Rapport Général de l Instance Nationale pour la Réforme de l Information & de la Communication 2012 Conclusion générale Synthèse, perspectives & recommandations 227
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Conclusion générale Synthèse, perspectives et recommandations L Instance Nationale pour la Réforme de l Information et de la Communication (INRIC) a tenté, à travers ce rapport, d établir un diagnostic de la situation du secteur de l information, sous le régime de Ben Ali, et de souligner l ampleur des dégâts occasionnés aux différents médias, du fait de sa politique de répression et de verrouillage systématique. Ce rapport dresse aussi le bilan des activités de l INRIC depuis sa création, en mars 2011, activités qui ont réuni, dans le cadre de plusieurs séminaires, rencontres, ateliers de travail et visites sur le terrain, des centaines de journalistes, d universitaires, d experts et de juristes, tunisiens et étrangers. L objectif recherché, à travers cette démarche, est d asseoir le processus de réforme du secteur de l information et de la communication sur des bases solides, et de faire en sorte que les standards internationaux en matière de liberté d expression soient la référence et le socle essentiel du chantier de reconstruction des entreprises d information et de communication en Tunisie. Diagnostic et bilan A la lecture de ce rapport, on peut mesurer aisément l héritage désastreux légué par les années de dictature, de corruption, d achat de conscience et d hostilité primaire envers la presse et les journalistes indépendants qui sont demeurés attachés au respect des règles déontologiques de leur profession. Ben Ali et ses conseillers ont fait perdre à la Tunisie des occasions précieuses et incalculables de devenir un pays de liberté et de pluralisme en matière d information, en faisant la sourde oreille à toutes les voix qui se sont élevées pour défendre la liberté de la presse, et à toutes les propositions et initiatives avancées, dans ce sens, par les journalistes depuis la fin des années1980. Ben Ali et ses conseillers ont utilisé des moyens astucieux et complexes pour verrouiller le paysage médiatique et bâillonner les voix critiques ou discordantes. Ils ont instrumentalisé la justice et l Administration et transformé l argent du contribuable en moyen de pression, de séduction et de manipulation. La mauvaise gestion administrative et financière a fini par gangréner tous les rouages des entreprises publiques de presse dont les statuts ont été jetés aux oubliettes. L allégeance et la loyauté envers le pouvoir en place, le favoritisme, le clientélisme et le népotisme sont 229
devenus les seuls critères de recrutement des journalistes et des agents, aux dépens de la compétence et du mérite. De l Agence TAP aux entreprises de presse écrite et audiovisuelle, jusqu aux établissements de formation de base (IPSI) et de formation continue (CAPJC), aucun secteur n a été épargné par cette politique de déprédation systématique et organisée. Les législations étaient soit inexistantes, comme c est le cas dans le secteur de l audiovisuel, soit liberticides, à l instar du code de la presse de 1975 ou des lois relatives à la protection des données personnelles et à la sécurité informatique. De plus, les pratiques pernicieuses et opaques utilisées par l Agence Tunisienne de Communication Extérieure (ATCE), en matière de répartition sélective et conditionnée de la manne publicitaire, ont fini par transformer les médias publics en instruments de propagande et de communication gouvernementale. Mais, malgré cette politique de fermeture et de verrouillage, de nombreuses associations et organisations de la société civile on résisté et réussi à faire face à la machine infernale de la dictature. Ce sont, précisément, les représentants du tissu associatif qui, après le 14 janvier 2011, se sont mobilisés pour impulser une dynamique salutaire et, somme toute, prometteuse au secteur de l information et de la communication en Tunisie. l INRIC a engagé son processus de réforme, en mars 2011, dans une conjoncture particulièrement difficile et complexe, marquée par l influence encore persistante de l ancien système et le maintien de certains barons du régime déchu, aux postes de décision, au sein des médias publics et privés. Cette conjoncture était, également, marquée par un déficit de professionnalisme chez les journalistes qui ont perdu leurs réflexes, après une longue période d inactivité, de manque d exercice et de marginalisation. Consciente qu aucune œuvre de réforme ne peut aboutir si elle n est pas fondée sur des principes et des normes internationalement reconnus, l INRIC a aussitôt adopté comme référence, dans sa démarche de reconstruction, les expériences des pays démocratiques et les standards internationaux en matière de législation et de régulation des médias. Les efforts déployés par l INRIC, dans le domaine de la législation, ont été couronnés par la promulgation de deux décrets-lois auxquels elle a collaboré avec la Haute Instance pour la Réalisation des Objectifs de la Révolution, la réforme politique et la transition démocratique (HIROR). Il s agit du décret-loi N 115-2011 du 2 novembre 2011 sur la liberté de presse, d impression et d édition et du décret-loi N 116-2011 du 2 novembre 2011 sur la liberté de la communication audiovisuelle et la création d une Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA). L INRIC a également préparé les conventions et les cahiers des charges relatifs à l exploitation des médias audiovisuels privés qui ont obtenu leurs licences après le 14 janvier 230
2011 ainsi que les médias ayant obtenu leurs licences avant la révolution. Toutefois, les pouvoirs publics n ont pris, jusqu à la mi-avril 2012, aucune initiative pour mettre en application ces nouveaux textes de loi. La seule législation qui a été approuvée jusqu ici et sur laquelle l INRIC a émis quelques réserves c est le décret-loi N 41-2011 du 26 mai 2011 relatif à l accès aux documents administratifs des organismes publics. Le changement le plus significatif dans le paysage médiatique postrévolutionnaire s est opéré, incontestablement, au niveau du secteur de l audiovisuel qui a enregistré l octroi de licences à de nouvelles stations de radio et de télévision privées, commerciales ou associatives, sur la base des recommandations de l INRIC qui a sélectionné 12 stations de radio et 5 chaînes de télévision. Toutefois, le vide juridique dont souffre encore ce secteur a donné l occasion à quelques hommes d affaires de créer des chaînes satellitaires qui émettent de l étranger mais dont les programmes sont produits en Tunisie. Pour sa part, le secteur de la presse écrite a connu une profusion de nouveaux titres. Le nombre de périodiques ayant obtenu l autorisation de paraître a atteint, jusqu au mois de décembre 2011, quelque 228 titres. Mais les publications paraissant actuellement est nettement en-deçà de ce chiffre. A quelques exceptions près, ces nouvelles publications sont, en grande majorité, des tabloïds à sensation, à vocation populiste qui versent dans la surenchère politique et servent de tribunes aux règlements de compte personnels, en violation flagrante des règles les plus élémentaires de la déontologie journalistique. Un phénomène pervers, hérité du régime déchu, et qui traduit, à lui seul, l impact désastreux des années de dictature sur la pratique de la profession et le comportement des journalistes. Le paysage médiatique postrévolutionnaire se distingue aussi par la place prépondérante qu occupent les médias alternatifs et virtuels avec la multiplication du nombre de blogs et de journaux électroniques. Toutefois, l espace virtuel, qui était le fer de lance de la révolution et qui a contribué activement à la chute de Ben Ali en démasquant ses crimes contre le peuple tunisien, s est transformé, lui aussi, après le 14 janvier 2011, en un espace d affrontement, de règlement de comptes, de manipulation et de désinformation. La situation actuelle dans les secteurs de l audiovisuel, de la presse écrite et de l a presse électronique appelle l urgence de la création d instances indépendantes de régulation pour tenter de mettre de l ordre et de régler les problèmes très complexes qui se posent. Cependant, le nouveau gouvernement, issu des premières élections démocratiques et pluralistes de l histoire de la Tunisie, fait preuve de réticence à mettre en application les nouvelles législations réglementant le secteur de l information. Son refus d adopter des règles objectives, transparentes et équitables pour la désignation des responsables à la tête des entreprises publiques de presse, la multiplication alarmante des agressions contre 231
les journalistes et des attaques contre la liberté de la presse et ses tentatives de remettre la main sur les médias publics, sont autant de signaux qui laissent planer beaucoup de doute sur l avenir de cette liberté naissante conquise de haute lutte. Les subterfuges invoqués par le nouveau gouvernement pour se soustraire à l application du décret-loi N 116 relatif à la création de la HAICA et les campagnes hargneuses et injustes lancées par les militants et les activistes du parti Ennahdha contre les journalistes des médias publics, qui déploient des efforts constants et méritoires pour se perfectionner, sont aussi des indices inquiétants qui dénotent l absence d une réelle volonté de la part des nouveaux gouvernants d honorer leurs promesses électorales, de respecter le droit du citoyen à une information libre et pluraliste et de rompre définitivement avec les pratiques de l ancien régime qui a fait des médias publics des canaux de propagande et de manipulation. La volonté politique des nouveaux gouvernants, la solidarité agissante des professionnels des médias et le sens de l intérêt général sont, pourtant, des conditions fondamentales, nécessaires et incontournables pour assurer la réussite du processus de réforme engagé par l INRIC et pour garantir au peuple tunisien un avenir meilleur, fondé sur la liberté, la démocratie et la justice économique et sociale. 232