Enquête : la couverture des introductions en bourse par les analystes financiers



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Enquête : la couverture des introductions en bourse par les analystes financiers Florence. Labégorre 29 novembre 2002 Résumé Cette étude rapporte les résultats d une enquête réalisée entre décembre 2000 et février 2001 auprès de 334 analystes financiers spécialisés sur les introductions en bourse. Nous avons administré l instrument de recherche via Internet et par la poste. L objectif était double : comprendre comment les analystes financiers suivent une introduction en bourse ; vérifier l hypothèse d indépendance des analystes dans le cadre de la théorie de l agence. 38 analystes ont répondu au questionnaire. Ils semblent suivre les introductions selon un procès structuré, rigoureux mais non linéaire. Ils recherchent les économies d échelle et ont une représentation à la fois technicienne et affective de leur métier. Lorsqu ils travaillent au sein du même établissement que la banque introductrice, ils semblent incités à faciliter l obtention puis la bonne exécution du mandat de placement. Dans leur étude financière, ils paraissent appliquer à la valeur espérée des titres une décote justifiant le prix d offre fixé par la banque. Leur implication dans l opération évite les conflits d agence avec leur employeur. Mais elle les conduit à enfreindre leur devoir d objectivité à l égard des investisseurs. Enfin, le dirigeant est bien le principal informateur des analystes. Mais les enquêtés ne considèrent pas que cette dépendance affecte la qualité de leurs estimations. Ils reconnaissent pourtant que les informations publiées par la société ne satisfont pas entièrement leurs besoins. Mots clés : Introduction en bourse, analystes financiers, enquête, théorie de l agence IRG-ESA, Université de Paris XII, La Pyramide, 80 avenue du Général de Gaulle, 94000 Créteil. E-mail : florence labegorre@noos.fr. Le questionnaire est consultable à l adresse http://mapage.noos.fr/blabegrre1/enquete.htm. 1

Abstract We bring back the results of a survey carried out by financial analysts between December 2000 and February 2001. The questions we address are the following. We intend to better understand how analysts follow initial public offerings. We also ask whether analysts forecasts errors can be attributed to agency costs. Questionnaires were sent at the same time via Internet and by mail. 38 analysts answer our questionnaire. Analysts covering of IPO is structured, rigorous but discontinuous. They look for economy of scale in their job. Financial analysis requiers technical and human qualities, according to them. When analysts work for an investment bank, they feel pressure to capture and realize underwriting business. In their financial study, they justify the IPO price, always smaller than the estimated value of firm. Their implication in the initial public offering allows analysts to avoid conflictof-interest with their principal. But it prevents them being objective. We find that analysts strongly depend on management to collect information about the IPO. But they don t consider it may have an effect on their own estimates. However information disclosed by the company does not meet all their needs. Key words : Initial public offerings, financial analysts, survey, agency theory 2

1 Introduction La qualité des informations produites par les analystes financiers participe de l efficience des marchés financiers. Le discrédit où est tombée la profession depuis la Bulle Internet en témoigne. Certains actionnaires poursuivent les banques qui ont introduit en bourse les sociétés Internet (Merrill Lynch notamment). Ils reprochent aux analystes de ces banques de leur avoir conseillé l achat des valeurs introduites, contre toute logique financière. La recherche empirique souligne également le biais des informations émises par les analystes financiers au moment d une introduction en bourse. Ces professionnels s avèrent très optimistes lorsqu ils suivent les introductions sur le marché américain (voir par exemple Rajan et Servaes, 1997). En France, leur excès d optimisme fait place à un certain pessimisme depuis les années 90 (voir Derrien et Degeorge, 2001). La littérature explique surtout l optimisme des analystes. Il serait dû à un penchant naturel ou au biais de sélection des informations utilisées ou des sociétés suivies : les analystes accorderaient la priorité aux informations les plus récentes ou aux sociétés les plus prometteuses. La théorie positive de l agence rend compte aussi bien de l optimisme que du pessimisme des analystes, observés empiriquement. Dans ce cadre, l analyste déterminerait la qualité des prévisions publiées de sorte à satisfaire ses intérêts, ceux du mandant (son employeur ou la société introduite) et des tiers-investisseurs. Nous nous sommes tout d abord proposée de tester cette hypothèse. Mais nous ne pouvions vérifier la réelle indépendance des analystes dans l exercice de leur métier sans comprendre comment ils suivent une introduction en bourse. Notre étude a donc également une finalité exploratoire. Pour répondre à ces objectifs, les données secondaires se sont révélées inexistantes ou insuffisantes. En premier lieu, les informations descriptives sur les analystes spécialisés sur le marché primaire sont rares. La S.F.A.F (Société Française des Analystes Financiers) produit et diffuse peu de statistiques sur ses membres. En second lieu, la littérature suggère, sans le prouver, que des pressions s exercent sur les analystes. Certains auteurs différencient la qualité des prévisions / recommandations des analystes selon leur affiliation. Ainsi, Michaely et Womack (1999) soulignent l excès d optimisme des analystes rattachés à la banque introductrice par rapport aux analystes extérieurs à l opération. Ils en déduisent l existence de conflits d intérêts au sein des établissements financiers. Nous souhaitions vérifier la réalité de ces pressions et leur éventuel effet sur l offre d information des analystes. Nous voulions également situer ces pressions au sein du processus de couverture de 3

la société introduite. Autrement dit, comment et à quels moments de la préparation de l introduction la banque influence-t-elle l analyste? D autres auteurs évoquent les pressions émanant du dirigeant de la société évaluée. Le dirigeant, principal informateur des analystes, les inciterait à évaluer favorablement sa société, sous peine de rétention d information (voir par exemple, Francis et Philbrick, 1993). Mais à notre connaissance, aucune étude ne permet de confirmer cette relation de dépendance dans le cadre d une introduction en bourse. Nous ne pouvions recueillir ces informations, à visée descriptive ou confirmatoire, qu auprès des analystes eux-mêmes. L interrogation est apparue un moyen plus fiable et moins coûteux que l observation de collecter les données primaires nécessaires. Nous avons structuré nos investigations en deux étapes : un corpus de six entretiens exploratoires, suivi d une enquête par questionnaire auprès de 334 analystes. L enquête a été administré par voie postale et via Internet, entre décembre 2000 et février 2001. 34 analystes ont répondu au questionnaire web et 4 au questionnaire postal. Ils semblent suivre les introductions selon un procès structuré, rigoureux mais non linéaire. Ils recherchent les économies d échelle et ont une représentation à la fois technicienne et affective de leur métier. Plusieurs indices témoignent des pressions exercées par la banque introductrice sur les analystes. Lorsqu ils travaillent au sein du même établissement que le chef de file, les répondants sont encouragés à faciliter l obtention puis la bonne exécution du mandat de placement. Ils réalisent par ailleurs une étude financière où ils anticipent la valeur des titres introduits. Ils paraissent appliquer à cette valeur une décote de sorte à obtenir le prix d introduction fixé par la banque. Leur implication dans la préparation de l introduction se fait donc au détriment de leur devoir d objectivité. Leurs réponses montrent que le dirigeant de la société introduite constitue bien leur principale source d information. Mais les enquêtés ne semblent pas considérer que cette dépendance affecte leur offre d information. Ils reconnaissent pourtant que les informations publiées par la société ne satisfont pas entièrement leurs besoins. Notre étude s organise de la façon suivante : la seconde section présente le cadre théorique retenu et les hypothèses déduites. Nous justifions et développons dans la troisième section la méthodologie retenue. La dernière section analyse les résultats de l enquête. 4

2 Le cadre théorique : présentation et implications Dans le cadre de la théorie positive de l agence, l environnement de travail des analystes s analyse comme «un noeud de contrats». Ces contrats régissent les relations des analystes avec leur employeur d une part, la société émettrice d autre part. Ils fondent la dépendance des analystes à l égard de leur employeur ou de la société évaluée. 2.1 Relation d agence analyste sell-side / employeur Le contrat de travail entre l analyste et son employeur peut être qualifié de contrat d agence, tel que défini par Jensen et Meckling (1976)). L analyste (l agent) conseille les investisseurs (les tiers) au nom et pour le compte de son employeur (le principal). Les analystes peuvent être buy-side ou sell-side. Les premiers conseillent uniquement leur employeur gestionnaire de fonds ou investisseur institutionnel. Mandant et tiers sont une même personne. Les seconds travaillent pour des entreprises d investissement. Les informations qu ils produisent sont diffusées en interne aux vendeurs-actions, et en externe aux investisseurs. Dans ce cas, le mandant et les tiers-investisseurs sont deux personnes distinctes et leurs intérêts peuvent diverger. Les analystes sell-side doivent en principe donner à leurs clients investisseurs un avis objectif sur le candidat à l introduction. Mais ce réalisme peut nuire aux éventuelles relations d affaires de leur employeur avec la société évaluée. Par conséquent, conformément à la théorie de l agence, nous testons l hypothèse suivante : H1- Les analystes financiers sont contraints par les intérêts de leur employeur dans leur évaluation de la société introduite. Une seconde relation de mandat structure l environnement de travail des analystes financiers. 2.2 Relation d agence analyste / société émettrice L introduction en bourse sépare généralement les fonctions de propriété et de décision au sein de l entreprise. Elle induit un risque de conflit entre actionnaires et dirigeant qui réduit les gains espérés de la coopération. Le dirigeant gère donc ses relations avec les actionnaires de sorte à prévenir tout conflit au moindre coût. La théorie de l agence dévolut à l analyse financière un rôle disciplinaire. Dirigeant et actionnaires ont en effet besoin d information sur les performances de la société. Le premier doit persuader les propriétaires qu il gère l entreprise conformément à leurs intérêts. Les seconds veulent apprécier les 5

efforts accomplis par l agent. S ils se désengagent lors de l introduction, ils sont à l affût de toute information susceptible d influencer les cours. L information publiée par le dirigeant ne suffit pas à éviter tout conflit entre les deux parties. Sa qualité est en effet difficile à contrôler par les propriétaires ou à établir par le dirigeant. Le diagnostic d un expert peut, par contre, aider les propriétaires à porter un jugement critique sur le bilan du dirigeant. Parallèlement, il peut conforter la crédibilité du dirigeant. Actionnaires et dirigeant ont donc intérêt à recourir aux services informationnels des analystes. Ils supportent les coûts de cette production externe d information. Par conséquent, la relation entre les analystes et la coalition actionnaires/dirigeant peut s interpréter comme une relation d agence. La société émettrice délègue la production d information financière à des spécialistes, les analystes financiers. En contrepartie, elle doit leur donner les moyens d exécuter leur mandat. L analyste ne peut réaliser de diagnostic sans information sur l entreprise. De par son rôle de mandant, la société doit informer les analystes. Elle devrait même constituer leur principal informateur car au moment d une introduction, rares sont les sources alternatives d information. La relation d agence implicite entre l analyste et la société émettrice, ainsi que les fortes asymétries d information lors d une introduction induisent une dépendance informationnelle de l analyste à l égard de la société. Nous en déduisons l hypothèse suivante, dans le cadre de la théorie de l agence : H2- L analyste financier dépend essentiellement des informations produites par la société évaluée. En fonction des contraintes imposées par leur environnement de travail, les analystes cherchent à atteindre leurs objectifs le plus efficacement possible. Conformément à la théorie positive de l agence, ils sont supposés rationnels (Charreaux, 1999, page 65). 3 La méthodologie retenue Nous justifions puis décrivons le protocole expérimental mis en place. Nous contrôlons enfin la qualité des informations obtenues. 3.1 Justification L enquête web conduite est apparue la méthodologie la plus appropriée à notre problématique et à la nature de la population étudiée. 6

3.1.1 Une méthodologie adaptée à la problématique La démarche méthodologique adaptée à nos objectifs de recherche s est dessinée progressivement, au regard de l inadéquation des méthodes traditionnelles, dans le carcan du paradigme positiviste et avec le souci de contrôler la qualité des données. La littérature abondante sur les analystes s intéresse à la qualité de leurs prévisions ou à leur processus de décision. Elle recourt, pour ce faire, à des méthodologies quantitatives ou expérimentales. Celles-ci se prêtaient mal à notre problématique. Une démarche quantitative est peu adaptée à la compréhension d un processus comme celui de la couverture des introductions par les analystes. En l espèce, elle aurait supposé possible de quantifier le concept de conflits d intérêts et d introduire des variables de contexte. L expérimentation en laboratoire ne convenait pas mieux. Elle aurait isolé l analyste de son environnement. Comment vérifier ensuite la réalité et les effets des pressions subies par l analyste dans le cadre de son environnement de travail? Restait envisageable une méthodologie par entretiens et/ou questionnaire. Lors des premiers entretiens, les analystes interrogés se sont exprimés avec réticence sur leur réelle indépendance dans l exercice de leur métier. L objectivation de leur discours (Rabinow 1, 1988, page 137) et la régionalisation de leurs représentations (Goffman, 1973) peuvent expliquer ces résistances. Autrement dit, construire leur discours en parlant, sans préparation, et évoquer les conflits d intérêts avec leur employeur sur leur lieu de travail ont pu embarrasser les analystes interrogés. Le cadre spatial des entretiens a empêché les analystes de se sentir en confiance pour évoquer la question de leur indépendance. Nous avons donc utilisé la technique de l entretien à titre exploratoire et le questionnaire à titre principal. L étude trouve sa matrice dans le positivisme. Nous avons donc conçu le questionnaire de sorte à relier les pressions subies par les analystes et leur offre d information. Nous sommes restée, autant que possible, extérieure au phénomène approché par questionnaire. À cette fin, avons choisi de laisser les analystes définir leur propre situation. Cette solution ne nous a pas semblé incompatible avec le primat d une orientation déterministe. En effet, les informations que les analystes donnent sur leurs comportements et sur leur employeur peuvent être codés de manière à faire apparaître les conflits d intérêts. De plus, leurs conditions objectives de travail façonnent les valeurs, opinions et représentations qu ils extériorisent. Enfin, nous avons discerné parmi les réponses, les exagérations valorisantes, les omissions par souci de secret, les oublis sélectifs, les déformations. 1 <Les faits existent en tant que réalité vécue, mais ils sont fabriqués au cours des processus d interrogation, d observation et d expérience>. 7

Nous sommes consciente de l incertitude des indices obtenus à partir d une méthodologie par questionnaire. Comment contrôler la fiabilité et la véracité des déclarations des analystes sur le thème sensible de leur indépendance? La triangulation, c est-à-dire l utilisation de multiples sources de données, atténue cette limite. Nous confrontons donc autant que possible les réponses au questionnaire aux données extraites de sources documentaires ou de la base d I/B/E/S. 3.1.2 Une méthodologie a priori adaptée à la population étudiée Le choix de la méthodologie devait tenir compte des effectifs estimés de la population étudiée (environ six cents). Une enquête en face-à-face ou téléphonique n aurait donc pas permis d interroger le plus grand nombre d analystes possible rapidement et à un coût raisonnable. De plus, les analystes financiers semblaient a priori bien correspondre au profil type des internautes. Les études antérieures soulignent en effet la forte représentation masculine et de cadres des cyber-échantillons (voir par exemple Schaaper, 1999). En septembre 2001, 59.5% des internautes appartenaient aux catégories socio-professionnelles supérieures ; 64% étaient des hommes (source Jupiter MMXI). Nous avons donc choisi d administrer le questionnaire essentiellement par Internet. Toutefois, nous l avons également envoyé, à titre complémentaire, par la poste, afin de ne pas exclure les analystes non connectés ou réticents à l utilisation d Internet. Après l avoir justifiée, nous développons la méthodologie d enquête suivie. 3.2 Le protocole expérimental suivi Nous avons sélectionné le cyber-échantillon, puis conçu et enfin administré le questionnaire web. 3.2.1 La sélection du cyber-échantillon Nous avons constitué un échantillon représentatif de la population étudiée grâce à un plan de sondage en quatre étapes. La population étudiée a tout d abord été définie. Elle comprend les analystes qui suivent les introductions en bourse. Spécialistes de l évaluation des titres émis, ils travaillent généralement pour une entreprise d investissement. Celle-ci peut être impliquée ou non dans l opération. Nous avons ensuite élaboré la base de sondage à partir de deux sources : l annuaire de la Société Française des Analystes Financiers (S.F.A.F.) et les analyses financières des dossiers d introduction. L annuaire de la S.F.A.F. 8

donne les coordonnées professionnelles des analystes membres. Il recense en 2001 environ 1700 analystes, dont 29% d analystes sell-side, 9% d analystes buy-side, 25% de gérants de portefeuille, 4% de gérants (Source : S.F.A.F., 2001). Nous avons sélectionné les analystes rattachés à une entreprise d investissement ou à un prestataire indépendant. Nous avons également extrait des informations des études financières incluses dans les dossiers d introduction. Les auteurs de ces analyses mentionnent généralement leur numéro de téléphone, leur adresse professionnelle postale et/ou électronique. La base de sondage a permis de délimiter la population enquêtée. À partir de l annuaire de la S.F.A.F., nous avons constitué un premier échantillon de 305 analystes (voir tableau 2). 178 analystes ont reçu le questionnaire via Internet, et les 127 restants par voie postale. La consultation de 326 dossiers d introduction a permis d envoyer 22 nouveaux questionnaires web et 17 questionnaires postaux. L échantillon se compose donc au total de 334 analystes. Nous avons administré le questionnaire entre le 22 décembre 2000 et le 22 janvier 2001. L étalement des envois était destiné à limiter le risque de mimétisme dans les réponses des analystes travaillant dans la même équipe. La concentration des analystes dans la région parisienne (95% des membres de la S.F.A.F. sont situés à Paris) élimine les difficultés d échantillonnage liées à la répartition géographique. Enfin, restait à choisir la méthode de sondage. L échantillon aléatoire, idéal statistique, aurait supposé une liste exhaustive de la population de référence. La méthode des quotas aurait nécessité de connaître la structure de la population étudiée. Le recours à une méthode non aléatoire s est donc imposé. Il était par ailleurs cohérent avec les objectifs de l enquête, l existence d une base de sondage et le budget disponible. 3.2.2 L élaboration du questionnaire Nous avons mené, préalablement au sondage, six entretiens exploratoires semi-directifs. Ils ont permis de mieux connaître le langage des analystes, leur métier et de découvrir la logique du suivi d une introduction en bourse. Ils ont précisé ce qui méritait d être abordé ou confirmé par le questionnaire. Une analyse thématique a ensuite permis de passer du matériel discursif à la rédaction du questionnaire. Nous avons tout d abord défini le nombre, l ordre et le format des questions. La sensibilité des analystes au problème de leur indépendance et leur professionnalisme nous ont permis de concevoir un questionnaire long 2. 2 La longueur du questionnaire nous a dissuadée de le joindre en annexe de ce document. Il est par contre consultable à l adresse http ://mapage.noos.fr/blabegrre1/enquete.htm. 9

La construction du questionnaire a respecté la technique de l «entonnoir». La page d introduction présente le contexte de l étude. La première partie évoque la diversité des tâches des analystes qui travaillent sur les introductions en bourse. La seconde partie s intéresse aux informations qu ils utilisent et produisent. Le suivi des introductions sur le long terme fait l objet de la dernière partie. Une fiche signalétique en fin de questionnaire regroupe les questions plus personnelles et d identification. Nous avons principalement utilisé des questions fermées ou préformées. Comparées aux questions ouvertes, elles permettent aux opinions moyennes de s exprimer. Leur traitement est également plus aisé et moins coûteux. Elles sont enfin adaptées aux contraintes de temps des analystes et à la vérification d hypothèses. La formulation des questions ne devait pas influencer les réponses des analystes. À cette fin, nous avons posé les questions sensibles, sur la réelle séparation des activités des marchés primaire et secondaire, de manière impersonnelle (voir Grawitz, 1996). Le pilotage du questionnaire auprès de trois membres de la S.F.A.F. (un stagiaire, le responsable de la communication et un administrateur responsable de la Commission du Second Marché) a permis de contrôler la clarté des questions et la durée du sondage (vingt minutes). Nous avons enfin choisi les échelles de mesure et contrôlé leur qualité. Les analystes rapportent les faits sur des échelles simples (à une seule question) ; leurs attitudes et opinions sur des échelles multiples de Likert 3 ou de Thurstone 4. Nous avons choisi ces échelles pour leur rapidité d administration, leur simplicité de compréhension et de traitement, leur adaptabilité à tout mode de collecte (voir Vernette, 1991, p. 54 ). Nous avons ensuite vérifié la qualité des échelles de mesure utilisées (selon les critères proposés par Évrard et al., 2001, page 287). L instrument de mesure semble fiable : nous obtenons des réponses convergentes et des alpha de Cronbach satisfaisants (voir tableau 7). Il paraît également sensible car les répondants peuvent exprimer leur position de manière nuancée, sur des échelles de mesure entre 3 et 6 points. Enfin, afin d améliorer la validité nomologique du questionnaire, nous interrogeons explicitement les analystes sur leurs représentations des conflits d agence (par exemple : «Le banquier introducteur peut-il influencer l estimation par l analyste du vrai prix du titre?»). 3 Plusieurs questions relatives au même sujet sont posées. Le répondant indique son degré d accord ou de désaccord sur une échelle en cinq points. 4 Contrairement à l échelle de Likert, les énoncés des réponses sont considérés comme équidistants. L échelle peut comporter plus ou moins de 5 points. 10

3.2.3 L administration du questionnaire via Internet Nous aurions pu envoyer directement les questionnaires aux enquêtés par mail. Mais nous risquions de bloquer la messagerie des destinataires. Nous aurions également perdu la mise en forme du questionnaire. Enfin, ces messages non sollicités ne sont pas conformes à l éthique du Net (ensemble de règles non écrites encadrant les comportements des utilisateurs d Internet). Eu égard à ces inconvénients, nous avons choisi de publier le questionnaire sur le web. Nous avons incité les analystes à aller sur le site et à remplir le questionnaire par publipostage électronique, moyen simple, rapide, peu coûteux et conforme à la Net-étiquette de faire connaître son site (voir Schaaper, 1999). Nous avons enfin contrôlé la qualité des données collectées. 3.3 La qualité des réponses La qualité des réponses dépend de la représentativité de l échantillon et de l exactitude des réponses (De Leeuw et Van der Zouwen, 1992). 3.3.1 Représentativité de l échantillon La base de sondage et le taux de non-réponses affectent la représentativité de l échantillon. La base de sondage a exclut une partie de la population étudiée. D une part, l annuaire de la S.F.A.F. ne permet pas d identifier les analystes spécialisés sur les introductions en bourse. D autre part, l échantillon obtenu à partir des dossiers d introduction évince les analystes indépendants suivant les titres introduits. Le faible nombre de répondants biaise également la représentativité de l échantillon. Le comportement des répondants peut en effet s écarter de celui des non répondants (Grobras, 1987). Nous avons pourtant contrôlé le taux de non-réponse. Nous avons en effet multiplié et personnalisé les contacts. Nous avons également réalisé l enquête à une période a priori de plus faible activité des analystes. Les analystes produisent un nombre de prévisions inférieur à la moyenne en janvier et décembre (voir figure 3). Les introductions en bourse à cette période sont également rares (voir figure 2). La combinaison des deux modes d enquête (postal et via Internet) a au contraire permis d améliorer la représentativité de l échantillon. En premier lieu, elle a réduit le risque d erreur de couverture, puisque les analystes sans adresse e-mail ont été contactés par voie postale. En second lieu, elle a équilibré la répartition des répondants en termes de sexe. Alors que 70.6% des répondants à l enquête web sont des hommes, les répondants à l enquête postale sont équitablement répartis entre hommes (50%) et femmes (50%). Fontowicz (1999), dans son enquête postale sur 11

la rémunération des analystes, obtient 35.7% de réponses de la part d analystes femmes. Conformément aux études antérieures, les femmes sont plus réceptives au questionnaire postal que web. Leurs taux de retour aux questionnaires postaux puis web sont respectivement de 3.4% et 12.8%, contre 2.6% et 19.7% pour les hommes. 3.3.2 Exactitude des réponses Les réponses sont d autant plus exactes qu elles sont cohérentes et non biaisées. Certaines questions sensibles se recoupent volontairement à différents stades du questionnaire. Nous avons ainsi pu contrôler la cohérence des réponses afférentes. En outre, les analystes ne paraissent pas comprendre ou répondre différemment aux questions selon le mode de recueil. Mais ils ont répondu aux questions ouvertes de manière plus complète dans les questionnaires web que postaux. Certaines réponses nous ont semblé biaisées. Trois analystes ont estimé que le format fermé des questions préjugeait des réponses. Le désir de valorisation peut encore expliquer l optimisme de certaines réponses. Par exemple, 30% des répondants déclarent faire des prévisions toujours exactes... 4 Analyse des résultats 34 analystes ont répondu au mail incitatif et quatre au questionnaire postal. Nous présentons dans un premier temps la typologie des 38 répondants. La seconde sous-section indique comment les analystes suivent une introduction en bourse. Nous confrontons enfin l hypothèse d indépendance des analystes à la réalité. 4.1 Profil des répondants Une enquête a pour ambition d expliquer ce que les acteurs font par ce qu ils sont (Bourdieu, 1979). L organisation d affiliation, le parcours et les distinctions professionnels des répondants permettent d appréhender leur identité professionnelle. 4.1.1 Organisation d affiliation L environnement de travail détermine les tâches à accomplir et les conflits d intérêts à gérer par l analyste. Nous avons interrogé les répondants sur le statut et la taille de leur employeur, afin de spécifier leur cadre de travail. Il était demandé aux analystes de citer le nom et le statut de leur employeur (société de bourse, banque, bureau d analyse indépendant ou un 12

investisseur indépendant 5 ). Sur 38 répondants, 32 affirment travailler pour une société de bourse. Une société d études stratégiques et financières emploie le 33ème. Celui-ci dit ne pas avoir de rôle de conseil auprès des investisseurs. Son questionnaire a cependant été exploité car il révèle un aspect original du métier d analyste spécialisé sur le marché primaire. Il est par contre moins pertinent pour l objectif confirmatoire de l enquête. Le 34ème est un analyste free-lance. Il réalise les analyses financières des introductions en bourse au nom et pour le compte de ses clients sociétés de bourse. Il illustre, comme le précédent, la diversité du métier d analyste. L indépendance liée à son statut rend sa participation à l enquête pertinente pour notre problème de recherche. Nous avons donc également exploité ses réponses. Enfin, les quatre derniers répondants travaillent pour la SG securities et le Crédit Lyonnais small caps. Ils s estiment salariés d une banque, et analystes à la fois sell-side et buy-side. Or ils sont en réalité employés par les entreprises d investissement affiliées aux deux banques Société Générale et Crédit Lyonnais. Leur sentiment de travailler en même temps pour la maison mère et la filiale révèle la fragilité de la «Muraille de Chine» entre les activités des marchés primaire et secondaire au sein des établissements financiers. À partir des réponses des analystes, nous avons reclassé les organisations citées en fonction de leur statut réel : entreprise d investissement filiale d une banque ou indépendante ; banque ; autres organisations (voir tableau 2). Onze analystes sur trente huit sont affiliés à une entreprise d investissement indépendante ; vingt-cinq à la filiale d une banque. Les établissements d affiliation des répondants sont de taille moyenne. Ils emploient environ 42 analystes et suivent d une à trente cinq introductions par an. Nous les avons comparés aux brokers ayant transmis à I/B/E/S des prévisions sur les introductions aux Second et Nouveau Marchés entre 1994 et 2000 (voir tableau 3). Ces brokers sont de grande taille. En moyenne annuelle sur la période d étude, ils comptent au total plus de cent analystes et couvrent sept introductions. Dix analystes suivent en moyenne ces sept introductions sur lesquelles ils produisent une quarantaine d estimations. Toutefois, I/B/E/S contacte seulement les maisons de grande taille. L échantillon des établissements extrait de cette base est donc biaisé. Les résultats de l enquête nous semblent plus représentatifs de la taille des maisons suivant les introductions en bourse françaises. 4.1.2 Parcours et distinction professionnels Les répondants ont un niveau élevé de formation. 59% viennent de l Université et 41% d une école de commerce. Les enquêtes antérieures sur les 5 Ces catégories sont celles énoncées lors des entretiens exploratoires 13

analystes évoquent également cet aspect de la profession (voir par exemple Sranan-Boiteau, 1999 ou Fontowicz, 1999). Les répondants sont plutôt expérimentés. Vingt-deux analystes (soit 56% des répondants) le sont depuis plus de cinq ans ; un tiers depuis en moyenne trois ans et demi. Fontowicz obtient quant à lui une expérience moyenne de 12.56 années sur une population étudiée de 28 analystes, majoritairement sell-side. L analyse financière n est pas le métier d origine des 22 analystes les plus expérimentés. Mais sa professionalisation ne date que de 1953. Enfin, 38% des répondants ont été nominés ou distingués. Cette forte proportion ne nous semble pas limiter la représentativité de l échantillon. Les concours organisés par la communauté financière consacrent en effet plus le professionnalisme des analystes concernés que leur réelle notoriété (voir Fontowicz, 1999). 4.2 Le suivi d une introduction en bourse par les analystes Au regard de l enquête, les analystes suivent une introduction en bourse selon un processus structuré mais non linéaire. La recherche d économies d échelle sous-tend leur travail comme l organisation de la profession. Enfin, les répondants ont une représentation technicienne et affective de leur métier. 4.2.1 Le procès de couverture d une introduction en bourse Nous étudions le suivi des introductions en bourse par les analystes, de manière longitudinale puis analytique. Entre 1994 et 2000, 25 maisons de courtage et 221 analystes ont en moyenne transmis à I/B/E/S des estimations sur les introductions françaises leur première année de vie boursière (voir tableau4). La communauté financière est attentiste en 1995. Seulement 16 maisons de courtage et 90 analystes couvrent 16 introductions. En 1998, nombreux sont par contre les analystes à suivre les sociétés introduites sur les Nouveau ou Second Marchés. 325 analystes rattachés à 28 maisons diffusent 1522 estimations sur 80 introductions. Sur un plan analytique, les répondants s intéressent rapidement à l introduction, dès sa première cotation selon 80% d entre eux. Les 20% restants attendent la publication des premiers états de la société cotée. Les données d I/B/E/S indiquent au contraire une couverture plus tardive des introductions, en moyenne six mois après leur date d introduction. L activité du marché primaire contraint le début de la couverture selon 52% des 14

répondants. 21% évoquent encore le manque d informations disponibles sur la firme ; 16% l échec de l introduction et 15% la non réalisation du plan de développement. Nous avons interrogé les analystes sur les critères influençant leur décision de suivre une introduction en bourse. Les entretiens exploratoires et la littérature (notamment le modèle de Bhushan, 1989) ont permis de cerner a priori neuf facteurs. Les répondants au questionnaire ont jugé de la pertinence de ces variables sur une échelle en six points (question 8). Nous avons ensuite classé ces variables par fréquence décroissante. Les analystes suivent les candidats à l introduction d abord en fonction de leur secteur d activité. Ce résultat est cohérent avec la segmentation sectorielle de la profession. Les perspectives de croissance et de résultat du plan de développement arrivent en seconde position. Ensuite viennent (exaequo) trois indicateurs du niveau d asymétrie d information : la taille de la société ; la disponibilité et la qualité des informations disponibles sur la firme ; l admission concomitante de sociétés du même secteur, cause d externalités informationnelles positives (voir par exemple Van Bommel, Leleux et Leshinskii, 2000). La sous-évaluation anticipée paraît par contre peu déterminer le choix des introductions suivies, contrairement aux résultats de Rajan et Servaes (1997). Seuls deux analystes ont évoqué la réputation du chef de file comme critère de suivi. Le prestige de l Introducteur ne semble donc pas informatif pour les analystes, contrairement aux investisseurs (voir Broye, 2001). Enfin, les analystes semblent peu averses au risque puisqu un seul répondant a sélectionné comme variable le degré d incertitude entourant l opération. Les répondants ont suggéré d autres facteurs comme la capitalisation boursière, l impact de l introduction sur le secteur suivi, la qualité de l équipe dirigeante, le positionnement de la société dans son secteur et par rapport à ses concurrents. Une fois l introduction réalisée, les analystes suivent la société par «sauts» et en discontinu. D après les données extraites de la base d I/B/E/S, un analyste émet en moyenne 32 estimations sur une introduction, tous horizons temporels confondus, dans la période [-6 mois ; + 12 mois] autour de l introduction. «Tout événement susceptible de modifier les cours ou de susciter des questions de la part des investisseurs» déclenche la production d information par les analystes. Parmi ces événements, la publication de résultats, un communiqué des dirigeants, la situation des concurrents, une modification de l équipe dirigeante ou de l actionnariat sont les plus fréquemment cités (question 49). Toutefois, 61% des répondants disent diffuser régulièrement des informations sur l émetteur quand leur employeur est la banque introductrice (question 48). Ces informations sont destinées à soutenir les cours. 70% des répondants suivent moins d un an un quart des titres introduits. Ils délaissent ces sociétés compte tenu de leurs performances économiques plus que boursières. Dans les bases d I/B/E/S, la dernière estimation est 15

diffusée en moyenne 18 mois après l introduction. 4.2.2 La recherche d économies d échelle L organisation de la profession et les méthodes de travail des analystes se sont formalisées. La profession a connu de profondes mutations ces dernières années. Elle s est segmentée en analystes buy-side, sell-side et stratèges. Les analystes se sont également spécialisés par secteur. 90% des répondants suivent entre un et cinq secteurs, 40% couvrent un portefeuille de 11 à 20 sociétés et 40% plus de 20 titres. Les connaissances sectorielles accumulées sont un facteur fixe de production, cause de rendements d échelle (Arrow, 1996). Le coût moyen d une évaluation décroît avec le nombre d introductions du même secteur suivies puisque le facteur information n est pas augmenté. La substitution d équipes hiérarchisées (en analystes seniors et juniors) à l analyste individuel a nécessité de structurer et d objectiver les tâches. Par ailleurs, les banques, par croissance interne ou externe, ont augmenté la taille de leurs bureaux d analyse. Dans les bases d I/B/E/S, le nombre d estimations diffusées par maison de courtage et par société suivie croît continûment depuis 1987 (voir figure??). Les analystes ont rationalisé leur processus de décision. Tous les répondants disent utiliser des modèles d évaluation (voir Fabre-Azema, 2002), principalement la méthode des comparables. Le succès de cette méthode peut s expliquer par sa précision, vérifiée empiriquement. Selon Hickman et Petry (1990), elle évaluerait plus justement une société que l actualisation des flux de trésorerie disponibles ou des dividendes. Kim et Ritter (1999) relient significativement le cours du titre après l introduction et la valeur de la société estimée à partir du PER de sociétés comparables. De surcroît, cette méthode permet à l analyste de profiter de rendements d échelle car il peut se servir des introductions précédemment évaluées comme comparables boursiers. 4.2.3 Perception par les analystes de leur métier Lors des entretiens exploratoires, les analystes ont souligné l importance de l expertise, de l indépendance, de la rigueur, de l intuition et des qualités relationnelles dans l exercice de leur métier. Nous avons ensuite demandé aux répondants au questionnaire de situer ces qualités sur une échelle de Thurstone à trois points (très important / important / utile). Nous avons affecté aux énoncés respectivement les codes 3, 2 et 1 et calculé la moyenne des scores cochés. Une question ouverte permet des commentaires qualitatifs. La rigueur (moyenne de 2.81) et l expertise (moyenne de 2.53) sont les critères de satisfaction les plus cités. Parallèlement, les qualités relationnelles (moyenne de 2.25) et l intuition (2.06) forment un deuxième groupe ho- 16

mogène. Rigueur, expertise et qualités relationnelles détermineraient leur capacité prédictive ; l intuition (le «feeling boursier»), la pertinence de leurs recommandations boursières. La question ouverte a révélé une autre catégorie : la reconnaissance de la profession. La valeur qu un analyste accorde à son travail dépend de sa notoriété au sein de la communauté financière. Les analystes ont ainsi une représentation à la fois technicienne et affective de leur métier. 4.3 L indépendance des analystes L enquête permet d examiner dans quelle mesure le mandant de l analyste (son employeur puis la société émettrice) influence son offre d information. 4.3.1 Relations analystes / employeur Les analystes peuvent travailler pour des organisations qui concilient activités de courtage et de marché primaire. Dans ce cadre, l enquête révèle qu ils analystes participent à la préparation de l introduction. Ils deviennent tour à tour apporteurs d affaires, experts et vendeurs dans l intérêt commercial de la banque. - L analyste apporteur d affaires Au regard de l enquête, les analystes semblent incités à impétrer des mandats de placement lucratifs pour leur établissement. Ils sont encouragés à faire connaître au département corporate les éventuels candidats à l introduction. «Nous demandons à nos analystes de communiquer leurs informations au département de nos activités primaires lorsque, par exemple, ils apprennent grâce à leurs contacts fréquents avec les sociétés, que l une d entre elles cherchent à introduire une filiale», reconnaît un professionnel. Le département origination sollicité 70.4% des répondants et le département fusion-acquisition 54% d entre eux. Ils sont encore exhortés à la complaisance avec les clients potentiels du département corporate. La presse financière observe également que «la valeur d un analyste est de plus en plus conditionnée par sa capacité à apporter des affaires» 6. - L analyste expert Nous avons demandé aux analystes de se placer dans le cas où leur employeur est impliqué dans l opération d introduction. Ils déclarent alors, lors des entretiens exploratoires, accompagner les membres du département origination. Leur expertise, leur connaissance du 6 D après R. Lowenstein, Today s analyst often wears two hats, Wall Street Journal, 2 mai 1996 17

secteur et du marché servent d argument commercial (de «vitrine») à la banque. Tous les répondants à l enquête affirment rédiger la note de recherche incluse dans le prospectus. Ils y justifient les conditions de l opération, en particulier le prix d introduction. Ils anticipent tout d abord le prix d équilibre du titre, auquel ils appliquent ensuite une décote usuelle de 10 à 20% (selon 71% d entre eux). Ils majorent la décote au-delà de ce seuil, en cas de forte activité du marché primaire, de perspectives de l entreprise peu visibles, de mise en place d un plan de stock options et de risque spécifique élevé. Ils semblent valoriser la société sous contrainte. Certes 70% des répondants affirment anticiper le prix d équilibre librement, sans intervention du chef de file. Mais tous disent veiller aux relations d affaires de leur employeur avec la société suivie. Nous supposons aussi que l influence de la banque s exerce au niveau de la décote. L analyste diminuerait le prix d équilibre estimé de sorte à retrouver le prix d introduction négocié entre la banque et l émetteur. Au vu des 326 études financières consultées, le niveau de décote n est du reste jamais justifié. - L analyste vendeur Les analystes sont assujettis à des contraintes commerciales de plus en plus fortes, qu ils opèrent sur le marché secondaire ou sur le marché primaire. Sur le marché secondaire, tous les répondants affirment démarcher, conseiller et informer les investisseurs. 60% d entre eux consacrent plus de la moitié de leur temps à leurs clients. Les entreprises d investissement semblent donc avoir réagi à la baisse des commissions de courtage par une politique commerciale agressive. Mais la contribution des analystes aux objectifs commerciaux ne risque-t-elle pas de se faire au détriment de leur activité d analyse et de recherche? Ou de créer des conflits de compétences avec les vendeurs-actions? Sur le marché primaire, les analystes semblent biaiser leurs estimations pour faciliter le placement des titres. Seize analystes reconnaissent fréquemment publier des prévisions optimistes sur l émetteur lorsque leur établissement pilote l introduction. Quinze d entre eux affirment intégrer les intérêts commerciaux de l introducteur dans leur évaluation (question 29). Mais paradoxalement, seulement deux analystes sur les seize attribuent leurs erreurs de prévision au primat des intérêts de la banque d affaires sur leur devoir d objectivité (question 55)... Les taux de non réponse aux trois questions sont très élevés (40%). Sur un thème «sensible», le questionnaire standardisé n élimine donc pas complètement le facteur de perturbation dû à la présence de l enquêteur lors des entretiens. Mais il facilite l identification des contradictions et omissions des 18

répondants. Celles-ci permettent de relier l optimisme des analystes à leur participation au placement des titres. Pour convaincre les investisseurs de passer des ordres d achat, l analyste force le trait optimiste de ses estimations. Selon R. Lowenstein (1996), «les gestionnaires de fonds se plaignent (...) que le fait de privilégier les commissions de placement fausse les résultats des analyses financières. En effet, l analyste aura alors tendance à éviter sciemment de faire des commentaires négatifs sur les sociétés clientes des activités de placement». Les pressions du banquier sont efficaces car assorties d incitations monétaires. Les commissions de placement rémunèrent directement ou indirectement les analystes. Les meilleurs analystes-vendeurs bénéficient ainsi d avantages pécuniaires. Selon Bernard Coupez, président de la S.F.A.F. 7, les analystes sont d autant plus incités à se transformer en «super-vrp du placement des titres» qu ils perçoivent souvent des bonus très élevés en contrepartie. Les commissions de placement subventionnent également les centres de coûts que sont les bureaux d analyse financière (voir l enquête de l Institutional Investor, 1989, précitée). L enquête, appuyée d autres sources documentaires, montre que les intérêts commerciaux de l introducteur influencent l offre d information des analystes au détriment des investisseurs. Nous confirmons donc l hypothèse H1. 4.3.2 Relations analystes / société émettrice - La société, principale source d information des analystes L enquête confirme que les analystes travaillent principalement à partir des informations diffusées par la société (hypothèse H2). Nous avons demandé aux analystes de sélectionner les sources d information qu ils utilisent le plus souvent pour évaluer une introduction (question 37). Nous reportons dans le tableau 5 la fréquence puis le classement obtenus par chaque source. Le dossier d introduction et les contacts avec les dirigeants sont le plus fréquemment cités. L information sectorielle et économique est également bien classée. Par contre, les études des autres analystes obtiennent le plus mauvais score. Les analystes utilisent surtout le prospectus lors de la phase de familiarisation et de découverte de l introduction. 62.5% des répondants y recourent pour se constituer un dossier d information sur la société et 37.5% seulement pour prendre une décision d investissement (question 39). Gniewosz (1990) dresse une taxinomie des sources d information des analystes. Le prospectus d introduction y relèverait des informations routinières. Il ne concourt pas directement à l émission de prévision mais reste indispensable. Les analystes 7 Le Monde, 12 avril 2002, page 22 19

interrogés oralement soutiennent confronter leurs prévisions à celles incluses dans le prospectus. Ils recherchent ensuite les causes d un éventuel écart. Enfin, les entretiens exploratoires ont permis de préciser quels contacts les analystes ont avec les dirigeants. Ces derniers informent les analystes publiquement et collectivement lors de la réunion organisée par la SFAF. Les analystes sollicitent également des rencontres individuelles avec le dirigeant. Elles leur permettent de se familiariser avec l entreprise et son secteur d activité, de mettre à jour leurs informations ou d interroger le dirigeant sur un problème découvert à la lecture des comptes ou dans la presse financière. Elles sont très informatives et donc activement recherchées. Mais elles remettent en cause le principe d égal accès des investisseurs à l information. À ce propos, 22% des répondants considèrent les relations avec le dirigeant comme une source risquée d information. - Effets de la dépendance informationnelle des analystes L enquête montre comment la dépendance informationnelle des analystes à l égard de la société nuit à la qualité de leurs prévisions. D une part, le dirigeant use de sa position de principal informateur pour inciter les analystes à évaluer favorablement son entreprise. 60.5% des répondants reconnaissent nuancer leur opinion en fonction de la qualité de leurs relations avec la société (question 20). La presse financière se fait l écho des pressions du dirigeant sur l analyste. L Institutional Investor a réalisé une enquête auprès de l All-American Research Team en 1989. 61% des analystes interrogés ont déclaré avoir dû, au moins une fois dans leur carrière, modérer une recommandation négative sous l injonction du dirigeant. D autre part, la majorité des analystes dénoncent l insuffisante qualité des informations du prospectus. L exactitude de leurs estimations devrait aussi s en ressentir. Toutes les parties du prospectus d introduction ne leur sont pas aussi utiles. Les indicateurs prévisionnels du prospectus, financiers ou stratégiques, gagneraient à être améliorés selon 40.6% des répondants (question 42). Les analystes ont noté l importance des différents chapitres du prospectus sur une échelle de Thurstone à trois points (question 40). Les chapitres sont ensuite classés sur la base de leur note moyenne. Les analystes accordent le plus d intérêt au chapitre 7 (perspectives de développement de la société), suivi du chapitre 4 (présentation de l activité de la société) et du chapitre 5 (les derniers états comptables certifiés). Chahine et Mathieu (2002) soulignent également la valeur informative du chapitre 4. Leur échantillon comprend 50 introductions au Nouveau Marché entre 1998 et 2000. En particulier, ils relient positivement et significativement la communication par la société de ses atouts technologiques et humains, et la rentabilité anormale observée le 20