Donner aux plus discriminés l envie de s investir



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Transcription:

150 Donner aux plus discriminés l envie de s investir Maryse Dumas Syndicaliste J aborde le sujet de la démocratie à partir de mes questionnements en tant que militante dont l essentiel de la pratique est dans le mouvement syndical. Je pense cependant que ces questions sont loin de ne concerner que le mouvement syndical. Pour moi la démocratie est à la fois un enjeu, un objectif, un moyen et une pratique : C est un enjeu parce que je ne connais pas de système non démocratique disons, donc, de système autoritaire ou dictatorial qui aboutisse au progrès social. J ai même le sentiment inverse. Quand on est, comme moi, militante syndicale, et qu on veut le respect des droits des salariés, le respect du travail, la promotion du travail, la démocratie est un enjeu essentiel pour y parvenir. C est donc aussi un objectif. Un objectif de conquête progressive parce que, comme pour la ligne d horizon, la satisfaction de l objectif recule au fur et à mesure que l on s en approche. En essayant de s approcher de la démocratie, en ayant l objectif de la conquérir, on développe des pratiques, des comportements, qui modifient la situation réelle dans laquelle on est à l instant «T». La démocratie est un moyen. On ne peut pas se fixer pour objectif de conquérir la démocratie sans utiliser le moyen de la démocratie pour y parvenir. Ou, pour le dire autrement : comment penser qu on puisse conquérir un système démocratique où la masse des salariés aient droit à la parole et puissent décider de leur destin sans leur donner à eux-mêmes la parole et les moyens pour conquérir ce destin?

151 La démocratie est donc aussi une pratique. Une pratique sociale, à développer évidemment dans le mouvement syndical mais, au-delà, dans le mouvement politique, dans les associations, etc., on apprend la démocratie par la pratique démocratique. Quand, dans une entreprise, les salariés sont hyper exploités, soumis à des brimades, des humiliations, c est souvent dans et par la réunion syndicale que les salariés apprennent à parler de leur vécu, avec d autres, qui partagent les mêmes réalités, peuvent les comprendre, échanger des expériences, des idées, s encourager mutuellement. Là, on apprend ensemble à trouver les moyens de se faire collectivement entendre au travers, par exemple, d une pétition, d un tract, de la construction d une action, etc. Par cette pratique démocratique, on change le rapport de force, on change le rapport du salarié à l organisation, à son entreprise, voire même à sa propre vie. Cette question de la pratique démocratique, conçue à la fois comme but et moyen dans des pratiques très concrètes et très décentralisées et démultipliées, me paraît essentielle, incontournable pour conquérir une société réellement démocratique. La démocratie est une conquête perpétuelle On n en aura jamais fini avec l ambition de nouvelles conquêtes démocratiques ; il n y aura pas un moment où on se dira «on a atteint l objectif ultime, indépassable». Tout simplement parce que chaque conquête démocratique obtenue crée de nouvelles exigences et que celles-ci s inscrivent dans les contradictions des rapports sociaux. Je ne me reconnais pas dans l idée selon laquelle l Occident aurait trouvé la démocratie parfaite et n aurait plus qu à l exporter en Chine, en Tunisie, ou ailleurs. Par nos expériences historiques, nous avons, évidemment, conquis des espaces de démocratie, mais nous en avons aussi perdu d autres, ou nous ne les avons pas conquis Bien sûr, d autres peuples peuvent s inspirer de nos expériences, dans leurs réussites et dans leurs échecs. Mais ne sous-estimons pas que nous avons nous-mêmes à nous inspirer d autres pratiques mises en œuvre ailleurs. Il faut construire un mouvement d aller et retour permanent, dans les échanges, dans les idées. D où l intérêt de se doter d organisations syndicales, politiques, pour y contribuer. L élection ne résume pas la démocratie : un système qui se conçoit comme démocratique, essentiellement à partir de l élection et d une élection dont on sait qu une partie importante de la population n y participe pas et dans cette population, en particulier les catégories populaires, ne peut pas être considéré comme ayant atteint la forme démocratique absolue. Pour moi, ce qui est le plus démocratique, c est ce qui permet précisément aux catégories les plus discriminées de la société, les plus exploitées, les plus exclues ce qui leur permet et leur donne envie de s investir et de se mobiliser. Quand tel est le cas, c est qu on est en train de construire quelque Donner aux plus discriminés l envie de s investir

152 Maryse Dumas chose qui va conforter un processus démocratique. Mais si ces catégories au contraire ne s investissent pas, ou sont sur le reculoir ou ne s intéressent pas au processus, alors, c est que celui-ci tend à ce que ce soit une catégorie ou peut-être une caste, voire une oligarchie qui s approprie le processus. Retrait des urnes, retrait des luttes? Depuis dix, quinze ans, mouvement des retraites mis à part, on constate une plus grande participation des salariés à des conflits locaux et une moindre participation à des conflits nationaux. J ai le sentiment qu on pourrait traduire cela comme une forme d abstention des luttes dès lors qu elles portent sur des enjeux centraux, des enjeux au cœur des politiques économiques, sans doute parce qu on y retrouve les mêmes difficultés en terme de perspectives et de possibilités de politiques alternatives qu au plan politique. Elles buttent sur l interrogation : «peut-on vraiment faire autrement?», et «est-ce que cette action va vraiment permettre qu on fasse autrement?» «Mon implication dans cette action contribuera-t-elle vraiment à ce qu on puisse faire autrement?» On intervient quand on pense que c est efficace. Si tel n est pas le cas, on reste spectateur. Dans une société qui privilégie le spectacle, c est toujours plus facile d être spectateur plutôt qu acteur. À quoi sert la politique? La France a construit sa politisation autour d un État fort. La politique avait pour but la conquête du pouvoir d État parce que le changement de politique passait par là. Or, avec la mondialisation, avec la révolution informationnelle et la financiarisation les trois aspects en même temps, ce modèle-là est en difficulté. Je ne dis pas qu il est fini. Je dis qu il est en difficulté. La mondialisation, pour les salariés, ce n est pas quelque chose qui se passe en dehors de la France ; elle se manifeste ici, dans le quotidien de leur vécu de travail : menaces de délocalisations, concurrences sur les salaires et les protections collectives, travail illégal informel développé par le patronat à l intérieur même du territoire national, opacité sur la propriété de l entreprise, l actionnariat étant à la fois multinational et invisible. Ceci nourrit le doute quant à l impact réel de l élection politique pour peser sur les choix économiques et financiers les plus importants. Les salariés doutent de qui décide véritablement : le Président de la République qui, même quand il est président du G 20, fait une conférence de presse, quelques gesticulations, mais qui, au fond, nous montre qu il n a pas prise sur le réel? Est-ce que c est le FMI? Mais le FMI, on ne l élit pas Est-ce que c est la Banque mondiale? On est confronté à un double phénomène. D une part, on ne sait plus où sont les lieux de décision et de pouvoir réels et, d autre part, le discours politique reste, pour l essentiel, enfermé sur la question du pouvoir d État ou des pouvoirs locaux, sans aborder la question des pouvoirs à conquérir au plan économique et au niveau supranational.

153 Et encore plus lorsqu il s agit du pouvoir économique. Dans l inconscient populaire, l idée grandit qu au fond, maintenant, ce sont les puissances financières qui ont la réalité du pouvoir et que les politiques n occupent que ce que les puissances financières veulent bien leur laisser. La fameuse formule de Jospin : «l État ne peut pas tout» a laissé des traces Alors, on est passé de «l État peut tout» à «l État ne peut pas tout», voire à «l État ne peut rien»! Pourquoi se mobiliser et comment concevoir la démocratie si l État ne peut rien? C est une question essentielle à éclairer si on veut permettre l intervention populaire. D autant que le pouvoir d État se délite : alors que le socle de notre système repose sur le fait que la loi s applique à tous (notamment les lois sociales, les employeurs sont tenus de les respecter), on voit maintenant que, sous pression du MEDEF, sur bien des aspects, la loi devient supplétive à l accord d entreprise! C est-à-dire qu à partir du moment où un employeur obtient des syndicats un accord dans l entreprise, il n est plus tenu d appliquer la loi. La question de l État est fondamentale Le rapport historique à l État en France a structuré les comportements politiques, syndicaux, sociaux, la façon de vivre et d être ensemble Or l État se délite sans qu on en ait une pensée politique claire : du fait de la supranationalité européenne, de la mondialisation, mais aussi du fait de la dérégulation des services publics et de la mise en place «d autorités ou d agences» prétendument indépendantes censées organiser «la concurrence libre et non faussée». Or, ces autorités échappent à tout contrôle démocratique autant dans leur composition (elles ne sont pas élues mais nommées) que dans leurs activités. Les privatisations ont aussi pour effet d affaiblir le rôle de l État et le pouvoir démocratique des citoyens. Les services publics «à la française» constituaient à la fois un moyen de pilotage économique de l industrie et de la recherche en même temps que le moyen d une politique sociale. Ils participaient aussi à diffuser dans l ensemble de la société des principes et valeurs républicains : égalité devant le service public, neutralité et laïcité de ceux-ci, péréquation des tarifs et aménagement équilibré du territoire, indépendance du fait de leur statut des agents publics vis-à-vis du pouvoir politique, du clientélisme et de la corruption. Avec le rétrécissement de la place et des prérogatives des services publics, c est l ensemble de ces principes qui font le vivre ensemble et la démocratie au quotidien qui recule. Celle-ci passe par des lieux de pouvoir et d intervention ; quand on a, sur son territoire, des représentants de l État par le biais des services publics, on se sent aussi plus citoyen que lorsqu on a affaire exclusivement à des entreprises privées. «Quel État?» dans le cadre de la mondialisation, de l Europe ; quel rôle de l État, quel pouvoir de l État, et quelle influence de l État dans tous les domaines économiques et sociaux? Cette question doit faire l objet d une pensée politique et d une pensée de la démocratie. Donner aux plus discriminés l envie de s investir

154 Maryse Dumas Légitimité sociale et démocratie politique Dès l élection de Sarkozy, en 2007, l affrontement a été vif sur le rapport entre démocratie sociale et démocratie politique, celui-ci estimant que le programme présidentiel devait s appliquer à tous, y compris aux organisations syndicales. Celles-ci étaient donc sommées de négocier la mise en œuvre de ses décisions plutôt que leurs propres revendications. En 2010, avec le mouvement sur les retraites, on voit revenir la même problématique : les manifestants, parce que moins nombreux que les électeurs, n auraient pas la légitimité à contester la réforme décidée par le président de la République. En quelque sorte, la vision sarkozyste de la démocratie c est : «vous votez une fois tous les cinq ans, et dans l intermède vous n avez plus le droit à rien, le programme présidentiel suffit à tout.» Or, cela pose d immenses problèmes. Une enquête publiée récemment fait apparaître qu un Français sur deux estime que la démocratie a plutôt reculé en France ces dernières années. 61 % des Français sont favorables à ce que, dès qu une manifestation réunit plus d un million de personnes, cela déclenche une loi. Et dans ces 61 % de Français, on trouve 76 % des employés et 72 % des ouvriers, précisément les mêmes qui se sentent moins impliqués quand il s agit d aller voter La votation citoyenne contre la privatisation de la poste, il y a quelques mois, avait déjà manifesté les mêmes exigences. La question est de savoir porter, exprimer, conforter ces exigences démocratiques nouvelles. Pas de démocratie réelle sans organisations démocratiques Je conclurai par ce par quoi j ai commencé : il ne peut pas y avoir de démocratie réelle sans présence d organisations démocratiques nombreuses, avec beaucoup d adhérents, avec beaucoup de gens qui, là où ils sont, développent des pratiques démocratiques et participent ainsi à la politisation au sens vrai et profond du terme de la société. Dans les territoires, les entreprises, les localités, une multiplicité d initiatives sont prises. Elles ont du mal à se faire entendre et reconnaître au plan national. Il y a toujours des militants et des militantes, même s ils ne sont pas «encartés» comme on dit, pour essayer modestement de faire vivre les choses là où ils ou elles se trouvent. Je ne sais pas si on peut parler à ce sujet de pratiques autogestionnaires. En tout cas, je crois que c est à ce niveau que l essentiel et le novateur se produisent. Mais pour aller au bout des potentialités, il faut donner sens et cohérences à ces initiatives multiples et les inscrire dans une visée transformatrice. C est à cette condition que démocratie et transformation de la société donneront ensemble un contenu et un débouché nouveaux à nos luttes et à nos espoirs. Au cours de la discussion, Maryse Dumas a précisé : Une réaction d abord à l idée qu on voudrait nous supprimer le suffrage universel ou que, pour des conquêtes démocratiques nouvelles, il faudrait

155 compléter les façons dont sont représentés les citoyens, notamment au travers du tirage au sort. Je crois qu ils n ont pas besoin de supprimer le suffrage universel! À partir du moment où un Français sur deux et notamment les catégories populaires, et donc celles qui portent le plus le changement de société ne vote pas, pourquoi supprimer le suffrage universel? D autant que le champ d intervention du pouvoir élu est réduit par rapport à la réalité du pouvoir économique et financier, En revanche, continuer dans une alternance sans alternative, sur la base d une démobilisation populaire, ça leur va très bien! Ils peuvent même se permettre de donner des leçons de démocratie au monde entier. Quant au tirage au sort, je ne vois pas en quoi il peut correspondre à une nouvelle pratique démocratique ; je le vois au contraire comme une adaptation au faible investissement populaire. Je peux le concevoir dans le cadre d une aide à la prise de décision, mais en aucun cas comme une conquête démocratique. Si on veut que ça change, il faut s emparer des deux sujets : l intervention des catégories populaires en termes de mobilisation et de vote et, en même temps, des choix politiques s emparant des questions économiques et sociales et des lieux de pouvoirs réels, au plan national et au plan international. Il y a une espèce de césure qu il faut absolument surmonter entre ce qui relève du social d un côté, ce qui relève de l économique de l autre, et en troisième lieu ce qui relève du politique. Il y a besoin que le politique investisse tout l espace et démontre que, même si on est élu de territoire, même si on est élu du Parlement, etc., on a voix au chapitre ; et tous les citoyens avec ce qui a été dit avant moi là-dessus, notamment les catégories populaires, doivent pouvoir intervenir sur ces lieux-là. Deuxième idée, sur la prise de conscience de la globalisation. Elle existe de façon beaucoup plus importante que ce que nous imaginons. Les gens y sont confrontés tous les jours. Ce qui leur manque et c est là que l intervention du politique est nécessaire c est : comment peut-on peser sur elle, modifier son cours? C est ce qui est le moins abordé. Je ne crois pas que qui que ce soit ait la solution, moi pas plus que d autres. Nous avons besoin d en faire, justement, un sujet de débat populaire. La globalisation est dans le débat, au quotidien, par exemple sur les comparaisons de coûts ou de productivité d un pays à l autre. Les seules qui ont du mal à l aborder et à en faire des sujets de débat démocratique pour définir des stratégies ce sont les forces démocratiques. Toutes les populations ne vont pas pouvoir se déplacer pour aller faire des manifs par dizaines de millions à chaque G 8 ou G 20. Mais, là où nous sommes, nous pouvons faire quelque chose. Et pour pouvoir le faire, il faut avoir le sentiment d être le maillon d une grande chaîne. Il faut donc que cette grande chaîne soit visible, qu elle ait été définie, mise en débat, dans une visée stratégique. C est cela qui manque. Donner aux plus discriminés l envie de s investir