Tribunal de Ière Instance de Bruxelles Jugement du 5 novembre 2004 - Rôle n 2000/11722/A Exercice d'imposition 1994 Note : Ou de l imputation d un remboursement d impôts sur une dette d impôts contestée en application, selon l administration, de l article 166, 2 & 3 de l Arrêté Royal d exécution CIR 1992 Arrêt Avocats: Maître Christophe LENOIR loco Maître Roland FORESTINI - pour la requérante Maître Nicolas BERCHEM loco Maître Dominique LEONARD - pour l Etat Belge I. Objet et recevabilité de la demande Aux termes de la citation introductive d instance, la demanderesse invitait le tribunal à condamner le défendeur au paiement d une somme de 5.592,40 euros (225.597 anciens francs), " augmentée des intérêts moratoires calculés en application des dispositions de l article 418 du CIR/1992 ou, subsidiairement, majorée des intérêts moratoires calculés au taux légal à dater de l enrôlement qui a constaté la dette (du défendeur) à (son) égard (...) ", ainsi qu à le condamner aux dépens de l instance, en ce compris l indemnité de procédure. Elle sollicitait également le bénéfice de l exécution par provision du jugement à intervenir, nonobstant tous recours et sans caution et nonobstant toute offre de consignation avec affectation spéciale. La demanderesse a étendu sa demande par voie de conclusions en portant la somme en principal au paiement de laquelle le défendeur devrait être condamné, de 5.592,40 euros à 13.043,51 euros, compte tenu du fait que le remboursement d impôt annoncé pour l exercice d imposition 2001, de 7.451,11 euros, avait été imputé depuis lors par le receveur - comme celui annoncé pour l exercice d imposition 1999 - sur la cotisation à l impôt des sociétés de l exercice d imposition 1994, qui fait l objet d un litige encore toujours pendant devant la cour d appel de Bruxelles (secondes conclusions additionnelles, du 19 juin 2002).
Enfin, dans ses quatrièmes conclusions additionnelles, du 2 janvier 2004, la demanderesse a déclaré renoncer à sa demande relative à l octroi d intérêts moratoires et ne plus solliciter que la condamnation du défendeur au paiement de la somme en principal de 13.043,51 euros. Il lui en sera donné acte, étant entendu que cette renonciation a exclusivement été formulée dans la perspective de l issue du litige pendant devant la cour d appel de Bruxelles, qui, selon la demanderesse, devrait impliquer - en cas d issue favorable - l octroi d intérêts moratoires pour la période de l imputation ou - en cas d issue défavorable - l économie des intérêts de retard pour la même période (conclusions précitées, pp. 4 et 6). Régulièrement introduite par voie de citation et étendue par voie de conclusions sans opposition du défendeur, la demande ainsi circonscrite pourra être déclarée recevable sans qu il y ait lieu de déplorer l absence de recours administratif préalable, un tel recours n ayant pas été organisé par ou en vertu de la loi en matière de recouvrement de l impôt des sociétés. Certes, il convient par ailleurs de respecter au sein du tribunal de céans les compétences particulières reconnues au juge des saisies par l article 1395 du Code judiciaire. L incident relatif à une éventuelle redistribution de la présente cause conformément à l article 88, 2, du même Code n a toutefois pas été soulevé avant tout autre moyen, par l une des parties, ni d office à l ouverture des débats. La présente chambre du tribunal est donc bien appelée à connaître sans restrictions de la contestation dont les parties l ont saisie. II. Discussion Les faits de la cause ne font l objet d aucune contestation entre parties. La contestation soumise au tribunal trouve exclusivement sa source dans l article 166 de l arrêté royal d exécution du CIR 92 et dans l application que le receveur a cru pouvoir en faire en vue d assurer le recouvrement de la cotisation à l impôt des sociétés de l exercice d imposition 1994, d un montant de 49.147,32 euros (1.982.598 anciens francs), établie d office à charge de la demanderesse en mars 1995, sous l article 850809515 du rôle de la commune de Saint-Gilles. Alors que l article 166, paragraphe 1er, de l arrêté royal d exécution du CIR 92 exclut l application des dispositions du Code civil relatives à la compensation à la matière des impôts directs, les paragraphes suivants disposent : " 2. Toute somme à restituer ou à payer à un redevable dans le cadre de l application des dispositions légales en matière d impôts sur les
revenus (...) peut être affectée sans formalités par le receveur des contributions directes à l apurement, conformément à l article 143, des précomptes, des impôts et des taxes y assimilées, en principal, additionnels et accroissements, des intérêts et des frais dus par ce redevable ". " 3. En cas de réclamation, de demande de dégrèvement visée à l article 376 du Code des impôts sur les revenus 1992 ou d action en justice et dans la mesure où il ne s agit pas d une dette certaine et liquide dans le sens de l article 410 du Code des impôts sur les revenus 1992, l affectation prévue par le 2 s opère au titre de mesure conservatoire dans le sens de l article 409 du même Code ". En la présente cause, la demanderesse a introduit plusieurs réclamations contre la cotisation de l exercice d imposition 1994, qui ont fait l objet de décisions directoriales défavorables, lesquelles ont donné lieu à des recours en appel, actuellement pendants devant la cour d appel de Bruxelles. Il n est pas contesté que la quotité incontestablement due de cette cotisation a toujours été nulle, ainsi que le précisait notamment l inspecteur instruisant la première réclamation de la demanderesse, du 14 janvier 1996, dans un document du 26 février 1996 : " j ai prescrit (au receveur) de ne poursuivre PROVISOIREMENT que le recouvrement des sommes ci-après indiquées ", fixées à " 0 " (...) " conformément à l article 410 du Code des impôts sur les revenus 1992, eu égard à l impôt définitivement établi à (la charge de la demanderesse) pour l exercice d imposition 1993 " (pièce 6 de la demanderesse). Il n est pas davantage contesté qu en dépit de l absence de tout incontestablement dû du chef de la cotisation de l exercice d imposition 1994, le receveur a affecté à l apurement de ladite cotisation, le produit du remboursement d autres impôts, en faisant référence à cet effet aux articles 409 et 410 du CIR 92 et à l article 166 de l arrêté royal d exécution (pièces 3 à 5, 9 et 10 de la demanderesse). C est ainsi que le receveur a imputé sur la cotisation contestée de l exercice d imposition 1994, une somme de 5.592,40 euros (225.597 anciens francs) provenant du remboursement de la cotisation à l impôt des sociétés de l exercice d imposition 1999 (art. 801618348) et une somme de 7.451,11 euros provenant de la cotisation de l exercice d imposition 2001 (art. 821646236). Les formulaires n 247 D adressés à la demanderesse le 19 juin 2000 pour la première imputation (pièce 4 de la demanderesse) et le 4 juin 2002 pour la seconde (pièce 10) font chacune état de ce que le "
dégrèvement (concerné) (...) a servi (...) au paiement de l imposition " de l exercice 1994 et annoncent l envoi d un " avis d imputation valant quittance " pour chaque somme imputée. Quant à l avis d imputation relatif à la somme de 5.592,40 euros (225.597 anciens francs), seul produit, il comporte un renvoi à l article 166 de l arrêté royal d exécution du CIR 92 et précise qu il " sert de preuve de paiement du montant repris en case 6 " (" BEF 225.597 " ou " EUR 5.592,40 "). On peut également y lire que le document en question " est donc essentiel pour permettre d établir par la suite que la dette est acquittée en tout ou en partie, même si cette dernière est contestée " (pièce 5). En dépit des termes ainsi utilisés, le défendeur soutient, en termes de conclusions, que si paiement il y a eu, celui-ci n aurait alors, tout au plus, que la valeur d un paiement sous la condition suspensive de la " reconnaissance définitive de la créance fiscale contestée ", créance à l apurement de laquelle les imputations litigieuses étaient censées contribuer, et qu à ce titre, un tel paiement serait conforme à l article 166, 3, de l arrêté royal d exécution. De l avis du défendeur, cette disposition réglementaire aurait en effet conçu, sous le couvert d un système d affectation de sommes, " une mesure conservatoire d un genre nouveau, proche de la saisie-arrêt conservatoire sur soi-même, mais s associant les effets du cantonnement sur exécution provisoire prévu à l article 1404 CJ " (conclusions de synthèse, p. 7). La demanderesse objecte toutefois à bon droit qu en qualifiant de " mesure conservatoire dans le sens de l article 409 " du CIR 92, l affectation effectuée par le receveur, l article 166, 3, de l arrêté royal d exécution n en modifie pas les effets et qu une telle affectation conduit bien à imposer au contribuable, au mépris de l article 410 du CIR 92, le paiement d un impôt contesté. L affectation à l apurement d un impôt resté impayé constitue en effet un mode de paiement dudit impôt, comme cela ressort de l article 143 du même arrêté royal, auquel l article 166, 3, renvoie de par la référence faite à l article 166, 2 (Cass., 10 février 1994, Pas., I, n 74). En ce qu il autorise le receveur à imposer ce mode de paiement au contribuable en toutes circonstances, sans formalités, l article 166, 3, méconnaît ouvertement l article 410 du CIR 92, qui interdit le recouvrement par toutes voies d exécution d une créance d impôt contestée dans la mesure où cette créance est réputée, en vertu de la même disposition, ne pas être certaine et liquide. En conférant au Trésor le droit de se faire payer d autorité, à la faveur d un double paiement abrégé - à l instar de la compensation en droit civil -, une créance d impôt contestée, le Roi a donc manifestement excédé les limites des pouvoirs qu Il tirait de
l article 300 du CIR 92, lequel se bornait à lui confier le soin de déterminer le mode à suivre pour les paiements, les quittances et les poursuites, dans le respect des dispositions du CIR 92 et, notamment, de l article 410 (voy. dans le même sens, J. KIRKPATRICK, note d observations sous Bruxelles, 22 février 2001, J.D.F., 2002, pp. 214 et suiv.; du même auteur, " La compensation entre les dettes d impôts et les créances de restitution d impôts de même nature ", in Mélanges P. VAN OMMMESLAGHE, Bruylant, 2000, pp. 157 et suiv., spéc. n 9). Ce serait ignorer l essence même du mécanisme institué, sans formalités, par l article 166 de l arrêté royal d exécution que de vouloir le comparer - pour tenter d en justifier la légalité - à une saisie-arrêt conservatoire sur soi-même comme prévu, en matière de TVA, par l arrêté royal n 4, pris en exécution de l article 76 du Code de la TVA. Le contenu des formulaires n 247 D et de l avis d imputation dont question ci-dessus confirme, pour autant que de besoin, que loin d être une mesure destinée à garantir le recouvrement ultérieur de l imposition contestée, l affectation mise en oeuvre par le receveur dans le cadre de l article 166 constituait bien, à part entière, un mode d apurement de la cotisation de l exercice d imposition 1994, restée jusque-là impayée. ** ** ** PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL, siégeant en premier ressort, Statuant contradictoirement, Vu la loi du 15 juin 1935 sur l emploi des langues en matière judiciaire; Donne acte à la demanderesse de ce qu elle a renoncé à solliciter du tribunal de céans le paiement d intérêts moratoires sur la somme en principal, de 13.043,51 euros, dont elle réclame le remboursement, eu égard au litige encore toujours pendant devant la cour d appel de Bruxelles en ce qui concerne la cotisation à l impôt des sociétés de l exercice d imposition 1994 (art. 850809515); Reçoit la demande pour le surplus et la déclare fondée; Condamne en conséquence le défendeur à rembourser à la demanderesse la somme totale de 13.043,51 euros, illégalement affectée à l apurement de la cotisation précitée à l impôt des sociétés de l exercice d imposition 1994;
Condamne le défendeur aux dépens de l instance Tribunal: Mme S. GEUBEL, juge unique Note: je mets en gras