Ceci est une transcription exacte par Joseph Gagné d un texte d origine inconnue [page 9-15]. Nicolas Baron dit Lupien Le 20 avril 1670, Louis XIV nomme François-Marie Perrot gouverneur de Montréal; vers la fin de l été, le successeur de Paul Chomedey de Maisonneuve vient prendre possession de son poste. Les habitants de l île, selon l expression même de Dollier de Casson, supérieur des sulpiciens, trouvent que tous les espoirs sont permis. Hélas! ils ont tôt fait de se rendre compte que leur nouveau chef, malgré tous ses titres et sa belle prestance, n est qu un intrigant qui ne va pas à la cheville de son prédécesseur. S il est chevalier, ce n est pas dans le domaine de la vertu. En 1672, Perrot se fait concéder la grande île sise au confluent de l Outaouais et du Saint- Laurent, à laquelle il donnera son nom. Il y établit un poste de traite afin d y intercepter à son profit les coureurs des bois, au détriment des marchands de fourrures de Montréal. Le gouverneur Perrot, écrit l historien Camille Bertrand (1), prenait avantage de sa charge pour promouvoir ses intérêts personnels et faire la traite des fourrures, en marge des règlements et ordonnances. En dépit de multiples défenses aux coureurs des bois d échanger des boissons enivrantes pour des fourrures, un grand nombre continuaient toujours leur illicite mais payante industrie; et d affreux désordres se répétaient sans cesse parmi les nations sauvages. Perrot eut toujours plusieurs coureurs des bois à son service. Il accordait à la moindre occasion de nouveaux congés de traite à ses affidés, malgré toutes les défenses portées par le Conseil Souverain et le Conseil d État du roi. Deux serviteurs trop fidèles Répondant aux nombreuses plaintes portées contre son subalterne, Frontenac se décide à agir. Au début de 1674, il ordonne à Perrot de se rendre à Québec où il le fait incarcérer durant de longs mois. Cependant, François-Marie ne séjourne pas seul en geôle relativement au même délit: il y est accompagné de son adjoint Antoine de La Frenaye de Brucy, celui-là même qu il a chargé de surveiller ses intérêts au poste de l île Perrot. Et cet adjoint est lui-même accompagné de deux serviteurs apparemment trop fidèles: Nicolas Baron et Jean Dumans. Comment Baron et Dumans se sont-ils introduits dans cette marmite en ébullition? Il faudrait sans doute lire les procès-verbaux (s ils existent toujours) des longs interrogatoires que leur font subir Gilles de Boyvinet (2) entre le 15 et le 28 mars 1674, de même que les commissaires Charles Le Gardeur de Tilly et Nicolas Dupont de Neuville, membres du Conseil Souverain, le 28 juin suivant. L enquête se poursuit le 16 août (3) alors que les commissaires confrontent les témoignages de Nicolas Baron et de François Vessier (Vézier). Celui-ci, de même que Jacques Baudon et Isaac Lecompte, sera accusé d avoir battu Christophe Gerbaut dit Bellegarde et Nicolas Baron devra donner sa version des faits (4). L enquête sur les agissements de François-Marie Perrot et de son lieutenant se poursuit durant la majeure partie de l année. En même temps, Baron et Dumans demeurent toujours à la disposition de la justice (forcément, puisqu on les a écroués). Le 23 octobre (5), jour du jugement, le Conseil Souverain déclare de Brucy dûment atteint et convaincu de contraventions aux ordonnances émises par le gouverneur général en date du 27 septembre 1672, parce qu il a donné
asile aux déserteurs du service du roi et aux coureurs de bois, et qu il a eu commerce avec les unes et les autres. Toutefois, le tribunal se montre clément à son endroit: il tient compte des longs mois qu il a passés en prison et se contente de lui imposer une amende de 200 livres. Perrot ira défendre sa cause en France, où il subira une confortable réclusion de trois semaines à la Bastille (6), pour ensuite être libéré, renommé gouverneur de Montréal et recommencer de plus belle à tyranniser la population de ce lieu. Quant à Baron et Dumans, la Cour se contente de les élargie sans ajouter quoi que ce soit à leur peine. Ils ont sans doute été assez punis et on a tenu compte que, s ils ont été entraînés dans cette affaire, c est bien involontairement et parce qu ils se sont trouvés sous la férule d un maître trop ambitieux et peu scrupuleux, à la solde lui aussi du crapuleux gouverneur de Ville-Marie. C est ainsi que l ancêtre Nicolas Baron vit ses premières expériences sur le sol de la Nouvelle-France, expérience sans doute très déprimante pour lui. Les procès-verbaux relatifs à cette traite illégale de fourrure et d eau-de-vie sont les premiers documents connus qui mentionnent Nicolas: il n a pas dû arriver ici avant 1672 ou 1673. Affaires et mariage Une fois sorti du guêpier dans lequel il s est fourvoyé, Baron tente de refaire sa vie dans des activités moins compromettantes. Le 16 décembre 1675 (7), il s associe à Vincent Chamaillard et fait affaires avec lui pendant peut-être un an; puis, le 16 septembre 1676 (8), il signe un bail à rentes avec René Rémy, ancien procureur des Jésuites à Beauport. Il est maintenant établie et prêt à se marier. Le notaire Bénigne Brasset, qui s est occupé de toutes ses affaires jusqu ici, rédige également son contrat de mariage le 2 novembre 1676. Nicolas exerce à présent le métier de maître boucher, il est âgé de 27 ans et demeure à la Pointe-aux-Trembles. La cérémonie nuptiale se déroule le 16 novembre suivant. L acte de mariage précise qu il est le fils de Loupien Baron (d où le surnom de Lupien) et de Jeanne Tiersan, de Villenauxe, diocèse de Troyes, en Campagne (9). L épouse est Marie-Marthe Chauvin, baptisé à Montréal le 17 janvier 1662, et fille aîné de Pierre Chauvin et de Marthe Autreuil. Pierre Chauvin dit le Grand Pierre était venu de Solesme, arrondissement de La Flèche, avec les cent hommes recrutés par Maisonneuve en 1653 (10), en qualité de meunier et de défricheur. Au terme de son engagement de cinq ans, il avait décider de rester au pays et d y fonder un foyer. En plus d exercer le métier de meunier pour le compte de Mathieu Ranuyer à Montréal, puis celui de Pierre Boucher à Varennes, Chauvin sera aussi fermier de ce dernier à l Ile-aux-Foins. Vers la fin de sa vie, il acceptera une concession des Sulpiciens et reviendra à Montréal pour y mourir au début d août 1699. De Montréal à la Pointe-aux-Trembles Entre 1676 et 1688, les documents d archives ne sont pas particulièrement bavards sur les activités de Nicolas Baron. Les actes de baptême de ses deux premiers fils, Nicolas et Pierre, sont inscrits dans les registres de Montréal. C est dans cette ville que la famille est recensée en 1681; le
père est dit âgé de 32 ans et sa femme, selon le recenseur, compte 20 printemps. Le couple a un seul fils, Nicolas, âgé de trois ans, et possède un fusil, neuf bêtes à cornes et six arpents en valeur. Le 23 octobre de la même année (11), l ancêtre se désiste de son habitation de Boucherville au profit de René Rémy. Entre 1686 et 1695, Marie-Charlotte, Gabriel, Jacques et Jean-Baptiste seront baptisés dans la paroisse Saint-Enfant-Jésus de la Pointe-aux-Trembles. Diverses transactions concernant Nicolas Baron sont alors inscrites au greffe d Antoine Adhémar, notamment une vente de boeufs à Jean- Baptiste Migeon (12), le 25 mai 1688; un achat de Jean Delpué dit Pariseau, le 12 avril 1690; un bail à ferme d Urbain Baudreau dit Graveline, le 16 juillet suivant; un marché avec le chirurgien André Rapin, le 3 janvier 1692, etc. Fermier de Charles Aubert de La Chesnaye En 1698, Baron est établi à la Longue-Pointe. Un acte du notaire Louis Chambalon daté du 6 mars mentionne que le pionnier prend à ferme, pour une période de trois ans, une seigneurie appartenant à Charles Aubert de La Chesnaye. Ce domaine comprend une grange, un moulin à vent, des terres labourables, une cour, un jardin, etc. La Chesnaye est, à cette époque, l un des principaux, sinon le plus important marchand de la colonie. Il achète nombre de seigneuries et ne ménage jamais ses efforts ni son argent à les faire fructifier, même s il n en récolte pas toujours des dividendes immédiats. C est pourquoi il n hésitera pas à embaucher des colons industrieux tels Nicolas Baron pour les faire travailler à ses exploitations. Malheureusement, Nicolas ne vivra pas assez longtemps pour faire souffler la fortune de son patron: il le fera tout au plus quelques mois. La même année, plus précisément le lundi 17 novembre 1698 (13), le Conseil Souverain rend jugement dans sa cause portée à son attention par René Goullet, prédécesseur de Baron sur la terre de La Chesnaye. Goullet en appelle de la sentence prononcée contre lui par la juridiction royale de Montréal le 14 avril précédent. L ancien fermier avait alors été condamné à fournir des fourrages à Nicolas Baron afin que celui-ci puisse terminer l hivernement de ses bêtes jusqu à ce qu elles soient en mesure d aller pacager; l appelant devait aussi donner le foin servant aux semences de l année courante, en accord avec le bail qu il avait signé le 9 juillet 1689. Goullet ne va pas lui-même défendre sa cause: il y délègue sa femme, Catherine Leroux. Celle-ci fait face à l huissier Michel Le Pailleur, procureur de Marie-Marthe Chauvin, qui est devenue fermière de la terre de La Chesnaye. Catherine saura sans doute mieux défendre les intérêts de son mari que Michel ne le fera pour sa cliente, car le Conseil mettra à néant la sentence imposé par la Cour de première instance, déchargera Goullet de l action intentée contre lui et condamnera Marie-Marthe aux dépens tant de la cause principale que celle de l appel, sans amende cependant. Mais qu advient-il donc de Nicolas Baron dans toute cette affaire? Le procès-verbal est explicite: Marie-Marthe Chauvin est devenue veuve. Elle a pris charge de tout. L ancêtre a quitté ce bas monde probablement au cours de la belle saison. Il est possible que le jugement prononcé contre elle ait découragé la veuve à poursuivre bien longtemps encore son aventure à La Chesnaye. Le 29 octobre 1699 (14), elle se désistera de son bail et, le lendemain, la même terre sera loué à
Robert Jannot dit Lachapelle et, le même jour, Marie-Marthe remettra l inventaire des biens de son défunt mari au marchand Charles de Couagne. La famille s installe à Maskinongé La famille Baron vivra encore quelques années à la Longue-Pointe, comme en sont foi plusieurs actes du notaire Antoine Adhémar. Nicolas, le fils aîné, prendra soin des intérêts de sa mère. Après 1703, on perd sa trace. Le 1 er juillet 1705, Marie-Marthe Chauvin renonce à sa communauté de biens et, trois jours plus tard, elle échange son habitation de la Longue-Pointe contre celle de René Étienne dit Durivage, de Maskinongé. Cette date marque l arrivée de la famille Baron en Mauricie. C est le début d une suite ininterrompue de générations de Lupien et de Lafrenière dans cette région; elles y sont solidement implantées depuis deux siècles et trois quarts. Le 29 avril 1706, Marie-Marthe épouse, en secondes noces, Jean-Baptiste Fleury, fils de François et de Jeanne Gilles. L acte est inscrit dans les registres de Trois-Rivières et, le même jour, le notaire Daniel Normandin rédige leur contrat de mariage. Une fille, Marie-Angélique, naîtra l année même de cette union qui durera 22 ans. Marie-Marthe sera la première à quitter cette terre sur les quatre heures du matin, âgée de 68 ans ou environ, le 11 février 1728; elle sera inhumée dès le lendemain dans le cimetière de Maskinongé. Jean-Baptiste Fleury éousera, le 17 octobre suivant, à la Rivière-du-Loup (Louiseville), Marie-Françoise du Lignon, fille de Pierre et de Marguerite De Gerlais. Il en aura au moins trois autres enfants. Enfants de Nicolas Baron et de Marie-Marthe Chauvin Nicolas, baptisé à Montréal le 12 mars 1679; destinée inconnue après 1703. Pierre, baptisé à Montréal le 10 octobre 1683 et décédé en 1744; marié à Montréal le 18 novembre 1705 à Angélique Courault dit Lacoste, fille de Cybar et de Marie-Françoise Goupil. Ce maître charpentier et fournisseur de bois aux chantiers navals du roi était établi à Montréal. Il eu quatre fils et six filles. Marie-Charlotte, baptisé à la Pointe-aux-Trembles de Montréal le 9 février 1686 et inhumée au même endroit le 17 novembre 1687. Gabriel, baptisé à la Pointe-aux-Trembles de Montréal le 11 décembre 1688. Il était le filleul d Urbain Baudreau dit Garveline et de Mathurine Juillet. Ce Gabriel est vraisemblement le même qui figure aux registres de Pointe-du-Lac en 1747, tel que le rapporte l Histoire des Ursulines des Trois-Rivières (tome 1, page 501). Marie-Anne, baptisée sous le nom de Marie-Jeanne à la Pointe-aux-Trembles de Montréal le 14 mars 1691 et inhumée à Maskinongé le 16 juin 1756; mariée à Trois-Rivières le 5 février 1709 à Pierre Déziel ou Delguiel dit Labrèche, fils de Pierre et de Jeanne Damien. Au moins deux fils et deux filles. Jacques dit Lupien et Belair, baptisé à la Pointe-aux-Trembles de Montréal le 11 mai 1693;
marié à la Rivière-du-Loup (Louiseville) le 10 janvier 1718 (contrat Quintal, missionnaire récollet, 12 février 1718) à Geneviève Petit dit Bruno, fille de Joseph, seigneur de Maskinongé, et de Madeleine Chesnay. Jacques fut capitaine en second des milices de Maskinongé. Il vivait toujours en 1762. Au moins trois fils et cinq filles. Jean-Baptiste, baptisé à la Pointe-aux-Tembles de Montréal le 6 mai 1695; marié à Sorel le 8 janvier 1720 (contrat Poulin, même jour) à Marie-Anne Fafart, fille de François dit Delorme et de Madeleine Jobin, de l Isle-Dupas. Au moins six fils et quatre filles. Jean-Baptiste était décédé en 1763. Marie-Suzanne, baptisée à Repentigny le 12 mai 1698; mariée à la Rivière-du-Loup (Louiseville) le 7 janvier 1718 (contrat Quintal, même jour) à Sébastien Vanasse dit Précourt, fils de François et de Jeanne Fourier, de Maskinongé. Au moins un fils et quatre filles. Marie-Suzanne était veuve en 1759. Joseph dit Lupien et Lafrenière, marié (contrat Petit 15 septembre 1721) à Marie-Anne Lemire, fille de Jean-François et de Françoise Foucault. Au moins deux fils et deux filles. Joseph fut lieutenant des milices de Maskinongé, procureur et tuteur de la seigneuresse Rosalie Bruneau, au nom de laquelle il concédait des terres. Il vivait toujours en 1765.