L ACCÈS aux SOINS DENTAIRES des PERSONNES DÉFAVORISÉES au QUÉBEC



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Transcription:

L ACCÈS aux SOINS DENTAIRES des PERSONNES DÉFAVORISÉES au QUÉBEC PROBLÉMATIQUE ET PISTES DE SOLUTIONS PAUL ALLISON, CHRIS ALLINGTON ET JUDIANN STERN Faculté de médecine dentaire Université McGill MONTRÉAL (QUÉBEC) MAI 2004

REMERCIEMENTS Plusieurs personnes ont contribué à la réalisation de ce rapport. Nous tenons à les remercier très sincèrement. Nos remerciements vont d abord au ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec pour le soutien financier qu il nous a accordé, et au Dr Bernard Laporte, pour ses précieux conseils touchant la préparation de ce document. Nous remercions également le Dr Christophe Bedos, qui nous a beaucoup aidés dans la planification des diverses étapes de ce projet, ainsi que pour ses commentaires sur les premières ébauches du document. Nous adressons aussi des remerciements au Dr René Larouche, Sylvie Vallières et Marie-Claude Loignon qui nous ont fait bénéficier de leurs commentaires judicieux. Enfin, nous voulons exprimer notre reconnaissance à toutes les personnes qui, au Québec et ailleurs en Amérique du Nord, ont si généreusement accepté de nous fournir de l information sur leurs programmes et d en discuter avec nous. 2

TABLE DES MATIÈRES RÉSUMÉ..................................................... 5 INTRODUCTION.................................................. 6 PARTIE I : LA PROBLÉMATIQUE....................................... 7 État de la situation au Québec................................... 9 La santé buccodentaire des adultes............................. 9 La santé buccodentaire des adolescents.......................... 10 La santé buccodentaire des enfants............................ 10 Facteurs déterminants de la santé buccodentaire au Québec............. 11 Conséquences des maladies buccodentaires au Québec et ailleurs......... 11 Les signes et les symptômes................................. 11 Les fonctions touchées..................................... 11 Les coûts sociaux et financiers............................... 12 L état de santé général..................................... 12 Les effets des maladies buccodentaires........................... 12 Facteurs d utilisation des services dentaires au Québec et ailleurs........ 13 Le revenu............................................. 13 Le lieu de résidence....................................... 13 L incapacité physique ou mentale.............................. 13 La perception du besoin et la peur............................. 14 Les facteurs culturels...................................... 14 Les déterminants de l utilisation des services dentaires au Québec......... 14 PARTIE II : PROGRAMMES D AMÉLIORATION DE L ACCESSIBILITÉ DES SOINS DENTAIRES QUÉBEC, AU CANADA ET AUX ÉTATS-UNIS..................15 Programmes d aiguillage vers des cabinets dentaires.................. 17 Programme d aide dentaire L Aident, Québec....................... 17 National Foundation of Dentistry for the Handicapped, États-Unis........ 18 D DENT Oklahoma, États-Unis................................ 19 Services dentaires mobiles.................................... 20 Programme Dental Outreach de l Université McGill, Montréal............ 20 Clinique dentaire mobile de la Fondation de l Ordre des dentistes du Québec.. 21 Programme d unité mobile Dentistry With Heart, Californie............. 22 University of Southern California, États-Unis...................... 23 Cliniques dentaires fixes...................................... 24 Clinique de l Université de Montréal/CLSC des Faubourgs, Montréal....... 24 Programme dentaire de la clinique Mount Carmel, Winnipeg............ 25 Inglewood Children s Dental Centre, Californie..................... 25 Les avantages et les inconvénients des trois types de programmes......... 26 3

PARTIE III : LES ASPECTS À CONSIDÉRER POUR LA MISE SUR PIED D UN PROGRAMME.. 27 Le personnel nécessaire...................................... 29 Le dentiste............................................. 29 L hygiéniste dentaire...................................... 29 L assistante dentaire....................................... 29 Le personnel administratif.................................. 30 Le personnel d entretien.................................... 30 Les étudiants........................................... 30 Le personnel rémunéré et les bénévoles........................... 31 La participation des dentistes locaux............................. 31 La collaboration d autres professionnels de la santé et des services sociaux....................................... 32 Les sources de financement.................................... 32 La clientèle cible : qui accepter et qui refuser?...................... 33 La gamme des services à offrir................................. 33 Les contraintes liées au financement........................... 33 Les contraintes liées au personnel............................. 33 Les contraintes liées aux installations........................... 34 PARTIE IV : DES RECOMMANDATIONS POUR LES FUTURS PROGRAMMES............ 35 Références................................................ 39 4

RÉSUMÉ Au Québec, comme dans les autres pays occidentaux, la santé buccodentaire de la population s est améliorée au cours des trois dernières décennies. Toutefois, on observe que les maladies buccodentaires et leurs conséquences physiques, psychologiques et sociales sont encore très répandues, mais de façon inégale dans la population. De surcroît, les groupes les plus fortement touchés sont aussi ceux qui ont le moins accès aux soins dentaires. En effet, les personnes à faible revenu et celles dont les antécédents scolaires, socioculturels ou ethniques diffèrent de ceux des professionnels de la santé présentent le plus de symptômes et de problèmes buccodentaires et utilisent le moins les services dentaires. Les principaux obstacles sont le coût des soins ainsi que les perceptions différentes qu ont les professionnels de la santé et certains groupes relativement aux soins requis. Dans l ensemble de l Amérique du Nord, les soins dentaires sont fournis surtout par le secteur privé qui, par ailleurs, offre peu de services aux personnes n ayant pas les moyens de payer. Compte tenu de l incidence élevée des maladies buccodentaires chez les personnes à faible revenu, de la faible propension de celles-ci à utiliser les services dentaires et du manque de soins adaptés à cette clientèle, certains organismes jugeant la situation inacceptable ont créé des programmes pour pallier cette situation. Ces programmes peuvent être classés en trois catégories : les programmes d aiguillage vers des cabinets dentaires ; les services dentaires mobiles ; les cliniques dentaires fixes. programmes bénéficient de sources de financement relativement stables et de ressources financières considérables, alors que d autres ont un financement transitoire ou subsistent principalement grâce au bénévolat et aux dons d argent, de services, de matériel et d équipement. Au Québec, l Université McGill et l Université de Montréal administrent respectivement une clinique mobile et une clinique fixe. Au Saguenay Lac-Saint-Jean, un CLSC a mis sur pied un programme pour orienter les patients vers les cabinets dentaires de la région. Enfin, la Fondation de l Ordre des dentistes du Québec a une clinique dentaire mobile. Il importe aussi de signaler que plusieurs professionnels donnent des soins dentaires gratuitement ou à tarif réduit de façon ponctuelle. Le présent rapport traite de l accès difficile des personnes défavorisées aux soins dentaires. Il fait aussi état des programmes qui ont été mis sur pied pour résoudre ce problème, au Québec et ailleurs. Ses auteurs formulent diverses recommandations, notamment sur l utilisation optimale des programmes actuels, la création d un réseau coordonné de services au Québec, la formation requise pour favoriser la recherche de solutions pouvant améliorer l accessibilité des soins et les études nécessaires pour évaluer l efficacité des programmes actuels et futurs. Chaque type de programme a ses avantages et ses inconvénients. Les systèmes d aiguillage fonctionnent bien en région rurale, car ils misent sur la participation des cabinets dentaires répartis dans un vaste territoire. Les cliniques mobiles sont idéales pour les personnes à mobilité réduite, notamment les personnes âgées ou handicapées. Les cliniques dentaires fixes, quant à elles, offrent des services qu une unité mobile peut difficilement fournir, par exemple les radiographies. Certains 5

INTRODUCTION L objet premier de ce rapport est de traiter du problème de l accès des personnes défavorisées aux soins dentaires et de proposer des pistes de solutions. Aussi, le document ne présente pas une analyse exhaustive des interventions et des programmes pouvant résoudre le problème. Il décrit brièvement des études menées sur la santé buccodentaire des adultes et des enfants au Québec ainsi que des programmes créés en vue d améliorer l accessibilité des soins dentaires aux personnes démunies, au Québec et ailleurs en Amérique du Nord. Plus précisément, ce document présente : l état de la santé buccodentaire de la population québécoise ; les déterminants de la mauvaise santé buccodentaire au Québec ; les conséquences d une mauvaise santé buccodentaire ; les facteurs d utilisation des services dentaires au Québec ; les déterminants de l utilisation de ces services ; les programmes de soins dentaires aux personnes défavorisées, au Québec ou ailleurs en Amérique du Nord ; des recommandations pour résoudre le problème. 6

Partie I: LA PROBLÉMATIQUE 7

ÉTAT DE LA SITUATION AU QUÉBEC Cette partie du document traite des problèmes de santé buccodentaire les plus courants au Québec et décrit les facteurs qui déterminent leur répartition dans la population. La santé buccodentaire des adultes Le Québec compte davantage de personnes partiellement ou complètement édentées que les autres provinces canadiennes et la plupart des pays occidentaux. La plus récente étude sur la santé buccodentaire des adultes du Québec a été réalisée auprès d un échantillon de personnes âgées de 35 à 44 ans, en 1994-1995 1. Tout comme dans l ensemble des pays occidentaux, ce groupe de la population présente de nombreux antécédents de caries. Les personnes qui ne sont pas complètement édentées ont, en moyenne, 1,2 dent cariée non traitée, 10,6 dents obturées, 8,2 dents manquantes en raison de caries et seulement 12 dents saines. Comme on l observe de plus en plus ailleurs dans le monde, les caries non traitées ne sont pas réparties également dans la population du Québec : 14 % des adultes ont 73 % des caries non traitées. La perte des dents est un autre indicateur important de la santé buccodentaire. Selon les résultats de l étude, 5 % des adultes de ce groupe d âges avaient perdu toutes leurs dents et 23,9 % avaient moins de 20 dents saines, ce qui est considéré actuellement comme le nombre minimum requis pour avoir une bonne mastication et bien s alimenter 2. Par ailleurs, le Québec compte davantage de personnes partiellement ou complètement édentées que les autres provinces canadiennes et la plupart des pays occidentaux 1,3. D autres données révèlent également que 73,6 % des adultes québécois présentent un faible niveau de maladies parodontales, alors que 21,4 % ont des problèmes plus sérieux 1. En revanche, seulement 6 % des adultes éprouvaient des douleurs faciales - symptomatiques d un problème musculosquelettique - le jour de l examen clinique 1. Ces résultats corroborent ceux d un sondage téléphonique réalisé en 1990 en vue d évaluer l incidence des douleurs faciales. L enquête indique que 30 % des participants ont dit ressentir un certain niveau de douleur et 7 %, des douleurs fréquentes 4. Par ailleurs, 51,2 % des personnes portant une prothèse dentaire amovible présentaient des lésions de la muqueuse buccale, tandis que 16,9 % avaient des lésions non attribuables au port de prothèses. Enfin, les données québécoises relatives au cancer buccal montrent une incidence d environ 12 nouveaux cas pour 100 000 hommes annuellement, ce qui en fait la huitième cause de cancer la plus fréquente chez les hommes, contre environ 4 nouveaux cas pour 100 000 femmes 5. Il convient de mentionner qu il n existe aucune donnée sur la prévalence ou l incidence de problèmes buccodentaires graves chez les adultes québécois, tels que les traumatismes faciaux et dentaires et les infections dentaires aiguës, ni de données récentes sur la santé buccodentaire des personnes âgées du Québec. La répartition des affections buccodentaires dans la population varie en fonction de facteurs sociodémographiques, socioéconomiques et culturels. Il est donc important de les examiner, car ils influent sur la prestation des services. De plus, un certain nombre de facteurs récurrents permettent de prévoir divers problèmes de santé buccodentaire. Ainsi, les personnes dont le revenu familial annuel est inférieur à 30 000 $ sont 3,8 fois plus susceptibles de présenter quatre caries non traitées et 1,7 fois plus exposées à un problème parodontal grave que les personnes ayant un revenu familial de 60 000 $ ou plus. De même, la probabilité d avoir moins de 20 bonnes dents et de présenter un trouble parodontal grave est respectivement 3,7 fois et 1,4 fois plus élevée chez les personnes qui ont fait des études secondaires seulement que chez celles qui ont terminé des études universitaires. En outre, il est généralement reconnu que, dans le monde occidental, le risque de cancer de la bouche est associé au sexe masculin, au faible revenu et au faible niveau de scolarité 6. Par ailleurs, les personnes qui n ont pas d assurance dentaire sont 1,6 fois plus susceptibles de présenter quatre caries non traitées et 1,4 fois plus prédisposées à un problème parodontal grave que celles qui sont assurées. Les hommes sont 2,4 fois plus susceptibles que les femmes de présenter quatre caries non traitées et 1,8 fois 9

10 plus exposés à un problème parodontal grave, en plus d afficher une plus forte incidence du cancer de la bouche. Le vieillissement est associé à la probabilité accrue de perte de dents et au cancer de la bouche. Enfin, les francophones sont 2,1 fois plus susceptibles que les anglophones d avoir moins de 20 dents saines. La santé buccodentaire des adultes québécois est généralement moins bonne chez les personnes défavorisées, moins scolarisées, les hommes et les personnes âgées. La santé buccodentaire des adolescents Une étude québécoise sur la santé buccodentaire des jeunes âgés de 11 à 14 ans a été réalisée en 1996-1997 7. Elle révèle que le nombre moyen de dents Comme chez les adultes, la répartition des caries chez les adolescents montre une forte concentration dans un groupe particulier : 28 % des jeunes âgés de 11 et 12 ans présentaient 75 % des caries, et 28 % des 13 à 14 ans avaient 68 % des caries. permanentes obturées était de 1,6 chez les jeunes de 11-12 ans et de 2,8 chez les 13-14 ans. Dans les deux groupes, le nombre moyen de dents permanentes cariées non traitées était de 0,2, et le nombre de dents permanentes ayant dû être extraites à cause de caries était très bas. Par ailleurs, le pourcentage de jeunes n ayant jamais eu de dents permanentes cariées était inversement proportionnel à l âge, soit 46,4 % chez les plus jeunes contre 25,4 % chez les plus vieux. Comme il a été constaté dans la population adulte, la répartition des caries chez les adolescents montre une forte concentration dans une tranche d âges : 28 % des jeunes de 11-12 ans présentaient 75 % des caries, alors que 28 % des adolescents de 13 et 14 ans avaient 68 % des caries. Les maladies parodontales et les problèmes de malocclusion ont aussi été évalués. Seulement 5,5 % des jeunes âgés de 11 et 12 ans et 2,3 % des 13-14 ans présentaient des maladies parodontales. Enfin, 11 % des jeunes de 11 et 12 ans ainsi que 12,7 % des adolescents de 13 et 14 ans avaient un problème de malocclusion grave ou très grave. Il n existe pas de données sur des indicateurs de la santé buccodentaire chez les adolescents, tels les traumatismes faciaux et dentaires, les anomalies de développement et les infections aiguës. Comme dans la population adulte, les problèmes de santé buccodentaire chez les adolescents ne sont pas répartis également. Les enfants le plus susceptibles d avoir un taux élevé de caries dentaires sont ceux qui vivent dans des familles ayant un revenu annuel inférieur à 30 000 $, dont les parents n ont fait que des études secondaires, ne souscrivent à aucune assurance dentaire, sont allophones et résident en milieu rural ou dans de petites municipalités. La santé buccodentaire des enfants La santé buccodentaire des enfants âgés de 5 à 8 ans a fait l objet d une étude en 1998-1999 8, qui a surtout porté sur le problème dentaire le plus courant dans ce groupe : la carie dentaire. Chez les enfants âgés de 5 et 6 ans, le nombre moyen de dents de lait obturées et de dents de lait présentant des caries non traitées était respectivement de 1,3 et 0,7, contre 2,2 et 0,4 dans le groupe des 7-8 ans. Le nombre de dents de lait extraites à cause de caries était très faible dans les deux groupes d âges. Le pourcentage d enfants n ayant jamais eu de caries était inversement proportionnel à l âge : 61,1 % chez les plus jeunes et 41,8 % chez ceux âgés de 7 et 8 ans. La répartition des caries varie aussi dans cette population. En effet, 24 % des jeunes âgés de 5 et 6 ans présentaient 90 % des caries, et 26 % des 7-8 ans avaient 77 % des caries. Pour ces deux groupes d âges, les facteurs le plus souvent associés à un taux élevé de caries étaient le revenu familial annuel inférieur à 30 000 $ et le faible niveau de scolarité des parents. Les autres facteurs pouvant influer dans l un ou l autre des deux groupes étaient : avoir un parent bénéficiaire de l aide sociale ; avoir un parent complètement édenté ; vivre en milieu rural ou dans une petite municipalité ; et être allophone.

Facteurs déterminants de la santé buccodentaire au Québec Divers facteurs influent de façon négative sur la santé buccodentaire, entre autres : des facteurs économiques, tels que avoir un faible revenu, être bénéficiaire de l aide sociale et ne pas avoir d assurance dentaire ; des facteurs culturels, tels que le faible niveau de scolarité (de la personne ou de ses parents), la langue parlée à la maison et avoir des parents édentés ; des facteurs géographiques, tels que vivre en milieu rural ou dans une petite municipalité ; des facteurs démographiques, tels que l âge et le sexe. CONSÉQUENCES DES MALADIES BUCCODENTAIRES AU QUÉBEC ET AILLEURS Cette section décrit les conséquences des maladies buccodentaires. Bien que la majorité des données qui y sont présentées n aient pas été recueillies au Québec, il est raisonnable de croire que la fréquence et la gravité des maladies buccodentaires dans la population québécoise sont semblables à celles observées dans les autres pays occidentaux. Les signes et les symptômes Le symptôme le plus courant et le plus important des maladies buccodentaires est la douleur. Selon une étude de la prévalence de divers types de douleur buccale ou faciale réalisée, sur une période de six mois, auprès d adultes vivant aux États-Unis, 12,2 % des personnes avaient eu durant cette période des maux de dents, 8,4 % des lésions ou des ulcères buccaux, 5,3 % des douleurs dans l articulation de la mâchoire et 1,4 % des douleurs dans le visage ou les joues 9. Dans une étude menée auprès de la population adulte de Toronto, 39,7 % des participants ont dit avoir ressenti des douleurs buccales ou faciales au cours des quatre semaines précédant l enquête 10. Voici les résultats d autres études réalisées auprès de divers groupes cibles. En Ontario, 13 % des adolescents âgés de 12 à 19 ans avaient eu mal aux dents au cours des quatre semaines précédant l enquête 11. À Toronto, 18 % des jeunes sans-abri avaient eu mal aux dents au cours des quatre semaines précédentes 12. Au Royaume-Uni, 8 % des enfants âgés de 8 ans avaient eu des maux de dents au cours des quatre semaines précédentes 13. À l Hôpital de Montréal pour enfants, 48 % des enfants d âge préscolaire qui avaient des dents cariées ressentaient des douleurs 14. Dans un certain nombre de pays occidentaux, la prévalence des maux de dents est très élevée chez les enfants, même dans les populations qui présentent peu de caries 15. La bouche sèche et le syndrome de la bouche en feu sont d autres symptômes, mais peu documentés. La bouche sèche est un symptôme assez courant, surtout chez les personnes âgées. Une étude menée auprès d adultes de 50 ans et plus vivant à Toronto a confirmé qu il s agissait du symptôme buccal le plus fréquent, touchant 29,5 % des personnes interrogées 16, 17. Selon une autre étude, 39 % de personnes âgées de 65 ans et plus vivant en Floride avaient la bouche sèche, et 23 % un goût désagréable dans la bouche 18. Les fonctions touchées Les fonctions le plus souvent atteintes par les maladies buccodentaires sont l alimentation et la parole. Une étude effectuée en Ontario indique que 13 % des adultes âgés de 18 ans et plus étaient incapables de manger une grande variété d aliments, et que 10 % avaient des problèmes d élocution 19. Les problèmes relatifs à l alimentation s accroissent avec l âge, et 33 % des personnes de 65 ans et plus disaient avoir de la difficulté à mastiquer. 11

12 En outre, ces problèmes s aggravent lorsque les personnes perdent des dents ou portent des prothèses dentaires. En effet, 61,3 % des personnes édentées disaient avoir de la difficulté à mastiquer, et 12,9 % des problèmes d élocution. Par ailleurs, 28,3 % de celles qui portent une prothèse dentaire partielle avaient des problèmes de mastication, et 15,2 % des problèmes d élocution 19. Dans une autre étude menée en Californie, 37 % des personnes âgées ont déclaré avoir de la difficulté à mastiquer, et 10 % étaient incapables d avaler aisément 20. L étude réalisée à l Hôpital de Montréal pour enfants mentionne que, outre le fait que près de la moitié des enfants ressentait de la douleur, 61 % d entre eux mangeaient peu 14. La mauvaise santé buccodentaire a aussi des répercussions sur le sommeil. En effet, 20 à 59 % des adultes québécois éprouvant une douleur faciale faible, modérée ou grave ont aussi des troubles du sommeil 4. À Toronto, 14,2 % des adultes se plaignant d une douleur aiguë ou chronique dans la bouche ou au visage ont aussi des problèmes de sommeil 10. Enfin, à l Hôpital de Montréal pour enfants, 35 % des enfants d âge préscolaire présentant des caries dentaires avaient aussi des problèmes de sommeil 14. Les coûts sociaux et financiers Les conséquences sociales de la mauvaise santé buccodentaire sont nombreuses et importantes. Aux États-Unis, on estime que les problèmes dentaires causent la perte annuelle de 3,1 jours d école par 100 enfants, soit un total de 1 611 000 jours, et 1,9 jour de travail par 100 adultes, soit 2 442 000 jours 21. Voilà un lourd fardeau pour la société. Par ailleurs, les conséquences financières de ces problèmes de santé sont considérables également sur le plan individuel. Selon une étude récente réalisée à Montréal, le coût total moyen de remplacement des dents de la mâchoire inférieure est de 2 316 $ pour une prothèse dentaire et de 4 245 $ pour des implants, qui donnent un meilleur résultat 22. L état de santé général Les liens entre les maladies buccodentaires et l état de santé général sont de plus en plus évidents. Les résultats d études montrent que les jeunes enfants présentant des caries dentaires ont un poids inférieur et grossissent plus lentement que les enfants du même âge qui n ont pas de caries 23,24. Lorsqu on traite leurs caries, les enfants gagnent rapidement du poids, de sorte que l écart entre eux et le groupe témoin du même âge s efface 18 mois plus tard 25. Par ailleurs, des études des effets de la dentition sur le régime alimentaire des personnes âgées indiquent que celles qui sont édentées réduisent, entre autres, leur consommation de fruits, de légumes, de fibres, de protéines et de calcium 26,27. Une autre recherche, réalisée au Québec dans les années 1990, a permis de constater que les personnes âgées de 60 ans et plus ayant de la difficulté à mastiquer réduisaient leur consommation de fruits et de légumes, ce qui augmentait la prévalence des problèmes gastro-intestinaux 28. Le rapport entre la maladie parodontale et divers aspects de l état de santé général fait l objet de nombreuses études, car cette maladie serait associée à une probabilité accrue d accouchements avant terme, de naissances de bébés de petit poids 21,29, de maladies cardiaques 30-32, d accidents cardiovasculaires 30,33 et d infections respiratoires 34-36. Enfin, le cancer de la bouche entraîne un taux de mortalité élevé et cause de nombreux symptômes et troubles fonctionnels et psychologiques. Les données québécoises les plus récentes, recueillies entre 1984 et 1998, font état d un taux de survie à cinq ans variant entre 25 et 89 % chez les femmes et entre 29 à 69 % chez les hommes, selon le site anatomique du cancer 37. Ces taux de survie sont inférieurs à ceux des autres cancers les plus courants, soit le cancer de la prostate, du sein et du côlon. Les données américaines recueillies dans les années 1990 montrent un taux de survie à cinq ans de 55 % dans la population de race blanche et de 33 % dans la population de race noire. Cette situation serait constante depuis 25 ans 38. Les effets des maladies buccodentaires Les maladies buccodentaires causent divers symptômes, notamment de la douleur et la sécheresse de la bouche. Elles réduisent souvent la capacité des personnes à parler et à s alimenter, ce qui nuit à leur régime alimentaire s il y a diminution de la consommation de fruits et de légumes, entre autres. Elles ont aussi un impact sur l état de santé général : les maladies parodontales, en particulier, seraient associées, notamment, à l accouchement avant terme, au déficit pondéral du nouveau-né, aux maladies cardiovasculaires et aux infections respiratoires. En outre, un nombre important de Québécois meurent chaque année des suites du cancer de la bouche. Enfin, les personnes atteintes de troubles dentaires s absentent plus souvent de l école ou du travail.

FACTEURS D UTILISATION DES SERVICES DENTAIRES AU QUÉBEC ET AILLEURS Cette section brosse un tableau des principaux facteurs qui interviennent dans l utilisation des services dentaires au Québec. Le revenu Le revenu est le plus important facteur d utilisation des services dentaires dans l ensemble des pays occidentaux. Des études menées auprès de groupes d adultes, d adolescents et d enfants du Québec le confirment. Entre autres, 56,8 % des adultes dont le revenu annuel est inférieur à 30 000 $ avaient consulté un dentiste au cours de l année précédente, comparativement à 80,4 % de ceux ayant un revenu annuel de 60 000 $ ou plus 1. De même, les enfants âgés de 11 et 12 ans 7 et de 5 à 8 ans 8 qui vivent dans une famille ayant un revenu annuel de moins de 30 000 $ fréquentaient moins souvent le dentiste. Le nombre de caries dentaires non traitées augmente chez les enfants 8 et les adolescents 7 à mesure que le revenu familial diminue. Par ailleurs, l accès à l assurance dentaire est un facteur favorable aux consultations dentaires annuelles dans tous les groupes d âges 1,7,8. En effet, 28,6 % des adultes qui n avaient pas consulté un dentiste au cours de l année précédente ont mentionné les coûts comme raison principale 1. Toutes ces données ont été recueillies au Québec, mais on constate les mêmes comportements en Ontario 11, aux États-Unis 21 et ailleurs dans le monde. Les heures d ouverture comptent aussi. Bien qu aucune étude n ait été réalisée au Québec, on a observé ailleurs que, en général, les cabinets dentaires sont ouverts uniquement pendant les heures normales de travail, ce qui les rend moins accessibles aux étudiants ou aux travailleurs 39. Ce problème touche en particulier les personnes à faible revenu qui sont rémunérées à l heure et doivent sacrifier des heures de travail pour aller chez le dentiste 39. L incapacité physique ou mentale Aucune étude de l utilisation des services dentaires par les personnes handicapées n a été réalisée au Québec. Toutefois, selon une étude nationale récente portant sur l accès aux soins dentaires des personnes atteintes de trisomie 21, les enfants trisomiques consultent plus souvent le dentiste annuellement que leurs frères et sœurs non atteints. En revanche, ils reçoivent moins de soins de prévention et de restauration, et sont plus nombreux à se voir prescrire l extraction de dents 40. On constate aussi que les personnes âgées atteintes d une incapacité ont souvent moins accès aux services dentaires. Les raisons invoquées sont l absence d ascenseurs ou de rampes pour les fauteuils roulants dans les cabinets dentaires et la rareté des soins dentaires à domicile, par comparaison avec d autres services de santé 39. Le lieu de résidence Le lieu de résidence est un autre facteur important d utilisation des services dentaires. Les personnes vivant en milieu rural consultent moins le dentiste que celles qui résident en milieu urbain 1. La situation est similaire ailleurs dans le monde et serait liée à la plus forte concentration de dentistes dans les régions urbaines que dans les régions rurales 39. 13

La perception du besoin et la peur Ces deux facteurs d ordre psychologique sont couramment liés à l utilisation des services dentaires dans le monde occidental. On constate en effet que l impression de n avoir pas besoin de soins dentaires est la raison invoquée le plus fréquemment pour ne pas consulter un dentiste régulièrement 1,39,41. Au Québec, des adultes qui n avaient pas consulté un dentiste au cours de l année, 40,3 % donnaient comme raison principale qu ils n en avaient pas senti le besoin 1. Aux États-Unis, 46,8 % des personnes qui n avaient pas consulté un dentiste l année précédente invoquaient la même raison 41. La peur est l autre motif principal pour ne pas consulter. Au Québec, 9,5 % des adultes qui ne consultent pas régulièrement un dentiste disent que la peur en est la principale raison 1, comparativement à 4,3 % des adultes américains 41. Les facteurs culturels La culture est un ensemble de codes acquis et transmis d une génération à l autre, qui conditionnent les façons de percevoir et d interpréter le milieu environnant ainsi que les façons d agir avec les autres 42. Plusieurs groupes dans une société ont une culture qui peut influer sur l utilisation des services dentaires. Les données sur les comportements familiaux et les groupes culturels obtenues dans le cadre de trois études de la santé buccodentaire au Québec corroborent cette observation. Ainsi, 92,5 % des adolescents dont les parents avaient consulté un dentiste au cours de l année précédente les ont imités, comparativement à seulement 58 % des adolescents dont les parents n avaient pas consulté un dentiste 7. Ce constat s applique aussi aux enfants plus jeunes 8. Tout comme le revenu familial influe sur l utilisation des soins dentaires, la culture des personnes pauvres se répercute fortement sur les comportements relatifs à la santé et à la maladie, notamment l utilisation des services dentaires. Cette culture étant très différente de celle des professionneles de la santé, l interprétation des signes et des symptômes ainsi que la connaissance des services offerts divergent dans ces deux groupes. Selon une étude récente réalisée au Québec, les personnes à faible revenu estiment que les soins dentaires coûtent trop cher et que les dentistes ne sont pas dignes de confiance 43. Une telle perception incite les personnes défavorisées à chercher d autres moyens pour régler leurs problèmes de santé buccodentaire et à ne s adresser au dentiste qu en dernier recours, le plus souvent pour des extractions dentaires 43. Une autre étude réalisée dans les années 1980 auprès des sans-abri de Montréal a révélé que 85 % de ces personnes avaient un besoin urgent de soins dentaires 44. D autres données québécoises montrent que les gens issus d un milieu pauvre sont plus nombreux à consulter un dentiste seulement s ils ont des symptômes. Les personnes qui appartiennent à la classe moyenne ou celles qui ont un revenu élevé consultent le dentiste plus régulièrement pour des examens préventifs 45. La culture des personnes peu scolarisées a des effets semblables sur l utilisation des services dentaires. La scolarité et l état de santé buccodentaire sont fortement liés à l utilisation des services dentaires. Les personnes peu scolarisées et les enfants de parents peu scolarisés sont moins nombreux à consulter le dentiste régulièrement 1,7,8. Par ailleurs, les cultures liées à la race et au statut d immigrant ont aussi une incidence sur l utilisation des services dentaires au Québec. Dans l étude portant sur les enfants de 5 à 8 ans 8, on a constaté que la probabilité de consulter le dentiste en présence de symptômes seulement, et non à titre préventif, était deux fois plus élevée chez les enfants de familles immigrantes installées au pays depuis plus de cinq ans que chez les enfants de familles non immigrantes. Chez les enfants de familles immigrantes vivant au pays depuis moins de cinq ans, cette probabilité était sept fois plus élevée. Enfin, dans l étude portant sur les adolescents, on a constaté que les enfants de race noire et ceux de familles récemment immigrées étaient moins nombreux à avoir consulté le dentiste au cours de l année précédente 7. Les déterminants de l utilisation des services dentaires au Québec Les déterminants les plus courants de l utilisation des services dentaires au Québec et ailleurs sont le revenu et le niveau de scolarité. D autres facteurs, tels la perception du besoin de soins dentaires, la peur, le statut d immigrant, l invalidité et, dans une moindre mesure, le lieu de résidence interviennent aussi dans tous les groupes d âges récemment étudiés. 14

Partie II: DES PROGRAMMES D AMÉLIORATION DE L ACCESSIBILITÉ DES SOINS DENTAIRES AU QUÉBEC, AU CANADA ET AUX ÉTATS-UNIS 15

Cette section décrit un certain nombre de programmes qui visent à offrir des soins dentaires à ceux qui y ont difficilement accès, surtout pour des raisons financières. L organisation et les modes de financement des services dentaires dans les provinces canadiennes et les États américains varient, mais la grande majorité des services offerts en Amérique du Nord sont fournis par le secteur privé. Les problèmes d accès des ménages à faible revenu sont donc similaires. Pour les besoins de ce rapport, les programmes ont été classés en trois catégories : les programmes d aiguillage vers des cabinets dentaires ; les services dentaires mobiles ; les cliniques dentaires fixes. La description de chaque programme comprend les personnes-ressources, les objectifs, la clientèle, les intervenants et leurs rôles, l administration, le financement et des commentaires. PROGRAMMES D AIGUILLAGE VERS DES CABINETS DENTAIRES Ces programmes utilisent les infrastructures actuelles pour la prestation des soins dentaires, qu il s agisse de cabinets privés, de cliniques communautaires, de centres hospitaliers ou de cliniques universitaires. Ils ont toutefois leur propre système administratif pour assurer la sélection et l orientation des patients vers les cabinets dentaires ainsi que le paiement des services. Ces programmes ont l avantage de fonctionner à peu de frais, puisqu ils utilisent les installations existantes. Leur accessibilité est relativement bonne, car ils misent sur les réseaux de dentistes implantés dans les secteurs couverts. Ils doivent compter toutefois sur la bonne coordination des services et la collaboration des pourvoyeurs de soins dentaires. Programme d aide dentaire L Aident, Québec La personne-ressource Dr René Larouche, dentiste-conseil, Direction de la santé publique, Agence de développement de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux du Saguenay Lac-Saint-Jean. Courriel : rene.larouche@ssss.gouv.qc.ca. Les objectifs du programme Éduquer les patients pour la prévention des problèmes dentaires. Promouvoir l acquisition de bonnes habitudes d hygiène buccodentaire. Aider les patients à mieux prendre en main leur hygiène buccodentaire. Assurer le soutien financier nécessaire aux patients qui ont besoin de traitements dentaires. La clientèle Les jeunes de 10 à 21 ans inscrits dans un établissement scolaire sur le territoire du CLSC. Les jeunes âgés de 10 à 17 ans doivent étudier à temps plein et ceux âgés de 18 à 21 ans doivent être inscrits dans un programme d études postsecondaires. Les jeunes qui vivent dans une famille dont le revenu est inférieur au seuil de pauvreté établi par Statistique Canada. Les jeunes qui présentent un ou plusieurs problèmes dentaires nécessitant un traitement. Les jeunes qui n ont pas d assurance maladie ou d assurance médicale privée. Les personnes qui ne sont pas bénéficiaires de la sécurité du revenu. 17

18 Les intervenants et leurs rôles Les hygiénistes du CLSC. Toutes les personnes qui requièrent des soins et sont admissibles au programme sont orientées vers une hygiéniste du CLSC où il est offert. Elle évalue les besoins du patient, le dirige vers un dentiste qui établira un plan de traitement et estimera les coûts. L hygiéniste approuve ensuite les coûts, donne l enseignement nécessaire et assure le suivi. Les dentistes en cabinet privé. Le dentiste effectue les traitements une fois que l hygiéniste a approuvé les coûts. La clientèle. L enfant, accompagné d un parent s il y a lieu, voit l hygiéniste du CLSC, se rend chez le dentiste en pratique privée et assume les frais liés au transport et aux services utilisés avant de se présenter au CLSC. Il pourrait devoir payer une partie des coûts des soins dentaires. Le comité L Aident. Le comité formé de deux hygiénistes, d un représentant du public, d un dentiste et d une personne qui participe à la planification du budget de la municipalité, vérifie l admissibilité des patients au programme, s assure que les fonds nécessaires sont disponibles. L administration Le CLSC et les hygiénistes administrent le programme. Le comité L Aident établit un budget annuel. Le financement Selon les dons et le budget du CLSC. Un montant maximal de 300 $ est alloué pour chaque traitement ; le reste est payé par le client. Un seul traitement par personne est offert. Certains dentistes acceptent de travailler gratuitement ou à tarif réduit. Des fonds sont recueillis par des clubs philanthropiques, la Chambre de commerce, la municipalité et les dentistes en pratique privée. Commentaires La clientèle étant limitée, le programme est viable, mais il pourrait y avoir des problèmes de financement s il était étendu à un plus grand nombre de patients. Tous les types de traitements sont couverts par le programme. L administration et la lourdeur du processus rendent la mise en œuvre du programme difficile à réaliser à une plus grande échelle. La promotion du service est faite dans le réseau des services sociaux, notamment les bureaux de l aide sociale et de l assurance emploi ainsi que l Armée du Salut, par les médias, au moyen de dépliants diffusés dans les lieux fréquentés par la clientèle cible et, enfin, dans les écoles, auprès des groupes religieux, des administrateurs scolaires et des orienteurs. Les dentistes de la région doivent être mis au courant de l existence du programme et connaître les numéros de téléphone à composer pour obtenir de l information. Le service ne marginalise personne et ne place pas le patient dans une situation délicate. National Foundation of Dentistry for the Handicapped, États-Unis Les personnes-ressources Dr Larry Coffee, directeur du programme. Rory Franklin, responsable des communications ; tél. : (303) 534-5360. Site Web : www.nfdh.org Les objectifs du programme Aider les plus démunis. Faire participer des organismes locaux dans le programme national. Offrir des services dentaires gratuits. Ce volet principal du programme permet aux personnes handicapées, aux personnes âgées ou à celles qui présentent d importants problèmes de santé d être orientées vers des dentistes de leur localité et de recevoir un traitement dentaire complet, y compris les services prothétiques. Effectuer des visites à domicile. Une équipe volante de dentistes bénévoles offre des traitements aux patients dans les centres d accueil, les centres communautaires de santé mentale, les centres d éducation spécialisée, les maisons de convalescence et les établissements pour personnes atteintes de déficience intellectuelle. Cette équipe utilise une camionnette pour le transport de l équipement nécessaire. Offert au Colorado, au New Jersey et en Illinois. Faire de la promotion et de la sensibilisation. Une équipe donne de la formation aux infirmières, aux enseignants, aux gestionnaires de cas, au personnel de résidences pour personnes âgées et aux parents d adultes handicapés sur l amélioration de l hygiène buccodentaire et l importance d avoir des soins dentaires réguliers. Offert au Colorado, au New Jersey et en Oregon. La clientèle Toute personne qui n a pas les moyens de payer pour des soins dentaires et est atteinte d une incapacité, y compris les personnes âgées.

Les intervenants et leurs rôles Les dentistes locaux offrent des soins gratuits. Les laboratoires dentaires locaux. Le personnel administratif. Les travailleurs sociaux. L administration Dix personnes sont rémunérées et travaillent au siège social situé au Colorado. Un à quatre travailleurs sociaux dans chaque État, selon le nombre de dentistes participants. Le financement Les dentistes offrent leurs services gratuitement. Les services de laboratoires sont aussi gratuits la plupart du temps. Le gouvernement de l État accorde des subventions. À l échelle nationale, des subventions sont aussi versées par les National Institutes of Health et l American Dental Association. À l échelon local, plusieurs dons proviennent d associations communautaires et de groupes d intérêts. Commentaires Le programme national fonctionne bien, car il utilise des services locaux. Les dentistes travaillent dans leur cabinet, avec leur matériel et aux heures qui leur conviennent. Les frais de démarrage sont faibles. Ce type de programme élimine les obstacles d ordre géographique. D DENT Oklahoma, États-Unis La personne-ressource Shirley Harris ; tél. : (405) 424-8092 ou 1 800 522-9510. Les objectifs du programme Traiter les personnes âgées qui n ont pas les moyens de s offrir des soins dentaires ou sont atteintes d une incapacité. Les intervenants et leurs rôles Les dentistes. Depuis la mise en place du programme, 400 dentistes bénévoles dans l ensemble de l État ont traité plus de 5 050 patients, ce qui représente des services dentaires valant près de 2,2 millions $US. Les laboratoire dentaires. Durant la même période, plus de 35 laboratoires dentaires répartis partout dans l État ont offert des services d une valeur de 38 773 $US pour appuyer ce programme. Les éducateurs sanitaires. En 1999, D-DENT a aussi amorcé un nouveau programme d éducation sur l importance des soins dentaires quotidiens, qui a été offert par les éducateurs du domaine de la santé aux patients et au personnel soignant qui s occupe des personnes âgées. Entre autres, les patients reçoivent des trousses de soins buccodentaires. Ce programme complète D-DENT et vise à prévenir les caries et à prolonger la durée de vie des prothèses. Le personnel administratif. Des coordonnateurs remplissent les demandes d adhésion, sélectionnent les clients, assurent les liens et le suivi entre les dentistes et les patients. Ils orientent aussi les patients vers des services qui fournissent gratuitement des soins dentaires d urgence. L administration Quatre coordonnateurs rémunérés. Tous les dentistes et les associations dentaires locales sont contactés. On leur demande s ils acceptent de participer bénévolement au programme, et de préciser le nombre et le type de patients qu ils peuvent recevoir ainsi que leur horaire. Les demandes de services proviennent de résidences pour personnes âgées, de foyers de groupe, d autres organismes ou de particuliers. Après examen des demandes, les clients acceptés sont inscrits sur une liste d attente. Les clients sont orientés vers des dentistes de leur région. Deux fois l an, des hygiénistes dentaires se rendent dans les résidences pour personnes âgées ou les foyers de groupe pour enseigner aux gens des façons de prendre soin de leurs dents ou de leurs prothèses dentaires. La clientèle Les personnes âgées de 60 ans et plus. Les personnes atteintes d un handicap de développement. 19

Le financement Le financement est assuré par l État. Des subventions sont aussi versées par divers organismes locaux. Commentaires Ce programme est semblable à celui du National Foundation of Dentistry for the Handicapped. Un client ne peut se prévaloir du programme qu un certain nombre de fois. Les seuls services que les dentistes sont tenus d offrir gratuitement sont les plans de traitements. Les coordonnateurs rappellent aux patients qu ils devront payer certains traitements plus tard et leur conseillent de mettre de l argent de côté. Un suivi est effectué auprès du dentiste et du patient. Si ce dernier ne se conforme pas aux règles, il est éliminé du programme. SERVICES DENTAIRES MOBILES 20 Dans ce type de programme, les intervenants utilisent de l équipement dentaire portatif ou un camion équipé de matériel dentaire. Ils dispensent les services dans les régions et les endroits où les besoins en services dentaires sont importants. Les services sont fournis à tous ceux qui le souhaitent ou qui répondent aux critères du programme. Selon le type d équipement utilisé clinique mobile aménagée dans un camion ou simples fauteuils de dentiste transportables, les frais de démarrage sont relativement élevés. Par contre, ces programmes offrent la flexibilité nécessaire pour que les intervenants se rendent dans des endroits où les gens ne voient jamais un dentiste, sinon rarement. Le principal inconvénient est que les services offerts sont parfois limités. Programme Dental Outreach de l Université McGill, Montréal Les personnes-ressources Dr Michael Wiseman, directeur ; tél. : (514) 398-7203, poste 00048. Judiann Stern, coordonnatrice ; tél. : (514) 398-7203, poste 00048. Les objectifs du programme Mettre en place un modèle qui permettrait d offrir, partout au Québec, des soins dentaires aux personnes qui y ont peu accès pour des raisons financières ou physiques. Offrir des soins dentaires gratuits aux groupes de la population montréalaise visés par le programme. Offrir la possibilité aux étudiants en médecine dentaire de l Université McGill de donner des soins dentaires dans un contexte particulier. La clientèle Les groupes de faible niveau socioéconomique, tels les sans-abri, les travailleurs à faible revenu, les chômeurs, les personnes handicapées et les nouveaux immigrants. Le programme est mis en œuvre dans les endroits suivants à Montréal : Dans La Rue, Enfants Soleil, le Centre de gériatrie de l Hôpital Maimonides, la Mission Old Brewery, l Église Norwood des Adventistes du Septième Jour, St. Columba House, Santropol Roulant et les refuges pour les femmes en difficulté. Les intervenants et leurs rôles Les dentistes. Les dentistes, particulièrement ceux de la Faculté de médecine dentaire de l Université McGill, offrent des soins dentaires bénévolement à la clinique mobile ou, à titre de spécialistes, fournissent des services gratuits aux clients qui leur sont envoyés. Les hygiénistes et assistantes dentaires. Les assistantes dentaires et les hygiénistes dentaires, principalement celles qui sont rattachées à la Faculté de médecine dentaire, travaillent bénévolement. Les étudiants. Tous les étudiants en médecine dentaire doivent participer au programme au moins une fois par an ; ils peuvent y consacrer plus de temps s ils le souhaitent. Les étudiants aident les dentistes et donnent eux-mêmes des soins sous leur supervision. Le personnel administratif. Un coordonnateur à temps partiel et un comité de gestion.