de l hôpital mais également ses acteurs connaissent la visée, les objectifs et le programme de l établissement de santé, il est alors possible d imaginer qu ils acceptent de s engager avec et au sein de cette organisation. Un contrat est envisageable, d une part pour les patients qui viendront à l hôpital en confiance, d autre part pour les professionnels qui pourront anticiper et mesurer les effets de leur engagement. Après avoir défini et mis en lien les notions d activité, de stratégie et de performance nous souhaitons montrer que cette triade est source d attractivité pour la masso-kinésithérapie, les masseurs kinésithérapeutes mais aussi pour l établissement où ils travaillent. Prolégomènes à une triade efficiente L activité c est l ensemble des phénomènes par lequel se manifeste un processus, un fonctionnement. C est aussi l action d une personne, d une entreprise, d une nation dans un domaine donné. Pour le Littré 4 c est la puissance d'agir, L'âme a conscience de son activité. L'activité de l hôpital c est ce pour quoi il est fait, c est-à-dire le soin, l éducation, la prévention, l enseignement et la recherche et de moins en moins l hébergement. Ces missions qui sont celles de tout établissement public de santé (E.P.S), mais aussi de tous ceux qui participent au service public (P.S.P.H), sont sa raison sociétale. La raison pour laquelle la société accepte d investir et de financer les structures de prévention et de soins. L activité c est le cœur de métier d un hôpital donné, dans un territoire de santé donné, pour une santé publique médicalement et politiquement choisie, en partenariat avec d autres structures de soins qu elles soient hospitalières ou non. 1 Process est un terme d origine anglo-saxonne que l on traduit par procédure. La procédure est l enchainement d actions élémentaires visant l atteinte d un but prédéterminé. 2 De Rosnay.J, Le macroscope, Paris : Seuil, 1975, 321 p. 3 L entreprise est ici à la fois une organisation qui tend vers un but, mais aussi l exécution d une intention et le fait de répondre à un contrat. 4 Dictionnaire de la langue Française d Emile Littré. 1
Aujourd hui l activité à l hôpital n est pas le résultat de la mise en œuvre de moyens préalablement donnés (technologiques, humains et autres ), mais l anticipation d une capacité quantitative et qualité à «prendre en soins» un certain nombre de malades. Nous ne sommes plus dans une logique de moyens mais dans une logique de résultats, seuls garants du financement des hôpitaux 5 et de la fidélisation des «clients». Nous retenons donc que l activité est visible, conscientisée, anticipée et évaluée sur la base de critères et d indicateurs préalablement négociés. Elle est donc pilotée et managée et doit s appuyer sur une stratégie. La stratégie c est l art de coordonner des actions, de manœuvrer habilement pour atteindre un but. La stratégie appartient initialement au vocabulaire militaire où elle est l'art de préparer un plan de campagne, de diriger une armée vers les points décisifs ou stratégiques, et de reconnaître les points sur lesquels il faut, dans les batailles, porter les plus grandes masses de troupes pour assurer le succès. Plus généralement c est un ensemble cohérent de décisions que se propose de prendre un agent assumant des responsabilités, face aux diverses éventualités qu il est conduit d envisager, tant du fait des circonstances extérieures qu en vue d hypothèses portant sur le comportement d autres agents intéressés par de telles décisions (R.Roy). La stratégie fait donc partie de l arsenal managérial des décideurs hospitaliers, qu ils soient médicaux ou directoriaux. C est au sein des pôles, mais également en comité exécutif 6, qu une stratégie est élaborée pour choisir les activités cibles de l hôpital ainsi que les modalités médico-économiques de leur mises en œuvre. La stratégie s appuie sur un état des lieux, mais également sur une étude de besoins en un lieu donné à un moment donné. Il s agit bien de mesurer rétrospectivement l activité réalisée et son évolution, et d évaluer la demande et le besoin de soins d une population pour s adapter aux nécessités de santé. Nous retenons que la stratégie d un hôpital c est décider pour choisir la «bonne activité» ; donc déterminer des objectifs pertinents avec les problématiques de santé publique et se doter d outils de pilotage adaptés. La performance est le résultat obtenu dans l exécution d une tâche. La performance c est l efficience conjuguée à la qualité. L efficience c est l efficacité au meilleur coût. L efficacité c est la capacité d atteindre un but préalablement fixé. La performance c est la capacité d atteindre un but au meilleur coût en respectant les critères de qualité attendus. Pour un soignant être performant ce n est pas seulement soigner, c est avant tout mettre en œuvre un projet thérapeutique qui respecte le projet du patient. Pour un établissement de santé être performant c est «prendre en soins» (préventif, diagnostique et thérapeutique) un ensemble d usagers, en s appuyant sur l état le plus récent des connaissances médicales 7 et organisationnelles, et en utilisant au mieux l argent public. Etre performant pour un hôpital ce n est pas soigner «parfaitement» quelques malades mais assurer au mieux la prévention, l éducation, le soin et la réinsertion d un maximum de patients. Nous retenons que la performance est référée, mesurable, concertée et partagée. La performance d un soignant ou d un établissement s inscrit dans un collectif (de soignants ou de structures de santé). 5 C est le principe de la tarification à l activité (T2A) 6 Le comité exécutif est une nouvelle instance hospitalière paritaire (médecins et administration) de décision mise en place par les ordonnances du 2 mai 2005 sur l organisation hospitalière. 7 Etayé par les recommandations et conférences de consensus 2
Elle est donc au service d une société qui en a déterminée les règles et les limites. Aujourd hui le financement de la santé est légiféré par le parlement 8. La masse financière disponible est une des limites à la performance. Il faut savoir en tenir compte. La mise en lien d une activité ciblée, d une stratégie managériale et d une performance visible et transparente est aujourd hui plus que jamais une nécessité absolue. Elle doit permettre d éviter les doublons d activités 9 mais aussi les déserts thérapeutiques 10. Toutes les structures et tous les professionnels ne peuvent légitiment pas prétendre tout faire et bien le faire. Le lien activité/stratégie/performance doit favoriser la juste utilisation de ressources de plus en plus couteuses. Il fixe des exigences de résultats, des délais et des moyens adaptés qui sont autant de clauses à un contrat permettant à chacun de s engager. C est valable pour les usagers de l hôpital mais aussi pour les professionnels qui viennent y travailler c est donc un facteur d attractivité. Vous avez dit attractivité!! L attractivité caractérise ce qui à la qualité d être attractif. Est attractif ce qui à la propriété d attirer, qui présente un avantage ou un attrait. L attractivité est une notion développée en physique (attractivité terrestre, attractivité d un aimant ), mais également en marketing. Elle est alors l ensemble des caractéristiques ou attributs détenus par un produit ou une marque et qui lui donnent une certaine supériorité sur ses concurrents directs. L'attractivité peut être définie comme la capacité à attirer les activités nouvelles et les facteurs de production mobiles (capitaux, équipements, entreprises, travailleurs qualifiés) sur un territoire. C'est la définition donnée par la Direction de la Prévision et de l'analyse Economique. Elle présente l'avantage de prendre en compte trois aspects importants de l'attractivité : la capacité à attirer l'implantation de nouveaux établissements ; l'aptitude à attirer les capitaux ; la capacité à attirer la main-d œuvre et créer de l emploi. Ces caractéristiques de l attractivité sont transposables aux établissements de santé et à la massokinésithérapie. L attractivité des EPS renvoie à leur capacité à attirer des activités nouvelles (donc les tarifs des GHS 11 ) et de la main d œuvre (des masseurs kinésithérapeutes entre autre). L attractivité de la masso-kinésithérapie s appuie sur sa capacité à participer au développement de l activité de l établissement mais aussi sur sa capacité à attirer les professionnels de demain. Notons que la notion d attractivité est étroitement liée à celle de fidélisation. Toujours en marketing, la fidélisation se rapproche du commerce «éthique» dans lequel l'entreprise développe une politique commerciale visant à établir une relation particulière entre le client et son fournisseur, centrée sur le partage d'intérêts et/ou de valeurs au bénéfice des deux parties. Fidéliser des professionnels dans les EPS c est donc s inscrire dans une logique gagnant-gagnant pour l établissement et pour les soignants. La rétribution n y suffit pas il faut proposer autre chose. 8 Loi n 2007-1222 du 24 décembre 2007 de finances pour 2008. 9 Que ce soit entre établissements publics de santé ou entre le public et le privé. 10 Cf. le rapport Ph.Ritter sur les agences régionales de santé (janvier 2008). 11 GHS : groupe homogène de séjour 3
La triade activité-stratégie-performance pour rendre attractive la masso-kinésithérapie Nous savons que la modification du financement hospitalier, qui depuis janvier 2008 est 100% T2A, va : - Premièrement accroitre la pression sur l activité donc sur la durée de séjour au sein des pôles cliniques. La masso-kinésithérapie devra contribuer à la réduction des durées de séjour et à l amélioration du travail en réseaux vers «la ville» et les structures d aval. - Deuxiémement demander d investir les missions d intérêt général (MIGAC) et d enseignement de recours, de recherche et d innovation (MERRI). La masso-kinésithérapie doit s y engager. Par ailleurs il est probable que les pouvoirs publics vont privilégier le développement de la médecine de proximité et les soins courants (cf. le rapport RITTER) qui permettent d agir pour un plus grand nombre de patients et d appréhender les grandes questions de santé publique dans les domaines de la prévention, de l éducation, du diagnostic, du pronostic et de la thérapeutique. Permettre le développement de l activité clinique, souvent spécialisée, de l hôpital et s engager résolument dans une rééducation «de proximité» pour une réadaptation et l insertion du plus grand nombre, tels sont les enjeux de la kinésithérapie de demain. Cette nécessité qui peut sembler contradictoire, car d une part hyperspécialisée et d autre part généraliste, demande d élaborer une stratégie réfléchie et proactive. Pour cela il faut mettre nos forces sur le cœur de métier de l hôpital en développant des activités de diagnostic, d évaluation et d orientation des patients vers un réseau et des structures d avals efficients. Cette stratégie doit également investir les missions de prévention, d éducation et d anticipation des grandes problématiques de santé publique de demain. Il s agit par exemple du développement de la gérontologie, de la chronicisation des maladies du développement et des affections graves et du vieillissement des personnes handicapés. Chacun de ces choix doit être évalué et confronté aux références et recommandations en vigueur. C est ainsi que la masso-kinésithérapie apportera la preuve de sa plus-value et donc de sa performance. C est ainsi qu elle répondra au projet d une société qui veut mesurer le bénéfice de l énergie et de l argent qu elle dépense. La triade activité-stratégie-performance pour attirer et fidéliser les professionnels Les rubriques «Offres d emplois» des revues professionnelles et différents médias sont pleines d annonces d établissements de santé qui cherchent des masseurs-kinésithérapeutes. «La pénurie 12» touchent la plupart des hôpitaux, qu ils soient connus ou non, quelque soit leur emplacement (les bords de mer ne sont plus épargnés), ou leur cœur de métier (les centres de rééducation sont également en difficulté). En contrepoint de ce constat il est remarquable que le nombre de professionnels formés et disponibles sur le marché du travail soit toujours plus important. Aujourd hui il y a 62 600 kinésithérapeutes exerçant en France contre 44 000 en 1994 (+51%) et 55 800 en 2002 (+12%) 13. Il y a donc aujourd hui en France, contradiction entre le nombre de masseurkinésithérapeutes pour cent mille habitants (égal à 102) qui, mis à part la Belgique, est l un des plus importants d Europe et la difficulté à recruter dans les établissements de santé. 12 La pénurie est le manque de ce qui est nécessaire (dictionnaire Robert). Ce manque est surtout une réalité hospitalière. 13 Source : IRDES (Institut de recherche et documentation en économie de la santé), mars 2008. 4
C est le problème de l attractivité et de la fidélisation des établissements de santé pour les masseurskinésithérapeutes qui est posé. Les raisons de ce constat sont multiples. Elles sont endogènes et exogènes et le niveau de rémunération n explique pas tout. Les questions non résolues sont celles du statut et des salaires, mais également celles, et surtout celles, du sens au travail, de la responsabilisation des acteurs, du management et des interactions avec le corps médical, des conditions de travail et des possibilités d évolution professionnelles. Gilles Verrier 14 considère que ces différents facteurs d attractivité ne sont pas suffisamment investis par les managers. Ceux ci doivent tout d abord évaluer les facteurs d attractivité en questionnant l ensemble des professionnels, puis travailler à l amélioration de chacun de ces axes afin de permettre la différenciation de leur «entreprise» par rapport à la concurrence. En reprenant ce modèle et en posant : que le choix déterminé, volontaire et contractuel d un domaine d activités et de missions claires pour la masso-kinésithérapie est porteur de sens au travail ; qu un management efficace, c est-à-dire capable de prendre des décisions et de les assumer, et la mise en place de conditions de travail optimales sont les preuves d une stratégie prospective ; et que la performance individuelle et collective au travail s appuie sur la responsabilisation et l évaluation des acteurs, et favorise leur évolution professionnelle ; nous confirmons que la triade activité/stratégie/performance est un process pertinent pour développer l attractivité des établissements de santé pour les masseurs kinésithérapeutes. Bibliographie - De ROSNAY.J, Le macroscope, Paris : Seuil, 1975, 321 p. - VERRIER.G, Réinventer les RH, Paris : Dunod, 2007, 181 p. 14 VERRIER.G, Réinventer les RH, Paris : Dunod, 2007, 181 p. 5