MISE AU POINT Dr Michel Péneau, Urologue Service Urologie CHR La Source - Orléans La définition du stade T3 est ambiguë. Quelle est la signification, le pronostic, d une tumeur qui s étend au-delà de l organe et démontre ainsi son potentiel évolutif? Considérant l histoire nature l l e de la maladie, peut-on parler de maladie cancéreuse généralisée ou faut-il encore espérer à ce stade un espoir de curabilité? La définition et la prise en charge thérapeutique du stade T3 résument tous les doutes et errances des médecins devant une tumeur qui n est désormais «ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre», à cheval entre maladie locale et maladie générale. I. DÉFINITION DU STADE T3 La classification TNM 97 définit le stade T3 comme une tumeur pal - pable étendue au-delà de la cap - sule prostatique (T3a, extension e x t r a - c a p s u l a i re, T3b, extension aux vésicules séminales). Cette appréciation est tributaire de la clinique et en l occurrence du toucher rectal. En pratique courante, les circonstances diagnostiques d un cancer de prostate de stade T3 sont très variées et non pas principalement liées à l examen palpatoire de la glande. Des arguments biopsiques, l imagerie ou l analyse d une pièce de p rostatectomie peuvent nous amener à stadifier la maladie en T3. Dès lors, la définition de ce stade souffre d un manque de précision en re g roupant sous un même vocable des tumeurs aux pronostics différents. Peu importe si la tumeur est ou non palpable, l essentiel est qu elle ait désormais franchi les limites anatomiques de la glande dévoilant son caractère agressif. C est le cas, tant pour le T3 anatomo-pathologique que pour le T3 clinique. II. LES ARGUMENTS DE LA STADIFICATION Il est manifeste que les arguments cliniques et para-cliniques aidant à définir ce stade, c est-à-dire à faire la démonstration de l extension tumorale extra-glandulaire, manquent de clarté. 1. LA CLINIQUE Le toucher rectal a une faible sensibilité. O Dowd a montré dans une analyse de la littérature que seulement 52,4% des cancers étaient correctement évalués par le toucher rectal. La clinique sousestime l extension extra-capsulaire de la tumeur. Par contre elle est hautement spécifique (80%). 2. BIOPSIE Elles permettent certes d estimer une extension péri-pro s t a t i q u e avec une valeur prédictive positive de 98%. Il est aussi prouvé que la quantité de biopsie envahie (> 30%) et que le nombre de biopsies positives (> 66%) sont corrélés à l extension extra capsulaire. A l inverse, il existe un grand nombre d inadéquations entre score de Gleason biopsique et des pièces opératoires. En pratique, il reste difficile à titre individuel de prédire en préopé- 17
ratoire l extension extra-capsulaire d une tumeur, à moins qu elle ne conjugue à elle seule tous les éléments biopsiques péjoratifs ou si elle s accompagne d un PSA élevé. La positivité d une seule biopsie ne garantit pas le caractère confiné à la glande de la tumeur. 3. IMAGERIE L échographie endo-rectale a une sensibilité médiocre variant de 42 à 68% selon les auteurs, une spécificité de 71 à 89%. L IRM endo-rectale est assez décevante avec une sensibilité moyenne de 58% et une spécificité de 94%. Cette sensibilité chute à 30% en cas de tumeur non palpable et uniquement pour les patients à haut risque (PSA > 20ng/ml). III. L HÉTÉROGÉNÉITÉ DU STADE T3 Elle est en partie la conséquence de la grande variété des circonstances diagnostiques et de l insuffisance des outils de stadification. Elle est aussi l expression de l histoire naturelle de la maladie. 1. STADE T3 CLINIQUE 30 à 50% des patients sont déjà N1, ce qui justifie la pratique d une lymphadénectomie pelvienne menée isolément (laparoscopique) dans l hypothèse où un traitement curatif est envisagé, 40% vont évoluer vers un stade métastatique dans les 5 ans, 65% dans les 10 ans. Mais 8 à 17% sont en réalité des stades T2 surstadifiés. 2. LE STADE T3 ANATOMO- PATHOLOGIQUE (PT3 SUR PIÈCE DE PROSTATECTOMIE) Représente 30 à 40% des tumeurs considérées initialement T1c, T2.. Le pronostic est fonction de l importance de l extension tumorale e x t r a - c a p s u l a i re. Le franchissement capsulaire focal est associé à 66% de rémission complète, contre 57% en cas d extension étendue et 25% en cas d atteinte des vésicules séminales. Dans la grande majorité des séries le score de Gleason est l élément essentiel du pronostic. Mais, dans le temps, la progression est une règle quasi constante même pour les tumeurs diploïdes et bien diff é renciées (25% des T3), toutes deviennent aneuploïdes et peu différenciées dans les 7 ans. Le manque de données de la littérature fait qu il n est pas possible de subdiviser le stade T3 en sous g roupes pronostics bien que le PSA initial et le score histo-pronostic soient par eux-mêmes de puissants indicateurs. IV. LES ATTITUDES THÉRAPEU- TIQUES DEVANT UN T3 CLINIQUE 1. CHIRURGIE EXCLUSIVE Devant un stade T3 clinique, l analyse de la littérature a montré que la prostatectomie seule n est pas un traitement adapté au stade (71% de récidive biologique à 5 ans). Elle peut néanmoins être proposée à un nombre réduit de patients jeunes sélectionnés sur des critères de bon pronostic (faible volume tumoral, PSA<10ng, score de Gleason <7) et leur bon état général. L usage d une hormonothérapie n é o a d j u v a n t e n apporte auc un gain significatif sur la survie et la progression et il n est pas établi qu elle ait une incidence sur la réduction des marges chirurgicales positives. 2. RADIOTHÉRAPIE A. LA RADIOTHÉRAPIE EXCLUSIVE. La radiothérapie externe conventionnelle n est pas considérée comme un traitement adapté au stade T3. L étude des séries historiques a montré son inefficacité en termes de contrôle local et de progression biologique. La radiothérapie conformationnelle qui autorise une escalade de doses (75Gy) n a pas démontré de façon indiscutable sa supériorité par rapport à la radiothérapie conventionnelle (67Gy), des études complémentaires sont donc nécessaires pour conclure à un gain des techniques d escalade de doses à ce stade. La radiothérapie interstitielle (Iode 125, Palladium 103) combinée à une irradiation externe a fait l objet de peu d études et sur un nombre restreint de patients, ce qui n autorise aucune conclusion. La neutron-thérapie utilisée isolément ou combinée à une irradia- 18
tion classique améliore significativement le contrôle local (NTCWG 85-23) des stades T3-T4, N0-N1. Mais ces traitements par particules lourdes posent des problèmes de coût et d accessibilité. B. LA RADIOTHÉRAPIE COMBINÉE À U N T R A I T E M E N T H O R M O N A L e s t considérée comme un traitement de référence au stade T3. Les études évaluant l intérêt d une hormonothérapie néoadjuvante, concomitante et adjuvante prolongée (RTOG 86-10, RTOG 85-31, EORTC) associée à la radiothérapie ont démontré un gain significatif par rapport à la radiothérapie seule en terme de survie sans récidive et de contrôle local et en terme de survie globale pour l étude européenne (EORTC). Les modalités de l association de ces deux traitements ne sont cependant pas encore tout à fait claires. Des essais sont en cours quant à la comparaison «radiothérapie asso - ciée à hormonothérapie» à «hormo - nothérapie seule». 3. HORMONOTHÉRAPIE En pratique de nombreux praticiens utilisent l hormonothérapie isolée dans le cancer prostatique localement avancé, tout particul i è rement chez le sujet âgé. Il n existe dans la littérature aucune étude de méthodologie indiscutable permettant d apporter des a rguments convaincants sur le gain d une hormonothérapie débutée précocement au stade T3 par rapport à un traitement instauré au stade symptomatique métastatique. L hormonothérapie précoce offre néanmoins l intérêt de re t a rder l arrivée du stade symptomatique sans pour autant prolonger la survie. Les modalités de cette hormonothérapie sont discutées. En ce domaine, une étude récente (Iversen, J. Uro l. (2000),164) a démontré qu une monothérapie par anti-andro g è- nes apporterait un gain en termes de qualité de vie sans différence en termes de survie sans progression et de survie globale par rapport à la castration. V. LES ATTITUDES THÉRAPEU- TIQUES DEVANT UN T3 ANATOMO-PATHOLOGIQUE 1. QUELS SONT LES PATIENTS PRÉSENTANT UN RISQUE DE PROGRESSION? S il est logique de considérer que ce stade pathologique expose à une récidive, les résultats publiés réservent quelques surprises. Bien que la valeur péjorative des m a rges positives soit contestée, les séries rétrospectives ont montré que le taux de récidive était significativement augmenté en cas d extension extra-capsulaire associée à des marges positives p o s t é ro-latérales et basales. Cependant, certains auteurs (Lowe et Lieberman, J. Uro l.(1997), 158) ont montré qu une grande majorité de patients évalués comme pt3 lors de la chirurgie ne présentent pas de récidive biologique pendant de nombreuses années, ne réservant un traitement adjuvant qu aux seuls patients ayant un score de Gleason > 7, avec un PSA initial > à 10 ng/ml. N o m b re d auteurs définissent trois catégories de risque de progression : G roupe à haut risque. pt3b et/ou N1 et/ou Gleason > 7 Groupe à risque modéré. pt3a, N0 avec marges + et Gleason < ou = 7. Groupe à faible risque. pt3a, N0 avec marges - et Gleason < ou = 7. Il existe un consensus pour recommander un traitement adjuvant pour le groupe à haut risque. 2. QUEL TRAITEMENT ADJUVANT? A. RA D I O T H É R A P I E. Les résultats de la radiothérapie adjuvante après chiru rgie sont des plus variables. Il existe des arguments pour considérer que la radiothérapie adjuvante donne de meilleurs résultats lorsque le PSA post opératoire est < 1 ng/ml et que sa vélocité est faible. Un stade pt3b, N1 et/ou Gleason > 7 sont des éléments péjoratifs quant à l e fficacité de la pro c é d u re. Or c est justement dans ces indications que le traitement adjuvant est le moins contestable. Il n y a pas de diff é rence selon que la radiothérapie est faite d emblée après chirurgie ou lors de l augmentation du PSA. S il est démontré que la radiothérapie adjuvante agit sur le PSA, il n y a pas d argument pour considérer que ceci a une influence sur la survie des patients. B. HORMONOTHÉRAPIE. Les études rétrospectives montrent un bénéfice en termes de progression biologique et de survie d une hormo- 19
CANCER DE LA PROSTATE T3 PROPOSITION D UNE ATTITUDE THÉRAPEUTIQUE EN PRATIQUE. Elle dépend des circonstances qui ont amené à faire le diagnostic de franchissement capsulaire par la tumeur. LORSQUE LE DIAGNOSTIC EST PORTÉ AVANT TOUTE DÉMARCHE THÉRAPEUTIQUE. Il est logique de s assurer dans un premier temps de l absence d atteinte ganglionnaire (lymphadénectomie pelvienne isolée) si les critères cliniques et paracliniques le justifient (volume tumoral, PSA, score histopronostic). Chez un homme ayant une espérance de vie supérieure à 10 ans et en bon état général. Une prostatectomie peut être envisagée à la condition que le volume tumoral soit faible, le PSA < 10 ng/ml et le score biopsique de Gleason < 7. En dehors de ces circonstances relativement rares la démarche thérapeutique actuelle la moins controversée est l association hormonothérapie radiothérapie. Chez un homme ayant une espérance de vie inférieure à 10 ans et/ou en mauvais état général. Une hormonothérapie est envisageable (monothérapie par anti-androgènes). LORSQUE LE DIAGNOSTIC EST PORTÉ SUR PIÈCE DE PROSTATECTOMIE. Si le PSA est effondré. En présence d une tumeur à risque élevé (pt3b et/ou N1 et/ou Gleason > 7), un traitement adjuvant s impose, radiothérapie exclusive, ou associée à une hormonothérapie, voire une hormonothérapie seule. Devant une tumeur à risque modéré (pt3a, N0, Gleason < ou = 7, marges +), ou à faible risque (pt3a, N0, Gleason < ou = 7, marges -) la surveillance de la cinétique du PSA décidera de l indication d un traitement adjuvant. Si le PSA n est pas effondré. Le PSA est < 1ng/ml. Devant une tumeur à risque élevé, traitement adjuvant de préférence radio-hormonothérapie. Devant une tumeur à risque modéré ou intermédiaire, évaluation de la cinétique du PSA. Le PSA n évolue pas ou lentement, radiothérapie adjuvante. progresse rapidement, hormonothérapie seule. Le PSA est > ou = 1ng/ml. Traitement adjuvant de préférence par hormonothérapie seule. 20
nothérapie adjuvante. Une étude randomisée européenne, chez des patients pt3, avec ou sans hormonothérapie adjuvante, avec un recul de trois ans, montre un bénéfice sur la survie sans récidive en faveur du traitement hormonal adjuvant. Mais la différence est significative pour les patients avec un score de Gleason faible et sans atteinte des vésicules séminales. C. HORMONOTHÉRAPIE COMBINÉE À UNE RADIOTHÉRAPIE. Une étude du RTOG (RTOG 85-31) démontre l intérêt de combiner hormonothérapie et radiothérapie par rapport à la radiothérapie seule comme traitement adjuvant après chirurgie. On regrette ici encore l absence de bras hormonothérapie seule. VI. CONCLUSION Le stade T3 désigne une tumeur qui a franchi les limites anatomiques de la glande. Sa définition n est et ne peut pas être essentiellement clinique. Ce stade est hétéro g è n e, re g roupant diff é rentes entités tumorales de pronostics variables. Les arguments cliniques et para-cliniques aidant à démontrer une extension extra-glandulaire de la tumeur souffrent d un certain nombre d insuffisances ce qui explique la grande fréquence du diagnostic anatomo-pathologique de T3 (pt3) sur pièce de prostatectomie. Le traitement dépend des circonstances qui ont amené au diagnostic de T3 Devant un T3 clinique, le traitement le plus reconnu est l association radiothérapie hormonothérapie. La pro s t a t e c t o m i e n est possible que dans un faible nombre de cas de patients jeunes dont les tumeurs regroupent des critères de bon pronostic. Devant un T3 de découverte anatomo-pathologique sur pièce de prostatectomie, si le PSA est effondré un traitement adjuvant ne se justifie que devant une tumeur à risque évolutif élevé. Si le PSA n est pas effondré, un traitement adjuvant s impose dans tous les cas, dont la nature est déterminée selon les facteurs de risque tumoraux et le niveau et/ou la cinétique du PSA RÉFÉRENCES Cancer de la prostate non métastatique, Standarts, Options et Recommandations, Ed. John Libbey Eurotext, Fr ance, Monrouge, 2002. Péneau M, Piéchaud T, Cariou G, Ragni E, Fontaine E, Fournier G et coll. Cancer de prostate de stade T3 clinique : Histoire naturelle, les choix thérap eu tiques et leurs résultats. Progrès en Uro l o g i e (1998), 8, 977-993. Ravery V. Cancer de prostate. Ed. S p r i n g e r- Verlag, France, Pa ris, 2002. Prostate Cancer. 2nd International Consultation on Prostate Cancer (1999), Ed. Murphy G, Khoury S, Partin A, Denis L, Paris. 21