LA SAUVEGARDE FINANCIERE ACCELEREE, NOUVELLE RECRUE DE L ANNEXE A DU REGLEMENT 1346/2000? La sauvegarde financière accélérée, recrue récente des procédures collectives, a déjà beaucoup fait parler d elle. La loi de régulation bancaire et financière du 22 octobre 2010 1 a introduit la sauvegarde financière accélérée aux articles L.628-1 à L.628-7 nouveaux du Code de commerce dans le chapitre VIII du titre II du livre VI dudit code. Encore une fois, le droit français vient consacrer la pratique. Dans les affaires Autodistribution 2 et Technicolor (ex- Thomson) 3, on remarque l influence du droit américain avec l utilisation du «prepack». La sauvegarde financière accélérée reprend les principales caractéristiques du «prepack à la française», pensé par les praticiens. La sauvegarde financière accélérée constitue une «variante 4 et non une concurrente de la procédure de sauvegarde». En effet, elle reste soumise aux règles de droit commun de la procédure de sauvegarde, sauf dérogations. Néanmoins, à la lecture de la loi de 2010, il faut noter que son application appelle d autres critères. De ce fait, elle est une procédure semi hybride. On peut donc s interroger sur son intégration au règlement communautaire 1346/ 2000 5. Cette problématique appelle plusieurs considérations. Il faut d une part, analyser le régime institué par le législateur (I) afin de voir si le règlement apporte des éléments de réponse (II). I. L institution d une procédure semi-hybride La procédure de sauvegarde financière accélérée doit répondre aux critères de la sauvegarde de droit commun mais doit aussi répondre à des critères supplémentaires. Ce régime à double dimension pose la question de la qualification de la sauvegarde (A), avant de s intéresser à son éventuelle conformité avec le règlement 1346/2000 (B). A) Les spécificités de la procédure de sauvegarde financière accélérée Il convient de noter qu aux termes de l article Art. L. 628-1 : «Il est institué une procédure de sauvegarde financière accélérée, soumise aux règles applicables à la procédure de sauvegarde sous réserve des dispositions du présent chapitre. La procédure de sauvegarde accélérée est ouverte sur demande d'un débiteur, engagé dans une procédure de conciliation en cours et satisfaisant aux critères mentionnés au premier alinéa des articles L. 620-1 et L. 626-29, qui justifie avoir élaboré un projet de plan visant à assurer la pérennité de l'entreprise et susceptible de recueillir un soutien suffisamment large de la part des créanciers mentionnés à l'alinéa suivant pour rendre vraisemblable son adoption dans le délai prévu à l'article L. 628-6». 1 Loi n 2010-1249 du 22 octobre 2010 2 T. com. Evry, 6 avril 2009 3 T. com. Nanterre, ch. except., 17 févr. 2010, n o 2010L00346 4 Note de présentation de l avant-projet de loi de régulation bancaire et financière n 2010-1249 du 22 octobre 2010. Dans le même sens : M. Menjucq, Adoption de la sauvegarde financière accélérée : consécration du prépackaged plan en droit français, Rev. proc. Coll. 6/2010, p. 1 : «la loi n introduit pas une nouvelle procédure mais plutôt une variante non seulement accélérée mais aussi très allégée de la sauvegarde : c est une sauvegarde fast and light». 5 Règlement CE n 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d insolvabilité. 1
La nouvelle procédure doit donc satisfaire les conditions requises pour l ouverture d une sauvegarde de droit commun. En effet, elle est soumise aux critères mentionnés aux articles L620-1 et L626-29 du Code de commerce. Par ailleurs, la sauvegarde financière accélérée poursuit un but déterminé, celui de permettre aux entreprises, qui subissent un endettement qu elles ne peuvent plus supporter seules, d arrêter un plan de restructuration de leur dette financière. Dans cette optique, le Législateur a ajouté une condition qui vient restreindre la procédure et deux conditions qui viennent compléter la sauvegarde. Aux termes de la loi instituant la nouvelle procédure, celle-ci doit remplir également, les trois conditions suivantes 6 : une procédure de conciliation doit être en cours ; il doit dépasser les seuils réglementaires requis pour la constitution obligatoire des comités de créanciers (150 salariés ou 20 millions d euros de chiffre d affaires); il doit enfin justifier avoir élaboré un projet de plan assurant la pérennité de l entreprise et «susceptible de recueillir un soutien suffisamment large de la part» des créanciers appelés à être membres du Comité des établissements de crédit et assimilés et, le cas échéant, de l Assemblée unique des obligataires, pour «rendre vraisemblable» son adoption dans un délai d un mois à compter du jugement d ouverture. Concrètement, les débiteurs négocient un plan de restructuration avec leurs créanciers financiers avant toute procédure collective, lequel ne réunit pas forcément l unanimité des créanciers. Néanmoins, il n est pas certain que le plan soit validé automatiquement par la simple signature de la majorité des créanciers, comme en droit américain. Le «prepack à la française» permettrait donc de passer outre l opposition d une minorité de créanciers, portant atteinte au principe du traitement égal des créanciers, selon la plupart des auteurs 7. Reste à voir si le Conseil Constitutionnel, saisi éventuellement d une question prioritaire de constitutionnalité, ne remettra pas en cause la nouvelle recrue des procédures collectives sur ce fondement. En effet, cette procédure ne s adresse qu à certains créanciers mentionnés à l article L.626-30 du Code de commerce. La discipline collective ne jouera qu à l égard de ces créanciers désignés, c'est-à-dire ceux concernés par le plan de sauvegarde, et non à l égard de tous. Les autres créanciers ne sont pas soumis au principe d arrêt des poursuites individuelles et d interdiction des paiements. Néanmoins, le principe d égalité des créanciers n existe pas réellement en tant que tel parce que l égalité ne joue qu à l intérieur de chacune des catégories de créanciers. En réalité, on pourrait prétendre que cette nouvelle procédure est un instrument de gestion de la dette financière, non un instrument de traitement global des difficultés de l'entreprise. 6 Article L.628-1 nouveau du Code de commerce 7 B.Grelon, La loi de sauvegarde revisitée par la loi n 2010-1249 dite de «régulation bancaire et financière» en date du 22 octobre 2010, Revue des sociétés 2011, p. 7 2
B) l éventuelle conformité de la procédure de sauvegarde financière accélérée à l annexe A du règlement 1346/2000 Quant à l éventuelle intégration de la nouvelle procédure dans l annexe A du règlement, selon R.Dammann et G.Podeur 8, comme la sauvegarde financière accélérée «constitue une sous catégorie de la procédure de sauvegarde», il en découlerait que dès lors que la sauvegarde entre dans le champ d application du règlement 1346/2000, la sauvegarde financière accélérée entrerait indubitablement dans la liste des procédures d insolvabilité de l annexe A. En effet, la procédure de sauvegarde financière accélérée est soumise par principe «aux règles applicables à la procédure de sauvegarde sous réserve des dispositions du présent chapitre [chapitre VIII]». Cette référence directe à la procédure de sauvegarde de droit commun peut conduire à penser qu elle constitue une déclinaison spéciale de celle-ci et donc en suit le régime : en effet, toutes les dispositions de la sauvegarde de droit commun sont applicables à la nouvelle procédure. Par suite, ce nouvel outil pourrait lui aussi intégrer le règlement 1346/2000. Certains auteurs nuancent toutefois ce raisonnement 9, en raison des différences profondes entre la nouvelle sauvegarde et celle de droit commun. En effet, si le régime légal de la sauvegarde financière accélérée est bien inséré dans le titre du Code de commerce consacré à la sauvegarde, il institue une procédure originale dotée de critères d ouverture spécifiques. Selon ces auteurs, les critères de fond pour relever des procédures d insolvabilité au sens de l article 1 1 du règlement 1346/2000 semblent encore moins réunis, que pour la procédure de sauvegarde de droit commun. On revient dès lors au débat de savoir si l article 1 1 l emporte sur l annexe A. Or, comme on va le voir, l effet utile du règlement commande de privilégier une application sans discussion possible du règlement communautaire, y compris de ses annexes. Afin d apporter quelques éléments de réponse, il faut également analyser les critères posés par le règlement 1346/2000. Le champ d application du règlement est déterminé par l application combinée de l article 1 et de l annexe A. Il s en est suivi une série de questions relatives à la primauté de l un sur l autre, si un conflit survenait. De ce fait, il s agit de déplacer la question sur le fait de savoir s il est possible de sanctionner les procédures inscrites à l annexe A, au motif qu elles ne seraient pas conformes à l article 1 1. II. La problématique du conflit entre l annexe A et l article 1 1 du règlement La question de qualification de la sauvegarde financière conduit à s interroger d une part sur le caractère subsidiaire d une conformité au règlement 1346/2000 (A) et sur le caractère nécessaire d une inscription à l annexe A d autre part (B). 8 R.Dammann, G.Podeur, Sauvegarde financière : le «prepack» à la française, Recueil Dalloz 2010 p. 2504 9 B.Grelon, La loi de sauvegarde revisitée par la loi n 2010-1249 dite de «régulation bancaire et financière» en date du 22 octobre 2010, Revue des sociétés 2011, p. 7 3
A. Le caractère subsidiaire d une conformité au règlement 1346/2000 La circulaire du 15 décembre 2006 10 précise que «le champ d application effectif du règlement est déterminé par l application combinée de l article 1 et de l annexe A : seule une procédure répondant aux critères énoncés dans cet article et figurant à l annexe y est soumise». L article 1 1 du règlement vise les «procédures fondées sur l insolvabilité du débiteur qui entraine le dessaisissement partiel ou total de ce débiteur, ainsi que la désignation d un syndic». Il y a donc plusieurs conditions à l applicabilité du règlement 1346/2000. Selon l article 4 2 du règlement, il revient à l état d ouverture de la procédure de donner la définition de l insolvabilité. Or en droit français, pour définir la notion d insolvabilité, le Législateur renvoie à la notion de cessation des paiements, notion absente tant en matière de sauvegarde financière accélérée qu en matière de sauvegarde de droit commun. Cependant, on peut opter pour une perception large de la notion d insolvabilité qui peut renvoyer soit la notion de cessation des paiements soit à celle de difficultés de nature à aboutir à la cessation des paiements que recouvre la sauvegarde. En retenant une «définition fonctionnelle de l insolvabilité 11» on parvient à surmonter cet «obstacle»! Ensuite, un débat a été mené que la question de savoir si la sauvegarde de droit commun remplissait la condition relative au dessaisissement du débiteur. Néanmoins, là encore, il faut savoir si le règlement appelle une interprétation rigoureuse ou souple 12. Par ailleurs, en vertu de l article L. 628-1 du Code de commerce, instituant la nouvelle procédure : «la procédure de sauvegarde accélérée est ouverte sur demande d'un débiteur, engagé dans une procédure de conciliation en cours et satisfaisant aux critères mentionnés au premier alinéa des articles L. 620-1 et L. 626-29, qui justifie avoir élaboré un projet de plan visant à assurer la pérennité de l'entreprise et susceptible de recueillir un soutien suffisamment large de la part des créanciers mentionnés à l'alinéa suivant pour rendre vraisemblable son adoption dans le délai prévu à l'article L. 628-6». Le passage par une conciliation est obligatoire. Or, en l état actuel des dispositions légales françaises, l exclusion de la procédure de conciliation du règlement 1346/2000 s impose pour des raisons énoncées par une réponse ministérielle du 1 er mai 2007 13 : «( ) la conciliation peut être ouverte hors de tout contexte d insolvabilité ou de difficultés économiques ou financières. Elle n est pas une procédure collective ni son préalable. Elle ne voit pas intervenir de syndic, au sens du règlement, le conciliateur n en ayant aucune des prérogatives. Elle n affecte en rien les pouvoirs du débiteur». Néanmoins, il convient de souligner que cela n influe pas sur la problématique. 10 Circulaire de la DACS n 2006-19 11 F.Rigaux 12 F.Melin, le règlement communautaire du 29 mai 2000 relatif aux procédures d insolvabilité, 2008. 13 Question n 120292, JO du 13 mars 2007, p. 2579 4
B. Le caractère nécessaire d une inscription à l annexe A Somme toute, la question que l on doit se poser dans le cadre de notre propos, est celle de savoir si le juge peut vérifier que les conditions de l article 1 1 du règlement sont bien remplies, vis-à-vis des procédures inscrites à l annexe A. Cette question semble appeler une réponse négative au regard de la jurisprudence Probud 14, dans laquelle la Cour de justice de l Union européenne a pu préciser la portée des règles qui régissent la reconnaissance des décisions relatives aux procédures d insolvabilité par les Etats membres 15. Au regard de cette décision, il n appartient pas in abstracto aux juridictions nationales de contrôler la conformité à l article 1 1 du règlement, des procédures listées à l annexe A. Si les juges pouvaient en contrôler la conformité, le principe de confiance mutuelle dégagé par l affaire Eurofood 16 serait vidé de sa substance, ainsi que le principe d universalité qui en est le reflet. Partant, une tierce opposition ne saurait être fondée sur le motif de la conformité à l article 1 1 d une procédure inscrite à l annexe A. Dans le cas contraire, la souveraineté des Etats membres serait mis à mal d une part, et le principe d universalité inhérent au règlement communautaire serait sérieusement remis en question d autre part. Il faut cependant déplacer le débat sur un critère non négligeable, à savoir l effet utile du règlement communautaire. En effet, la CJUE fait constamment référence à cet effet utile, pour donner un guide d interprétation des traités. L effet utile impliquerait que les dispositions du règlement 1346/2000 ne doivent pas être interprétées selon chaque droit international privé national des Etats Membres, mais bien suivant une interprétation communautaire autonome, unique. Autoriser une interprétation nationale, reviendrait à vider le règlement de son effet utile, puisque cela impliquerait une remise en cause systématique des dispositions posées par le Législateur communautaire. Dès lors, chaque juridiction nationale ou créancier national, pourrait critiquer toutes les procédures d insolvabilité étrangères inscrites à l annexe A. Subsidiairement, cette hypothèse porterait atteinte à l objectif de rapidité, découlant de toute procédure d insolvabilité. Pour conclure notre propos, on peut se demander au regard des développements précédents, si la nouvelle procédure entre automatiquement dans le champ du règlement 1346/2000 ou bien si la France doit demander son inscription à l annexe A au moyen de l article 45 du règlement. Tout d abord, il convient de rappeler que la sauvegarde financière accélérée constitue une «sous-catégorie» de la sauvegarde de droit commun. Toutefois, on peut souligner d ores et déjà, que le législateur n a pas choisi de modifier la procédure de conciliation, mais bien la procédure de sauvegarde. De plus, la nouvelle procédure porte bien le nom de «sauvegarde financière accélérée» et non celui de «conciliation judiciarisée». Le choix du Législateur n est pas anodin : il est possible qu il ait fait ce choix, précisément afin de garantir à la nouvelle procédure son intégration automatique au règlement communautaire. 14 CJUE, C-444/07, 21 janvier 2010., Rev. Proc. Coll. 2010, étude 16, p. 38, obs. T.Mastrullo ; Procédures 2010, comm. 72, obs. C.Nourissat, Europe 2010, comm. 127, obs. L.Idot ; Rev. Proc. Coll. n 6/2010, comm. 222, obs. M.Menjucq. 15 T. Mastrullo, note précitée. 16 CJCE, 2 mai 2006, C-341/04, Eurofood IFSC Ltd. 5
Les éléments apportés par le débat concernant les incompatibilités entre l annexe A et l article 1 1 du règlement ne peuvent donc permettre de conclure à l exclusion de la sauvegarde financière accélérée. La véritable problématique est la suivante : il faut se demander si la procédure de sauvegarde financière accélérée doit entrer dans le règlement sans formalités complémentaires, du simple fait qu elle n est qu une sauvegarde modifiée pour répondre à certains objectifs ; ou à l inverse, si la France devrait solliciter son inscription en utilisant l article 45 dudit règlement 17 afin de demander l intégration de la nouvelle procédure à l annexe A du règlement, comme elle l a fait pour la sauvegarde de droit commun. Enfin, le refus de faire bénéficier la procédure de sauvegarde financière accélérée du règlement 1346/2000 ferait perdre pour le débiteur concerné, l intérêt de cette procédure. Comme on le sait, la sauvegarde financière accélérée ne s adresse pas aux PME, mais bien aux entreprises de taille importante, qui entretiennent quasiment toutes des relations internationales. Il parait donc intéressant pour ces grandes entreprises de bénéficier d une procédure d insolvabilité rapide universelle qui produira ses effets sur le territoire de tous les Etats membres. Avec tous nos remerciements à Monsieur le Professeur Michel MENJUCQ et à Maitre Reinhard DAMMANN. 17 A l instar de la procédure suivie par la France le 27 avril 2006 pour intégrer la procédure de sauvegarde de droit commun à l annexe A : M.Menjucq, Droit International et européen des sociétés, Montchrestien, 2 ème édition, 2008 6