L érotisme des problèmes



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Transcription:

L érotisme des problèmes Apprendre à philosopher au risque du désir «Tous les hommes ont naturellement le désir de savoir», écrit Aristote. Si seulement! L incipit de La Métaphysique ne saurait être un postulat pour ceux qui veulent partager l amour de la sagesse, il constitue plutôt un objectif : «comment rendre les idées philosophiques désirables?» Cette importance du désir est cruciale si l on considère qu une idée juste ne désigne pas tant une solution vraie qu un vrai problème. En philosophie, le «désir de savoir» n est pas une curiosité pour les solutions, c est un désir de questionner et cela n a rien d inné. La liberté de penser suppose ainsi l amour des problèmes : comprendre que ces derniers ne sont pas des «ennuis», mais les gestes intellectuels même qui permettent de se mouvoir dans la pensée. A contrario, la quête exclusive des solutions nous fait perdre le sens du savoir et nous empêche de nous construire comme sujet. Pour explorer ces enjeux, ce livre propose une analyse de ce qu est un problème philosophique, depuis sa rencontre concrète où tout notre être se retrouve exposé dans sa fragilité, jusqu à sa résolution pratique qui fait de la philosophie une manière de vivre, en passant par sa position parmi le champ des croyances et sa construction. Ces quatre dimensions du problème forment la trame d une compréhension éthique de ce que philosopher veut dire. Sébastien Charbonnier est enseignant de philosophie et chercheur. Il a publié un livre sur Deleuze et la portée pédagogique de ses concepts (Deleuze pédagogue, L Harmattan) ainsi qu une analyse critique de ce que peut signifier «philosophie» pour nous aujourd hui (Que peut la philosophie?, Seuil). Prix 22 isbn 978-2-84788-636-8 ENS ÉDITIONS ENS ÉDITIONS L érotisme des problèmes SÉBASTIEN CHARBONNIER L érotisme des problèmes Apprendre à philosopher au risque du désir SÉBASTIEN CHARBONNIER ENS ÉDITIONS

Table des matières DEUXIÈME PARTIE La tierce place pour poser les problèmes 4. Comment capter l autre dans le problème sans le capturer? 105 5. Se positionner ensemble : quelles didactiques? 119 6. Le professeur doit-il lui-même désirer les problèmes? 135 TROISIÈME PARTIE L énergie de construire des problèmes Préface 5 Introduction 11 7. Comment conquérir la puissance de perdurer dans l effort de penser? 161 8. Comment désirer penser ensemble ce qui nous arrive? 179 9. Quand devient-on rationnel? 193 PREMIÈRE PARTIE Le paradoxe comme exposition au problème QUATRIÈME PARTIE S essayer à une résolution : l exercice continué 1. Qu est-ce que vivre un paradoxe? 39 2 Le noochoc peut-il devenir banal? 55 3 À quoi l art (aisthesis) nous expose-t-il? 75 10. L idée de création de soi est-elle individualiste et élitiste? 215 11. À quel trajet au sein des croyances l apprentissage forme-t-il? 231 Conclusion - Émancipation et institutionnalisation 247 Bibliographie 253 Index 261 263

L érotisme des problèmes Préface L ouvrage qu on va lire est l œuvre d un jeune philosophe insolent! Michel Meyer rappelle que le terme d «insolence» a la même racine que celui d «habitude» (en latin, avoir l habitude se dit solere). 1 L insolence concerne le questionnement intempestif qui conteste l autorité des habitudes et les habitudes d autorité. L insolence prend la liberté de questionner là où les réponses s imposent d elles-mêmes et où il n est décidément pas question de les mettre en question. Meyer remarque que la modernité (celle dont parle Kant dans Qu est-ce que les Lumières?) est une sorte d insolence au carré dans la mesure où elle s autonomise par rapport au sacré. L insolence n est pourtant pas nihiliste, elle vise plutôt à dénoncer les faux-semblants, à rétablir les véritables hiérarchies de valeurs. Bref, elle remet les pendules à l heure et chacun à sa place. Il y a toute une rhétorique de l insolence avec son éthos, son logos et son pathos. L insolence conteste d abord l éthos du tuteur en dénonçant l imposture, l arrogance ou l esprit de sérieux. On trouvera dans cet ouvrage l évocation d un certain nombre de personnages conceptuels qui reçoivent leur volée de bois vert rhétorique. Le logos de l insolence consiste dans l ouverture 1. Michel Meyer, De l insolence, Paris, Grasset, 1995. 5 des problèmes. Il s autorise à demander quel est le problème et va même quelquefois jusqu à prétendre que le problème, tel qu il est posé, n est pas le bon, ou encore qu il est mal construit ou qu il s agit d un faux problème. Le texte qu on va lire propose un certain nombre de déconstructions et de reconstructions problématologiques. Surtout l insolent se méfie des pouvoirs qui naturalisent telle ou telle solution, économique, politique, pédagogique ou autre, en la présentant comme la seule possible. C est pourquoi le pathos de l insolence implique cette rhétorique blanche, cette rhétorique de l autorisation que Kant avait entrevue et qui vient contrebalancer l «heuristique de la peur» que répand le tuteur. Le ton souvent tranchant de ce livre relève de cette rhétorique de l insolence mise ici au service d une entreprise démocratique : «distribuer au maximum d individus possibles le désir des problèmes, la puissance d oser questionner la réalité» (p. 33-34). L insolence n est ni l insulte ni l arrogance qui excluent ou prennent de haut, c est plutôt le langage de l initié qui conteste les autorités, de l intérieur. Initié à la philosophie, à son histoire, à ses problématiques, Sébastien Charbonnier l est superlativement. Il ne s agit pas pour lui de faire semblant de renoncer à cette culture, d en contester l intérêt intellectuel, à plus forte raison de la dénigrer en faveur de je ne sais quel spontanéisme naïf. C est plutôt au nom de l exigence philosophique qu il conteste une certaine posture idéaliste qui fige l apprentissage de la philosophie dans des formes convenues sans prendre la mesure des implications concrètes, c est-à-dire proprement politiques et donc ici, pédagogiques, de l idéal d émancipation. L enseignement de la philosophie dit Sébastien Charbonnier se réduit le plus souvent «à la mise en scène, plus ou moins savante, cultivée, des libertés civiles» (p. 16-17). Il est vrai que le postulat métaphysique de la liberté s avère bien commode pour dispenser l enseignant de mettre en place les dispositifs didactiques qui permettraient une réelle formation à l esprit critique. Il n est peut-être pas en effet inutile, comme le suggère l auteur, de recourir à l hypothèse d un «déterminisme méthodologique», pour penser une émancipation qui ne se réduise pas à un saut imaginaire par delà tout conditionnement, mais vise l augmentation effective du pouvoir d agir ou «la puissance de continuer à s individuer», comme aurait dit Simondon (p. 66). La prise en charge des conditions effectives de l émancipation implique de susciter du désir pour la philosophie. Car ce désir ne va pas de soi, de même qu il ne va pas de soi que la philosophie soit, d elle-même, émancipatrice. Ce qui signifie à la fois le refus de présupposer un intérêt spontané pour 6

Préface les problèmes philosophiques (la fameuse curiosité enfantine ou infantile) comme celui d imposer de l extérieur des problèmes prétendument a priori intéressants. Sur ce point, la leçon de Dewey, qui renvoie dos à dos les théories de la motivation et celles de l imposition, est bien entendue. D où l insistance sur l exposition des problèmes. L exposition désigne d abord cette dimension de temporalité de la pensée qui fait de la problématisation, non un processus linéaire, mais une série d interférences, intervenant à tout moment du processus, entre position, construction et résolution. Mais elle est également une épreuve : la problématisation, il faut s y risquer en prenant au sérieux les paradoxes qui suscitent la pensée. Comme le souligne Sébastien Charbonnier, rien n aura lieu si l enseignant ne s expose lui-même, ne se risque par exemple à affronter l événement de pensée qui surgit au détour d une question d élève et qui semble à première vue rompre le fil d un cours trop bien préparé et qu on espérait dérouler comme sur des rails. Sans du tout plaider pour un quelconque dilettantisme, Sébastien Charbonnier envisage l idée d une préparation de cours, ouverte et susceptible de susciter le questionnement et d accueillir celui des élèves, bref, permettant de devenir acteur «aux côtés des élèves» (p. 68). L auteur ne partage pas le mépris de beaucoup d enseignants de philosophie pour la didactique : si penser est un art, la pensée ne survient pas magiquement en écoutant l enseignant méditer à haute voix ; il faut donc concevoir des techniques et des exercices. Il ne s agit certes pas de recourir à une didactique applicationniste qui définirait a priori des situations problèmes que les enseignants n auraient qu à reprendre telles quelles. Il s agit plutôt de définir les conditions d une didactique attentive à la singularité des situations et aux événements de pensée qui sont susceptibles d y survenir et qui ne sont pas forcément prévisibles. C est pourquoi l exigence de concret ne descend jamais ici au niveau des exemples pédagogiques, lesquels peuvent toujours induire des effets de reproduction mécanique. Les développements sur les inducteurs ou transducteurs de problématisation (p. 127-129) s inscrivent donc dans la perspective d une didactique qu on pourrait dire «clinique», travaillant aux jointures du paradoxe pédagogique : aider les élèves à problématiser sans toutefois le faire à leur place. L auteur s inscrit dans le paradigme de la problématisation (Dewey, Bachelard, Deleuze, Simondon, Meyer) et dans les travaux du CREN (Centre de recherche en éducation de Nantes) qui tentent d en tirer les implications éducatives. Cet ouvrage reprend d ailleurs certains éléments de sa thèse 7 L érotisme des problèmes soutenue à l université de Nantes en 2010 dont la première partie a donné lieu à une précédente publication. 2 L originalité de ce travail est d investir le terrain de l enseignement de la philosophie dont on pouvait penser qu il était le lieu naturel de la problématisation, mais dont on montre ici qu il peut très vite dégénérer, faute d une attention suffisante aux conditions concrètes de son effectuation. Sur ce point, on saisit la filiation de Deleuze : sa critique de l image dogmatique de la pensée et sa conception problématologique de la philosophie Sébastien Charbonnier est aussi l auteur d un Deleuze pédagogue! Ce qui nous vaut des expressions très fortes : l amour des solutions comme «pornographie de la pensée», opposé à l amour des problèmes comme «érotisme intellectuel» (p. 220-221) : d où le titre de l ouvrage. Du point de vue problématologique, l émancipation, sous les figures de la majorité comme chez Kant ou de l insolence comme chez Meyer, se définit comme l amour des problèmes (conçus non comme des manques ou des points négatifs, mais au contraire comme ce qui met la pensée en mouvement) et la maîtrise de leur constitution. Deleuze dit quelque part que, dans une réunion publique, lorsqu un doigt se lève au fond de la salle pour contester, non pas telle ou telle solution, mais la manière même dont le problème est construit, cette dénonciation d un faux problème et la reconstruction qui peut s ensuivre témoignent de ce qu est véritablement la liberté de penser : non pas seulement la possibilité d émettre telle ou telle opinion, telle thèse ou telle solution, mais celle de définir ou de redéfinir quel est véritablement le problème. Il n est pas interdit de rêver que l enseignement de la philosophie puisse effectivement contribuer à cette forme d émancipation. Il est tout à fait remarquable que l insolence de Sébastien Charbonnier en vienne à réactiver la thématique, chère à Michel Foucault et Pierre Hadot, de la philosophie comme exercice ou comme vie. Le paradigme de la problématisation permet ainsi de penser à nouveaux frais le perfectionnement de soi, comme Dewey ou Bachelard, chacun à leur manière, l avaient montré, en sécularisant l idée d exercices spirituels. Le dernier chapitre de l ouvrage déploie ainsi la thématique de l art de penser comme modification de soi et celle de «faire de sa vie un problème pour les autres» (p. 219). Par cette dernière expression, il ne faut pas entendre le fait d être incommode à autrui, 2. Voir Sébastien Charbonnier, Que peut la philosophie? Être le plus nombreux possible à penser le plus possible, Paris, Seuil, 2013. 8

Préface mais plutôt celui de pouvoir susciter le désir des problèmes, en quoi consiste l érotisme proprement socratique. Il ne s agit pas pour le professeur de philosophie de s ériger en modèle, de défendre une doctrine ou même une thèse, mais bien de susciter le désir de l enquête, de faire circuler l amour des problèmes, ce qui ne va pas sans un souci constant de perfectionnement de soi. Telle est l interprétation que l auteur donne de la vieille injonction de la Bildung, d avoir à faire de sa vie une œuvre. Souhaitons que ce livre dense, radical et puissant invite à penser les problèmes et à vivre la philosophie. Michel Fabre, été 2014 9