Les Monnaies locales sont-elle bien légales? À première vue, les monnaies locales contestent le monopole monétaire de l État, tant sous l angle de l émission que de la fiscalité. Pourtant, tout groupe d individu a le droit de créer une monnaie locale s il respecte le cadre très précis fixé par la loi. Le code monétaire et financier impose plusieurs conditions. Cette monnaie doit circuler «dans un réseau limité de personnes acceptant ces moyens de paiement ou pour un éventail limité de biens ou de services», sur un territoire donné. Ses utilisateurs, les particuliers comme les professionnels, doivent adhérer à l association qui la coordonne. La monnaie locale est utilisée pour échanger des biens ou des services, mais elle ne doit pas être considérée comme un système de paiement au même titre que les établissements de crédit, les banques ou les bureaux de change. Les billets utilisés sont en réalité des coupons d échange, un peu comme les titres-restaurants. Il n y a pas de création de monnaie en tant que telle. Les euros récoltés en échange de la monnaie locale doivent être conservés sur un fonds de réserve, placé auprès d une institution financière. C est la garantie qu à tout moment l ensemble des coupons émis en monnaie locale est reconvertible en euros. GARANTIE PAR UN FONDS DE RÉSERVE «Il ne s agit pas de monnaies à proprement parler, c est-à-dire de monnaies ayant cours légal, mais elles n en sont pas moins, pour certaines, un moyen de paiement encadré par la réglementation bancaire et financière», rappelle l autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) de la Banque de France dans le numéro d avril 2014 de sa revue. Cette autorité apprécie la légalité de chaque projet au cas par cas et dispose d un droit d opposition lorsqu elle estime que les conditions de l exemption à l agrément bancaire ne sont pas remplies. Les transactions effectuées en monnaies locales restent soumises à la législation fiscale et doivent être enregistrées dans le compte de résultat de l entreprise. En revanche, les échanges non marchands de temps ou de savoirs échappent aux prélèvements fiscaux obligatoires. Dans les années 1990, les systèmes d échange locaux (SEL) avaient été mis en cause devant les tribunaux pour travail au noir. La justice ne les a pas
condamnés, considérant qu il s agissait d échanges mineurs, qui n auraient pu avoir lieu dans le cadre du marché. Mais ces échanges doivent rester ponctuels, de courte durée et être assimilés à un «coup de main». Ils n entrent pas dans le cadre d une profession et sont exonérés de TVA et d impôts. La folie bitcoin Il est diabolisé par les uns, encensé par les autres. Le bitcoin est une monnaie complémentaire universelle exclusivement électronique, utilisée pour les transactions sur Internet, un peu comme de l argent liquide virtuel. Sauf que le système est totalement décentralisé et n obéit à aucune instance de contrôle, banque centrale ou gouvernement. Il a été créé début 2009 par un informaticien japonais, connu sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto. La monnaie est gérée par ses propres utilisateurs. Des milliers d individus, appelés les «mineurs», mettent à la disposition du réseau des ordinateurs chargés de vérifier la régularité des transactions. Pour les remercier, une quantité infinitésimale de bitcoins est créée toutes les 10 minutes. Le montant est partagé entre tous les «mineurs», en fonction de la puissance de calcul qu ils offrent au système. Il y avait fin avril 12,6 millions de bitcoins en circulation, pour une valeur de 4 527 milliards d euros. L émission sera plafonnée à 21 millions d unités. Chaque jeton peut être fractionné à l infini pour réduire sa valeur. Les bitcoins s achètent aussi en ligne auprès d un bureau de change et peuvent à tout moment être reconvertis dans la monnaie nationale. Ils se conservent dans un fichier sur l ordinateur personnel ou dans un porte-monnaie électronique sur Internet. Pour chaque transaction, une clé cryptée permet de débiter son compte. Les échanges se font en toute transparence et sont gardés en mémoire, pour éviter les tentatives de fraude.
Mise en garde de la Banque de France Cette monnaie permet d acquérir des biens ou des services sur Internet, jusqu à présent auprès de petits commerçants. Mais les supermarchés Monoprix ont annoncé qu ils accepteraient les bitcoins d ici à la fin de l année. Les transactions se faisant dans un quasi-anonymat, c est aussi une monnaie très prisée par les trafiquants de drogue, les vendeurs d armes et les terroristes. Elle fait surtout l objet de spéculations irrationnelles, d autant plus que son émission est limitée. En dehors de toute régulation, la valeur du bitcoin est très volatile en fonction de l offre et de la demande. Elle a fluctué de 20 euros il y a un an à 900 euros en décembre dernier, pour frôler actuellement les 350 euros. Ces montagnes russes incitent à l épargne. Moins de la moitié des bitcoins émis seraient en circulation. Les gouvernements voient cette monnaie indépendante d un mauvais œil. La Russie l a tout bonnement interdite. La Banque de France a publié, en décembre 2013, une mise en garde sur les monnaies numériques en général et sur le bitcoin en particulier. Elle lui reproche son manque de régulation, l absence totale de contrôle sur l émetteur et les transactions, et le risque encouru pour les petits épargnants, tant sur la fluctuation des cours que sur les attaques des pirates informatiques. En février dernier, MtGox, l une des plus importantes plates-formes d échange, a brutalement déposé le bilan après avoir annoncé la perte de 850 000 bitcoins, pour une valeur de près de 500 millions de dollars. Seules 200 000 unités ont depuis été retrouvées. Pour les autres utilisateurs, c est une perte sèche. L entreprise a été mise en liquidation le 24 avril. Échanger du temps et du savoir au lieu d argent Les systèmes d échange locaux (SEL) fêtent cette année leur vingtième anniversaire. La première structure du genre, inspirée d un modèle canadien, a ouvert en Ariège en 1994. Il en existe aujourd hui près de 500 dans l Hexagone. Ce sont des associations dont les adhérents échangent des biens, des services ou des savoirs. Chacun est à la fois consommateur et producteur, offreur et demandeur. Les échanges se font sans l intermédiaire de l argent, mais selon une
unité propre à chaque SEL : des sourires, des pistaches, des pavés... Cette monnaie fictive, non convertible en euros, est le plus souvent basée sur le temps de service. Un adhérent effectue une heure de dépannage informatique. En échange, il bénéficie d un crédit-temps qu il pourra utiliser auprès d un autre adhérent pour s initier à la guitare ou prendre des cours de cuisine. L ensemble des biens et services proposés sont répertoriés dans un catalogue mis à la disposition des membres. Valoriser les compétences personnelles Le coût temporel de chaque transaction reste négocié librement entre les deux personnes qui concluent la transaction. Mais pour beaucoup d entre elles, il est moins important que le lien social créé. Car l idée de départ est de redonner des possibilités d échanger et de s insérer socialement aux personnes exclues des moyens de paiement classiques. C est aussi l occasion de valoriser des compétences personnelles qui jusqu à présent n étaient pas forcément reconnues. Les accorderies, nées au Québec il y a une dizaine d années, fonctionnent selon un principe identique, tout en s adressant aux habitants d un même quartier. Le réseau s est implanté en France en 2011 avec le soutien de la Fondation Macif. Il existe désormais onze antennes. Pour fonctionner, ces structures doivent reposer sur un nombre assez fourni d adhérents et proposer des activités complémentaires. Et un certain nombre d entre elles se heurtent à cette limite. La pêche sera la première monnaie locale d Ile de France Un différend avec la graphiste chargée de dessiner les billets a retardé le lancement de la pêche de quelques mois. Mais la future monnaie locale de Montreuil, et la première d Île-de-France, devrait permettre d acheter sa baguette ou son bouquet de fleurs d ici quelques semaines. Cette monnaie, dont le nom est lié aux traditions maraîchères de la ville, a été lancée par l association «Montreuil en transition». Cette structure, inscrite dans le mouvement mondial des «villes en transition», recherche des solutions locales de développement durable. Une dizaine de «pêchus» a créé une association spécifique pour gérer le projet.
Avant de pouvoir convertir leurs euros en pêches, les habitants comme les commerçants de la ville devront adhérer à l association. Ils pourront ensuite se rendre à un comptoir de change et obtenir des billets de 1, 2, 5, 10, 20 ou 50 unités, à parité avec l euro. «Ce sera comme une contremarque auprès d une banque éthique, explique Dan-Charles Dahan, l un des pêchus. Pour 100 euros, le particulier recevra 100 pêches. Quatre-vingt-quinze euros seront déposés à la NEF, la société financière coopérative et solidaire qui garantit la valeur des fonds. Trois euros seront reversés à une association locale, choisie par l adhérent parmi plusieurs propositions. Les deux euros restants nous sont reversés pour frais de gestion.» Une fois le change effectué, les particuliers ne pourront plus reconvertir leurs pêches en euros. À eux d inciter leurs commerçants à accepter la nouvelle monnaie. La reconversion en euros sera possible pour les professionnels, mais avec une commission de 5%. Ils récupéreront ainsi la somme garantie par la NEF. «Par ce prélèvement, ils subventionnent les associations locales, poursuit Dan-Charles Dahan. Et nous nous engageons à faire campagne pour que les gens aillent chez eux, c est comme si la pêche était une super carte de fidélité.» La monnaie n étant pas encore en circulation, la plupart des habitants ignorent le projet en gestation et seule une dizaine de commerçants se sont pour l instant montrés intéressés. Beaucoup attendent un premier bilan avant de s engager dans l aventure. LES SUPERMARCHÉS EXCLUS Sophie, fleuriste, est la première à avoir signé un accord définitif avec l association. «Je n ai pas eu à réfléchir, je développe déjà dans la boutique tous les arguments mis en avant par cette monnaie, s enthousiasme- t-elle. Je suis dans les circuits courts puisque je travaille avec des horticulteurs de la région, je propose aussi des cartes postales ou du petit artisanat fait à Montreuil, je fais attention à ma consommation d eau et d énergie. Et avec la pêche, on va retrouver le sens premier du commerce, la création de lien social.» Les grandes décisions concernant cette nouvelle monnaie sont prises de manière démocratique, entre l association et les représentants des utilisateurs et des commerçants. Un point fait l unanimité: pour adhérer, les professionnels doivent respecter une charte de développement durable. «D emblée, nous avons exclu les supermarchés, explique Charles-Dan Dahan. Pour les boutiques de grands réseaux en gérance, nous allons étudier les demandes au cas pas cas, en regardant si les gens sont prêts à changer leurs méthodes
de fonctionnement.» Quant à la municipalité, qui a tout à y gagner, elle a subventionné le projet à hauteur de 30 000 euros. «À Montreuil, il y a un esprit de ville particulier, avec beaucoup d associations et de militants, et c est la taille idéale pour lancer un tel projet, estime le pêchu. Une monnaie locale de confiance, c est un moyen de soutenir l économie du territoire. Ça crée aussi du lien et de la solidarité. Et c est une forme d éducation à ce qu est l argent.»