Monique Bégin, L assurance-santé : Plaidoyer pour le modèle canadien, Montréal, Édition du Boréal Express, 1987, 229 p.



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Préparé par : Stéphane Thibault, CPA, CA, LL.M. fisc. et Yves Chartrand, M. Fisc. Centre québécois de formation en fiscalité CQFF inc.

Transcription:

Compte rendu Ouvrage recensé : Monique Bégin, L assurance-santé : Plaidoyer pour le modèle canadien, Montréal, Édition du Boréal Express, 1987, 229 p. par Michel Pelletier Politique, n 14, 1988, p. 171-178. Pour citer ce compte rendu, utiliser l'adresse suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/040607ar DOI: 10.7202/040607ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'uri https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'université de Montréal, l'université Laval et l'université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'érudit : info@erudit.org Document téléchargé le 28 August 2015 08:40

RECENSIONS 171 Monique Begin, Uassurance-santé: Plaidoyer pour le modèle canadien, Montréal, Édition du Boréal Express, 1987, 229 p. 11 serait difficile de définir en un mot, la nature exacte de ce livre de Madame Monique Bégin, qui fut ministre de la Santé nationale et du Bien-être social du Canada, de 1977 à 1984, abstraction faite de la courte période où les Conservateurs furent au pouvoir, en 1979-1980. «Plaidoyer» pour une «cause», ainsi que l'annonce le sous-titre? Mémoires politiques, de la part de quelqu'un qui a tourné le dos à la vie politique active? Manifeste susceptible de redorer le blason de l'auteur et de préparer une éventuelle rentrée sur la scène politique? Le livre est un peu

172 POLITIQUE, 14 chacune de ces choses, et autre chose encore. Mais il n'est jamais systématiquement ni l'une ni l'autre, de sorte qu'il devrait intéresser un auditoire très diversifié: sa nature incertaine toutefois, risque de susciter un sentiment de frustration chez plus d'un. Disons d'abord que le livre est «rempli de passion» (p. 13) et se lit, de ce fait, comme un roman! Le sujet étant par nature aride, c'est là une grande qualité. Madame Bégin nous révèle une nouvelle facette de sa personnalité riche et, à maints égards, attachante: elle a la plume alerte et facilement incisive. Cette qualité du style devrait constituer un important atout pour le «plaidoyer» en faveur du «modèle canadien» d'assurancesanté, qu'annonce le titre. Mais en fait, le livre ne nous présente pas vraiment ce «plaidoyer». Madame Bégin présume plutôt que ses lecteurs connaissent déjà très bien les caractéristiques essentielles du «modèle canadien», qu'ils y sont aussi inconditionnellement attachés qu'elle-même et surtout, qu'ils sont convaincus, comme elle, que le «modèle canadien a traversé une crise majeure, lorsque et parce que certains gouvernements provinciaux ont commencé à imposer des «tickets modérateurs» dans le but de contenir la progression des coûts ou lorsque la pratique de la «surfacturation» par les médecins a commencé à s'étendre. Le fond du problème étant ainsi pris pour acquis, plutôt que d'expliquer et de chercher à démontrer, elle se contente donc de nous présenter «l'histoire d'un dossier, celui des cinq années de crise de l'assurance-santé (de 1979 à 1984) telles que je les ai vécues» (p. 11). Elle nous raconte donc comment, à peu près seule contre tous. contre les fonctionnaires de son ministère (pp. 33, 36, 212), contre les stratèges de son parti (p. 42), contre ses collègues du cabinet, simplement indifférents lorsqu'ils n'étaient pas de tendance «néo-conservatrice» (pp. 48-49, 110-111, 130-131), contre le Premier ministre, qui «avait bien d'autres chats à fouetter» (pp. 111, 131), contre les ministres provinciaux responsables, qui ne «tenaient pas à l'assurance-santé comme à la prunelle de

RECENSIONS 173 leurs yeux» et «favorisaient l'érosion ou la laissaient se répandre» (pp. 46, 48, 114), contre les médecins, enfin, pour qui, dans la plupart des cas, c'était une «pure affaire de gros sous» (pp. 90, 217), elle a réussi à faire adopter, par le Parlement canadien, en 1984, une Loi sur la santé qui avait pour effet de fixer les cinq conditions auxquelles les provinces devraient se conformer pour pouvoir toucher la contribution fédérale aux frais des régimes d'assurance-santé dont elles ont la responsabilité administrative et constitutionnelle. Ces conditions, qui ont rang de «principe» aux yeux de Madame Bégin, et qui feraient du «modèle canadien» d'assurance-santé «un modèle reconnu internationalement, bien que nous soyons les seuls à ne pas le voir» (p. 13), sont: «l'universalité, l'accessibilité, la présence d'une gamme complète de services, la transférabilité et l'administration publique à but non lucratif». En fait, ces cinq conditions avaient été imposées aux provinces dès la première intervention fédérale dans ce champ de juridiction provinciale, à la fin des années cinquante, lors de l'instauration de!'assurance-hospitalisation. Mais elles avaient, à toutes fins pratiques, été abandonnées lors de la négociation des accords fiscaux (fédéraux-provinciaux) de 1977. À cette époque, soucieux de limiter sa contribution aux frais du régime, et sans doute dans le but de forcer les provinces à adopter des mesures destinées à contenir la progression vertigineuse des coûts (tout en assumant l'odieux), le gouvernement fédéral s'était en quelque sorte retiré du dossier, en limitant sa responsabilité à l'égard des frais du programme au seul versement d'une somme forfaitaire préétablie. Il abandonna donc les cinq conditions qui lui permettraient d'exercer une tutelle de fait sur la gestion de l'assurance-santé par les provinces, et leur transféra certains points d'impôts qui devaient, en principe, leur permettre d'assumer seules l'entière responsabilité du programme. Pour Madame Bégin, c'est l'abandon de ces cinq conditions qui aurait ouvert la porte aux «tickets modérateurs»

174 POLITIQUE, 14 et à la surfacturation, et qui serait donc à l'origine de la présumée «crise» de l'assurance-santé. On constate, par le fait même, que tout son livre constitue une critique implicite de la politique de son prédécesseur au porte-feuille de la Santé, Monsieur Marc Lalonde, qui avait été responsable de la négociation des accords de 1977. Elle critique aussi le premier ministre de l'époque. Monsieur Trudeau, puisqu'elle précise qu'il avait suivi de près l'évolution des négociations qui avaient conduit à ces accords. Paradoxalement aussi, à travers cette présentation de Madame Begin, MM. Lalonde et Trudeau font figure de fédéralistes rigoureusement respectueux des juridictions provinciales, tandis qu'elle-même aurait réussi, envers et contre tous, à faire prévaloir une conception centralisatrice du fédéralisme canadien, celle-là même qu'on attribue généralement au tandem Trudeau-Lalonde. Ceci dit, tout événementielle qu'elle soit, on aurait tort de voir dans «l'histoire [du] dossier» telle que rapportée par Madame Bégin, une présentation sûre, objective et complète de ce qui s'est effectivement passé. Très honnêtement, elle souligne ellemême les limites de sa méthode: elle n'a «jamais tenu de journal au cours [de ces] huit années: (...) [le] livre repose donc sur ma mémoire des événements, les documents du cabinet que je suis retournée consulter par acquis de conscience, quelques papiers épars et les textes officiels de mes discours et, surtout, sur un fichier des coupures de presse de ces années»: (...) Je suis bien consciente des limites de ma façon de procéder (...). D'autres viendront, je l'espère, qui voudront donner un autre éclairage des événements, et même établir différemment les faits». (...) L'autre limite dont je suis tout aussi consciente c'est que je vois les choses par la lunette d'ottawa, pas par celles des provinces (...)» (pp. 11-12). Il résulte de tout ce qui précède que ce livre-témoignage de Madame Bégin, qui n'est ni «plaidoyer», malgré le titre, ni «histoire» sûre et objective, est intéressant, non pas tant en raison

RECENSIONS 175 de ce dont elle voudrait nous convaincre, mais plutôt comme matière brute, en raison de ce qu'elle nous apprend indirectement, et sans doute pas toujours intentionnellement, sur les particularités de la vie politique canadienne, sur la vie d'un ministre, sur la dynamique fédérale-provinciale, sur la conception du fédéralisme canadien. Certains, par exemple, seront étonnés de découvrir à quel point les ministres sont souvent mal préparés à assumer les lourdes responsabilités qui sont les leurs: à quel point, encore, ils sont dépendants de leurs fonctionnaires même si, en principe, ce sont eux les grands patrons. D'autres seront intéressés de voir comment fonctionne le conseil des ministres, la hiérarchie qui existe parmi les ministres, la dynamique des rapports entre les membres du gouvernement et leur parti d'appartenance. Pour ma part, ce qui me paraît particulièrement riche d'enseignement dans ce témoignage, c'est la présentation sans fard du processus par lequel le gouvernement fédéral peut s'immiscer dans les domaines de juridiction provinciale, envers et contre la volonté des gouvernements provinciaux, avec l'appui du public, cela malgré le fait qu'il soit très mal placé pour percevoir et régler les problèmes concrets qui se posent «sur le terrain», au jour le jour. En effet, Madame Bégin très honnêtement encore, souligne à l'envie qu'elle ignorait tout du dossier au départ, et a donc dû apprendre sur le tas. Elle reconnaît bien qu'il existe certains problèmes en matière d'assurance-santé: contrôle des coûts: rémunération équitable des médecins: garantie de la qualité des soins. Mais ce sont là des problèmes de vulgaire gestion, n'estce pas, et qui relèvent donc des administrations provinciales! Le ministre fédéral, quant à lui, ne doit se soucier que des grands principes, et surveiller les administrations provinciales pour voir si elles s'y conforment. La porte lui est donc grande ouverte pour la manipulation démagogique. D'autre part, comme le lui aurait appris le premier ministre Trudeau à l'époque: «Un dossier où toutes les provinces [s'opposent] à une proposition fédérale forte

176 POLITIQUE, 14 de l'appui général du public [est] un dossier gagnant. Tout comme la constitution» [aurait-il ajouté] à sa ministre estomaquée de ce cours condensé de science politique.» (p. 122) La formule gagnante pour le fédéral serait donc simple: s'attaquer aux provinces, tout en s'appuyant sur l'opinion publique. Même si, dans le cas présent, ce sont les médecins qui, par le biais de la «surfacturation», menaçaient le plus sérieusement l'intégrité du «modèle canadien» d'assurance-santé, elle se garda bien de les attaquer. Elle s'attaqua plutôt aux gouvernements provinciaux (p. 121), même si leurs «tickets modérateurs» visaient plus à sensibiliser les bénéficiaires aux coûts de l'assurance-santé, qu'à remettre en question «l'universalité» du régime. L'autre élément de la formule gagnante de monsieur Trudeau exigeant de polariser l'opinion publique du côté du fédéral et contre les provinces. Madame Bégin s'employa donc à «identifier en un même bloc le programme lui-même et son public: les autres étaient des ennemis et s'opposaient nécessairement au programme» (pp. 120-121). Pour y arriver, elle eut recours, entre autre, aux «forums communautaires» (p. 143), nous explique-telle. Elle se défend de l'accusation de manipulation de l'opinion que certains ont formulée à l'époque. Pourtant, c'est ce qu'elle nous décrit dans le détail. D'autre part, elle explique aussi qu'afin de mobiliser concrètement l'appui du public et pour le canaliser, [il lui fallait] simplifier le débat (p. 120). Or, se pourrait-il qu'une telle «simplification» des problèmes ne puisse être compatible qu'avec une conception «simpliste» du fédéralisme canadien? Et c'est là un autre aspect de l'époque Trudeau que Madame Bégin met crûment en évidence. On se souviendra qu'on disait que c'était l'époque du «french power». Or, Madame Bégin déplore presque que «des ministres [aient défendu] le point de vue de leur province d'origine dans ce dossier», alors que c'est précisément une des responsabilités reconnues aux ministres, au sein du cabinet

RECENSIONS 177 fédéral. Quant à elle, non seulement a-t-elle déclaré la guerre aux gouvernements provinciaux: elle se montre absolument insensible aux préoccupations du gouvernement québécois de l'époque, puisque, n'est-ce pas, il s'agissait d'un gouvernement «séparatiste»! Résultat? Ce sont de simples députés tel Monsieur jean-claude Malépart qui s'efforcèrent, avec le peu de moyens dont un député dispose, de faire valoir minimalement le point de vue québécois. Étrange époque que celle où les ministres québécois à Ottawa croyaient pouvoir se dédouaner de leur insensibilité à l'égard du Québec, en invoquant le caractère «séparatiste» du gouvernement québécois de l'époque («J'étais du Québec, tout aussi sensible que les séparatistes à notre avenir, sauf que j'avais choisi un palier d'action différent du leur») (p. 190). C'est comme s'ils avaient été incapables de concevoir que dans un régime fédéral, il puisse y avoir une décentralisation autre que simplement administrative. Madame Bégin nous raconte donc comment elle a gagné une bataille politique contre les provinces. A-t-elle sauvé le «modèle canadien» d'assurance-santé, comme elle nous le suggère? Rien n'est moins évident, et cela ne résulte pas de l'arrivée au pouvoir des Conservateurs, comme elle le suggère encore dans son dernier chapitre. En effet, en réinscrivant les «cinq conditions» dans la loi fédérale et en redonnant, par le fait même, au ministre fédéral un pouvoir de tutelle sur les administrations provinciales, elle n'a pas fait disparaître par enchantement les problèmes que pose la gestion de l'assurance-santé, notamment le problème du contrôle de la progression des coûts. Elle n'aura fait qu'introduire plus de rigidité dans le système, tout en excluant le recours à des solutions tels les «tickets modérateurs» qui pourraient être des moindres maux. Ce type de solution étant désormais exclu, voilà qu'on lorgne maintenant vers une certaine privatisation des services de santé, que ce soit par le recours à la technique des «Health Maintenance Organization» ou autrement. N'est-ce pas là, d'emblée,

178 POLITIQUE, 14 une menace beaucoup plus grande pour l'intégrité de notre assurancesanté que celle présentée par les «tickets modérateurs»? Mais, dira-t-on, le cinquième des principes de Madame Bégin n'exclut-il pas la possibilité du recours à la privatisation? Justement, comme elle le signale encore très honnêtement, sa loi a un «trou», «car le ministère ne se sentait ni la volonté, ni l'imagination requises pour (...) [définir] concrètement la cinquième condition de la loi: celle de «l'administration publique à but non lucratif» (p. 212)... Montesquieu rapporte, dans l'esprit des lois (Livre XIX, chapitre XXI), que Solon, à qui on demandait «si les lois qu'il avait données aux Athéniens étaient les meilleures», répondait: «Je leur ai donné les meilleures de celles qu'ils pouvaient souffrir». Montesquieu ajoute: «Belle parole, qui devrait être entendue de tous les législateurs». On serait tenté de transposer la leçon au cas qui nous est soumis par Madame Bégin. Se pourrait-il qu'en cherchant à écarter un moindre mal, elle ait en fait ouvert la porte à une menace plus grande encore? Se pourrait-il, car c'est là une autre formulation possible de la question précédente, que loin de défendre l'intégrité du «modèle canadien» d'assurancesanté, elle se soit battue surtout, en fait, pour une conception éminemment discutable du fédéralisme canadien, (celle de Monsieur Chrétien? opposée à celle de Monsieur Turner?), sa bataille à propos de l'assurance-santé n'ayant été qu'un moyen de le faire? Michel Pelletier Université du Québec à Montréal