COUR DU QUÉBEC SOUS LA PRÉSIDENCE DE L HONORABLE PIERRE E. AUDET, J.C.Q. JUGEMENT



Documents pareils
Bulletin concurrence et antitrust

DENIS THIBAULT Demandeur. Entreprise. réclamée. Elle lui confirme que La Capitale, Compagnie d assurance générale (ci-après

- JURISPRUDENCE - Assurances Contrat type d assurance R.C. auto Inapplication d une directive européenne Action récursoire

DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE Division générale Assurance-emploi

MENTIONS OBLIGATOIRES EN VERTU DE LA LOI DE LA PROTECTION DU CONSOMMATEUR

L ASSURANCE COLLECTIVE : LES DÉFIS ÉMERGEANTS. Présentation du 27 octobre Par Me MICHEL GILBERT GRONDIN POUDRIER BERNIER S.E.N.C.R.L.

Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, trois avril deux mille quatorze.

RECOURS COLLECTIFS - LA COMPÉTENCE RATIONE MATERIAE : UNE QUESTION PRÉLIMINAIRE

COUR SUPÉRIEURE «Procédure allégée»

Organisme d arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment : Centre canadien d arbitrage commercial (CCAC)

POLICE D ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC F.P.Q. N O 7 FORMULE D ASSURANCE EXCÉDENTAIRE DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANçAIS

BUREAU DES RÉGISSEURS Régie du bâtiment du Québec

JE N'AI JAMAIS REÇU L'AVIS DE COTISATION! LOUIS-FRÉDÉRICK CÔTÉ, LL.M. (L.S.E.), AVOCAT MENDELSOHN ROSENTZVEIG SHACTER TABLE DES MATIÈRES 1. TVQ...

COUR DU QUÉBEC «Division des petites créances»

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE LILLE N Mme Dejana R M. Dzibrail R RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Décision du Défenseur des droits n MLD

Gestion SPV inc. c. Labelle Marquis inc QCCQ 792 COUR DU QUÉBEC SOUS LA PRÉSIDENCE DE L HONORABLE GEORGES MASSOL JUGEMENT

Bulletin en recours collectifs

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DENICE

ARRÊT DU 30 Novembre Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de SAINT ETIENNE du 16 novembre N rôle: 2004/369

Le Privilège du secret professionnel des conseillers juridiques en entreprise

Récapitulatif de la loi sur les contrats privés d'assurance maladie

Cour de cassation Chambre commerciale Cassation partielle 30 mars 2010 N

REPUBL QUE FRANCA SE

L assurance en temps réel

COUR DE CASSATION R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E. Audience publique du 16 janvier 2014 Cassation Mme FLISE, président. Arrêt n o 47 F-P+B

ARRET Cour Administrative d Appel de Paris 30 avril 2013 n 12PA02246 et 12PA02678

DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE Division d appel Décision d appel

Articles-CODE DES ASSURANCES

M. A M. B DÉCISION LA DEMANDE D EXAMEN DE MÉSENTENTE EN MATIÈRE D'ACCÈS

X. Entreprise

Les affaires et le droit par M e Micheline Montreuil. Publications CCH ltée. Corrigé du chapitre 10 - Les assurances

Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, dix-neuf mai deux mille onze.

LE PROCUREUR CONTRE JEAN-PAUL AKAYESU. Affaire N ICTR-96-4-T

-d- DU T~~~Ut~Al Oil~~STA,~C! Di. RliiNES. D'p~mment rj~~ll! i.t WLA9Nf.

N 25/ 07. du Numéro 2394 du registre.

M. Lacabarats (président), président SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat(s)

REQUÊTE EN DÉSISTEMENT Articles 1016 et 1045 C.p.c.

LIGNES DIRECTRICES POUR L'ÉTABLISSEMENT D'UNE ENTENTE SUR LA COPROPRIÉTÉ D'UNE ASSURANCE-VIE

Politique de l'acei en matière de règlement des différends relatifs aux noms de domaine Version 1.3 (le 22 août 2011) ARTICLE 1 INTRODUCTION

CONDITIONS GENERALES VENTE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS

COUR SUPÉRIEURE SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L HONORABLE YVES MAYRAND, J.C.S. MOTIFS ET JUGEMENT Art (2) L.F.I.

L obligation de renseigner et de se renseigner en droit des assurances Vincent Caron

L'AN DEUX MIL QUATRE et le 21 Avril. LE TRIBUNAL D'INSTANCE DE SENLIS Siègeant à Senlis, Cité Judiciaire. a, dans la cause entre: DEMANDEUR:

PARTIE II SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

CONVENTION DE GESTION ET DE REGLEMENT (CORRESPONDANT)

- JURISPRUDENCE - I Assurance R.C. exploitation Couverture de la responsabilité extra contractuelle Conditions d application de la garantie

ARRET DU 2 SEPTEMB:RE 1999

La chambre du conseil de la Cour d'appel du Grand-Duché de Luxembourg a rendu le douze février deux mille quatorze l'arrêt qui suit:

Numéro du rôle : Arrêt n 121/2002 du 3 juillet 2002 A R R E T

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE CAEN F D

M. Mazars (conseiller doyen faisant fonction de président), président

La confirmation de couverture dans les dossiers Carte verte et protection des visiteurs Questions d'actualité et nouvelles dispositions européennes

D)- un pouvoir spécial si le déclarant n'est pas le responsable légale de l'entreprise (Cf. modèle en annexe 7)

ARBITRAGE DE GRIEF EN VERTU DU CODE DU TRAVAIL DU QUÉBEC (L.R.Q., c. C-27) CENTRE HOSPITALIER LE GARDEUR

CONTRAT OBSEQUES ET TUTELLE : UN ARRET* PRECISE LES MODALITES D APPLICATION

N Q.)~ ARRET COUJ~ D'APPEL D'AMIENS ARR~=T DU 06 AVRIL 2006 PARTIES EN CAUSE: : &L: INTIMEE DEBATS PPELANTE RG :,05/00092 SA A: PARIS.

-C- INTIMÉE REQUÊTE POUR AUTORISATION D EXERCER UN RECOURS COLLECTIF (ARTICLES 1002 ET SS. C.P.C.)

De la conclusion du contrat au paiement de la réclamation par l assureur: les sources potentielles de responsabilité du représentant

Les mises à disposition de personnels ou de matériels

B.O.I. N 71 DU 6 OCTOBRE 2011 [BOI 7I-1-11]

LOI N du 14 janvier (JO n 2966 du , p.3450) CHAPITRE PREMIER DE LA PREVENTION DES INFRACTIONS

LA CONSTITUTION DE PARTIE CIVILE DANS UN PROCES PENAL.

COUR DE CASSATION R E P U B L I Q U E F R A N C A I S E. Audience publique du 21 septembre 2011 Rejet M. LACABARATS, président. Arrêt n o 1054 FS-P+B

COUR DU TRAVAIL DE BRUXELLES DU 28 MAI 2013

ARRET du 18 SEPTEMBRE Siège social: 2 des E 42 S: Avocat: Me Trombetta. MR C( Demeurant: Ch L avocat: Me Pignarre INSTRUCTION CLOTUREE LE

DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE Division générale Assurance-emploi


DÉCISION DU TIERS DÉCIDEUR. SPRL LES COMPTABLES ET FISCALISTES ASSOCIES / SPRL EKITAS CONSULTING Affaire N : cfabelgium.be

La procédure V.E.I. (Véhicules Economiquement Irréparables) Renforcer la sécurité routière en empêchant un véhicule ayant subi des dommages importants

ENTENTE DE FUSION UNIFOR

Règlement sur les critères d'obtention des titres de courtier d'assurance associé et de courtier d'assurance agréé

ASSEMBLÉE DU

Numéro du rôle : 4767 et Arrêt n 53/2010 du 6 mai 2010 A R R E T

Me Balat, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Boulloche, SCP Odent et Poulet, SCP Ortscheidt, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat(s)

Examen d aptitude professionnelle. Écrit Exemple de résolution. Droit civil

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS N , , , , M. Olivier Yeznikian Rapporteur

Renonciation réciproque à recours au bail et assurances

Cour de cassation de Belgique

II e COUR D'APPEL. 11 novembre 2002

COUR D'APPEL DE PARIS. Pôle 1 - Chambre 1 ARRET DU 26 AOUT (n, 5 pages)

Arrêt du 19 mai 2008

DÉCISION INTERLOCUTOIRE DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE Division générale Assurance-emploi

Article 1 : Relations contractuelles entre les parties

COUR DE CASSATION R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

BELGIQUE. Mise à jour de la contribution de novembre 2005

Réponses aux questions Concours Cassin 2014

POLICE D ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC F.P.Q. N O 5 FORMULE D ASSURANCE COMPLÉMENTAIRE POUR DOMMAGES ÉPROUVÉS PAR LE VÉHICULE ASSURÉ

Paris, le 10 octobre 2012 Dossier suivi par : XXXX Tél. : XX Courriel : recommandations@energie-mediateur.

COMMISSION PERMANENTE

INTERNATIONAL TRIBUNAL FOR THE LAW OF THE SEA TRIBUNAL INTERNATIONAL DU DROIT DE LA MER Communiqué de Presse (Publié par le Greffe)

JUGEMENT N : ntroduction CANADA PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT DE MONTRÉAL DATE: 18 SEPTEMBRE 2002

LES CONGÉS POUR VENTE ET REPRISE

Commission des services financiers de l Ontario. Lignes directrices pour le dépôt des demandes de taux

C11 : Principes et pratique de l assurance

LETTRE D'INFORMATION AU CE - Février

Transcription:

CANADA PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT DE TERREBONNE LOCALITÉ DE ST-JÉRÔME «Chambre civile» N : 700-22-008755-026 COUR DU QUÉBEC DATE : 16 décembre 2003 SOUS LA PRÉSIDENCE DE L HONORABLE PIERRE E. AUDET, J.C.Q. VENTE FORD ÉLITE (1978) INC. Partie demanderesse c. JULIE THAYER Et LA COMPAGNIE D'ASSURANCES AXA INC. Partie défenderesse JUGEMENT [1] La demanderesse, Vente Ford Élite (1978) inc., (ci-après désignée Ford Élite) réclame la somme de 6 171,28 $ de la partie défenderesse, représentant le solde dû sur les coûts de réparations effectuées sur le véhicule automobile de la défenderesse, JA 0692

700-22-008755-026 PAGE : 2 madame Julie Thayer, laquelle était assurée auprès de la co-défenderesse, la compagnie d'assurances Axa inc. (ci-après désignée Axa). [2] Depuis la signification de l'action, madame Thayer a fait cession de ses biens; la condamnation recherchée l est donc seulement contre Axa, laquelle a par ailleurs admis à l'audience le montant de la réclamation dans l éventualité que sa responsabilité soit retenue. Les arguments des parties [3] Ford Élite plaide en substance que c'est seulement après avoir reçu l'autorisation d'un représentant d'axa qu'elle a effectué les réparations sur l'automobile accidentée de son assurée, madame Thayer. [4] La défenderesse Axa soutient au contraire que son évaluateur des dommages n'avait pas le mandat d'autoriser les réparations au véhicule ni d'ailleurs personne au sein de son entreprise, puisque seule la propriétaire du véhicule en question pouvait le faire. [5] Ford Élite invoque au soutien de sa réclamation l'article 2163 du Code civil. Elle plaide qu'à défaut d'un mandat express, l évaluateur en avait à tout le moins le mandat apparent et, qu en conséquence, sa signature apposée au deuxième devis de réparation lie son employeur, la défenderesse Axa. [6] La demanderesse soutient enfin que «c'est un usage dans le domaine des réparations automobiles de transiger avec les évaluateurs 1» et partant, raison de plus 1 Garage Madore inc. c. Compagnie d'assurances Canadian Surety, (ci-après Canadan Surety) B.E. 2000BE-1224 (C.Q.); AZ-00036564 (C.Q.)

700-22-008755-026 PAGE : 3 pour que la défenderesse Axa soit tenue à lui payer le coût des réparations effectuées au véhicule de son assurée, la co-défenderesse, madame Thayer. [7] La défenderesse Axa affirme de son côté que Ford Élite n'a pas fait, de façon probante, la preuve de l'usage dont elle se réclame. De surcroît, au moment où les réparations ont été effectuées, madame Thayer ne détenait plus, depuis le 31 août 2000, une police d'assurance valide, ayant été déclarée nulle et non avenue et la prime payée de 2 447,52 $ remboursée. Les questions en litige [8] Le présent litige soulève les questions suivantes : La défenderesse Axa doit-elle payer le coût des réparations effectuées par Ford Élite sur le véhicule automobile de son exassurée, madame Thayer? La signature apposée par l'évaluateur des dommages et employé de la défenderesse Axa peut-elle être interprétée comme étant une autorisation d'effectuer les réparations? À défaut d'en avoir le mandat express, en avait-elle le «mandat apparent» selon l'article 2163 C.c.? Ford Élite a-t-elle fait la preuve «d'un usage», lequel aurait pour effet de reconnaître à l'évaluateur le pouvoir implicite de lier la compagnie d'assurance Axa, son employeur? Les principaux faits [9] En août 2000, le véhicule automobile de madame Thayer est volé. Il est retrouvé puis transporté de la fourrière au garage de la demanderesse, Ford Élite. C est d ailleurs un véhicule acheté auprès de cette dernière quelques années auparavant.

700-22-008755-026 PAGE : 4 [10] Le premier «bon de réparation» ou devis est émis en date du 28 août 2000 et la première facture porte la date du lendemain, soit le 29 août 2000. [11] Les réparations ne sont pas effectuées avant que le représentant de la compagnie d'assurances de sa cliente, madame Thayer, «lui ordonne de commencer», soutient dans un premier temps le représentant de Ford Élite, monsieur Robert Zampini, directeur du crédit auprès de Ford Élite. Puis, au cours de son témoignage, il se ravise et déclare plutôt «l autorise à commencer les réparations». [12] Le 6 septembre 2000, monsieur Claude Guimont, évaluateur de dommages à l'emploi d'axa, se présente à l'établissement de Ford Élite. Un premier devis est émis, lequel comporte à la toute fin du document un texte de mise en garde qui se lit comme suit : «Axa Assurances établit que le présent devis est rédigé sans préjudice et ne constitue pas la garantie d'un paiement. Ceci n'est pas une autorisation de réparation.» [13] Les discussions entre monsieur Guimont et le représentant du garage, monsieur Maillé, le directeur du service des réparations (carrosserie) chez Ford Élite, qui n a d ailleurs pas témoigné à l'audience, conviennent d'un montant pour les réparations, soit pour 4 664,72 $. [14] Se croyant autorisée par le représentant d'axa, Ford Élite entreprend le 14 septembre 2000 les réparations sur le véhicule accidenté, lesquelles se poursuivent pendant quelques jours. [15] En cours de travail, il appert que des réparations supplémentaires s'avèrent nécessaires. Monsieur Maillé communique par téléphone avec monsieur Guimont afin

700-22-008755-026 PAGE : 5 qu'il vienne vérifier les «travaux supplémentaires» nécessaires pour remettre en ordre le véhicule de madame Thayer. [16] Le 4 octobre suivant, monsieur Guimont se présente sur les lieux et un deuxième devis est émis pour la somme de 1 130,79 $. Au bas de ce dernier document, monsieur Guimont a apposé sa signature. Elle est d ailleurs précédée du texte suivant : «Axa Assurances se réserve le privilège d'exiger, du réparateur acceptant le présent devis, de produire sur simple demande la facture du recycleur confirmant la provenance des pièces recyclées et ceci conformément aux dispositions de l'article 155 du Code de la sécurité routière du Québec.» [17] Le 25 octobre 2000, monsieur Maillé communique par téléphone avec la compagnie d'assurances Axa pour s'enquérir du moment d émission de «son chèque», celui pour lequel Ford Élite sera payé pour les réparations effectuées. Une note manuscrite de l'entretien téléphonique est déposée en preuve. On peut y lire les remarques suivantes : «[ ] Lui demande qui a autorisé les réparations Me dit que c est le mari de l assurée Me précise qu'il a reçu un appel du type pour lui dire d'aller chercher son véhicule à la fourrière de Mirabel et de faire les réparations Lui dit d'adresser la facture à l'assurée car la police d'ass. a été annulée à la date effective c. à dire que la police d'ass. n'aurait jamais dû exister Il avait entendu dire qu'il y avait un problème ne sait pas de qui par contre» [18] Dans l'intervalle, pendant que l'évaluateur procédait aux évaluations des dommages et à l'émission des devis (6 septembre et 4 octobre 2000), une enquête était

700-22-008755-026 PAGE : 6 en cours au sein de l'unité d'enquête d'axa, laquelle devait mener à l'annulation, le 31 août 2000, de la police d'assurance de madame Thayer. L'analyse [19] À l'appui de sa réclamation, le procureur de la demanderesse Ford Élite invoque l'article 2163 du Code civil qui traite du mandat apparent : «Art. 2163. Celui qui a laissé croire qu'une personne était son mandataire est tenu, comme s'il y avait un mandat, envers le tiers qui a contracté de bonne foi avec celle-ci, à moins qu'il n'ait pris des mesures appropriées pour prévenir l'erreur dans des circonstances qui la rendaient prévisible.» [20] De même, il s'appuie sur l'interprétation et l'application retenues dans l affaire Canadian Surety précitée où, pour des faits similaires, le juge Boissonneault de cette cour a retenu la thèse du mandat apparent, basé notamment sur l'usage reconnu dans le milieu de la réparation des automobiles : «C'est un usage dans le domaine des réparations automobiles de transiger avec des évaluateurs. S'il y a une difficulté au sujet d'une réclamation en particulier, il est du devoir de l'évaluateur de prévenir le garagiste d'attendre avant d'effectuer les réparations. 2» [21] Tout comme dans la présente affaire, le garagiste avait attendu l'évaluation de l'évaluateur avant d'entreprendre les réparations; à la différence toutefois, que ce dernier n'était pas à l'emploi de la compagnie d'assurance Canadian Surety, ce qui est le cas dans la présente affaire. 2 Id., p. 4 de 5

700-22-008755-026 PAGE : 7 [22] De plus, le devis d'évaluation comportait la même mise en garde concernant l'évaluation : «L'estimation préparée sans préjudice n'autorise pas les réparations.» [23] Or, écrit la Cour dans cette affaire : «Cette note apparaît systématiquement sur toutes les évaluations et le texte qui doit être complété pour la réparation et l'estimateur ne l'a pas été et n'est pas signé.» [24] Dans la présente affaire, tel qu'indiqué ci-dessus, le deuxième devis est signé et une note supplémentaire sur l'application de l'article 155 du Code de la sécurité routière apparaît 3. [25] À l'égard de la mise en garde, la Cour écrit : «[ ] si l'évaluateur par ses agissements montrent (sic) qu'il autorise les réparations, il ne peut plus invoquer cette clause.» La Cour s'appuie à cet égard sur un arrêt de la Cour d'appel rendu en 1979 : «Après étude du dossier, je suis d'opinion que [ ] avait un mandat apparent pour engager l'appelante. L'excès des limites du mandat peut apparaître facilement pour celui qui travaille à l'intérieur d'une compagnie mais il n'en est pas de même pour les tiers.» «L'on sait que la ratification tacite résulte d'actes accomplis par le mandant qui font nécessairement supposer chez lui la volonté de s'approprier ce qui a été fait en dehors des limites du mandat. Pour déterminer s'il y a eu non ratification tacite, il faut examiner les actes actifs ou même les actes passifs du mandant. La ratification tacite découlera souvent du silence du mandant pendant une certaine période de temps, silence qui démontre l'intention du mandant d'accepter pour luimême les actes de son mandataire. 4» [Le soulignement est du Tribunal] 3 4 L.R.Q., c. C-24.1 Frenette & Frères ltée c. Flamidor Corporation, J.E. 79-815 (C.A.)

700-22-008755-026 PAGE : 8 [26] Dans la présente instance également, la «preuve» de l'usage se limite au témoignage du directeur de crédit de Ford Élite, monsieur Zampini, lequel soutient que, dans «100% des cas», le garagiste attend l'évaluateur et, sur «son autorisation», les réparations sont effectuées. Une fois qu elles sont complétées, l automobile est remise à son propriétaire et la facture est transmise à l assureur. L'étape finale est l émission du chèque de l'assureur, lequel est émis tant au nom de l'assuré que du garage qui a effectué les réparations. La décision [27] Il est admis par nos tribunaux que la détermination d'une situation dite de «mandat apparent» est une question de faits laissé à l'appréciation du juge saisi d'un litige 5. [28] Tout comme il est bien établi que quatre conditions sont nécessaires à l'application de l'article 2163 C.c. (ancien 1730 C.c. B.C.) : l'absence de pouvoir de représentation du mandataire, la bonne foi du tiers qui invoque le bénéfice du mandat apparent, des motifs raisonnables pour le tiers de croire au mandat et, enfin, des motifs émanant du mandant 6. [29] La bonne foi de la demanderesse Ford Élite n'est pas ici remise en cause de même que celle de la défenderesse Axa. L'évaluateur, monsieur Guimont, n avait pas par ailleurs reçu le mandat express pour autoriser les réparations du véhicule de l'assurée. 5 6 Ledlev Corp. Ltd. c. New York Underwriters Insurance Co., [1973] R.C.S. 751; De Gu c. Gazaille Construction inc., C.Q. Mtl, 500-22-061451-012, 17 avril 2002 et Compagnie d'assurance générale Kansa International (Liquidation de), J.E. 2003-40 (C.A.) Beaudoin c. Compagnie d'assurance-vie Manufacturers, [1991] R.R.A. 578 (C.Q.) et Fiducie Desjardins inc. c. Cité Poste inc., J.E. 99-592 (C.S.)

700-22-008755-026 PAGE : 9 [30] De plus, au regard de l évaluateur, les prétentions d'axa sont à l'effet que, jamais dans le domaine de la réparation des automobiles accidentées, l'évaluateur ne donne d'autorisation encore moins «ne l ordonne», comme l'avait soutenu au début de son témoignage le représentant de la demanderesse. [31] La procureure de la défenderesse Axa rappelle d ailleurs la note interne du 25 octobre 2000 qui mentionne que les réparations de l'automobile de l'assurée ont été autorisées par «le conjoint» de cette dernière. [32] Dans la présente affaire, la thèse du «mandat apparent» doit-elle être retenue? C'est ici qu'entre en scène la «preuve de l'usage» dans le milieu de la réparation automobile. [33] Il est bien établi par la jurisprudence et la doctrine que, pour avoir force contraignante, l'usage doit avoir les qualités d'ancienneté, de fréquence, de généralité, de publicité et d'uniformité 7. [34] N'est pas un usage une coutume ou usage généralement admis dans ce milieu, une simple pratique de la part d'une seule personne 8. [35] La preuve d'un usage se fait par témoins et le Tribunal n'en a pas une connaissance d'office 9. C'est à la partie qui allègue un usage commercial d'en faire la 7 8 9 Fabrique de la paroisse de l'ange-gardien c. P.G. du Québec, [1980] C.S. 175, conf. J.E. 87-657 (C.A.) ; J.L. Baudouin et P.G. Jobin, Les obligations, 5 e édition, Wilson et Lafleur, 1998, par. 452 et L. Marquis, Les usages commerciaux en droit québécois, dans Développements récents en droit commercial (1992),Barreau du Québec, Éd. Yvon Blais, 133-151 St-Romuald Construction Ltée c. Encanteurs Industriels Can-Am Inc., J.E. 83-634 (C.S.) et Mégatran Électrique ltée c. Moteurs Dubé électrique inc., 2000BE-1349 (C.S.) Art. 2808 C.c.; Léo Ducharme, Précis de la preuve, 5 e édition, Wilson et Lafleur, 2000, par. 80

700-22-008755-026 PAGE : 10 preuve selon la balance des probabilités 10. D ailleurs, le seul témoignage d'une personne intéressée ne peut suffire à établir un usage courant 11. [36] Avec égards, la preuve offerte dans la présente instance ne rencontre pas les exigences ci-dessus mentionnées pour que la pratique alléguée soit reconnue comme «un usage» dans le milieu de la réparation des automobiles accidentées. Aucune tierce personne qualifiée ni expert indépendant ne sont venus appuyer le seul témoignage du représentant de la demanderesse. [37] Dans la présente instance, le Tribunal ne peut conclure qu'à l'insuffisance de preuve à cet égard; ce qui n'empêche pas que l'usage en question puisse être reconnu, si une preuve probante est alors offerte au juge saisi d un litige similaire. [38] Le Tribunal note par ailleurs que, dans la décision précitée et sur laquelle le procureur de la demanderesse s'appuie, rien n'indique si la preuve offerte permettait de conclure à l'usage. [39] Force est donc de conclure que l'évaluation convenue entre les parties sur les réparations ne saurait être considérée dans la présente affaire une autorisation à effectuer les réparations, comme le souhaiterait la demanderesse Ford Élite. [40] Le procureur de cette dernière a fait grand état «des visites» de l'évaluateur à son établissement alors que l'assurée d Axa et sa cliente, madame Thayer, était sous enquête et, plus encore, alors que la police d'assurance avait fait l'objet d'une annulation dès le 31 août 2000! 10 11 Cyr c. Bélanger, [1946] B.R. 741; E.&S. Salsberg inc. c. Dylex Ltd., [1992] R.J.Q. 2445 (C.A.) et Mégatran Électrique ltée c. Moteurs Dubé électrique inc., note 8 Dorgebray c. Desbiens, [2001] R.R.A. 680 (C.S.)

700-22-008755-026 PAGE : 11 [41] Il est possible que «la main gauche ignore ce que la main droite» au sein d Axa, pour reprendre l'expression imagée du procureur, il n'en demeure pas moins que «le contrôle» ou la «vérification» des coûts de réparations à l'automobile d'un assuré fait partie intégrante des activités d une compagnie d assurance et si ce n'était que pour colliger des données essentielles tant sur son assuré que sur les coûts de réparations des véhicules accidentés. [42] Enfin, avec égards, le Tribunal ne tire aucun argument concluant de la signature de l'évaluateur apposée sur le deuxième devis d'évaluation si ce n'est qu'il reconnaît avoir procédé à cette évaluation et qu'il s'en porte garant. La réserve exprimée sur la provenance des pièces résulte de l'obligation faite par le législateur et apparaît d'ailleurs de façon systématique sur tous les devis. [43] Dans ces circonstances, le Tribunal se doit de conclure que la demanderesse n'a pas relevé son fardeau de la preuve, soit d'établir de façon probante que l'évaluation effectuée par l'évaluateur d'axa se voulait en même temps une autorisation à effectuer les réparations. Dans ce contexte, seule la propriétaire du véhicule réparé, la défenderesse, madame Thayer, est redevable des travaux de réparations effectuées sur son automobile. [44] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL : [45] REJETTE l'action de la demanderesse contre la défenderesse, la compagnie d'assurances Axa inc., le tout avec dépens. [46] RÉSERVE, le cas échéant, à la demanderesse ses recours contre la défenderesse, madame Julie Thayer.

700-22-008755-026 PAGE : 12 Me Gilles Boileau Procureur de la demanderesse L'HONORABLE PIERRE E. AUDET, Juge à la Cour du Québec Me Stéphanie Beaudoin DONATI, MAISONNEUVE Procureurs de la défenderesse, la compagnie d'assurances Axa inc. Date d audience : 9 décembre 2003