Le contexte Général du Micro-credit en Tunisie : pauvreté chomage et secteur informel



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Transcription:

Le contexte Général du Micro-credit en Tunisie : pauvreté chomage et secteur informel Etude Azzam MAHJOUB LA PAUVRETE EN TUNISIE Pendant les deux dernières décennies, la Tunisie a consenti des efforts soutenus en matière de réduction de la pauvreté, accompagnés par des résultats tangibles. A l échelle nationale, la population des plus démunis en pourcentage de la population totale (taux de pauvreté) a été en constante diminution : 12,9% en 1980, 4,2% en 2000. Pendant la même période, le nombre de personnes démunies a baissé de plus de la moitié en passant de 823 000 à 399000 entre 1980 et 2000. Dans l espace, la réduction de la pauvreté a beaucoup plus profité au milieu rural où le taux de pauvreté est passé de 14,1% (1980) à 2,9% (2000) soit une amélioration de 11,2 points alors qu au milieu urbain l amélioration n a été que de 6.8 points. Par ailleurs, la pauvreté a été plus aiguë dans le milieu rural, jusqu au renversement de la tendance en 1982. Cette «urbanisation» de la pauvreté serait en partie due à la rapide progression du taux d urbanisation. Le taux de pauvreté diminue plus rapidement en milieu rural ainsi que le nombre des personnes démunies vivant au milieu rural alors que dans l urbain le recul est quelque peu plus lent et s accompagne même d une augmentation du nombre des pauvres pour la période 1985-1995 1. L amélioration des conditions de vie et l allégement de la pauvreté ont toujours été au centre des préoccupations des pouvoirs publics en Tunisie. L État consacre aux secteurs sociaux plus de la moitié de son budget. Les dépenses publiques d éducation et de formation, d intervention dans le domaine social, de soutien aux agriculteurs et au monde rural, de santé publique et de sécurité sociale continuent de représenter environ le cinquième du PIB et n ont pas été affectées ni par les difficultés conjoncturelles ni par les programmes d ajustement structurel. Plusieurs programmes et divers organismes concourent à la lutte contre la pauvreté parmi lesquels Les programmes de soutien à l emploi et à la création de sources de revenus 2. Depuis, comme nous le verrons, depuis 1998 a été créée la Banque Tunisienne de Solidarité dont l objectif est l octroi de micro-crédits en faveur des petits entrepreneurs du secteur informel en particulier (3 à 4 000 dinars tunisiens en moyenne). Plus récemment encore, fin Décembre 1999, a été créé le Fonds National de l Emploi 21-21 contribuant à l assistance pour la création de micro-projets (auto-emploi) et d insertion à la vie professionnelle notamment pour les diplômés du supérieur (le taux de chômage des diplômés du supérieur étant en augmentation sensible). Ces programmes s inscrivent dans ce qu il est convenu d appeler les Politiques Actives de l Emploi (PAE). Avant d aborder ces PAE, il convient de dresser brièvement l état des lieux en matière de chômage, saisir ainsi le rôle et la place du secteur informel [de la micro-entreprise en particulier] et par là déboucher sur la politique gouvernementale du micro-crédit en Tunisie. 1 L INS estime le taux de pauvreté en se basant sur le seuil de la pauvreté représentant le coût d un panier de biens alimentaires et non alimentaires indispensables à la vie. Le panier alimentaire est fixé de sorte qu il satisfasse un apport nutritif d un adulte estimé (en 1980) à 1866 Kg calorie (urbain) et 1830Kcal (rural). Son coût est calculé sur la base des prix de 1980 et est ajusté chaque année en fonction de la variation des prix. A priori, l INS fixe le seuil de pauvreté rural à 50% de celui du milieu urbain; ces seuils étaient respectivement en milieu urbain et milieu rural 120D et 60D en 1980 et 418D et 209D en 2000 par personne et par an. De facto, l INS surestime la pauvreté urbaine par rapport à la pauvreté rurale. 2 Les autres programmes peuvent être classés en trois catégories : 1. Les programmes d aide et d assistance sociale 2. Les programmes d amélioration des conditions et du cadre de vie 3. Les programmes de défense et d intégration sociale. Les autres principaux programmes sont : Le PRD (Programme Régional de Développement), Le PDUI (Programme du Développement Urbain Intégré), Le PDRI (Programme du Développement Rural Intégré), Les chantiers nationaux et régionaux et le Programme des chantiers nationaux du développement, Les Fonds d insertion dans la vie active Le Fonds National de Promotion de l Artisanat et des petits Métiers FONAPRA Le Fonds National de Solidarité, (appelé 26-26) 1

EMPLOI ET CHOMAGE La structure de la projection de la population par tranche d âge établie par l Institut National des Statistiques montre un prolongement des tendances démographiques aujourd hui constatées : Une réduction de la tranche 0 14 ans qui passera de 26,5% en 2004 à 17,3% en 2029. Une augmentation de la catégorie des personnes âgées 60 ans et plus dont la part évaluera de 9,5% en 2004 à 10,8% en 2014 et 17,7% en 2029. Enfin, la classe d âge 15-59 ans connaîtra une évolution plus nuancée. Sa part aujourd hui de 64,9% culminera à 69% en 2014 et atteindra 64,9% en 2029. Ainsi l économie sera sollicitée davantage en termes de création d emploi pour absorber une demande additionnelle croissante jusqu à 2014. En 2004, selon le Recensement Général de la Population (RGP), la population active a atteint 3.322.600 actifs [15 ans et plus]. L accroissement annuel moyen a été de 1,85% entre 1994 et 2004 contre 2,6% entre 1984-1994. En dépit de cette décélération, la population active augmente à un rythme plus rapide que celui de la population totale [1,85% contre 1,22%]. La population active féminine s est accrue fortement 3,08% contre seulement 1,44% pour les hommes. Le taux d activité des hommes a connu une baisse entre 1994 et 2004 respectivement de 78,8% à 67,8%, à l inverse de celui des femmes qui est passé de 22,8% à 24,2% entre les deux dates. En dépit de cette croissance économique de la population active féminine, les femmes ne représentent que 26,6% de la population active totale [23,6% en 1999] contre 73,4% [76,4% en 1994]. La population active occupée, selon le RGP est estimée à 2.854.700 en 2004 [74,3% hommes et 25,7% femmes]. La demande additionnelle d emploi pour la population active est estimée à 674.900 actifs pour la tranche d âge 18-59 ans entre 1994 et 2004, soit un effectif moyen de 67200 actifs dont 60% hommes et 40% femmes. La création annuelle moyenne d emplois a été de 53.400 soit un taux de couverture de la demande additionnelle d emploi de 78,9% : 82,2% pour les hommes et 72,6% pour les femmes. Les données du Ministère du Développement permettent de mieux saisir l évolution du taux de couverture depuis le 8 ème Plan 1992-1996. En effet, comme le montre le tableau suivant, la demande additionnelle s est accrue de 62.600 à 70.000 et à 82.800 entre les période 1992-95, 1997-2002 et 2002-2004 ; les créations d emplois n ont pu en dépit de la hausse récente couvrir cette demande additionnelle : 89,4%, 91,9% et 81,8% respectivement pour les 3 périodes. 8 ème Plan 9 ème Plan 2002-2004 Création d emplois 65.000 64.000 67.300 Demande 62.600 70.000 82.200 additionnelle Taux de couverture 89,4% 91,4% 81,8% Selon l INS, le taux de chômage en 1994 a été de 15,6%, 15,8% en 1999 et 15% en 2001. L enquête de 2001 montre que le taux de chômage est de 15,9% pour les femmes et 15,1% pour les hommes. En 2001, les chômeurs [4448.900] se répartissent à raison de 75,7% pour les hommes et 24,3% pour les femmes. Le taux de chômage est particulièrement très élevé pour les tranches d âge : 15-19 ans et 20-29 ans respectivement 34,1% et 25,3%. 50,7% des chômeurs recensés sont âgés de 20-29 ans. De plus le taux de chômage est plus élevé parmi les plus instruits. Alors qu il est de 9,6% et 9,5% pour les analphabètes et ceux ayant un niveau primaire incomplet, il est de 10,7% pour ceux qui ont un niveau supérieur, 17% pour ceux ayant le niveau secondaire et 17,5% pour le niveau primaire complet. L évolution entre 1997 et 2001 montre que les chômeurs ayant le niveau du supérieur ont vu leurs poids doublé 3,61% à 6,33%, suivis par ceux ayant le niveau de secondaire 30,8% et 35,7%. L évolution depuis 2002 est difficile à cerner car l INS a changé de méthodologie aussi les chiffres annoncés à la baisse du taux de chômage [y compris dans le RGP] sont difficiles à interpréter dans la mesure où comme déjà souligné, le taux de couverture de la demande additionnelle a baissé entre 2002 2004 et 1997-2001 [81,8% contre 91,4%]. Toutefois, le RGP montre aussi que : le nombre de chômeurs a augmenté entre 1994 et 2004 : 432.900 contre 378.700 même si le taux de chômage [avec la nouvelle méthodologie] affiche une baisse de 15,6% à 13,9% ; le taux de chômage est plus élevé chez les femmes 16,7% que chez les hommes 12,9% ; le taux de chômage pour ceux qui ayant le niveau du supérieur est passé de 3,8% en 1996 à 20,2% en 2004 et qu ils représentent 9,4% du total des chômeurs contre 1,6% seulement en 1994. La part de ceux ayant le niveau de secondaire a aussi augmenté passant de 26,2% à 36,9% entre 1994 et 2004. Le taux de chômage accuse des disparités fortes selon les régions. En effet, la répartition géographique des chômeurs en 2004 montre des écarts importants entre régions et entre milieux. Les régions du nord 2

ouest, du centre ouest et du sud ayant des taux de chômage supérieurs à la moyenne nationale [ces taux sont respectivement pour certains gouvernorats qui sont particulièrement touchés : Le Kef : 21,9% ; Siliana : 17,8% ; Kasserine : 20,9% ; Gafsa : 21% ; Jendouba : 20,4% ; Zaghouan : 21,1%]. Du reste, le chômage rural reste situer à un niveau plus élevé que le chômage urbain. Le taux de chômage en 2004 au niveau national est de 13,9%. En résumé, le chômage en Tunisie est un phénomène structurel. Il serait autour de 15%. Il persiste en dépit d une croissance économique situé à 5,2% au cours des 40 dernières années. Il touche plus les femmes que les hommes, les jeunes, les plus instruits et les régions de l intérieur en particulier. LE SECTEUR INFORMEL Le secteur informel est de fait une composante importante de la population active occupée et il contribue, d une manière non négligeable, dans l absorption de la demande additionnelle d emploi selon l INS. Le secteur informel en Tunisie comprend les travailleurs indépendants, les microentreprises familiales [donc avec aides familiaux] et les micro-entreprises employant moins de 10 emplois dans l industrie et les services et moins de 5 emplois dans le commerce. Le recensement de 1994 montre que les indépendants représentent 20% de la population active occupée et les aides familiaux 5,7% soit un total de 25,7%. La dernière enquête (1996) de l INS sur les entreprises en Tunisie, montre que les entreprises de moins de 10 salariés sont très largement dominantes (en excluant les entreprises de 6 à 9 emplois dans le commerce), le nombre des micro-entreprises serait de 37461 soit 81,5% du total. Le paysage économique est donc fortement marqué par la micro-entreprise en Tunisie. Le tableau suivant récapitule les estimations effectuées depuis 1975. En 20 ans, le secteur informel a contribué à créer près de 22 000 emplois par an (10 000 durant la période 1975-80, 22 000 entre 1980 et 1989, et 49 700 de 1989 à 1995). En proportion de la population active occupée non agricole, il est passé de 38,4 % à 48,7 % entre 1975 et 1994-96, après avoir diminué entre 1975 et 1980. Evolution de l emploi informel en Tunisie de 1975 à 1994-96. 1975 1980 1989 1994-96 Effectifs 329100 380200 577900 876390* En % de la 38,4 36,0 39,3 48,7* population occupée non agricole % microentreprises 54,7 36,4 42,5 61,7** % industries manufacturières 42,6 40,2 30,0 25,3 * Sans les pluri-actifs. ** Cette proportion tombe à 50,2% si l on exclut les salariés enregistrés. Source : INS En l absence de données récentes, on peut toutefois raisonnablement avancer que le secteur informel a connu une expansion certaine au cours de la décennie passée, car le marché de travail connaît depuis une mutation fondamentale, à savoir le développement du travail indépendant (lié à la micro-entreprise et au secteur informel), avec un rétrécissement progressif du travail salarié en général et la fonction publique en particulier. L Etat, comme nous allons le voir à travers les politiques actives d emploi et la multiplication des programmes de promotion des micro-entreprises a fait du développement du travail indépendant (via la microfinance) un axe majeur et son action de régulation du marché de travail. Ainsi il est indéniable que le secteur informel représente aujourd hui un mécanisme essentiel dans la régulation du marché du travail et ce rôle est appelé à se confirmer encore plus, compte tenu des perspectives démographiques et aussi économiques à savoir l ajustement au libre échange régional (avec l UE en particulier) et mondial dans le cadre de l OMC. LA POLITIQUE DE L EMPLOI ET LE MICRO-CREDIT 3 La politique de l emploi comprend deux composantes majeures interdépendantes. (1) Les politiques macro-économiques et d accompagnement. (2) Les politiques actives d emploi. La première composante intègre : 3 Les données relatives aux PAE sont tirées de l étude du PNUD : Mohamed Salah Redjeb : «L intermédiation sur le marché du travail en Tunisie», 2004 3

une politique de croissance ; une politique de modernisation de l appareil productif et de dynamisation du secteur privé ; une politique de valorisation et de développement des ressources humaines. La deuxième composante a trait à ce qu il est convenu d appeler les politiques actives d emploi (PAE). Cette deuxième composante est importante tant elle est au cœur de l action des pouvoirs publics. En effet, les politiques actives d emploi en Tunisie constituent le principal instrument d intervention des pouvoirs publics pour aider les chômeurs et les primo-demandeurs d emploi à s insérer dans le marché du travail. Les dépenses couvrent un grand nombre de programmes gérés par différentes institutions. La Tunisie consacre des moyens relativement importants à sa politique active de l emploi : 455 MDT en 2002 soit 1,5 du PIB. Le X ième Plan prévoit une enveloppe globale de 2350 MDT environ contre 1716 MDT pour le X ième Plan. Plus de 65% de ces dépenses concernent les emplois subventionnés et la création d emplois. Les dépenses ciblées aux jeunes [stages formation insertion, formation professionnelle] accaparent environ 28% du total des dépenses. Plusieurs intermédiaires interviennent dans la mise en œuvre des PAE. Ces intermédiaires peuvent être classés en 3 catégories : (1) les intermédiaires chargés directement du marché de l emploi : l Agence Nationale de l Emploi et du Travail Indépendant (ANETI) et la Direction Générale de l Inspection du Travail. (2) Les institutions de financement des programmes d emploi : la Banque Tunisienne de Solidarité (BTS), le Fonds National de l Emploi (FNE 21-21). (3) Les institutions de formation professionnelle : l Agence Tunisienne de Formation Professionnelle (ATFP), les écoles de formation professionnelle dans l hôtellerie et la santé publique, les centres de formation professionnelle dans l agriculture et la pêche et les centres privés de formation professionnelle. Les programmes des PAE en Tunisie peuvent aussi être classés en trois catégories : Les programmes liés à la formation insertion : ces programmes concernent les stages d initiation à la vie professionnelle (SIVP), les contrats emploi formation (CEF) et les instruments du fonds d insertion et d adaptation professionnelle (FIAP). Les programmes de promotion des micro-entreprises : ces programmes agissent indirectement sur l emploi en développant la demande de travail par les entreprises. Les programmes de formation professionnelle initiale et continue : ces programmes concernent la formation initiale pour les primo-demandeurs d emploi afin d augmenter leurs chances de trouver un emploi ainsi que la formation continue afin d améliorer les qualifications du personnel et d augmenter la compétitivité des entreprises. LES INSTITUIONS DE FINANCEMENT DES PROGRAMMES D EMPLOI PAR LE MICRO- CREDIT Créée en 1997, la BTS est une banque de dépôt régie par la loi bancaire tunisienne et soumise à la réglementation prudentielle. Son capital est de 40 MD dont 54% provient de l Etat et des entreprises publiques. La BTS est la première banque du point de vue assise populaire de son actionnariat. Son capital est détenu par plus de 220000 actionnaires particuliers. L objectif principal de cette banque est de faciliter l accès au micro-crédit pour les petits promoteurs ne disposant pas de garanties bancaires. Son intervention touche des projets créateurs d emplois dans différents secteurs de l économie et dans toutes les régions 4. Le caractère social de l activité de la BTS se manifeste à travers l octroi de crédits à des taux d intérêt bonifiés à une population qui ne possède pas les garanties nécessaires exigées par une banque ordinaire. La BTS gère aussi une ligne de crédit réservée aux ONG autorisés à accorder des micro-crédits. Elle approuve les programmes proposés par les ONG, fait le suivi de la réalisation de ces programmes et assure la formation, l encadrement et l assistance des agents des ONG. Le FNE est créé en 1999. Son budget est de l ordre de 80 MD. Un délégué est chargé du fonds auprès de chaque gouvernorat. Le fonds agit dans le cadre de convention établi avec des ministères et certaines entreprises publiques. Le FNE finance des actions ayant pour objectifs l amélioration de l employabilité d individus à la recherche d emploi (formation, encouragement à la création d entreprises, stimulation de l esprit d initiative). La population cible est constituée par les chômeurs de tous les niveaux et particulièrement les diplômés de l enseignement supérieur. Parmi ces derniers fonds accorde la priorité au «noyau dur» c est-à-dire les diplômés avec des spécialités peu demandées sur le marché du travail (lettres, sciences sociales, sciences juridiques). Comme la BTS, le FNE a un caractère social prononcé. 4 La BTS possède un réseau de 24 agences installées dans les chefs lieux des gouvernorats. Elle agit dans le cadre de conventions de partenariat avec différentes structures d appui concernées par le domaine de la microentreprise : organismes nationaux, programmes de développement, ONG, 4

La banque tunisienne de solidarité BTS 5 Depuis son entrée en activité en mars 1998 et jusqu à octobre 2004, la Banque tunisienne de solidarité (BTS) a financé 73115 projets dont 21529 projets approuvés par le Fond National pour l Emploi 21-21. Le coût total de ces projets s élève à 425,17 MD dont 71% sont constitués par le financement de la BTS. Les intentions d emplois à créer sont de 105213 soit 1,4 emplois par projet. Le crédit moyen de la BTS s élève à 4105 DT par projet. Au plan régional, la répartition des projets financés par la BTS donne 37,1% pour le Nord-Est, 21,1% pour le Centre-Est et 11% pour le Sud-Est. Les régions de l intérieur Nord-Ouest, Centre-Ouest et Sud- Ouest ont accueilli le tiers seulement de projets (11% chacune). En terme de niveau d instruction des bénéficiaires, 40% avaient le niveau primaire, 43,5% le secondaire et 12,5% le supérieur. Les femmes ont représente 31% des clients et les hommes 69%. La majeure partie des projets est située dans les petits métiers et les services avec respectivement 42,6% et 36,2% des projets. Quant à l agriculture, elle occupe la troisième place avec une part de 16%. Seuls 5,4% des projets concernent le secteur de l artisanat. Année Emplois créés La BTS Nombre de projets Coût moyen d un projet (en MD) Emploi par projet 1998 11142 7298 4.083 1,526 1999 21137 14792 3.610 1,428 2000 19251 14552 3.380 1,322 2001 17492 12239 3.415 1,429 2002 15705 10186 5.065 1,541 2003 10218 7378 5.543 1,384 2004 10031 6563 5.075 1,528 TOTAL 105213 73115 4.105 1,439 Source : BTS Le nombre de projets a décliné de plus que la moitié entre 2000 (14552) et 2004 (seulement 6563). Les intentions de création d emplois pour l ensemble des projets financés par la BTS est d environ 15000 par an en moyenne entre 1998 et 2004. Ces intentions de création d emplois ont été divisées par 2 entre 1999 2000 [20194] et 2003-2004 [20242]. Le Fond national de l emploi : Fond 21-21 Dans le domaine de la promotion de la micro-entreprise, le fond 21-21 intervient essentiellement à travers : Le programme 18 : il comporte deux instruments. Un instrument destiné à ceux ayant au moins le niveau de la 9 ème année de l école de base pour la création de microprojets ; pour un financement ne dépassant pas 10.000 dinars avec la possibilité d une majoration de 10.000DT supplémentaires. Un deuxième instrument destiné aux diplômés du supérieur et pour la création avec un coût total allant jusqu à 50.000 DT selon l activité. Ce programme est financé par la Banque Tunisienne de Solidarité. Le programme 19 : Il constitue en l octroi d un micro-crédit, de montant ne dépassant pas les 2.000 DT, pour la création d une source de revenu dans tous les domaines économiques. Ce programme est destiné à ceux ayant au moins le niveau de la 9 ème année de l enseignement de base. Le programme 32 : il est orienté vers les projets pour «la propreté et la protection de l environnement» dans le cadre d un contrat de sous-traitance avec les municipalités. Ce programme est destiné aux promoteurs ayant au moins le niveau du baccalauréat et sont financés à travers le programme 18. Depuis sa création en octobre 1999 et jusqu à fin octobre 2004, le nombre total de projets approuvés par le Fond National pour l emploi et financés par la Banque Tunisienne de Solidarité, totalise les 21529 dont 34% seulement sont crées par des promoteurs femmes. La répartition de ces projets selon le niveau d instruction des promoteurs indique qu environ la moitié d entre eux correspond à des promoteurs ayant le niveau de secondaire : 38,9% le niveau du primaire et 8% sont diplômés du supérieur. 5 Toutes les données relatives à la BTS et au FNE ont été tirées de l étude du PNUD : La promotion de la micro entreprise et la création d emplois en Tunisie», Lotfi BENNOUR 5 & Mokhtar KOUKI 5, Rapport préliminaire, avril 2005 5

La répartition sectorielle montre que les petits métiers et les services représentent respectivement 46,5% et 37,2% suivis par l agriculture et les services qui occupent respectivement 10,3% et 6% des projets. Les intentions d emplois relatives à ces projets représentent 33139 emplois, soit en moyenne 1,5 emplois par projet. Selon l étude citée du PNUD portant sur l intermédiation dans le marché du travail (M.S. Redjeb, 2004), les politiques d emploi en Tunisie présentent entre autre limites et incohérences : (1) Les avantages accordés sont inégalement répartis au sein de la population ciblée par les politiques d emploi : ces politiques tendent à favoriser les jeunes, notamment les jeunes diplômés alors que la majorité des chômeurs ont une éducation secondaire ou primaire. Les autres catégories de la population cible comme les travailleurs licenciés, les travailleurs désavantagés ou à risque profitent peu des dépenses d encouragement à l emploi. (2) La plupart des intermédiaires sur le marché du travail sont concentrés dans les zones urbaines alors que le taux de chômage est plus élevé dans les zones rurales. (3) Le système d intermédiation se caractérise par une multiplicité des intermédiaires et un chevauchement de leurs missions. Cette situation implique un surcoût sur le plan administratif. En plus elle complique la relation entre les clients [demandeurs et offreurs d emplois] et l administration. 6