NUTRITION Aider les enfants à suivre un régime hyperlipidique et hypercalorique adapté à la mucoviscidose Eileen Savage, Docteur en médecine, BNS, RCN, RGN Une bonne alimentation est indispensable pour les personnes souffrant de mucoviscidose. Des études menées ces 20 dernières années confirment qu'il existe un lien direct entre un régime hyperlipidique hypercalorique et le gain de poids, ce dernier contribuant à améliorer les fonctions pulmonaires et à favoriser une longévité plus importante. À notre époque, beaucoup d'enfants nés avec une mucoviscidose entrent aujourd hui dans leur trentaine ou leur quarantaine d'années, alors qu'il y a 30 ans, beaucoup d'entre eux s'éteignaient durant leur adolescence. Les objectifs nutritionnnels fixés pour les enfants atteints de mucoviscidose correspondent à une prise alimentaire représentant entre 120 et 150 % de la ration énergétique quotidienne recommandée pour leur âge, dont 40 % doit provenir des lipides. En outre, ces enfants doivent recevoir des enzymes provenant uniquement d'un petit nombre d'aliments. Bien que ce régime soit primordial pour leur santé et leur survie, les enfants ne suivent pas toujours ces recommandations. Dans ce cas, ils souffrent d'une santé déficiente due à la perte de poids et aux affections pulmonaires. Lorsque les enfants ayant un régime alimentaire inapproprié commencent à perdre du poids, il est indispensable de leur offrir des repas et des compléments comportant des boissons hautement énergétiques comme les milkshakes. S'ils continuent de perdre du poids, une alimentation par sonde peut s'avérer indispensable. Elle est alors administrée lors de leur sommeil, pendant la nuit. Certains enfants ne suivent pas ce régime conçu pour la prise de poids et rencontrent des difficultés à s'alimenter : ils rechignent à manger, refusent la nourriture ou même la recrachent. Aussi, des psychologues ont développé des programmes comportementaux pour aider les parents à modifier les comportements alimentaires de ces enfants. Cependant, on ne connaît pas encore très bien l'efficacité à long terme de ces programmes concernant l amélioration de la prise alimentaire de ces enfants. En pratique, il peut s'avérer difficile pour des parents de modifier les comportements alimentaires de leur enfant sans son entière collaboration. Les enfants choisissent ce qu'ils aiment ou n'aiment pas manger et leur choix ne correspond pas toujours aux aliments que leur conseillent leurs parents ou les professionnels de santé. En outre, les enfants mangent parfois en dehors des heures de repas, quelquefois à l'extérieur de la maison et donc, sans surveillance des parents. Aussi, plutôt que d attribuer aux parents la principale responsabilité du suivi du régime alimentaire recommandé pour la mucoviscidose par l enfant, il est sûrement préférable d impliquer directement les enfants :
# pour les aider à comprendre pourquoi ce régime est important pour leur santé ; # pour écouter les difficultés qu'ils éprouvent avec ce régime adapté à la mucoviscidose ; # pour adapter les messages diététiques d'une manière appropriée à leur vie quotidienne. Une enquête par entrevues avec 32 écoliers irlandais (âgés de six à 14 ans) et leurs parents sur la gestion du régime alimentaire pour la mucoviscidose a révélé des éléments essentiels sur la manière dont on pouvait aider les enfants à atteindre le niveau de prise calorique et lipidique requis. Cette étude a été publiée partiellement dans la revue Archives of Diseases in Childhood in March 2005 (Savage, E. and Callery P. (2005) «Weight and energy: parents and children s perspectives on managing CF diet». Archives of Diseases in Childhood. 90: 249-252). La portée principale de cette étude est que les parents et les professionnels de santé se concentrent principalement sur le gain de poids comme la clé d'une bonne santé alors que les enfants portent leur attention sur leur capacité d'activité et leur tonus, lorsqu'ils définissent ce qu'ils entendent par santé et bienêtre. Les enfants n'avaient pas établi de corrélation directe entre le maintien de leur poids et l'assurance de préserver un bon niveau d'énergie, par exemple pour jouer au football ou pour aller danser. L'étude montre que les enfants ne comprennent pas l'importance de la prise de poids pour leur santé. Le changement de poids n'est pas une sensation qu'ils peuvent ressentir dans leur corps jour après jour. Par contre, les enfants ressentent des modifications dans leurs niveaux d'énergie. Ils se décrivent comme très actifs et ressentent beaucoup de plaisir lorsqu'ils sont «remplis d'énergie». Ils se sentent fatigués et ont envie de se coucher lorsqu'ils ont peu d'énergie. Le respect strict d'un régime adapté à la mucoviscidose peut être difficile pour les enfants, surtout lorsqu on leur demande de manger des aliments qu ils n'aiment pas. Certains enfants de l'étude irlandaise ont décrit comme une corvée le fait d'avoir à manger la quantité de nourriture requise et exprimaient la contrariété qu'ils ressentaient envers les professionnels de santé qui insistaient pour qu'ils mangent lorsqu'ils perdaient du poids. Par exemple, une jeune fille de 12 ans raconte : «parfois, ils vous parlent seulement de nourriture, juste mange, mange, mange et mange.» Ils ont également exprimé leur malaise vis-à-vis des professionnels de santé qui n'ont pas cru qu'ils faisaient de leur mieux pour manger le plus possible. Les enfants qui perdaient du poids ont raconté les disputes qu'ils avaient avec leurs parents parce qu'il ne mangeait pas suffisamment. D'autres enfants ont exprimé leurs difficultés à suivre un régime hyperlipidique, car ils ont appris à l'école que les aliments gras n'étaient pas bénéfiques pour leur santé. Les informations sur les bonnes habitudes alimentaires destinées à la population générale ne sont pas appropriées et n'aident pas les enfants atteints de mucoviscidose. Quand les parents ont été invités à exprimer leurs points de vue lors de l'étude, certains ont exprimé leurs difficultés à faire suivre à leur enfant le régime recommandé pour la
prise de poids. Certains parents ont déclaré qu'il était pratiquement impossible de faire manger à leur enfant la quantité de nourriture «qu'ils devaient leur faire ingurgiter». D'autres parents ont remis en question la nécessité d'un régime hyperlipidique si les enfants prenaient constamment du poids. Ces parents auraient voulu donner à leurs enfants un régime équilibré similaire à celui de la majeure partie de la population enfantine. Les parents des enfants qui perdaient du poids ressentaient comme nécessaire d'augmenter la prise lipidique. Ces parents ont décrit leur expérience de voir leur enfant perdre du poids comme l'un des aspects les plus bouleversants de la gestion du régime alimentaire adapté à la mucoviscidose : ils s'inquiètaient pour la santé de leur enfant qu ils jugaient «sur la mauvaise pente». Les parents se trouvant dans cette situation ont parlé de leurs efforts accrus pour faire manger leurs enfants en étant «plus sévères avec eux». D autres parents «bataillaient» tous les jours avec leur enfant, en arrivant presque à utiliser la force physique avec eux. Voici ce qu'une mère a témoigné : «j'en arrive au point où je pourrais lui enfoncer la nourriture dans la bouche.» Si ces efforts ont été payants pour certains parents, d'autre ont raconté ne pas avoir réussi à faire manger leur enfant. Dans ces cas, on a prescrit une alimentation par sonde à cause de leur perte de poids continue. Les parents se trouvant dans la situation difficile d'avoir «bataillé» avec leur enfant pour que ce dernier mange ont accueilli avec soulagement l'alimentation par sonde, car ils craignaient que leur enfant meure si ce dernier perdait du poids et souffrait d'infections pulmonaires récurrentes. Pour les parents, la priorité dans l'alimentation de leur enfant était de maintenir son poids pour le protéger contre les infections pulmonaires. Ils ont raconté comment les professionnels de santé qui les conseillaient sur le régime alimentaire de leur enfant renforçaient l'importance de la prise de poids en leur disant de mettre «le paquet» sur le régime hyperlipidique et que dans ce cas, le «mieux serait le maximum». Une mère expliquait ainsi : «on a été programmé pour faire manger les enfants pour les faire grossir et maintenir leur poids». Le message central de cette étude est que l'encouragement apporté aux enfants pour suivre un régime hyperlipidique pour la prise de poids n'est pas la meilleure approche, alors que leur expliquer qu'ils ont besoin de nourriture pour leur fournir l'énergie nécessaire au jeu ou à la danse peut les motiver à suivre ce régime. Plutôt que de parler de la nourriture aux enfants en termes de valeur nutritionnelle ou calorique, il est préférable de leur parler de la nourriture en termes d'apport d'énergie. Les enfants doivent comprendre que les aliments gras leur apportent plus d'énergie pour leurs activités, qu'il est important pour eux de manger plus d'aliments gras que leurs camarades car le corps des enfants souffrant de mucoviscidose dépense plus d'énergie que celui des amis qui ne sont pas malades. De même, on peut expliquer la prise d'enzymes nécessaire à l'enfant comme une aide pour casser les aliments de manière à ce que l'énergie que les aliments contiennent puisse être utilisée par son corps dans ses activités de tous les jours. Porter son attention sur l'énergie constitue un message de santé qui a
du sens pour l'enfant, parce qu'il en ressent les modifications dans son corps jour après jour, alors qu'il peut lui être difficile de savoir s'il perd ou s'il prend du poids. Lorsqu'on aide les enfants à comprendre l'importance du régime alimentaire pour la maladie et leur santé, il est important de leur parler ouvertement et directement. On ne consulte pas toujours directement les enfants lorsqu'ils se rendent à l'hôpital pour des visites de contrôle. Cette étude menée avec les enfants irlandais montre que les messages de santé concernant le régime alimentaire ciblaient principalement les parents. Par exemple, une enfant de huit ans disait que l'hôpital était ennuyeux, parce que «vous devez rester assis et écouter tout ce qu'ils disent de vous. Je n'aime pas ça. (pause) Ce n'est pas intéressant et ils parlent seulement à maman et papa.» Si les enfants ne sont pas impliqués directement lors des consultations, le problème est qu'ils risquent de décrocher de la discussion qui concerne leur régime et leur santé. Lorsqu'on a demandé aux enfants à qui les professionnels de santé devraient parler de leur régime et de leur santé, ils ont répondu qu'il était important que les enfants euxmêmes soient consultés, plutôt qu'ignorés. Il est donc recommandé aux professionnels de santé de mieux intégrer les enfants lors des visites à l'hôpital en leur demandant leur point de vue et leurs préoccupations dans le suivi du régime alimentaire recommandé pour la mucoviscidose. Des livrets d'information destinés aux enfants et comprenant des images d'enfants actifs et plein d'énergie, reliées à des schémas expliquant les besoins alimentaires en termes d'apport d'énergie pour les activités, devraient constituer un support utile pour impliquer les enfants et travailler avec eux de manière appropriée à leurs besoins quotidiens. Cette approche plus centrée sur l'enfant pourrait aussi aider les parents à obtenir la collaboration des enfants pour le suivi d'un régime hyperlipidique hypercalorique adapté à la mucoviscidose, plutôt que de porter son attention sur la prise de poids. Les leçons apportées par cette étude irlandaise sont primordiales. Si les messages diététiques sont adaptés au quotidien de l'enfant, celui-ci peut être motivé pour suivre le régime recommandé pour la mucoviscidose, ce qui aura à son tour des répercussions cliniques importantes pour sa santé à long terme du fait des liens existants entre le suivi d'un régime hyperlipidique et l espérance de vie. Remerciements : L'étude irlandaise décrite dans cet article a été financée par une bourse de doctorat de l An Bord Altranais (Irish Nursing Board) et par une bourse de recherche du Health Research Board of Ireland. Depuis 2003, Eileen Savage est maître de conférence à l'école de soins infirmiers et d'obstétrique (School of Nursing & Midwifery), de l University College Cork, en Irlande. Elle possède une expérience professionnelle en pédiatrie et a travaillé pendant huit ans en pratique clinique avant de poursuivre une carrière universitaire. Elle est aujourd'hui directrice de recherche pour des études sur le suivi des maladies chroniques affectant les enfants et les adolescents, dont la mucoviscidose. Avant d'occuper son poste actuel, elle était titulaire d'une bourse de recherche de
trois ans du Health Research Board of Ireland. Elle a consacré son étude de doctorat à la diététique de la mucoviscidose, à l University of Manchester, Royaume-Uni. Note du rédacteur : pour recevoir une liste de références, veuillez envoyer un courriel à editor@cfww.org Article tranduit par : Jean-Michel Levain E-mail : info@traductionslevain.com Site Internet : www.traductionslevain.com