Les avis de la Chambre des Métiers Transfert des plus-values
CdM/21/05/14-14-26 Projet de règlement grand-ducal abrogeant le règlement grand-ducal du 17 juin 1992 portant exécution de l article 102, alinéa 8 de la loi du 4 décembre 1967 concernant l impôt sur le revenu (transfert des plus-values) Avis de la Chambre des Métiers Résumé structuré Le projet sous avis vise à l abolition du régime de remploi des plus-values immobilières permettant le transfert des plus-values sur des immeubles de remplacement, abolition décidée suite à un avis motivé de la Commission européenne, par lequel cette dernière a estimé que la condition qu il s agisse exclusivement d immeubles situés au Luxembourg constituait une restriction injustifiée à la libre circulation des capitaux et à la libre circulation des personnes. Dans la mesure où le fondement-même de ce mécanisme n était pas celui de favoriser les investissements privés mais celui d encourager la construction d immeubles à caractère locatif pour faire face à la pénurie de logements au Grand-Duché de Luxembourg, la Chambre des Métiers ne partage pas cette analyse. Elle relève par ailleurs le risque de double imposition qui pourrait découler d un remploi sur un immeuble situé à l étranger et précise qu une collaboration entre l Administration luxembourgeoise et les Administrations étrangères pourrait être efficacement envisagée. La Chambre des Métiers émet donc un doute sérieux quant au fait que l abrogation pure et simple du système actuel du remploi soit vraiment la seule alternative valable face à l avis motivé de la Commission européenne, ledit projet de règlement allant selon elle à l encontre de la politique de logement menée par le nouveau Gouvernement, dans la mesure où il pénalise notamment le transfert de plusvalues réalisées sur des immeubles aux fins d acquérir des terrains à bâtir sur lesquels un immeuble de logement locatif doit être érigé ainsi que des immeubles bâtis destinés exclusivement au logement locatif. * * *
page 2 de 6 Chambre des Métiers du Grand-Duché de Luxembourg Par sa lettre du 10 avril 2014, Monsieur le Ministre des Finances a bien voulu demander l avis de la Chambre des Métiers au sujet du projet de règlement grandducal repris sous rubrique. 1. Considérations générales Le présent projet de règlement grand-ducal a pour objet l abrogation du règlement grand-ducal du 17 juin 1992 portant exécution de l article 102, alinéa 8 de la loi du 4 décembre 1967 concernant l impôt sur le revenu (L.I.R). Il s agit en l occurrence d abolir le régime du remploi des plus-values immobilières permettant le transfert des plus-values sur des immeubles de remplacement. Le mécanisme encore en vigueur, selon le projet, pour l année d imposition 2014, prévoit que, sur demande, les plus-values réalisées au Luxembourg et dégagées par application des articles 99 bis et ter L.I.R. peuvent être transférées, sous certaines conditions, à un ou plusieurs immeubles de remplacement, notamment ceux destinés exclusivement au logement locatif. La condition principale et nécessaire à l obtention de ce régime réside dans le fait que le remploi peut seulement être effectué sur certains immeubles situés au Grand-Duché de Luxembourg. Le mécanisme de remploi avait été mis en place en son temps suite à la préoccupation du Gouvernement d encourager l investissement dans le bâtiment au Grand- Duché du Luxembourg, eu égard à la pénurie existante à cette époque en matière de logement 1. Par avis motivé du 20 février 2014, la Commission européenne a estimé que la condition qu il s agisse exclusivement d immeubles situés au Luxembourg constituait une restriction injustifiée à la libre circulation des capitaux et à la libre circulation des personnes. A titre liminaire, il convient de souligner que la Chambre des Métiers n a pas eu accès à l avis motivé du 20 février 2014 rendu dans le cadre de la procédure d infraction n 2011/4104 de sorte qu elle ne disposait pas de tous les éléments nécessaires afin de pouvoir rendre un avis parfaitement éclairé sur le projet de règlement grand-ducal sous examen. Concernant la libre circulation des capitaux, le Conseil des Communautés européennes a établi, par la Directive 88/361/CEE du 24 juin 1988, une liste des mouvements de capitaux relevant de cette liberté. En vertu d'une jurisprudence constante, la Cour a affirmé que la liste contenue dans la nomenclature ne présentait pas un caractère exhaustif 2. 1 Projet de règlement grand-ducal portant exécution de l article 102, alinéa 8 de la loi du 4 décembre 1967 concernant l impôt sur le revenu (transfert des plus-values) n 3578. 2 CJCE, 16 mars 1999, aff. C-222/97, Trummer et Mayer: Rec. CJCE 1999, I, p. 1661, pt 21. CJCE, 4 juin 2000, aff. C- 35/98, Verkooijen: Rec. CJCE 2000, I, p. 4071, pt 27. CJCE, 23 févr. 2006, aff. C-513/03, Van Hilten-van der Heijden: Rec. CJCE 2006, I, p. 1957, pt 39. CJCE, 14 sept. 2006, aff. C-386/04, Centro di Musicologia Stauffer: Rec. CJCE 2006, I, p. 8203, pt 22. CJCE, 12 déc. 2006, aff. C-446/04, Test Claimants in the FII Group Litigation, pt 179. CJCE, 11 sept. 2008, aff. C-11/07, Eckelkamp et a.: Rec. CJCE 2008, I, p. 6845, pt 38. CJCE, 27 janv. 2009, aff. C-318/07, Persche, non encore publiée, pt 24). CdM/SF/Avis_14-26_transfert_des_plus-values
Chambre des Métiers du Grand-Duché de Luxembourg page 3 de 6 En se fondant sur cette nomenclature, la Cour de Justice a ainsi décidé à plusieurs reprises que les opérations par lesquelles les non-résidents effectuaient des investissements immobiliers sur le territoire d'un État membre constituaient des mouvements de capitaux 3 et plus largement, que l'exercice du droit d'acquérir, d'exploiter et de vendre des biens immobiliers sur le territoire d'un autre État membre générait des mouvements de capitaux 4. L avis motivé rendu par la Commission européenne semble donc se baser sur la jurisprudence constante en la matière, la Commission européenne estimant, probablement, que les mesures interdites par l article 63, paragraphe 1 TFUE, en tant que restrictions aux mouvements de capitaux comprennent celles qui sont de nature à dissuader les non-résidents de faire des investissements dans un Etat membre ou à dissuader les résidents dudit Etat membre d en faire dans d autres Etats 5. Elle a sans doute demandé à ce que le système légal du remploi soit étendu aux acquisitions, en remploi, d immeubles situés dans les autres Etats membres. La Chambre des Métiers doute que l abrogation du système actuel du remploi soit vraiment la seule alternative valable face à l avis motivé de la Commission européenne. 2. Observations particulières 2.1. Une condition de situation de l immeuble de remploi au Luxembourg ne pouvant être considérée comme une restriction injustifiée à la libre circulation des capitaux Par la présentation de ce projet de règlement grand-ducal, la Chambre des Métiers relève que le Gouvernement a opté pour une autre voie, à savoir celle de l abrogation du système au motif que l extension de la mesure existante aux immeubles comparables situés dans les autres Etats membres de l Union européenne ou un autre Etat membre de l Espace économique européenne constituerait une charge difficile à gérer par l Administration des contributions directes alors que les bureaux d imposition seraient amenés à vérifier l utilisation conforme des immeubles acquis à l étranger. Selon la Chambre des Métiers, la condition de situation au Grand-Duché de Luxembourg de l immeuble de remploi ne peut être considérée comme une restriction injustifiée à la libre circulation des capitaux et à la libre circulation des personnes 3 CJCE, 1er juin 1999, aff. C-302/97, Konle: Rec. CJCE 1999, I, p. 3099, pt 22. CJCE, 5 juill. 2005, aff. C-376/03, D.: Rec. CJCE 2005, I, p. 5821, pt 24. CJCE, 8 sept. 2005, aff. C-512/03, Blanckaert: Rec. CJCE 2005, I, p. 7685, pt 35. CJCE, 25 janv 2007, aff. C-370/05, Festersen: Rec. CJCE 2007, I, p. 1129, pt 23. CJCE, 11 oct. 2007, aff. C-451/05, ELISA: Rec. CJCE 2007, I, p. 8251, pt 59. 4 (CJCE, 5 mars 2002, aff. jtes C-515/99, C-519/99 à C-524/99 et C-526/99 à C-540/99, Reisch et a.: Rec. CJCE 2002, I, p. 2157, pt 29. CJCE, 11 déc. 2003, aff. C-364/01, Héritiers de M. Barbier: Rec. CJCE 2003, I, p. 15013, pt 58. CJCE, 1er déc. 2005, aff. C-213/04, Burtscher: Rec. CJCE 2005, I, p. 10309, pt 39. CJCE, 14 sept. 2006, aff. C-386/04, Centro di Musicologia Stauffer: Rec. CJCE 2006, I, p. 8203, pt 24. CJCE, 25 janv. 2007, aff. C-370/05, Festersen : Rec. CJCE 2007, I, p. 1129, pt 22. CJCE, 11 oct. 2007, aff. C-451/05, ELISA, pt 58). 5 Arrêt du 10 février 2011, Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen, C-436/08 et C-437/08 pt. 50. CdM/SF/Avis_14-26_transfert_des_plus-values
page 4 de 6 Chambre des Métiers du Grand-Duché de Luxembourg alors que le fondement-même de ce mécanisme n était pas celui de favoriser les investissements privés mais celui d encourager la construction d immeubles à caractère locatif pour faire face à la pénurie de logements au Grand-Duché de Luxembourg. Il paraît douteux que la Commission ait pris en compte cet élément dans la motivation de son avis alors que l extension de ce mécanisme signifierait que les choix politiques luxembourgeois puissent avoir un impact sur la politique du logement menée par les autres Etats membres en favorisant l investissement immobilier à usage locatif dans ces autres Etats. Face à l augmentation constante de la population au Luxembourg, une mesure ayant pour objet de favoriser le logement doit être considérée comme une raison impérieuse d intérêt général. La Chambre des métiers se pose ainsi la question de savoir si toutes les voies ont été exploitées afin de vérifier si le système actuel, qui a fait ses preuves pendant des années, ne pouvait pas être maintenu, alors qu il est admis en jurisprudence européenne que des restrictions aux principes de libre circulation peuvent être justifiées pour des raisons impérieuses d'intérêt général et donc maintenues. Ainsi, des considérations tirées de la préservation de la répartition équilibrée du pouvoir d imposition entre les Etats membres au titre desquelles les revenus de source territoriale ne doivent pas échapper à la compétence fiscale de l Etat de la source 6, peuvent constituer une telle justification. Il en est de même en ce qui concerne la lutte contre la fraude fiscale, objectif reconnu comme légitime par le droit de l Union 7 alors que l une des conditions essentielles pour lutter efficacement contre la fraude fiscale est de mettre en place un contrôle fiscal efficace. Alors que le Grand-Duché de Luxembourg ne dispose d aucun pouvoir d imposition dans l Etat membre dans lequel un immeuble de remplacement serait acquis, c est également sur le fondement de la préservation de la cohérence fiscale que le mécanisme actuel du remploi aurait pu être justifié 8. 2.2. Le risque de double imposition en cas de remploi sur un immeuble situé à l étranger D autre part, il s agit d une question d imposition de plus-values immobilières avec donc un rattachement à l immeuble, objet de la vente ou de l acquisition. Or, il est de principe général dans les conventions de prévention de double imposition que le droit d imposition des revenus et des plus-values de biens immobiliers revient à l Etat de situation de l immeuble. Si le remploi était possible sur un immeuble situé à l étranger, interviendrait, à priori, lors de la vente de l immeuble de remploi (donc celui acheté en tout ou en partie avec les fonds provenant de la vente de l immeuble au Luxembourg) une imposition 6 CJCE, 15 mai 1997, aff. C-250/95, Futura Participations et Singer, points 20-22. 7 V. par exemple, CJCE, 11 oct. 2007, aff. C-451/05, ELISA. 8 V. par exemple, CJCE, 23 oct. 2008, aff C-157/07, Krankenheim Ruhesitz. CdM/SF/Avis_14-26_transfert_des_plus-values
Chambre des Métiers du Grand-Duché de Luxembourg page 5 de 6 du pays de situation de l immeuble, conformément au traité applicable, avec en plus l imposition luxembourgeoise reportée dans le temps, donnant le cas échéant lieu à un problème potentiel de double imposition, puisque cette imposition au titre de deux législations aurait lieu lors de la même vente de l immeuble et porterait, du moins partiellement, sur le même prix de la vente. Il se pose donc la question de savoir si le critère de situation de l immeuble, en présence de règles d imposition donnant un pouvoir exclusif de taxation des revenus au pays de situation de l immeuble, n aurait pas été jugé suffisant pour contrecarrer les arguments de la Commission européenne tels qu indiqués dans son avis motivé. 2.3. Une coopération inter-administrative possible Enfin et au cas où on aurait opté pour une extension du système actuel à certains immeubles situés à l étranger, se pose la question de savoir si l Administration fiscale luxembourgeoise serait vraiment démunie des moyens de contrôle nécessaires. Cet argument est en effet contraire à la jurisprudence européenne qui estime que la directive 77/799/CEE du Conseil du 19 décembre 1977 concernant l assistance mutuelle des autorités compétentes des Etats membres dans le domaine des impôts directs, ainsi que la directive 2008/55/CE du Conseil du 26 mai 2008 concernant l assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives à certaines cotisations, à certains droits, à certaines taxes et autres mesures, offrent aux autorités luxembourgeoises un cadre de coopération et d assistance leur permettant d obtenir les informations requises en vertu de la législation nationale. 9 Une procédure d échange sur demande avec les autorités étrangères concernant l imposition des revenus locatifs liée à la propriété d un immeuble détenu à l étranger permettrait sans nul doute de contourner le problème, le défaut de preuve de la propriété de l immeuble ou encore de la location de celui-ci déclenchant l imposition de la plus-value reportée en raison du remploi. Dans la mesure où la lutte contre la fraude fiscale en tant que telle semble bien être acceptée comme étant légitime, une telle restriction serait conforme à la position adoptée par la Cour de Justice en la matière. Si la Chambre des Métiers est bien consciente des difficultés administratives qu une telle extension pourrait engendrer, celle-ci regrette que les auteurs du projet de règlement aient apparemment déployé peu d efforts afin de préserver un tel mécanisme en faveur du contribuable et en faveur de la politique de logement. En conclusion, la Chambre des Métiers estime que le projet de règlement grandducal sous avis va à l encontre de la politique de logement menée par le nouveau Gouvernement, dans la mesure où il pénalise notamment le transfert de plusvalues réalisées sur des immeubles aux fins d acquérir des terrains à bâtir sur lesquels un immeuble de logement locatif doit être érigé ainsi que des immeubles bâtis destinés exclusivement au logement locatif. 9 Arrêt du 6 octobre 2011, C-493/09. CdM/SF/Avis_14-26_transfert_des_plus-values
page 6 de 6 Chambre des Métiers du Grand-Duché de Luxembourg * * * Compte tenu des remarques qui précèdent, la Chambre des Métiers se voit obligée de refuser l'approbation du projet de règlement grand-ducal sous rubrique. Luxembourg, le 21 mai 2014 Pour la Chambre des Métiers (s.) Tom WIRION Directeur Général (s.) Roland KUHN Président CdM/SF/Avis_14-26_transfert_des_plus-values