LE PRIX DE L ESSENCE ET SON INCIDENCE SUR LA DEMANDE



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PRB 07-55F LE PRIX DE L ESSENCE ET SON INCIDENCE SUR LA DEMANDE Mathieu Frigon Division de l économie Le 8 août 2007 PARLIAMENTARY INFORMATION AND RESEARCH SERVICE SERVICE D INFORMATION ET DE RECHERCHE PARLEMENTAIRES

Le Service d information et de recherche parlementaires de la Bibliothèque du Parlement travaille exclusivement pour le Parlement, effectuant des recherches et fournissant des informations aux parlementaires et aux comités du Sénat et de la Chambre des communes. Entre autres services non partisans, il assure la rédaction de rapports, de documents de travail et de bulletins d actualité. Les analystes peuvent en outre donner des consultations dans leurs domaines de compétence. THIS DOCUMENT IS ALSO PUBLISHED IN ENGLISH

TABLE DES MATIÈRES Page INTRODUCTION... 1 PRIX DE L ESSENCE, VENTES AU DÉTAIL ET REVENU DISPONIBLE... 1 POUVOIR D ACHAT DES CANADIENS POUR L ESSENCE... 4 RÉDUCTION DES VENTES D ESSENCE DANS UN CONTEXTE DE CROISSANCE ÉCONOMIQUE... 7 CONCLUSION... 9 BIBLIOGRAPHIE... 10

CANADA LIBRARY OF PARLIAMENT LE PRIX DE L ESSENCE ET SON INCIDENCE SUR LA DEMANDE INTRODUCTION Le prix de l essence a fait les manchettes à plusieurs reprises au cours des deux dernières années. Les marges de profit élevées de certains intermédiaires tels que les raffineurs sont souvent données comme la raison du niveau élevé des prix de détail (1). Toutefois, on présente rarement les aspects positifs possibles d un prix élevé de l essence, notamment un effet favorable sur l environnement sous la forme d une baisse de la consommation d essence et d une réduction potentielle de l émission des gaz à effet de serre. Pourtant, ces émissions ont elles aussi fait la une des médias à maintes reprises durant la même période. Le présent document a pour objet d établir si la demande d essence au Canada sera influencée par une hausse des prix telle que celle qui se poursuit depuis 2002 et d analyser la façon dont une réduction des ventes d essence peut survenir en contexte de croissance économique. La première partie du document établit un parallèle entre l évolution du prix de l essence, des ventes au détail et du revenu disponible des Canadiens au cours des 40 dernières années. La deuxième partie examine la tendance du pouvoir d achat des Canadiens pour l essence au fil des ans. Enfin, la dernière partie analyse les outils qu on peut utiliser afin de réduire les ventes d essence dans le contexte de l expansion économique. PRIX DE L ESSENCE, VENTES AU DÉTAIL ET REVENU DISPONIBLE 2006. Le graphique 1 illustre l évolution du prix de l essence au Canada de 1968 à (1) Différentes manchettes sur le prix de l essence en 2007 : «L essence coûte-t-elle trop cher?», La Terre de chez nous, mai 2007; «Les Canadiens paient l essence trop cher, selon une étude», Cyberpresse, 10 mai 2007; «Gas industry disputes charges of price gouging», CBC News, 30 septembre 2005; «Consumer group calls for probe into gas prices», CTV News, 2 mai 2007; «La démesure des pétrolières», La Presse, 21 juillet 2007.

2 Graphique 1 Prix de l'essence au litre ajusté pour l inflation (en $ de 2006) 1,20 1,00 0,80 0,60 0,40 0,58 0,56 0,55 0,57 0,61 0,59 0,65 0,86 0,87 0,76 0,73 0,80 0,71 0,68 0,72 0,65 0,83 0,76 0,98 0,86 0,20 0,00 1968 1970 1972 1974 1976 1978 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 Source : Statistique Canada (Tableau 326-0009 Prix de détail moyens, essence et mazout, selon le centre urbain, cents par litre et tableau 326-0020 Indice des prix à la consommation). L indice des prix à la consommation (IPC) pour l ensemble de l économie a été utilisé pour ajuster les données pour l inflation. Le prix moyen de l essence régulière sans plomb dans sept villes canadiennes (Halifax, Montréal, Ottawa, Toronto, Winnipeg, Calgary et Vancouver) en 2006 a été indexé selon l IPC de l essence pour en arriver à un prix par litre annuel. Le prix de l essence a battu des records en 2005 et en 2006, dépassant même les niveaux atteints au début des années 1980. Compte tenu de ces sommets, certains observateurs pourraient vouloir faire un parallèle entre la diminution des ventes d essence qui s est produite dans la première moitié des années 1980, donc dans le contexte de prix élevés, et l augmentation qui se poursuit depuis 2002. Toutefois, la situation est fondamentalement différente, puisque le début des années 1980 correspond à une période de récession économique. Une économie en récession se traduit, entre autres, par une réduction du recours aux transports (de marchandises et autres), ce qui a des répercussions négatives sur les ventes d essence.

3 De fait, comme le montre le graphique 2, une réduction du revenu disponible (2) phénomène souvent associé à une récession s accompagne habituellement d une diminution des ventes au détail nettes d essence pour moteurs (3). 12,0 % 10,0 % 8,0 % 6,0 % 4,0 % 2,0 % 0,0 % Graphique 2 Variation annuelle des ventes nettes au détail d'essence pour moteurs et variation annuelle ajustée pour l inflation du revenu disponible au Canada -2,0 % 1969 1971 1973 1975 1977 1979 1981 1983 1985 1987 1989 1991 1993 1995 1997 1999 2001 2003 2005-4,0 % -6,0 % -8,0 % Variation annuelle des ventes nettes d'essence au détail Variation annuelle du revenu disponible au Canada Source : Statistique Canada (Tableau 134-0004 Approvisionnement et utilisation de produits pétroliers raffinés et tableau 380-0004 Revenu disponible désaisonnalisé au taux annuel). Les ventes nettes au détail d essence pour moteurs entre 1968 et 1980 ont été inférées de l évolution de ventes intérieures d essence pour moteurs. Le coefficient de corrélation entre les ventes nettes d essence au détail et les ventes intérieures d essence entre 1980 et 2006 était de 96 p. 100. Le revenu disponible a été ajusté pour l inflation au moyen de l indice des prix à la consommation. (2) Comme nous nous intéressons aux éléments qui pourraient réduire les ventes nettes d essence au détail, nous utilisons le revenu disponible total plutôt que le revenu disponible par habitant. (3) Statistique Canada définit les ventes au détail d essence [pour moteurs] comme toutes les ventes aux points de détail (dont les additifs), y compris celles aux ports de plaisance, quel que soit leur mode de propriété ou d exploitation. Elles comprennent les ventes des marques de commerce, des marques de subsidiaires ainsi que le montant estimatif des ventes au détail par les revendeurs, agents, etc. (http://www.statcan.ca/francais/freepub/45-004-xif/2007002/technote2_f.htm).

4 Cela ne signifie pas que la demande d essence est insensible au prix. Toutefois, à la lumière des données du graphique 2, nous pouvons noter qu une réduction spontanée et significative des ventes d essence n est survenue au Canada pendant les 40 dernières années que dans le contexte d une récession et, par conséquent, de l amenuisement du revenu disponible (4). Les résultats obtenus par J. Agras et D. Chapman (5) et de J.E. Hughes et al. (6) indiquent notamment une prépondérance de l effet revenu (7) par rapport à l effet prix (8) sur la demande d essence à court terme (9). Il convient de souligner que les données d Agras et Chapman (10) indiquent que, à plus long terme, l effet prix prend de l ampleur et se rapproche de l effet revenu, tandis que Hughes et al. (11) n ont pas estimé l effet revenu et l effet prix à plus long terme. Il semble donc important, compte tenu de ces résultats, d évaluer l effet d une hausse des prix de l essence sur les quantités vendues en fonction de la conjoncture économique, c est-à-dire par rapport à l évolution du revenu disponible des Canadiens. Le rapport entre le revenu disponible des Canadiens et les prix de l essence est en quelque sorte le pouvoir d achat des Canadiens pour l essence, et c est sur cet aspect que porte la prochaine partie du document. POUVOIR D ACHAT DES CANADIENS POUR L ESSENCE Peu de gens se rappellent que le prix de l essence était relativement élevé en 1968, compte tenu des facteurs économiques de l époque. Comme le démontre le graphique 1, l essence se vendait (prix ajusté pour l inflation) à 0,58 $ le litre, un des prix les plus bas de la (4) Sur le plan technique, la définition d une récession est liée à l évolution du produit national brut en termes réels et non pas au revenu disponible. Toutefois, une récession s accompagne habituellement d une diminution du revenu disponible en termes réels. (5) J. Agras et D. Chapman, «The Kyoto Protocol, CAFE Standards and Gasoline Taxes», Contemporary Economic Policy, vol. 17, n o 3, juillet 1999, p. 296 à 308. (6) J.E. Hughes, C.R. Knittel et D. Sperling, «Evidence of a Shift in the Short-Run Price Elasticity of Gasoline Demand», Institute of Transportation Studies, University of California, Davis, 2006. (7) C est-à-dire l effet qu un changement du revenu des Canadiens a sur les ventes d essence. (8) C est-à-dire l effet qu un changement du prix de l essence a sur les ventes d essence. (9) En réalité, cette prépondérance signifie qu une augmentation de 1 p. 100 du revenu disponible aurait sur les ventes d essence un effet positif qui dépasserait (en pourcentage) l effet négatif qu aurait une augmentation de 1 p. 100 des prix de détail de l essence. (10) Agras et Chapman (1999). (11) Hughes et al. (2006).

5 période. Or, le pouvoir d achat des Canadiens pour l essence était beaucoup plus faible en 1968 qu en 2006. De fait, si les Canadiens moyens avaient consacré tout leur revenu disponible à l achat d essence en 1968, ils auraient pu se procurer 477 milliards de litres d essence. En 2006, ce chiffre s élevait à 857 milliards de litres d essence. À la fin des années 1960, la capacité de payer l essence était en constante progression, quoique faible par rapport à son niveau actuel. Le graphique 3 montre l évolution du pouvoir d achat des consommateurs canadiens pour l essence de 1968 à 2006. Dans les faits, la croissance de ce pouvoir d achat signifie que le revenu disponible en pourcentage augmente plus rapidement que le prix de l essence. De la fin des années 1960 jusqu au tout début des années 1980, la croissance du pouvoir d achat a découlé avant tout de l augmentation du revenu disponible, puisque le prix de l essence a stagné au cours de cette même période (voir les graphiques 1 et 2). Ainsi, il semble que l effet revenu, donc la croissance économique soutenue, a le plus contribué à la croissance des ventes d essence de 1968 à 1980. D après les données pour la fin des années 1960, il est difficile d estimer la trajectoire des ventes d essence par rapport à la relative faible capacité des Canadiens de payer l essence dans une année donnée. L évolution au fil du temps du pouvoir d achat pour l essence et ses causes sous-jacentes (12) sont probablement des éléments plus importants. Comme le montre le graphique 2, le pouvoir d achat des Canadiens pour l essence a chuté subitement au début des années 1980. Cette diminution est attribuable à l effet conjugué de la baisse du revenu disponible et de la hausse des prix de l essence. Ainsi, tant l effet revenu que l effet prix ont eu une incidence négative sur les ventes d essence durant cette période, ce qui fait que ce type de scénario est sans doute le plus susceptible de provoquer une réduction subite des ventes d essence. Malgré cette diminution, il convient de souligner que le pouvoir d achat des Canadiens en 1983 pour l essence était supérieur au niveau atteint en 1968. Une fois de plus, cela démontre qu il faut insister sur l importance de l évolution du pouvoir d achat des Canadiens, plutôt que sur son niveau en termes absolus dans une année donnée. (12) C est-à-dire la diminution ou l augmentation du revenu disponible, ou l augmentation ou la réduction du prix de l essence, ou l effet conjugué des deux mouvements?

6 Graphique 3 Pouvoir d'achat des Canadiens pour l essence (revenu disponible total divisé par le prix estimé du litre d'essence) 1 200 Milliards de litres par an 1 000 Source : 800 600 400 200 0 1968 1970 1972 1974 1976 1978 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 Statistique Canada. Le pouvoir d achat des Canadiens pour l essence a été calculé en divisant le revenu disponible total des Canadiens par le prix estimé de l essence. Les sources sont les mêmes que celles des graphiques 1 et 2. Le début des années 1990 est intéressant en ce sens qu il semble confirmer la force de l effet revenu à court terme, d après les résultats obtenus par Agras et Chapman (13) et par Hughes et al. (14). En effet, même si l amenuisement du pouvoir d achat des Canadiens était relativement faible au début des années 1990 (voir le graphique 3), les ventes d essence ont fléchi en 1990 et 1991 (-2,5 et -2,6 p. 100, selon le graphique 2) sous l effet de la récession économique du début des années 1990, qui s est traduite par la réduction du revenu disponible des Canadiens en termes réels. À partir du graphique 3, on peut également supposer que la réduction du pouvoir d achat des Canadiens pour l essence depuis 2002 a probablement contribué à la faible progression des ventes nettes d essence au détail au cours de cette même période (+0,7 p. 100 en (13) Agras et Chapman (1999). (14) Hughes et al. (2006).

7 2005 et +0,4 p. 100 en 2006), en dépit d un contexte de croissance économique favorable. Un examen des ventes nettes au détail d essence par habitant (plutôt qu au niveau agrégé) révèle que les ventes par habitant ont fléchi de 0,2 et 0,6 p. 100 respectivement en 2005 et 2006. Que ce recul de la demande soit léger, malgré une augmentation des prix de l essence de l ordre de 40 p. 100, peut sans doute s expliquer par l effet compensateur du revenu disponible par habitant, qui a crû de 16 p. 100 depuis 2002. Le fait que les ventes d essence n ont pas subi de secousses sérieuses semble donc indiquer que l effet revenu est plus important à court terme que l effet prix. Si l on suppose que l effet revenu et l effet prix à long terme sont les mêmes, le pouvoir d achat des Canadiens pour l essence doit s amenuiser au fil des ans afin de réduire de façon permanente les ventes d essence. Sauf si une telle réduction découle d une récession économique prolongée qui provoquerait une contraction du revenu disponible des Canadiens sur une longue période, la question se pose de savoir comment le pouvoir d achat des Canadiens pourrait diminuer en période de croissance économique. Nous abordons cette question dans la prochaine partie du document. RÉDUCTION DES VENTES D ESSENCE DANS UN CONTEXTE DE CROISSANCE ÉCONOMIQUE En période d expansion économique, c est-à-dire de croissance du revenu disponible des Canadiens, l augmentation des prix de l essence pourrait réduire le pouvoir d achat des Canadiens pour l essence. Un choc externe de nature géopolitique (embargo, guerre) ou géologique (théorie du pic pétrolier) pourrait être l élément déclencheur d une augmentation rapide du prix de détail. Il reste à voir si un tel choc serait le catalyseur qui amènerait une récession économique et, par conséquent, réduirait encore plus les ventes d essence, comme cela s est produit au début des années 1980. Dans ce contexte, les ventes d essence diminueraient sous l effet conjugué du prix élevé de l essence et de la contraction du revenu disponible. Outre la possibilité d un choc de nature géopolitique ou géologique touchant l offre de pétrole, l utilisation d outils fiscaux pour influencer la demande serait une façon de réduire la consommation d essence dans le contexte de la croissance économique. Par exemple, si l on vise la réduction des ventes d essence par la contraction du pouvoir d achat des Canadiens dans ce domaine, une action directe sur le prix au détail par l ajustement de la taxe sur l essence

8 constitue une option fiscale envisageable. Toujours en supposant un effet revenu équivalent à un effet prix sur la demande d essence à long terme, cela voudrait dire que la taxe sur l essence devrait être ajustée pour faire en sorte que l augmentation des prix au détail de l essence soit plus élevée que la croissance du revenu disponible à long terme. Par exemple, si nous croyons, d après l expérience des 10 dernières années, que le revenu disponible total au Canada croîtra à un taux annuel composé de 4,7 p. 100 (non ajusté pour l inflation) au cours des 10 prochaines années, il faudrait une augmentation du prix de l essence de plus de 4,7 p. 100 par an pour réduire les ventes d essence au Canada, toutes choses étant égales d ailleurs. L augmentation des prix de détail de l essence serait tributaire de l objectif visé concernant l importance de la réduction des ventes d essence. À titre indicatif, si une augmentation annuelle de 7 p. 100 du prix de détail était jugée nécessaire (dans un contexte de croissance annuelle composée du revenu disponible de 4,7 p. 100) pour atteindre l objectif de réduction des ventes totales d essence, elle doublerait pratiquement le prix de l essence sur une période de 10 ans. Cet exemple illustre bien le défi que comporte cet objectif. Un ajustement des taxes sur l essence peut avoir une incidence progressive; c està-dire que le pouvoir d achat des consommateurs dans ce domaine pourrait s éroder de façon progressive d année en année. Cela entraînerait sans doute une période de transition différente de la période-choc du début des années 1980, durant laquelle le pouvoir d achat des Canadiens pour l essence a fondu de 27 p. 100 en l espace de quatre ans. De plus, une telle politique apaiserait en grande partie l incertitude quant au niveau des prix à l avenir et permettrait à la population de faire des choix plus éclairés quant à l achat d une nouvelle voiture ou d un mode de transport futur. Enfin, cette option présente l avantage d internaliser le coût environnemental de l utilisation de l essence aux plus importants utilisateurs des carburants fossiles. Parmi les inconvénients d une telle mesure, il convient de signaler qu une hausse de taxes pénalise souvent les ménages selon l endroit où ils se sont fixés. Pour ce qui est du montant de taxes additionnelles annuelles en valeur absolue, une personne qui est éloignée de son travail et qui possède une voiture consommant peu pourrait être désavantagée par rapport à une autre qui habite près de son travail et qui conduit un véhicule sport utilitaire, par exemple. De plus, l augmentation de la taxe tend à pénaliser les familles à plus faible revenu, car elles consacrent une plus grande partie de leur revenu à l achat d essence.

9 Les gouvernements peuvent aussi adopter d autres mesures fiscales pour réduire la consommation d essence. Par exemple, des crédits ou des rabais de taxe sur l achat de véhicules hybrides et des frais d immatriculation supplémentaires pour les automobiles en fonction de la cylindrée sont également des façons d infléchir les choix des Canadiens. Des mesures de ce genre ont d ailleurs déjà été mises en place par plusieurs administrations nordaméricaines. Toutefois, ce type de programme diffère fondamentalement d une hausse des taxes sur l essence, et ce, pour diverses raisons. En premier lieu, il n a pas d effet direct sur le pouvoir d achat des Canadiens pour l essence par opposition à une augmentation des taxes à la consommation. En second lieu, ce type de programme a une incidence sur le type de voiture acheté, mais pas forcément sur le mode de transport privilégié (vélo ou transport en commun plutôt que l automobile dans le cas de particuliers, transport ferroviaire plutôt que camionnage pour les entreprises). Enfin, dans le cas des crédits ou des rabais de taxe à l achat d un véhicule hybride, l ensemble de la collectivité contribue à ce genre de subventions (y compris ceux qui ont décidé de se passer d auto), ce qui n est pas le cas pour les taxes sur l essence. CONCLUSION Ce qui se dégage de la présente analyse, c est qu il faut probablement réduire à long terme le pouvoir d achat des Canadiens pour l essence si l on veut que l augmentation des prix réduise effectivement la consommation d essence au Canada sur une longue période (15). Concrètement, cela signifie que le prix de l essence doit augmenter plus rapidement que le revenu disponible. Une telle situation peut amener les Canadiens à devoir choisir entre, d une part, réduire les sommes qu ils consacrent à d autres activités (p. ex. les loisirs) et, de l autre, orienter progressivement leur sélection d un mode de transport ou d un véhicule vers des options plus économiques et moins énergivores. Ce dernier choix finirait par réduire les ventes totales d essence dans tout le pays. Dans un contexte de récession économique, le pouvoir d achat est souvent réduit de façon importante sous l effet de l amenuisement du revenu disponible, ce qui peut conduire (15) Ce qu on peut inférer en partie de ce que les pays où les prix de l essence sont plus faibles ont tendance à enregistrer un plus grand nombre de kilomètres parcourus en auto par habitant et une économie d essence plus faible par kilomètre parcouru (T. Litman, «Transportation Elasticities. How Prices and Other Factors Affect Behaviour», Victoria Transport Policy Institute, 2007, p. 21).

10 assez automatiquement à une diminution des ventes d essence. Toutefois, dans un contexte de croissance économique, donc de croissance soutenue du revenu disponible, comme à l heure actuelle, c est l augmentation du prix de l essence qui pourra entraîner une telle contraction du pouvoir d achat. Si l on exclut la possibilité d un choc sur le plan de l offre de pétrole, ce qui maintiendrait l augmentation des prix de l essence constamment au-dessus de la croissance du revenu disponible, l ajustement de la taxe sur l essence est un outil dont les gouvernements pourraient se prévaloir pour favoriser la réduction des ventes d essence au Canada. Bien que le présent document soit axé sur l incidence de l interaction entre le prix et le revenu disponible sur les ventes d essence, il existe évidemment plusieurs autres facteurs qui peuvent influer sur les ventes d essence. Des mesures fiscales telles que les crédits de taxe à l achat de véhicules moins énergivores ou encore un nouveau règlement sur la hausse des normes d économie d essence pour les constructeurs automobiles, ou tout simplement tout progrès technologique qui rendrait les véhicules hybrides ou diesel moins chers que les voitures à essence conventionnelles sont autant d exemples de facteurs susceptibles d agir sur l évolution de la consommation totale d essence au Canada dans les années à venir. Par conséquent, si le pouvoir d achat des Canadiens pour l essence, qui a un peu reculé depuis 2002, reprenait la tendance à la hausse des 40 dernières années, on peut estimer que les mesures fiscales, les normes concernant l économie d essence des véhicules ou les progrès technologiques devraient prendre de plus en plus d ampleur afin de stabiliser ou de réduire les ventes d essence au Canada. BIBLIOGRAPHIE Agras, J., et D. Chapman. «The Kyoto Protocol, CAFE Standards and Gasoline Taxes», Contemporary Economic Policy, vol. 17, n o 3, juillet 1999, p. 296 à 308. Hughes, J.E., C.R. Knittel et D. Sperling. «Evidence of a Shift in the Short-Run Price Elasticity of Gasoline Demand», Institute of Transportation Studies, University of California, Davis, 2006. Litman T. «Transportation Elasticities. How Prices and Other Factors Affect Behaviour», Victoria Transport Policy Institute, 2007. Oregon Department of Tranportation Policy Section. A Brief Reference on Fuel Costs and Fuel Price Elasticity, janvier 2001, vol. 5, n o 1.