CHOISIR DES CONTENUS RECONNUS ET PERTINENTS : UN GESTE PROFESSIONNEL DIDACTIQUE MAJEUR



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Réflexion pédagogique CHOISIR DES CONTENUS RECONNUS ET PERTINENTS : UN GESTE PROFESSIONNEL DIDACTIQUE MAJEUR À l ordre d enseignement supérieur, contrairement à l enseignement primaire et secondaire, les enseignants ont à faire des choix de contenus d enseignement. Depuis la réforme de l enseignement collégial, la délimitation des contenus essentiels et leur agencement sous forme de cours en lien avec le développement des compétences sont réalisés par les enseignants lors de l élaboration des programmes. Concrètement, le résultat de ce travail didactique se retrouve dans des planscadres de cours, documents qui reflètent les décisions des comités de programme quant aux différents fondements ayant permis de circonscrire l objet des cours, les contenus jugés essentiels, leur justification et leur importance dans le cours. Un second exercice de délimitation, qui appartient à l enseignant lors de la planification du cours, est de circonscrire l étendue des contenus inscrits au plancadre de cours. Il s agit là de deux moments cruciaux dans la pratique professionnelle des enseignants de cet ordre d enseignement. On peut affirmer sans exagérer qu il s agit de gestes professionnels importants qui font appel à la négociation entre les enseignants aux références souvent différentes et chez l enseignant lui-même qui jauge les savoirs à enseigner parmi ses propres savoirs. On peut prétendre sans se tromper qu un bon nombre d enseignants ne sont pas totalement conscients des références qu ils utilisent pour choisir les contenus. Le fait de mieux cerner ses références est un geste professionnel décisif qui a des conséquences sur le sens des apprentissages des élèves. NICOLE BIZIER Conseillère pédagogique Cégep de Sherbrooke Alors, qu est-ce qui peut guider ces choix? Qu est-ce qui peut faciliter ces décisions? Quelles sont les références sur lesquelles les enseignants peuvent baser leurs choix de contenus et d organisation de ce contenu? Comment faire en sorte que ces choix se fassent sur une base reconnue, pertinente, argumentée et documentée? Comment se font ces choix et comment se prennent ces décisions? Dans ce contexte de choix et de décisions non arbitraires, le fait d avoir des références valides et sûres devient un critère incontournable quand vient le temps de choisir les contenus à enseigner. Cet article tente de démontrer l importance et la façon dont la référence est utilisée dans le choix des contenus aux formations technique, préuniversitaire et générale. LES RÉFÉRENCES QUE POSSÈDENT LES ENSEIGNANTS Disons d entrée de jeu que les enseignants possèdent des références utiles pour faire des choix de contenus. Alors, quelles sont ces références ou sources? Elles sont de l ordre des savoirs reliés à leur expertise disciplinaire ou professionnelle et des savoirs sur l enseignement de la matière. Mais ces savoirs, d où proviennent-ils? Ils proviennent des savoirs savants, des situations professionnelles et des pratiques sociales et disciplinaires. Les savoirs savants sont des savoirs accrédités par la communauté universitaire et ils proviennent de la recherche, par exemple, la notion de produit intérieur brut (PIB) pour un cours d économie. Les situations professionnelles sont les activités caractéristiques d une profession telle que l utilisation par un économiste du PIB pour expliquer la bonne santé financière d un pays. Les pratiques sociales, quant à elles, sont des activités ou des interventions qui ont cours dans un milieu donné et qui concernent l ensemble d un secteur social (Martinand, 1986) ; par exemple, les pratiques des économistes quand ils font partie d un conseil d administration d association à but non lucratif. Les pratiques disciplinaires sont des activités de recherche, lesquelles peuvent être de l ordre disciplinaire, interdisciplinaire ou multidisciplinaire. Ces savoirs sont des sources ou des types de références quand vient le temps de faire le choix de contenus reconnus et pertinents dans un programme d études. Jusqu à maintenant, ce sont les savoirs savants, presque uniquement, qui ont servi de guide dans le choix de contenus. Les développements sur le plan de la didactique, en particulier ceux des savoirs professionnels (Habboub, Lenoir et Tardif, 2005), ont apporté un éclairage différent sur les références qui peuvent servir de fondements aux choix de contenus. RÔLES DES RÉFÉRENCES DANS LA PRATIQUE ENSEIGNANTE Quels rôles jouent les références dans les pratiques d enseignement? Les références sont à la fois des sources, des moyens et des fins concernant les savoirs à enseigner (Raisky, 2001). Comme sources, les références se situent au début du processus de HIVER 2008 VOL. 21 N O 2 PÉDAGOGIE COLLÉGIALE 13

construction des savoirs à enseigner. C est le premier moment de négociation entre les savoirs de référence des enseignants. Les références jouent le rôle d autorité ou de moyen de légitimation lors de l élaboration de programme, au moment de la délimitation des contenus essentiels ou objets d apprentissage devant faire partie des cours. Ainsi, on devra répondre à des questions telles que : quels contenus seront associés à ces cours, quels concepts, quelles notions, quelles approches, quels auteurs, etc.? Comme moyens, les références peuvent servir de guide à l élaboration et à la réalisation de situations de formation ou de situations d enseignement. Les références jouent également ce rôle lors de la planification de l enseignement au moment où l enseignant doit déterminer l organisation de la matière et délimiter l ampleur ou l étendue des concepts à enseigner inscrits au plan-cadre d un cours. Les questions à se poser sont : d où partir et jusqu où aller dans l enseignement de cette approche ou notion, dans quel ordre ou quelle séquence les contenus listés doivent-ils être présentés aux étudiants? C est le deuxième moment de négociation, qui se passe habituellement dans la tête de l enseignant ou avec un collègue. Comme moyens, les références peuvent servir de guide à l élaboration et à la réalisation de situations de formation ou de situations d enseignement. Elles inspirent la mise en œuvre de l action de l enseignant, c est-à-dire la façon d aborder les contenus et le choix des stratégies d enseignement et d apprentissage. Comme fins, les références donnent un sens, une direction aux savoirs à enseigner. Elles permettent de faire des choix dans la perspective de l atteinte des finalités d un programme d études et elles confirment la pertinence des savoirs que l on enseigne. LA NÉCESSITÉ D AVOIR DES SAVOIRS VALIDES COMME RÉFÉRENCES DANS LE CHOIX DES CONTENUS Alors, on est en droit de se demander en quoi le recours à la notion de référence est un geste essentiel, incontournable lorsque vient le temps de choisir les contenus à enseigner. Parce que la référence pose la question de la validité des savoirs, leur exactitude, leur justesse, leur conformité disciplinaire ou professionnelle et leur pertinence, soit le lien qu ils ont avec les finalités du programme d études. Les questions (Lapierre, 2007) à se poser sont : En quoi mes sources sont-elles sûres et reconnues? C est ce qu on appelle la garantie d authenticité. En quoi mes sources sont-elles pertinentes? C est la garantie d utilité, c està-dire le lien avec les finalités du programme d études. Sur le plan du programme, les références sont d une grande légitimité lors de l élaboration ou de l évaluation, car elles permettent de faire ou de revisiter les choix de contenus à enseigner : quelles notions, quelles pratiques, quelles démarches, quelles approches disciplinaires ou professionnelles doit-on enseigner en matière de justesse, de conformité aux savoirs savants, aux situations professionnelles ou aux pratiques disciplinaires ou sociales et comme apport à l atteinte des finalités du programme d études? Au niveau du cours, les références permettent de mieux cerner l étendue et la pertinence des savoirs à enseigner en lien avec les finalités recherchées ou la compétence à acquérir. Être au clair avec ses références, c est pouvoir justifier et documenter ses choix en fonction des finalités du programme d études. C est aussi être en mesure de démontrer aux étudiants la valeur des contenus enseignés, à savoir que ce que j enseigne est juste et pertinent. Ainsi, je contribue à donner un sens à mon enseignement. Et il ne s agit pas que de contextualiser les savoirs, mais de bien saisir leur nature, leur complexité de façon à en tenir compte et faire en sorte que l apprentissage ait lieu. DES TRAVAUX DE DIDACTIQUE La didactique étudie les objets d apprentissage, soit les savoirs à enseigner sur le plan de leur origine, leur nature, leur valeur, leur organisation et leur évolution. Elle s attache aussi au rapport que les enseignants et les étudiants entretiennent avec ces savoirs. La didactique analyse également les conditions d appropriation de ces savoirs en précisant les préalables, les représentations que ceux-ci supposent, les obstacles qu ils peuvent susciter. Elle s attarde à la transformation des savoirs en savoirs à enseigner et à la façon de les acquérir en ce qui concerne l organisation des situations et de construction de séquences d enseignement (Reuter, 2007). Pour les enseignants, le cadre de référence didactique leur permet d abord de se positionner par rapport à leur propre expertise disciplinaire, à leurs propres savoirs et aux savoirs qui seront enseignés, avec une distance entre les deux types de savoirs. 14 PÉDAGOGIE COLLÉGIALE VOL. 21 N O 2 HIVER 2008

La didactique au collégial DOSSIER L exercice d élagage est un geste professionnel propre à l enseignement supérieur. Il doit être fait en se basant sur des références valides et pertinentes et selon les finalités du programme d études dans lequel l enseignant évolue. Pour mieux cerner les fondements de ces choix didactiques à l enseignement collégial, PERFORMA a mené des travaux qui ont permis de préciser des éléments permettant de situer ce cadre à partir de cinq pôles ou entrées qui caractérisent le questionnement didactique à l enseignement collégial. Afin de visualiser les liens entre ces différentes entrées, le groupe de travail sur la didactique, GTSEEM, a développé une image, la métaphore de la fleur didactique. Le questionnement didactique dont nous parlons depuis le début de cet article comporte cinq entrées : L ENTRÉE 1 qui correspond aux savoirs disciplinaires et aux savoirs spécialisés ou professionnels des enseignants ; L ENTRÉE 2 qui fait appel aux savoirs curriculaires ou savoirs à enseigner ; L ENTRÉE 3 qui concerne les rapports aux savoirs des élèves ; L ENTRÉE 4 en lien avec le matériel didactique ; L ENTRÉE 5 qui s intéresse aux stratégies d apprentissage et d évaluation. Pour enseigner et faire apprendre d une façon efficace, les enseignants doivent posséder des savoirs en lien avec chacune de ces entrées. En ce qui a trait au geste professionnel de choisir des contenus reconnus et pertinents, dans cet article, nous nous attarderons aux entrées 1 et 2. ENTRÉE 5 Stratégies d enseignement et d évaluation ENTRÉE 4 Matériel didactique Figure 1 LA FLEUR DIDACTIQUE 1 ENTRÉE 1 Savoirs disciplinaires Question didactique ENTRÉE 3 Rapports des élèves aux savoirs ENTRÉE 2 Savoirs à enseigner LE RÉPERTOIRE DE SAVOIRS DE L ENSEIGNANT : SES RÉFÉRENCES Le premier pétale ou l entrée 1 réfère aux savoirs que possède l enseignant sur sa matière. On se rappelle que les savoirs sont de nature disciplinaire ou professionnelle. Outre les savoirs savants ou disciplinaires, le répertoire des enseignants contient des pratiques liées soit à la discipline ou à la profession. Cette entrée dans le questionnement didactique correspond à l authenticité des savoirs présents dans le répertoire de l enseignant. L analyse des savoirs pour l entrée 1 doit permettre de répondre à des questions telles que : Quels sont les développements récents dans ma discipline ou ma profession? Par exemple, en économie, quels sont les impacts de la mondialisation sur les inégalités sociales et le développement des états? D où vient telle notion/pratique/application? Par exemple, en économie, d où provient l usage de la notion de produit intérieur brut? Ces savoirs sont-ils reconnus? Par qui? Quelle en est la valeur? Par exemple, en soins infirmiers, quelles sont les recherches qui ont amené un changement de traitement des plaies de pression? Par qui ont-elles été menées? Les résultats sont-ils probants? Ce questionnement didactique fait appel aux sources des savoirs et il exige que l enseignant s assure que la valeur de ces savoirs et de ces pratiques fait consensus chez les groupes d experts de sa discipline ou de sa profession. Comme le répertoire des savoirs des enseignants sert de base aux choix des contenus à enseigner, il est d autant plus important que les savoirs que ceux-ci détiennent soient valides. Compte tenu de l évolution rapide des savoirs, l enseignant doit être en mesure de situer et de valider les savoirs et les références qu il utilise pour faire des choix de contenus, pertinents au programme et aux cours dans lesquels il intervient, parmi l ensemble des savoirs disciplinaires ou professionnels qu il possède. 1 La métaphore de la fleur didactique se retrouve dans le Guide d accompagnement du cours DID 868 à l intention des répondantes et répondant locaux PERFORMA, Sherbrooke, 2007, point 4.1. HIVER 2008 VOL. 21 N O 2 PÉDAGOGIE COLLÉGIALE 15

LES SAVOIRS À ENSEIGNER Le deuxième pétale ou l entrée 2 fait référence aux savoirs qui seront enseignés. Ils seront choisis parmi les savoirs de l enseignant en considérant les finalités du programme d études. C est la pertinence des savoirs en fonction de l atteinte de ou des compétences dont il est ici question. Ainsi, l enseignant devra situer son cours dans une des composantes du programme et en fonction des finalités recherchées. Pour ce faire, il y aura une négociation de choix de contenus non seulement entre les différents contenus pouvant faire l objet d apprentissage, mais également entre les enseignants. Pour légitimer ces choix, l enseignant doit être en mesure non seulement de nommer, mais aussi d expliciter ses références, car c est sur cette base que se font les choix. Comme il a précédemment été mentionné, les références jouent le rôle d autorité ou de moyen de légitimation quand vient le temps de faire des choix en termes de finalités du programme et et de compétences à développer dans les cours. Elles servent à vérifier la pertinence des savoirs à enseigner. La question que l enseignant doit se poser est la suivante : en quoi ces sources sontelles alignées sur les finalités du programme d études? C est sa garantie d utilité des savoirs à enseigner pour faire acquérir les compétences (Lapierre, 2007). Les questions importantes de l analyse de l entrée 2 sont : Que signifie faire de l histoire? de la physique? de la sociologie? Quels sont les concepts, démarches, pratiques ou attitudes essentielles à maîtriser par un novice dans cette profession? En quoi ces concepts sont-ils pertinents pour le développement de la compétence dans ce programme, ce cours? Si on enlevait ce contenu, que se passerait-il? Dans quels cours du programme ces concepts s intègrent-ils le mieux ou le moins? Quel est le fil conducteur de mon cours? Jusqu où développer ce thème dans ce cours? LA SITUATION PROFESSIONNELLE COMME RÉFÉRENCE POUR L ENSEIGNEMENT TECHNIQUE Voyons ce que signifie l utilisation de la situation professionnelle comme référence pour le choix de contenus à l enseignement technique. Prenons pour exemple l observation de l estime de soi chez les enfants dans un service de garde comme une situation professionnelle typique dans un cours d éducation à l enfance. Cette situation pourrait être analysée de façon à faire ressortir les buts, les enjeux, les valeurs, les décisions ou gestes à poser ainsi que les savoirs qui servent à l observation des signes de l estime chez les enfants dans un contexte de travail en garderie. Cette analyse ferait ressortir la dynamique qui existe entre les différents éléments durant l action. Par la suite, l enseignant devra réfléchir sur la façon dont il pourrait faire vivre cette dynamique en classe, afin de faire développer l habileté d observation par les étudiantes. Voici d autres exemples de situations professionnelles : la détermination de la ligne des eaux par des techniciens en bioécologie, la pratique d écriture d un journaliste, l évaluation initiale d un patient, etc. Dans toute cette abondance de savoirs, qu est-ce qui permet de préserver la nature, la dynamique et la complexité de ceux qui doivent être enseignés? Selon Raisky (1996) et Martinand (2001), les références qui permettent le mieux de faire des choix significatifs pour l enseignement et l apprentissage proviennent de l extérieur de l école. Elles doivent être partagées par une large communauté de personnes, être de nature sociale et culturelle, faire l objet d évaluations ainsi que d examens critiques, être explicites ou explicitables et évoluer dans le temps. Concernant l enseignement technique, la situation professionnelle répond à ces exigences. Examinons-la à partir d un modèle élaboré par Raisky et Loncle. L originalité de leur modèle vient du fait qu ils ont revisité le triangle didactique pour que celui-ci tienne compte de la situation professionnelle. Ils ont conservé le rapport entre apprenant, enseignant et contenu, mais en éclatant ce dernier élément pour considérer les caractéristiques de la situation professionnelle. Ils ont élaboré le schéma (page suivante). Dans toute cette abondance de savoirs, qu est-ce qui permet de préserver la nature, la dynamique et la complexité de ceux qui doivent être enseignés? Raisky et Loncle (1993) ont redéfini le triangle didactique en ce qui a trait au contenu relatif aux situations professionnelles. Pour eux, le contenu tel qu il est vu dans le triangle didactique est constitué d éléments qui entretiennent une dynamique devant être comprise et même reproduite si l on veut que l apprentissage se produise. Alors, que contiennent ces situations? D abord, elles sont caractérisées par des actes, gestes professionnels en termes 16 PÉDAGOGIE COLLÉGIALE VOL. 21 N O 2 HIVER 2008

La didactique au collégial DOSSIER de décisions à prendre nécessitant le recours à des savoirs pratiques, scientifiques et techniques. Ces actes ou gestes sont posés en fonction de buts, de valeurs et d enjeux propres au contexte dans lequel ils se déroulent. Le recours à la situation professionnelle comme référence pour faire le choix des contenus permet de mieux cibler les éléments qui doivent faire l objet d apprentissage. Il ne s agit pas d une simple contextualisation des savoirs, mais d une analyse qui permet de saisir la dynamique dans laquelle les savoirs sont mobilisés dans l action et ensuite d identifier la meilleure façon de les faire apprendre. La situation professionnelle doit servir de référence et doit être traitée de façon à être accessible pour l enseignement. C est ce que nous appelons le processus de didactisation. Ce dernier se réalise en trois temps (Lapierre, 2007) : 1. Choisir une situation professionnelle typique, représentative de la profession correspondant à une ou des situations de formation et dans laquelle la compétence du cours va se démontrer : par exemple, l observation de l enfant ; 2. Analyser la situation professionnelle selon le modèle de Raisky ; 3. Analyser la situation de formation qui est reliée à la situation de référence en faisant ressortir les finalités, les enjeux, les valeurs. Quels sont les savoirs à enseigner les plus pertinents? Quels sont les rapports aux savoirs des élèves à considérer? Quelles sont les stratégies les plus adaptées à l apprentissage de ces savoirs? Quelles sont les conclusions à tirer? Figure 2 TRIANGLE DIDACTIQUE (Raisky et Loncle) FINALITÉS ENEJUX VALEURS SAVOIRS TECHNIQUES APPRENANT SAVOIRS PRATIQUES SAVOIRS SCIENTIFIQUES LES PRATIQUES SOCIALES COMME RÉFÉRENCES ACTES, GESTES PROFESSIONNELS (DÉCISIONS) SITUATION PROFESSIONNELLE TYPIQUE CONTEXTE ENSEIGNANT Si une des références importantes en formation technique est la situation professionnelle, la référence clé en formation préuniversitaire est le savoir savant. Cependant, la didactisation ne peut se réaliser de la même façon. Elle ne procède pas uniquement à partir du savoir savant, mais provient également des pratiques sociales de référence (Martinand, 1986, 2001). Sur les pratiques sociales de référence, on pourrait dire que «les pratiques renvoient aux activités réelles d un groupe social identifié, qui peut servir de référence pour la conception et l analyse d activité scolaire.» (Reuter, 2007) Ce type de référence permet à la fois de construire et d analyser l objet d enseignement. C est ce qui la distingue de la situation professionnelle qui, elle, se rapproche beaucoup de la situation de formation. La pratique sociale de référence demande un plus grand traitement pour construire la situation de formation et ainsi permettre aux étudiants d apprendre. La pratique sociale comporte le potentiel d apprentissage de savoirs disciplinaires, de pratiques et d utilisation d instruments et de méthodes propres à une ou des disciplines. Elle doit permettre aux étudiants de mobiliser et produire des connaissances, et elle doit donc comporter une certaine complexité. Par conséquent, la modélisation de ces pratiques est importante pour en identifier le potentiel d apprentissage sur le plan des savoirs et des pratiques qui seront mobilisés et construits. Une source de pratiques sociales qui nous semble prometteuse pour les enseignants au collégial est celle du traitement des questions socialement vives (Legardez et Simonneaux, 2005), à savoir des questions d actualité qui soulèvent des débats entre spécialistes de secteurs disciplinaires ou d experts professionnels. En science, par exemple, le phénomène de la téléphonie cellulaire qui présente à la fois des controverses HIVER 2008 VOL. 21 N O 2 PÉDAGOGIE COLLÉGIALE 17

tant du point de vue physique que social. Des thèmes tels que la mondialisation, les infections nosocomiales, les inégalités sociales ou le commerce équitable revêtent également des aspects controversés qui pourraient servir à construire et à analyser une situation de formation et ainsi concourir au développement de compétences scientifiques et citoyennes. La question centrale pour l enseignant est la suivante : comment produire des objets d enseignement «à bonne distance», suffisamment «chauds» pour être pertinents dans les débats sociaux et suffisamment «refroidis» pour permettre un travail scolaire et un apprentissage (Legardez, 2002)? Le processus de didactisation pour la formation préuniversitaire et la formation générale peut se faire de la façon suivante (Lapierre, 2007) : 1. Analyser la pratique sociale de référence de façon à prendre en compte non seulement les savoirs en jeu, mais les pratiques, les objets, les instruments, les problèmes, les tâches, les contextes, les rôles sociaux ; 2. Analyser la situation de formation, en dégager les finalités et les contenus qui y sont rattachés ; 3. Analyser et expliciter les écarts entre la situation de formation et la pratique sociale prise pour référence. Ce n est que suite à l analyse de la situation professionnelle ou de la pratique sociale et de la confrontation avec la situation de formation que l enseignant pourra faire des choix de stratégies d enseignement et d apprentissage qui tiendront compte de cette analyse. Ces deux modèles possèdent, nous le croyons, un potentiel d intérêt quand vient le temps de faire des choix de contenus. Ils permettent de faire des choix argumentés à partir de contextes significatifs dans lesquels les savoirs seront sollicités et construits, soit en regard d une profession ou d une pratique sociale. CONCLUSION Notre expérience nous montre que l utilisation de références valides en lien avec les finalités d un programme d études redonne aux savoirs la place qui leur revient. Cette façon de faire les choix de contenu est porteuse de sens pour l enseignement collégial. Un commentaire d une participante à une activité de formation en didactique illustre bien ce propos : «Depuis l avènement de l approche par compétences, j avais l impression d être en déséquilibre, sur une jambe, en cachant presque les savoirs sous une variété de stratégies. Le recours à des sources valides de savoirs pour faire le choix des contenus et de stratégies d enseignement et d apprentissage m a permis de retrouver un équilibre entre savoirs pédagogiques et savoirs disciplinaires et de redonner à mon expertise disciplinaire la place qui lui revient.» N est-ce pas là un commentaire qui nous incite à aider les enseignants à prendre conscience des références qu ils utilisent pour faire le choix de contenus et par la suite d activités d apprentissage? Nous pouvons affirmer que le fait de situer et de valider ses références est un geste professionnel incontournable pour créer le sens de l enseignement, et ce, dans toutes les composantes de l enseignement collégial. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES HABBOUB, E., Y. LENOIR et M. 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