Facteurs pronostiques des cancers avancés du pancréas. Analyse multifactorielle et score prédictif de survie



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Transcription:

Ann Chir 2000 ; 125 : 625-30 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0003394400002522/FLA Article original Facteurs pronostiques des cancers avancés du pancréas. Analyse multifactorielle et score prédictif de survie B. Trigui 1, A. Barrier 1, A. Flahault 2, M. Huguier 1 * et les associations universitaires de recherche en chirurgie 1 Service de chirurgie digestive, hôpital Tenon, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France ; 2 unité de biostatistiques, hôpital Tenon, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France RÉSUMÉ But de l étude : Identifier les facteurs pronostiques des cancers avancés du pancréas exocrine et établir un score prédictif de survie. Patients et méthode : Cette étude multicentrique a porté sur 166 malades ayant un cancer du pancréas exocrine confirmé par un examen anatomopathologique et a consisté en un recueil prospectif de 17 covariables. Les covariables associées à la survie (p < 0,10) ont été incluses dans un modèle de Cox. Résultats : Quatre facteurs pronostiques ont été identifiés par l analyse multivariée : la présence de douleurs (risque relatif de 1,5 ; intervalle de confiance : 1,1 2,0), d une ascite (risque relatif de 1,7 ; intervalle de confiance : 1,0 2,9), d un amaigrissement de plus de 10 kg (risque relatif de 1,4 ; intervalle de confiance : 1,0 2,0), et de métastases (risque relatif de 2,3 : intervalle de confiance 1,6 3,2). Un score prédictif a pu être proposé en attribuant 1 à la présence de douleur, d ascite et d amaigrissement et 2 à la présence de métastases. Pour un score supérieur à deux, la médiane de survie était de deux mois (écart type : 0,5) ; pour un score égal ou inférieur à deux, la médiane de survie était de six mois (écart type : 0,6) (Log rank p < 0,0001). Conclusion : Le calcul de ce score chez ces patients devrait permettre d apporter des éléments dans la décision thérapeutique, concernant l indication opératoire, la chimiothérapie palliative et/ou la radiothérapie. L utilité pronostique de ce score demande encore une validation sur une série indépendante. 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS cancer du pancréas / chirurgie / chimiothérapie / radiothérapie / traitement ABSTRACT Prognostic factors in advanced pancreatic carcinoma. Multivariate analysis and predictive score of survival. Study aim: To identify prognostic factors in advanced pancreatic cancer and to define a predictive score. Patients and method: One hundred and sixty six patients were included in this multicentre study. Seventeen covariables were prospectively collected for each patient. Covariables associated with survival (p < 0.10) were analysed by a stepwise Cox model. Results: Four prognostic factors were selected on multivariate analysis: pain (RR 1.5; CI: 1.1-2.0), ascites (RR 1.7; CI: 1.0-2.9), weight loss > 10 kg (RR 1.4; CI: 1.0-2.0), and metastases (RR 2.3: CI: 1.6-3.2). A score was defined by attributing a value of one for pain, ascites and weight loss, and two for metastases. Patients with a score > 2 had a median survival of 2 months (SE: 0.5), and patients with a score <2 had a median survival of 6 months (SE: 0.6) (Logrank p < 0.0001). Conclusion: The proposed score may be helpful in therapeutic decisions concerning surgery, palliative chemotherapy and/or radiotherapy. However, this score must be validated on an independent series of patients. 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS chemotherapy / pancreatic neoplasms / radiotherapy / surgery / therapy Reçu le 2 mai 2000 ; accepté le 20 juin 2000. *Correspondance et tirés à part.

626 B. Trigui et al. La plupart des études sur les facteurs pronostiques des cancers du pancréas exocrine concernent les malades dont le cancer a été réséqué, qui sont en minorité [1-3]. En effet, près de 30 % des malades ne sont pas opérés et parmi les opérés, 55 à 70 % n ont pas de résection de leur tumeur [4-7]. En l absence d exérèse du cancer, la survie des malades est très brève, de l ordre de huit mois après chirurgie palliative [5, 8]. Dans ces cas, la connaissance des facteurs pronostiques chez des malades qui n ont pas de facteurs de risque opératoire mais une probabilité de survie particulièrement brève, permettrait de ne pas obérer cette survie par une intervention chirurgicale et l hospitalisation qu elle nécessite. De plus, dans une préoccupation similaire, l indication ou le choix des traitements complémentaires, chimiothérapie, radiothérapie ou association des deux, devrait tenir compte de la durée de survie prévisible des malades. Le but de cette étude était de chercher, chez des malades qui avaient un cancer du pancréas exocrine et qui n ont pas eu d exérèse à visée curative, les variables indépendamment liées à leur pronostic et de proposer un score prédictif de survie. PATIENTS ET MÉTHODE Cette étude prospective, multicentrique a été réalisée par 25 équipes hospitalières françaises. Elle a reposé sur les données recueillies chez 166 malades qui avaient été inclus de novembre 1987 à décembre 1988 dans un essai randomisé sur l hormonothérapie [9]. Tous les malades avaient un adénocarcinome du pancréas confirmé par une biopsie chirurgicale ou transcutanée de la tumeur (93 cas, soit 56 %) ou de métastase hépatique (38 cas, soit 23 %) ou de nodule(s) de carcinose péritonéale (35 cas, soit 21 %) et/ou d adénopathie (28 cas, soit 17 %). Les tumeurs endocrines, les ampullomes et les cholangiocarcinomes ont été exclus. Seuls ont été inclus des malades qui n ont pas eu d exérèse à visée curative. Il y avait 104 hommes (63 %) et 62 femmes (37 %). Leur âge moyen était de 65 ans (extrêmes : 26 84 ans). La tumeur siégeait le plus souvent dans la tête du pancréas (98 cas, soit 59 %), plus rarement dans l isthme ou le corps (25 cas, soit 15 %) ou dans la queue du pancréas (9 cas, soit 5 %). Elle intéressait deux segments du pancréas chez 31 malades (19 %) et était diffuse chez trois malades (2 %). Elle mesurait en moyenne 4,3 cm (extrêmes : 2 16 cm). Il existait des métastases chez 89 malades (54 %), le plus souvent hépatiques (58 cas, soit 35 %), plus rarement péritonéales (15 cas, soit 9 %), ou les deux (16 cas, soit 10 %). Dix malades (6 %) n ont pas été opérés. Les autres ont eu des dérivations biliaires et/ou digestives (115 cas, soit 69 %), une splanchnicectomie isolée (19 cas, soit 12 %), une laparotomie simple (13 cas, soit 8 %), ou une exérèse palliative (9 cas, soit 5 %). Dix-sept covariables ont étéétudiées (tableau I).Il s agissait de huit covariables cliniques : le sexe, l âge, les antécédents de diabète (39 patients, soit 24 %), l existence de douleurs (83 patients, soit 50 %), d un ictère (82 patients, soit 51 %), d une ascite (17 patients, soit 10 %), d un amaigrissement inférieur ou supérieur à 10 kg (amaigrissement moyen de 12,5 kg ; extrêmes de 0 à 46 kg), de l indice de Karnofsky (< 1 chez 128 patients, soit 77 %, et de 1 à 4 chez 38 patients, soit 23 %). Les quatre covariables liées à l extension du cancer étudiées ont été la taille de la tumeur ( 4 cm chez 100 patients, soit 60 %), la localisation du cancer, l existence de métastases (89 patients, soit 54 %), et d adénopathies (97 patients, soit 58 %). Les cinq covariables biologiques étudiées ont été la protéinémie (supérieure ou non à 64 g/l), la créatininémie (supérieure ou non à 76 mmol/l), la bilirubinémie (supérieure ou non à 83 mmol/l), le CA 19-9 (supérieur ou non à 442 UI/L), le Ca 125 (supérieur ou non à 120 UI/L). Les covariables quantitatives (âge, taille de la tumeur, et covariables biologiques), ont été discrétisées en retenant comme seuil les valeurs médianes. Les liens entre les covariables et la survie de Kaplan-Meier ont étéétudiés par le test du Log rank. Les covariables associées à la survie (p 0,10) ont ensuite été incluses dans une analyse multivariée pas-à-pas descendante en utilisant le modèle de Cox. Les résultats ont été exprimés en risques relatifs avec leurs intervalles de confiance à 95 %. Enfin, un score pronostique a été proposé en utilisant la valeur arrondie la plus proche du rapport des coefficients de la régression du modèle de Cox, divisé par leur écart type. RÉSULTATS Le tableau I montre les résultats de l étude univariée. Sur les 17 covariables étudiées, sept étaient de

Pronostic des cancers avancés du pancréas 627 Tableau I. Résultats de l étude univariée. Nombre de malades Survie P (log rank) Médiane (mois) Écart type (95 %) Sexe Masculin 62 4 0,6 0,84 Féminin 104 4 0,5 Âge (ans) < 65 83 4 0,5 0,63 65 83 4 0,6 Diabète Non 127 4 0,6 0,85 Oui 39 4 0,4 Douleur Non 83 5 0,7 0,01 Oui 83 3 0,5 Ictère Non 84 3 0,5 0,02 Oui 82 5 0,8 Ascite Non 149 4 0,4 < 0,01 Oui 17 2 1,4 Amaigrissement (Kg) < 10 86 5 0,5 0,10 10 80 3 0,8 Karnofsky 1 128 4 0,4 0,48 > 1 38 2 1,0 Localisation du cancer Tête 96 5 0,7 < 0,01 Autre 70 3 0,7 Adénopathies Non 69 5 0,7 0,012 Oui 97 4 0,4 Taille de la tumeur 4 100 5 0,5 0,31 (cm) > 4 66 3 0,5 Métastases Non 77 6 0,6 < 0,0001 Oui 89 3 0,5 Protéinémie (g/l) < 64 87 4 0,5 0,28 64 79 4 0,6 Créatinémie (mmol/l) < 76 86 4 0,5 0,75 76 80 4 0,5 Bilirubinémie < 83 83 4 0,5 0,10 (mmol/l) 83 83 4 0,5 Ca 19-9(U/ml < 442 82 5 0,6 0,02 442 84 3 0,2 Ca 125 (U/ml) < 120 83 5 0,6 0,28 120 83 3 0,6 mauvais pronostic (p < 0,05). Il s agissait, par ordre décroissant de signification : des métastases, d une localisation non céphalique de la tumeur, de l ascite, des douleurs, des adénopathies, d un ictère, et de l élévation du CA 19-9. Deux autres covariables l amaigrissement, et la bilirubinémie (p = 0,10) ont été incluses dans le modèle de Cox. Le tableau II montre les résultats de l étude multivariée. Quatre covariables étaient liées (p < 0,05) à un mauvais pronostic : un amaigrissement supérieur à 10 kg, des douleurs, une ascite, et des métastases. Les durées médianes de survie étaient de deux mois en cas d ascite, et de trois mois en présence de l une ou l autre des trois autres covariables. Le score pronostique obtenu était le suivant, en affectant la valeur 0 en l absence du signe et de 1 en sa présence : Score = [2,2 amaigrissement] + [2,3 douleur] + [2,1 ascite] + [4,8 métastases] Ce score a été simplifié en divisant par deux le coefficient affecté àchaque variable, et en arrondissant ce coefficient à la valeur entière la plus proche. La valeur médiane du score des 166 malades était de 2. Elle a été choisie comme valeur seuil pour la discrétisation. La figure 1 montre la courbe de survie des malades qui avaient un score égal ou inférieur à 2(médiane de survie : six mois ; écart type : 0,6) et

628 B. Trigui et al. Tableau II. Résultats de l étude multivariée (modèle de Cox, pas à pas descendant). Risque relatif celle des malades qui avaient un score supérieur à 2 (médiane de survie : deux mois, écart type : 0,5). DISCUSSION Intervalle de confiance (95 %) Amaigrissement > 10 kg 1,4 1,0 2,0 0,03 Douleur 1,5 1,1 2,0 0,02 Ascite 1,7 1,0 2,9 0,05 Métastases 2,3 1,6 3,2 < 0,0001 Figure 1. Courbes de survie des malades en fonction de la valeur du score calculé (p < 0,0001). Cette étude, concernant 166 malades qui avaient un cancer du pancréas exocrine prouvé par un examen anatomopathologique et qui n ont pas eu de résection à visée curative, a permis d élaborer un score pronostique de survie reposant sur quatre paramètres : l amaigrissement, la présence de douleurs, d une ascite, et de métastases. Dans les études sur le cancer du pancréas exocrine, il est nécessaire de disposer d une confirmation anatomopathologique ou à défaut de données évolutives, compte tenu de la difficulté qu il peut y avoir à différencier un cancer du pancréas d une pancréatite chronique ou d un autre type de tumeur maligne pancréatique même si, en pratique, le problème ne se pose que rarement [10]. Dans cette étude prospective multicentrique, n ont été retenues que des covariables qui pouvaient être p facilement recueillies. Cela explique l absence de données manquantes. Pour les covariables quantitatives, le choix comme valeur seuil de la valeur médiane de l ensemble de la population étudiée est habituel et pragmatique : il permet de proposer des scores d expression simple. Une seule variable, le CA 19-9 statistiquement liée à la survie en étude univariée (p = 0,02) n était pas significative en étude multivariée. Réciproquement, l étude multivariée a montré que l amaigrissement de plus de 10 kg était un facteur de mauvais pronostic indépendant alors que son degré de significativité dans l étude univariée était de 0,10. Les variables indépendantes de mauvais pronostic qui ont été trouvées, sont médicalement cohérentes, qu il s agisse des métastases, de l ascite, ou de l amaigrissement. Le caractère péjoratif des douleurs a été observé dans une autre étude multivariée [11]. Lorsqu elles ont une irradiation postérieure, elles traduisent l extension locorégionale du cancer, ce qui diffère d une irradiation vers l hypocondre gauche qui peut évoquer une pancréatite en amont d un cancer. Dans le questionnaire qui a servi de base de données à cette étude, il n y avait pas d élément permettant de faire cette distinction, parfois difficile àétablir. Parmi les classifications des cancers du pancréas exocrine, la classification TNM qui aboutit à des stades, a l avantage d être relativement simple, mais elle est empirique [12]. Elle ne tient compte que de trois variables : la taille (T) de la tumeur qui est souvent difficile à mesurer de façon précise dans ces cancers, l existence de métastases ganglionnaires (N) qui sont difficiles à affirmer si les malades ne sont pas opérés, et les métastases viscérales (M). De plus, ces trois variables sont dépendantes les unes des autres. Ainsi, dans notre étude univariée, la taille de la tumeur n était pas liée au pronostic, et dans l analyse multivariée les métastases ganglionnaires n étaient pas retenues. Seule, des trois covariables de la classification TNM, la présence de métastases viscérales était de mauvais pronostic. Réciproquement, la classification TNM ne tient pas compte d autres variables, notamment cliniques ou biologiques. Or, trois des quatre covariables sélectionnées par le modèle de Cox ne sont pas prises en compte par la classification TNM : l amaigrissement, les douleurs, l ascite. Cet exemple montre les limites des classifications empiriques qui reposent sur quelques variables sélectionnées a priori et l intérêt des

Pronostic des cancers avancés du pancréas 629 études multifactorielles pour établir une classification basée sur un score pronostique. Encore est-il souhaitable que celles-ci soient faites avec des covariables relativement faciles à recueillir si l on veut que le modèle proposé puisse être facilement et donc largement adopté. Dans ce même but, il est souhaitable de proposer des scores prédictifs simples ou simplifiés afin que le gain en précision par rapport aux modèles empiriques ne soit pas contrebalancé par une trop grande complexité. Il se trouve que le score auquel cette étude a abouti, est simple à calculer. La connaissance des facteurs de pronostic et l élaboration de scores sont surtout intéressantes si elles ont un impact décisionnel, ce qui est le cas chez les malades qui ont un cancer du pancréas exocrine. En effet, une fois le diagnostic fait, la connaissance des probabilités de survie contribue à mieux identifier les malades qui tireront à priori bénéfice d une intervention chirurgicale [13]. Cela implique que les covariables qui ont une valeur pronostique puissent être appréciées avant toute intervention chirurgicale. Cela est le cas de trois des quatre covariables de notre étude : la notion d un amaigrissement récent au moment du diagnostic, les douleurs, et l ascite au moment de l examen clinique. En revanche, les métastases peuvent être plus difficiles à détecter par les examens morphologiques préopératoires, notamment de petites métastases hépatiques, et des métastases péritonéales en l absence d ascite. L importance décisionnelle de leur dépistage justifie de faire systématiquement une laparoscopie à tous les malades chez lesquels les examens morphologiques n ont pas dépisté de métastases [14-17]. La probabilité d une survie trèsbrève observée chez les malades ayant un score supérieur à 2, apparaît comme une contre-indication opératoire, au même titre qu un âge trop avancé ou qu une défaillance viscérale [2, 5, 6]. Chez les autres malades, une intervention paraît indiquée pour trois raisons. Lorsqu elle permet l exérèse du cancer à visée curative, elle donne au malade des chances de guérison qui sont globalement de l ordre de 10 % à cinq ans, mais qui atteignent 20 à 30%enl absence de métastase ganglionnaire dans des séries européennes [2, 13]. Si le cancer n est pas résécable, des essais randomisés ont clairement montré que les dérivations palliatives chirurgicales donnaient de meilleurs résultats à distance que les traitements palliatifs non chirurgicaux, à condition de n opérer que les malades qui n ont pas de facteurs de risque opératoire [18-21]. Enfin, compte tenu des résultats encore très limités de la chimiothérapie [22-25], il paraît souhaitable de ne la proposer qu à des malades ayant une espérance de vie suffisante, en les incluant dans des essais prospectifs. CONCLUSION Cette étude multifactorielle des facteurs pronostiques des cancers du pancréas exocrine permet de proposer un score prédicitif de la survie qui repose sur des covariables faciles à recueillir avant toute exploration chirurgicale. Il serait souhaitable de le valider sur une population différente de celle qui a servi à l établir. Ce score devrait permettre, en identifiant les malades dont la probabilité de durée de survie est suffisante, de mieux préciser les indications du traitement chirurgical, de la chimiothérapie et de la radiothérapie. Coordinateur de l étude : M. Huguier ; recueil et enregistrement des données : B. Trigui ; analyse statistique : A. Flahault. Participants : M. Gignoux, P. Segol, J. Maurel, G. Samama (Caen) ; J. Testart, P.T. Ténière, F. Michot (Rouen) ; E. Dazza, J. Nassar (Paris) ; M. Huguier, F. Lacaine, S. Houry (Paris) ; P. Boissel, A. Vidrequin (Nancy) ; J. Escat, G. Fourtanier, S. Ross (Toulouse) ; D. Jaeck, F. Paris (Strasbourg) ; G. Mantion, M. Gillet (Besançon) ; J.P. Favre (Dijon) ; P. de Mestier du Bourg (Paris) ; T. Montariol, P. Marre (Saint-Germain-en-Laye) ; M. Veyrières (Pontoise) ; J. Chipponi, P. Lointier (Clermont-Ferrand) ; F. Gayral, B. Millat (Clamart) ; A. El Hadad, D. Brassier (Aulnay-sous-Bois) ; P.L. Fagniez, N. Rotmann (Créteil) ; J.C. Paquet, Y. Flamant, J.M. Hay (Colombes) ; C. Letoublon (Grenoble) ; X. Pouliquen, B. Vacher (Argenteuil) ; Y. Soulier, F. Khayat (Montmorency) ; A. Fingerhut, P. Oberlin (Poissy) ; P. Bloch (Neuilly) ; B. Descottes (Limoges) ; J.P. Algraves, J.L. Pailler (Paris) ; A. Gainant, P. Cubertafond (Limoges) ; F. Rouffet (Juvisy). RÉFÉRENCES 1 Geer RJ, Brennan MF. Prognostic indicators for survival after resection of pancreatic adenocarcinoma. Am J Surg 1993 ; 163 : 68-72. 2 Huguier M, Baumel, Manderscheid JC. Cancer of the exocrine pancreas. A plea for resection. Hepato-Gastroenteroly 1996 ; 43 : 721-9.

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