L'évaluation d'un programme de mentorat Voyager sur le chemin le moins fréquenté Joaquin Barnoya Traduit de l'anglais par Félix-Marie Affa'a Le Guatemala est un pays à revenu faible ou moyen (PFRM) avec 13 millions d'habitants environ, l'un des indices d'inégalité les plus élevés en Amérique latine et une longue histoire de luttes politiques et sociales. En plus, il a l'un des taux d'analphabétisme les plus élevés du continent (25 % dans la population générale; jusqu'à 60 % dans la population indigène) et l'accès à l'enseignement supérieur (universitaire) reste faible (15 %). En revanche, il possède l'une des plus anciennes universités d'amérique (Universidad de San Carlos de Guatemala, 1676). Toutefois, comme l'écrivain péruvien José Carlos Mariategui l'a souligné, les universités en Amérique, y compris San Carlos, n'avaient pas été fondées dans le but de trouver des solutions aux problèmes locaux, mais plutôt de diffuser les connaissances produites dans le «Vieux Continent». Dans ce contexte, le milieu universitaire du Guatemala procure très peu de soutien (économique et humain) en vue de générer les connaissances qui peuvent être utilisées pour trouver des solutions fondées sur des données probantes afin de répondre aux besoins les plus urgents du pays. Par exemple, selon les points de vue d'un étudiant et d'un professeur d'université, les recherches qui ont lieu à l École de médecine sont le résultat d'exigences académiques (par exemple, pour l'obtention d'une thèse de doctorat) plutôt que d'un choix de carrière. Par conséquent, la possibilité de recevoir et d'offrir du mentorat est souvent absente et quand le mentorat se fait, il est le résultat d'un heureux hasard. Ma première expérience de mentoré est arrivée sans que soit reconnu le fait que c en était une, même si elle avait été fructueuse. Ce n est que bien des années plus tard que j'ai réalisé qu'il s'agissait de véritables mentors et non pas seulement d'amis ou de parenté. Grâce à mon père (urologue guatémaltèque formé aux États-Unis) et à Aldo Castañeda (médecin guatémaltèque, ami de ma famille qui était chirurgien en chef à l'hôpital pour enfants de Boston, puis qui était revenu au Guatemala), j'ai reçu des conseils pour poursuivre une carrière en santé publique. J'ai aussi bénéficié du mentorat de mes superviseurs lors de mes études de maîtrise aux États-Unis. En 2004, j'ai décidé de retourner au Guatemala, où je me suis
concentré sur des recherches pertinentes aux politiques de contrôle des maladies chroniques. Toutefois, il ne m'est jamais venu à l'esprit que je consacrerais une grande partie de mon temps au mentorat. J'ai commencé par réaliser l'importance d'un mentor (et du mentorat) à travers mon implication dans la recherche sur la lutte mondiale antitabac (Programme de mentorat CRDI / RMCT) avec mon collègue et bon ami, le Dr Raúl Mejía. Mon premier programme de mentorat a reçu un financement pour un projet de recherche de sept mois en 2008. Depuis lors, je me suis engagé dans le mentorat tout en sollicitant activement l'opinion de mes propres mentors sur la façon de mentorer au début de ma carrière. Sur la base de ce petit programme, j'ai ensuite obtenu un financement du CRDI / RMCT pour établir un «Programme de stages de formation à la recherche sur le contrôle des maladies chroniques» au Guatemala. En bref, ce programme de stage recrute deux stagiaires par an pour mener des recherches pertinentes aux politiques sur les maladies chroniques. Ces recherches peuvent ensuite être utilisées pour soutenir les politiques fondées sur des données probantes pour arrêter l'épidémie de maladies chroniques au Guatemala. Compte tenu de la nature du système universitaire guatémaltèque, les références universitaires (par exemple, les CV, les relevés de notes) disent très peu sur les capacités intellectuelles des étudiants. En outre, comme la plupart d'entre eux n'ont jamais été encadrés par l'école de médecine, le processus de sélection des stagiaires repose essentiellement sur une entrevue avec le directeur du programme (Joaquin Barnoya), un mentor débutant (Violeta Chacon, RD, MPH) et un mentor d'expérience (Aldo Castañeda, MD, PhD). Par conséquent, nous avons demandé aux candidats de soumettre un curriculum vitae et une lettre d'intention, mais par-dessus tout, nous recherchons des qualifications non académiques qui comprennent : un engagement social fort, un intérêt à la diminution de l'écart entre les riches et les pauvres et à la médecine communautaire beaucoup plus qu'à la médecine centrée sur le patient, un engagement à apprendre, mais aussi à devenir mentor dans l'avenir, des compétences de base en anglais écrit et parlé, l'aptitude à collaborer avec d'autres chercheurs et à mener un projet de travail de terrain; ce sera la clé de la mise en œuvre une fois que le projet du stagiaire aura été accepté, l'ouverture à recevoir des critiques constructives, l'enthousiasme à apprendre de nouvelles choses, y compris des sujets sans liens avec la recherche. Actuellement, à sa cinquième année, le programme a généré des données stratégiques pour soutenir la mise en œuvre de stratégies judicieuses de lutte contre les maladies chroniques, principalement liées à la lutte antitabac. Les résultats ont été présentés aux niveaux national et international. La formation à la recherche a consisté en des principes de biostatistiques et d'épidémiologie et un club de lecture. Le programme suscite de plus en plus l'intérêt des diplômés en médecine à
poursuivre leur formation à la recherche à l'étranger; il permet en plus de développer des capacités locales de recherche. De cette expérience, les stagiaires et les assistants de recherche ont créé un réseau de recherche au Guatemala et à l'étranger. L'évaluation des résultats Sur la base de ces résultats, notre programme a pu accomplir ce pour quoi il était prévu. Heureusement, j'avais été invité (obligé) à commencer à réfléchir à l'évaluation de l'expérience de mentorat au début du programme (2009). Mon agent de programme au CRDI à l'époque m'a encouragé à sortir des sentiers battus en m initiant aux concepts des produits et des résultats. Devant l obligation d évaluer le programme, ma première réaction a été que c'était une charge administrative de plus dont j'avais à m'occuper! Pour quelqu'un dont la formation de base est la médecine clinique et qui, plus tard, s'est consacré aux biostatistiques, j'étais satisfait de ce que le programme produisait : des publications, des présentations, des tableaux, des valeurs p (seuil expérimental), etc. Toutefois, j'ai ensuite réalisé que c'étaient des réalisations (, très importants certes, mais que le programme devait aller un peu plus loin et évaluer ces produits. L'évaluation des résultats nous a amenés à examiner ce qui a été obtenu aux niveaux personnel (mentorés et mentors), institutionnel (organisationnel) et national en retour de l'investissement de tant d argent et de temps au Guatemala. J'ai alors réalisé qu'il y avait tout un bloc de documentation qui n'avait rien à voir avec les valeurs p, les tableaux ou les biostatistiques, mais qui était tout aussi pertinent pour réfléchir à la réussite du programme. Je me suis familiarisé avec la «cartographie des incidences» et les «cadres de planification, de suivi et d'évaluation» pour le renforcement des capacités. L'application d'un cadre de suivi des performances Le hasard faisant bien les choses, un de mes premiers stagiaires (le Dr José Carlos Monzon) était encore à l'école de médecine à ce moment-là et il a eu le temps de m'aider à évaluer le mentorat. Avec le soutien de la subvention, nous avons réussi à allouer des fonds pour son traitement et sa formation en cartographie des incidences. En outre, le CRDI a également mis sous contrat Anne Bernard au Canada qui nous a aidés à élaborer un «Cadre de suivi du rendement (CSR)». Le CSR vise à évaluer, sur une base continue, les progrès vers les objectifs du programme en définissant des activités spécifiques, mesurables, associées aux résultats à long, moyen et court terme, et ce, à chaque niveau (personnel, institutionnel et national). José Carlos est chargé de contacter les stagiaires actuels et passés sur une base mensuelle afin d'évaluer ce qui est en train de changer dans leur carrière qui, autrement, ne se serait pas produit sans le programme. De plus, je discute avec lui de la manière dont le programme influe sur mes compétences de mentor et ma carrière. En outre, d'autres mentors expérimentés au Guatemala et à l'étranger qui sont familiers avec le programme ont été approchés pour obtenir leur point de vue sur les résultats du programme. Le CSR, maintenant un document de 25 pages, est
plein de citations et d'expériences des stagiaires, du mentor et des mentors expérimentés qui sont fort instructives et peuvent témoigner de l'impact qu a le programme. Par exemple, «Même si je ne suis pas très familier avec le terme «mentor» ou «mentorat», pour moi le mentorat est une relation à double sens dans laquelle le mentor et le mentoré apprennent l'un de l'autre, et même si c'est plus une relation verticale, tous les deux, le mentor et le mentoré, peuvent apprendre l'un de l'autre. En outre, je considère que dans le programme il y a une relation dynamique entre «pairs» (relation horizontale) dans laquelle les rôles varient selon les situations (le pair est le mentor ou le mentoré). Je crois que la coexistence des deux types de relations génère un processus complet d'apprentissage tout au long du programme». - Ana de Ojeda, MD (stagiaire de l'année 2) Le CSR s'est avéré un outil utile, non seulement en ce qui concerne l'évaluation des programmes, mais aussi pour faire prendre conscience de ce qu'est le mentorat et comment il fonctionne. Cela nous a permis de l'adopter et de nous adapter continuellement à mesure que le programme évolue. Un avantage particulier est que Jose évalue également le mentor et appréhende donc tous les aspects du programme et pas seulement du point de vue du mentoré. «C'est ma première expérience dans la recherche indépendante et le processus de mentorat a été extrêmement utile pour créer des réseaux de professionnels de la recherche. En outre, il a été utile de créer une sorte de ligne directrice des projets de recherche. Le mentor a l'expérience pour suggérer des idées dans la prise de décision, mais c'est le mentoré qui prend la décision finale, ce qui a également été très utile pour un apprentissage très pratique.» Miguel Cuj, RD (stagiaire de l'année 3) Le CSR nous aide aussi à voir l'image, en plus grand, de la façon dont le programme se déroule. Il peut être facile, dans la gestion quotidienne du programme, de devenir centré sur les activités et les objectifs à court terme. À cet égard, la citation de Miguel est un exemple d'un stagiaire intéressé par la recherche, mais qui, sans notre programme, n'aurait pas eu l'expérience de mener ses propres recherches et d'établir un réseau avec d'autres personnes qui s'intéressent à la recherche. Dans l'ensemble, le CSR fournit un outil pour déterminer les limites et les obstacles majeurs auxquels le programme est confronté pour sa viabilité à long terme. Un avantage supplémentaire du CSR est qu'il a servi de base pour écrire un article qui est actuellement à l'étude dans une revue scientifique décrivant les capacités de recherche sur des maladies chroniques dans un PRFM. Des réflexions pour aller de l'avant Quand je repense à notre programme, j estime qu il a produit des résultats évidents qui sont attendus d'un programme de recherche-formation (des publications, des présentations, etc.). Toutefois, grâce au CSR et à l'exigence du CRDI de documenter
les résultats, nous avons maintenant une meilleure compréhension de la façon dont le mentorat de recherche peut travailler dans un environnement qui, historiquement, n'a pas soutenu de tels efforts. Mon espoir à long terme est que le CSR constitue le fondement pour changer lentement le système éducatif du Guatemala afin qu'il profite à ceux qui commencent leur carrière en soins de santé, tout en générant les données nécessaires pour influencer l'environnement de recherche dans l'un des pays les plus difficiles des Amériques. Le Dr Joaquin Barnoya est directeur de recherche à l'unité de cardiologie du Guatemala (UNICAR) et professeur adjoint de recherche à la Division des sciences de la santé publique dans le Département de chirurgie à l'université de Washington à St Louis. À l'unicar, il est aussi directeur du Programme de recherche sur le contrôle des maladies chroniques qui vise à former deux jeunes stagiaires de recherche. Son travail à l'unicar a mis l'accent sur la disponibilité des médicaments de sevrage tabagique, la publicité sur les points de vente du tabac, la connaissance de la prévention des maladies chroniques au sein du personnel de la médecine interne et les ventes de cigarettes à l'unité, entre autres sujets. Vous pouvez en apprendre davantage sur son travail sur son site Web : http://publichealth.wustl.edu/people/scholardatabase/pages/barnoya.aspx.