Les règles d'imposition des associés non résidents de sociétés de personnes sont précisées



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Transcription:

Les règles d'imposition des associés non résidents de sociétés de personnes sont précisées 02/08/11 CE 11 juillet 2011 n 317024 plén., Sté Quality InvestPar Bruno Gouthière, avocat associé, CMS Bureau Francis Lefebvre Le Conseil d'etat réaffirme que les associés non résidents de sociétés de personnes sont imposables en France à raison de leur participation à la société et il précise que les conventions fiscales modèle OCDE ne s'y opposent pas. 1 La question de l'imposition des résultats réalisés en France par les sociétés de personnes françaises dont les associés sont non résidents a, depuis une quinzaine d'années, suscité une certaine controverse entre les tenants de la transparence des sociétés de personnes qui souhaitaient, au fond, que les associés non résidents soient imposés en France comme si la société n'existait pas et ceux qui estimaient qu'il fallait tirer toutes les conséquences de ce que la société existe indépendamment de ses membres et qu'il n'était donc pas possible d'en faire abstraction. 2 Si le principe de l'imposition en France en droit interne avait été tranché par la jurisprudence du Conseil d'etat, l'incidence des conventions fiscales restait encore à préciser car la jurisprudence n'avait pas été tout à fait au bout du raisonnement. C'est chose faite aujourd'hui. Par une décision de plénière particulièrement claire et pourvue de l'autorité nécessaire pour clore les débats contentieux, le Conseil d'etat vient en effet de confirmer, de manière solennelle, que les associés non résidents des sociétés de personnes françaises sont imposables en France en raison de leur participation à la société et que les conventions fiscales qui reprennent le modèle de l'ocde, c'est-à-dire celles qui ne comportent pas de stipulations qui y feraient spécifiquement obstacle, ne s'y opposent pas (CE 11 juillet 2011 n 317024 plén., Quality Invest : à la RJF 10/11 n 1063, concl. L. Olléon, au BDCF 10/11). Les circonstances de l'affaire Quality Invest 3 La société norvégienne Quality Invest détenait 99 % des parts de la société civile immobilière (SCI) de construction-vente Villa Prat, dont le siège social était situé à Nice. Cette SCI avait pour objet l'acquisition de terrains, la construction sur ces terrains d'immeubles collectifs et leur revente en blocs ou par lots ; la SCI exerçait son activité exclusivement en France. Au cours de l'année 1991 qui était seule en litige, son activité avait consisté en la réhabilitation d'un immeuble destiné à être revendu par lots. La SCI n'avait pas opté pour son assujettissement à l'impôt sur les sociétés. L'associé norvégien de la SCI, la société Quality Invest, n'avait pas déclaré en France la quote-part de bénéfices lui revenant à raison de sa participation au capital de la SCI. L'administration lui a donc adressé une mise en demeure de souscrire une déclaration de résultat et, comme cette mise en demeure était restée sans réponse, Quality Invest a été assujettie à l'impôt sur les sociétés, augmenté des intérêts de retard et de la pénalité de 40 % prévue par l'article 1728 du CGI, sur la quote-part lui revenant dans les bénéfices de la SCI et selon la procédure de taxation d'office. 4 Quality Invest a contesté l'imposition et obtenu gain de cause en appel (CAA Paris 10 avril 2008 n 06-3686, Quality Invest : RJF 12/08 n 1300) ; la cour avait, en effet, considéré que la société norvégienne n'était pas imposable en France à raison des profits qu'elle retirait de sa participation dans la SCI, dans la mesure où ces revenus n'étaient visés par aucune stipulation de la convention franco-norvégienne du 19 décembre 1980 et qu'ils entraient par conséquent dans le champ de la clause balai relative aux revenus non dénommés, qui conduisait à réserver le droit d'imposer à la Norvège. Le Conseil d'etat vient, dans une décision remarquablement logique et cohérente, d'annuler l'arrêt d'appel pour erreur de droit. Confirmation du principe de l'imposition en droit interne 5

Le Conseil d'etat réaffirme d'abord que les sociétés qui, comme la société civile immobilière de l'espèce, sont régies par l'article 8 du CGI ont une personnalité distincte de celle de leurs membres et qu'elles exercent une activité qui leur est propre. Dès lors que cette activité est exercée en France, les bénéfices réalisés par ces sociétés sont en principe imposables en France entre les mains de leurs membres, y compris de ceux qui résident hors de France, à proportion des droits qu'ils détiennent dans la société. Cette solution de principe n'est pas nouvelle et elle avait d'ailleurs été reprise par l'arrêt d'appel dans l'affaire Quality Invest. 6 7 8 9 10 Le Conseil d'etat avait précédemment posé ce principe à propos d'un GIE français recevant des redevances de source française et dont l'un des membres était une société de droit canadien (CE 4 avril 1997, n 144211, Sté Kingroup Inc. : RJF 5/97 n 424, avec concl. F. Loloum p. 293). A cette occasion, le Conseil d'etat avait affirmé, pour la première fois dans un contexte international, le principe de la personnalité fiscale des GIE, et, plus généralement des sociétés de personnes. Il avait jugé que le véritable et seul sujet d'imposition est le GIE, que c'est lui qui détermine l'assujettissement en France de ses membres et que les membres non résidents doivent donc, au même titre que les membres résidents, être astreints en France au paiement de l'impôt correspondant à leur quote-part des résultats de l'exploitation. Dans cette affaire, le Conseil d'etat avait cependant examiné les moyens du requérant qui invoquait la convention fiscale franco-canadienne ; il avait ainsi analysé la situation au regard du concept d'établissement stable pour juger que les règles relatives aux bénéfices des entreprises ne visent que les bénéfices réalisés en propre par une entreprise canadienne et qu'elles sont donc sans application dans le cas où cette dernière perçoit, en qualité de membre d'un groupement d'intérêt économique, une part des bénéfices que celui-ci tire d'une activité exercée en France. Il avait ensuite examiné les autres arguments qui lui étaient présentés et qui tendaient à faire juger que les revenus répartis par le GIE devaient être qualifiés de dividendes ou de redevances ; mais ces arguments avaient été naturellement rejetés car ils faisaient fi de la personnalité propre du GIE, les produits imposés étant ceux du GIE et non pas ceux de ses membres. Il est toutefois à noter que le Conseil d'etat n'avait pas eu à se prononcer sur la portée de la «clause balai» incluse dans la convention fiscale, relative aux revenus non dénommés ou aux «autres revenus», dès lors que ce moyen n'était pas soulevé et qu'en toute hypothèse, il n'aurait fait que confirmer la solution de l'imposition en France, compte tenu de la rédaction de la convention. Ces principes avaient été réaffirmés dans une autre affaire qui concernait une société suisse associée d'une société civile immobilière française qui avait réalisé une plus-value lors de la cession d'un immeuble situé en France (CE 9 février 2000 n 178389, Sté suisse Hubertus AG : RJF 3/00 n 342, concl. J. Arrighi de Casanova BDCF 3/00 n 31). Il s'agissait de décider si la plus-value était imposable dans notre pays, alors qu'elle n'avait pas été réalisée par la société suisse mais par la société civile française interposée. En appel, il avait été jugé que la plus-value était imposable sur le fondement de l'article 15 1 de la convention fiscale franco-suisse, en tant que cet article prévoit l'imposition en France des plus-values réalisées lors de l'aliénation d'immeubles situés sur le territoire français par des sociétés suisses (CAA Lyon 19 octobre 1995, n 93485, Société Hubertus AG : RJF 2/96 n 178). Mais le Conseil d'etat a fort justement cassé l'arrêt pour erreur de droit car la société suisse n'avait pas ellemême réalisé une plus-value immobilière mais simplement perçu le produit de sa participation dans la SCI ; ce n'est donc qu'en tant qu'associée de la SCI qu'elle était imposable en France. Dans cette affaire, cependant, il y a lieu de remarquer que l'article 7 8 de la convention franco-suisse pose une règle spécifique prévoyant l'imposition des revenus provenant de participations à des entreprises constituées sous forme de sociétés de personnes dans l'etat où les entreprises en question ont un établissement stable ; il conduisait donc à la même solution de l'imposition en France puisque, au cas particulier, la société civile devait être considérée comme ayant un établissement stable dans notre pays. La question de l'incidence de la clause balai n'avait donc pas été abordée. On était néanmoins fondé à se demander quelle aurait été la solution retenue si la convention fiscale avait repris lemodèle de l'ocde réservant à l'etat de résidence l'imposition des revenus non visés

11 spécifiquement par la convention. On sait, en effet, que l'article 21 de la convention-modèle prévoit que «les éléments du revenu d'un résident d'un Etat contractant, d'où qu'ils proviennent, qui ne sont pas traités dans les articles précédents de la présente Convention ne sont imposables que dans cet Etat», soit l'etat de la résidence du contribuable et non pas celui de la source des revenus. Si les revenus d'une société de personnes entraient dans cette catégorie lorsqu'ils sont imposables au nom d'associés non résidents, la France perdrait mécaniquement le droit d'imposer au profit du seul Etat de résidence de l'associé. Certes, plus récemment, une autre décision du Conseil d'etat avait écarté l'incidence de la clause conventionnelle relative aux revenus «non dénommés», mais il ne semble pas que la question ait alors été réellement examinée sur le fond étant donné la motivation assez laconique de l'arrêt (1) ; il s'agissait d'une société de Mayotte qui exploitait un thonier-senneur-congélateur dans le sud-est de l'océan Indien et qui était membre d'une société en participation dont le siège social était situé à Concarneau (CE 18 mai 2009 n 301763, SAS Ets Chevannes, Merceron Ballery : RJF 8-9/09 n 724). Le principe de l'imposition en France a été confirmé, le Conseil d'etat jugeant que les règles concernant les revenus non dénommés, qui reprenaient en l'espèce le principe de l'imposition dans l'etat de résidence, s'appliquent aux revenus réalisés par le bénéficiaire et non à l'imposition des revenus tirés des droits détenus dans une société de personnes. C'est à la question de savoir si cette solution était bien exacte que répond avec netteté, et par l'affirmative, l'arrêt Quality Invest. Incidences des conventions fiscales 12 La décision Quality Invest apporte d'importantes précisions sur l'incidence des conventions fiscales et dresse un arbre de décision particulièrement pédagogique et utile. Pour écarter l'imposition, la cour administrative d'appel avait, en effet, suivi un raisonnement erroné qui tenait, en réalité, à un glissement presque imperceptible ; immédiatement avoir rappelé le principe de l'imposition en droit interne, la cour en avait conclu que Quality Invest était en principe imposable en France à raison des profits «qu'elle avait retirés» de sa participation au capital de la SCI, à moins qu'une stipulation conventionnelle ne réserve à la Norvège l'imposition de tels profits. Mais, et c'est là que le raisonnement de la cour était vicié, ce ne sont pas les profits «retirés» par l'associé qui sont imposables, ce sont les profits «réalisés» par la société civile, en raison, précisément, du principe précédemment posé de la personnalité fiscale des sociétés de personnes. 13 Cette distinction, essentielle pour le maniement des conventions fiscales, n'a pas échappé au Conseil d'etat. Après avoir posé le principe de l'imposition en droit interne, la Haute Juridiction affirme d'abord, sur le fondement d'une jurisprudence désormais bien établie, qu'il y a nécessairement lieu de rechercher si une convention fiscale fait ou non obstacle à l'imposition en France de revenus qui y sont imposables en application du droit interne. Dans l'affirmative, le Conseil d'etat indique qu'il convient naturellement d'examiner les stipulations conventionnelles pertinentes et d'en faire application. Mais dans la négative, c'est-à-dire dans le cas général où la convention ne fixe aucune règle relative aux revenus réalisés ou perçus par une société de personnes, il convient d'appliquer la convention fiscale à la société de personnes elle-même car celle-ci est susceptible d'être regardée comme résidente de France. C'est sur ce point, à notre avis, que l'arrêt apporte une confirmation essentielle : c'est la première fois que le Conseil d'etat affirme ainsi qu'une société de personnes française peut être considérée comme un «résident de France» pour l'application des conventions fiscales (2). 14 Le raisonnement qui s'ensuit est alors tout naturel. Il faut vérifier qu'aucune des stipulations de la convention fiscale ne s'oppose à l'imposition en France de ces revenus ; compte tenu du principe posé de la résidence fiscale des sociétés de personnes, la convention fiscale qui est applicable est celle conclue entre la France, en tant qu'etat de résidence de la société de personnes et l'etat de la source des revenus, dans le cas où la société de personnes exerce une activité hors de France. 15

Mais ce n'est pas la convention fiscale conclue entre la France et l'etat de résidence des associés qui est à prendre en considération ; cette convention est inapplicable puisqu'elle ne peut, sous réserve des conventions fiscales qui comporteraient des dispositions spécifiques, interdire à la France d'imposer des revenus perçus par un résident de France. De ce point de vue, l'analyse conventionnelle effectuée précédemment dans l'affaire Kingroup n'était pas absolument pertinente : la convention fiscale conclue entre la France et le Canada n'avait pas vocation à s'appliquer étant donné que le sujet fiscal était le GIE et non pas l'associé canadien ; l'affaire, en réalité, aurait dû être considérée comme purement interne, sauf si, mais tel n'était pas le cas, la convention avait posé des principes dérogatoires. 16 17 Au fond, il aurait fallu, pour pouvoir appliquer l'article sur les revenus non dénommés, que la loi crée une présomption selon laquelle le revenu de la société de personnes serait imposable au nom de ses associés en tant que ce revenu leur serait «réputé distribué», devenant ainsi un revenu propre des associés pour cesser d'être un revenu de la société de personnes. Mais, comme une telle présomption n'est pas posée par la loi, et comme, tout au contraire, les revenus d'une société de personnes sont imposés même s'ils n'ont pas été distribués aux associés (3), la clause balai ne pouvait pas être applicable, par construction. Cependant, la convention fiscale conclue entre la France et l'etat de résidence des associés pourrait, en théorie, contenir des stipulations relatives au recouvrement de l'impôt dû en France par l'associé non résident ; c'est pourquoi le Conseil d'etat indique qu'il convient aussi de vérifier qu'aucune stipulation de la convention ne s'oppose à ce que l'impôt dû en France à raison de ces revenus soit réclamé aux associés. Si, comme c'est le cas général, aucune stipulation ne s'oppose à ce que l'impôt soit recouvré au nom de l'associé non résident, ce dernier ne peut invoquer la convention fiscale conclue entre la France et son Etat de résidence pour faire échec au droit interne français. Il ne peut se prévaloir ni des stipulations de la convention relatives aux divers revenus qu'elle mentionne ni de celles de l'article précisant le régime d'imposition des autres revenus dès lors que l'ensemble de ces stipulations n'est applicable qu'aux revenus réalisés en propre par la société de personnes et non à ceux sur lesquels l'associé non résident est imposé au prorata de sa participation au capital de cette société. Pour cette raison, l'arrêt d'appel a été cassé pour erreur de droit. La cour avait, en effet, jugé que la société norvégienne Quality Invest était fondée à se prévaloir des stipulations du paragraphe 1 de l'article 22 de la convention fiscale franco-norvégienne réservant à la Norvège l'imposition des éléments du revenu d'un résident de cet Etat qui ne sont pas traités dans les autres articles de la convention. Il s'agissait d'une erreur de droit car les stipulations de cette convention, et notamment celles de l'article 22, ne s'appliquent qu'aux revenus réalisés en propre par la société de personnes et non à ceux sur lesquels l'associé non résident est imposé au prorata de sa participation au capital de cette société. 18 Examinant ensuite l'affaire au fond, le Conseil d'etat juge sans difficulté que, contrairement à ce que le tribunal administratif de Paris avait jugé, les stipulations de l'article 6 de la convention franconorvégienne ne s'appliquent pas aux bénéfices perçus par la société Quality Invest à raison de sa participation au capital de la SCI Villa Prat dès lors qu'elles ne visent que les revenus immobiliers réalisés en propre par la société de personnes. Il remarque ensuite que ni les autres stipulations de cette convention, relatives aux divers revenus qu'elle mentionne, ni celles du paragraphe 1 de l'article 22 relatif aux autres revenus ne sont applicables à cette quote-part de bénéfices de la SCI et que aucune stipulation de cette convention ne s'oppose à ce que l'impôt dû en France à raison de cette quote-part soit réclamé aux associés. Par conséquent, Quality Invest, associée non résidente de la SCI Villa Prat, n'était pas fondée à soutenir que ces bénéfices ne pouvaient être imposés en France. Portée de la décision 19 Il serait inexact, à notre avis, de conclure que l'imposition des sociétés de personnes dont les associés sont non résidents ressortirait toujours à une problématique purement interne et que les conventions fiscales seraient par nature inopérantes. Tout au contraire, le Conseil d'etat prend soin de les déclarer applicables, mais leur application doit tenir compte de la nature propre des sociétés de personnes :

la convention fiscale conclue entre la France, en tant qu'etat de résidence de la société de personnes, et le pays de la source des revenus est nécessairement applicable puisque la société est un «résident» de France pour l'application des conventions fiscales (sous réserve naturellement qu'elle remplisse l'ensemble des conditions exigées par ailleurs des «résidents») (4) ; cette convention peut s'appliquer, par exemple, lorsqu'une société de personnes française exerce une activité hors de France dans le cadre d'un établissement stable ou lorsqu'elle réalise des revenus immobiliers ou des plus-values immobilières hors de France ; elle devrait aussi, à notre avis, permettre aux associés non résidents d'une société de personnes française qui reçoit des revenus d'origine étrangère de bénéficier des crédits d'impôts conventionnels pour leur imposition en France (cas où la société de personnes reçoit, par exemple, des dividendes, intérêts ou redevances en provenance d'un pays «conventionné») ; la convention fiscale conclue entre la France et l'etat de résidence des associés peut également être applicable, à supposer qu'elle prévoie une règle différente de celles posées par la convention modèle OCDE ; tel serait le cas si elle interdisait l'imposition ou si elle empêchait le recouvrement de l'impôt au nom de l'associé non résident. Mais cette convention ne peut, si elle est classique et si elle ne contient pas de stipulation conventionnelle spécifique, faire obstacle à l'imposition prévue en droit interne puisque, dans ce cas, elle ne peut interdire à la France d'imposer le revenu de l'un de ses résidents, fût-ce au nom de ses associés. 20 Cela étant, comme, en l'état actuel du réseau conventionnel français, il ne nous semble pas qu'une convention fiscale interdise spécifiquement à la France d'imposer les revenus d'une société de personnes au nom de ses associés non résidents, la solution de principe ainsi retenue par le Conseil d'etat aboutit à confirmer les solutions habituellement retenues et ne bouleverse pas l'état actuel du droit. (1) En ce sens, voir les observations de Stéphane Austry au FR 30/09 inf. 1 n 10 p. 5. (2) Au cas particulier, l'arrêt juge que la SCI Villa Prat doit être regardée comme résidente de France au sens de l'article 4 1 de la convention franco-norvégienne qui précise, conformément au modèle OCDE, que l'expression résident d'un Etat «désigne toute personne qui, en vertu de la législation de cet Etat, est assujettie à l'impôt dans cet Etat, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue.» (3) Ces revenus sont réputés acquis par les associés à la clôture de l'exercice de la société de personnes même s'ils n'en ont pas disposé. (4) Cette manière de voir est conforme à la position de l'administration telle qu'exprimée au paragraphe 29 des commentaires de l'ocde relatifs à l'article 4 de la convention-modèle. 2011 Editions Francis Lefebvre