«Vers un nouvel équilibre des relations dans la sous-traitance industrielle» Petit-déjeuner débat Mercredi 23 mai 2012
2 Interventions FTPA La traduction juridique de la recherche d une relation équilibrée Maître Antoine Tchekhoff Les relations entre donneur d ordres et sous-traitant en difficulté Maître Edouard Fabre
La traduction juridique de la recherche d une relation équilibrée
4 Introduction La nécessité d établir un équilibre dans les relations commerciales n est pas spécifique aux rapports entre donneurs d ordres et sous-traitants industriels. Toutefois, les spécificités de la relation entre un donneur d ordre et un sous-traitant industriel rendent d autant plus complexe la recherche d un équilibre. Comment en effet instituer en droit, un équilibre dans une relation de sous-traitance par nature hiérarchisée et source d une dépendance du sous-traitant à l égard de son donneur d ordres? La liberté contractuelle est, ici, impuissante à corriger le déséquilibre inhérent aux rapports de force entre le donneur d ordres et son sous-traitant. Elle doit être complétée par l usage de bonnes pratiques La loi rappelle, en la matière, la valeur normative des usages en droit commercial, permettant au juge de les imposer.
5 A - La création d usages par les chartes et codes de bonnes conduites Les chartes et guides des Bonnes Pratiques : Le «Code de Performance et de Bonnes Pratiques relatif à la relation clients-fournisseurs au sein de la filière de la construction automobile», signé le 9 février 2009 par, notamment, le comité des constructeurs automobiles ; La charte des relations inter-entreprises élaborée conjointement par la Médiation du crédit et la Compagnie des dirigeants et acheteurs de France, qui a recueilli, au 15 mars 2012, 238 signatures dont celle de la plupart des grands donneurs d ordres ; Le guide pour la qualité des relations contractuelles clients-fournisseurs élaboré conjointement par le Ministère de l économie et les services du médiateur inter-entreprises. Par ailleurs, le médiateur interentreprises a établi une liste de 35 «mauvaises pratiques» qui constitue un outil précis et très concret à la disposition des praticiens.
6 Ces chartes ou guides répertorient les bonnes pratiques qui, en synthèse, se définissent au tour de quatre grands principes : Le respect, par les donneurs d ordres, des délais de paiements, de l équité financière et de la loyauté et la bonne foi dans l exécution des contrats ; La visibilité et l échange d informations au-delà même de la lettre du contrat; Un comportement des donneurs d ordres favorisant le développement durable (lutte contre les délocalisations, anticipation des évolutions techniques et des normes environnementales) ; La mise en place d une véritable coopération entre donneurs d ordres et sous-traitants. Ces initiatives, chartes, guides, recueils de mauvaises pratiques participent à la création d usages, source de droit, et peuvent alors servir de guide aux Tribunaux pour interpréter l étendue des obligations des parties, tant contractuelles que légales, et sanctionner les mauvaises pratiques non conformes aux usages. Ils anticipent des évolutions jurisprudentielles ou, à défaut, législatives.
7 B - L office du juge Le droit positif a réagi en deux temps. Dans un premier temps, l article L.442-6 du Code de Commerce a tourné autour de la dépendance économique et plusieurs effets pouvaient en être tirés. Visant initialement les abus constatés dans la grande distribution, l article L 442-6 du Code du Commerce s applique, toutefois, à toute relation commerciale. Il renforce le pouvoir du juge qui peut écarter des dispositions contractuelles, par exemple, une durée de préavis non conforme aux usages et à la réalité économique des parties (importance des investissements faits). Cet office du juge n est pas révolutionnaire en France. Le juge peut écarter des dispositions contractuelles pour corriger certains excès. On peut citer, par exemple, le pouvoir du juge de réviser les clauses pénales ou la rémunération d un agent d affaires.
8 Dans un second temps, la loi LME de 2008 est venue introduire dans l article L 442-6, I du Code de Commerce la notion générale de «déséquilibre significatif». Ne nécessitant pas la démonstration d un abus ou d une dépendance économique ; Visant l absence de réciprocité entre les droits et les obligations des parties mais pas uniquement ; S appréciant, aussi, in concreto, par les effets économiques de l obligation imposée. La généralité de la notion de «déséquilibre significatif», déséquilibre au surplus susceptible d être sanctionné par une amende civile pouvant aller jusqu à 2 millions d euros, a fait douter de sa constitutionnalité. Pourtant, le Conseil Constitutionnel a considéré que la notion de «déséquilibre significatif» était «suffisamment claire et précise pour ne pas méconnaître le principe de légalité des délits». En la matière, l article L 442-6, I-2 du Code de Commerce doit être considéré comme un outil légal permettant au juge de rappeler la force des usages en droit commercial et d imposer aux parties de bonnes pratiques. Ainsi, par exemple, même en absence de clause de révision de prix, le juge pourra, sur le fondement de cet article et des usages du commerce, sanctionner un donneur d ordres qui refuserait de renégocier les prix d un contrat alors que le sous-traitant est confronté à une augmentation du coût des matières premières. Toutefois, l article L 442-6, I-2 du Code de Commerce reste, encore, peu évoqué devant les Tribunaux et l office du juge, en la matière, n interviendra qu a posteriori lorsque la relation commerciale sera définitivement rompue.
Les relations entre donneur d ordre et sous-traitant en difficulté
10 A - L équilibre et la coopération dans les relations entre le donneur d ordres et le sous-traitant en difficulté L équilibre et la coopération sont essentiels pendant toute la procédure collective du sous-traitant : Pour le sous-traitant qui doit pouvoir maintenir et financer son activité et afficher la confiance de ses clients à l égard de ses partenaires et repreneur éventuel ; Pour le donneur d ordre afin, notamment, de sécuriser ses approvisionnements. Pour assurer son information, le donneur d ordres, créancier, a la possibilité de se faire désigner contrôleur et d être, ainsi, associé au plan de redressement de son sous-traitant. Le contrôleur a accès aux informations de la procédure collective, notes et rapports de l administrateur et du mandataire judiciaire. Il est présent aux audiences du Tribunal et donne son avis notamment sur le projet de reprise ; Compte tenu de son accès à l information et de son droit à être consulté, le contrôleur ne peut pas être lui-même candidat à la reprise (article L.642-3 du Code de Commerce)
11 Une collaboration avec les organes de la procédure est nécessaire pour la gestion des actions directes Le blocage des paiements ; La mise en place avec l administrateur judicaire d accords tripartis. Il peut être, enfin, nécessaire, de mettre en place des accords transitoires avec l administrateur Judiciaire afin de sécuriser les approvisionnements et de financer la trésorière du sous-traitant. L accélération des paiements ; Le versement d acomptes : pour assurer une éventuelle reprise du marché en cas de cession de l entreprise, attention à veiller, à minima, à ce que le solde du marché restant à payer (après versement des acomptes) couvre toujours les travaux restant à réaliser. La encore, un équilibre devra être trouvé entre le financement nécessaire de la trésorerie du sous-traitant et l intérêt légitime du donneur d ordre de s assurer de l exécution de ses commandes.
12 B - Les risques particuliers liés au déséquilibre de la relation Outre le risque d avoir à indemniser son sous-traitant sur le fondement de l article L 442-6 du Code de commerce, le donneur d ordre pourrait se voir reprocher une gestion de fait lorsqu il a, notamment, organisé une relation déséquilibré avec son sous-traitant. La notion de gestion de fait La gestion de fait se caractérise par : Une immixtion dans la gestion exercée en toute indépendance ; Des actes positifs de gestion ; Un rôle décisionnel de premier plan dans la direction de l entreprise. La frontière entre l information ou le conseil et l implication dans la gestion n est pas toujours facile à déterminer surtout si le sous-traitant est, par ailleurs, dans une situation de dépendance économique : a postériori, le soustraitant voire même ses salariés pourraient soutenir que les conseils du donneur d ordre s imposaient et constituaient donc des décisions de gestion.
13 La responsabilité du donneur d ordres qui s est immiscé dans la gestion de son sous-traitant, pourra être engagée à l égard du sous-traitant : 1. Pour soutien abusif Aux termes de l article L 650-1 du Code de Commerce, le donneur d ordres ne peut pas, en principe, voir sa responsabilité engagée pour les concours qu il a pu octroyer sauf en cas de fraude, de prise de garanties disproportionnées ou d immixtion dans la gestion. 2. Pour insuffisance d actif (action anciennement intitulée comblement de passif) La responsabilité pour insuffisance d actif nécessite la démonstration : D une direction de fait ou de droit ; D une faute de gestion ayant contribué à la constitution de tout ou partie de l insuffisance d actif de l entreprise en liquidation. En pratique, une immixtion du donneur d ordres dans les gestions du sous-traitant ne sera sanctionnée que si elle crée un déséquilibre au profit du donneur d ordres, lui-même générateur de pertes chez le sous-traitant et d une insuffisance d actif.
14 La responsabilité du donneur d ordres pourra, aussi, être engagée à l égard des salariés du sous-traitant : 1. Sur le fondement du co-emploi Les critères du co-emploi sont : Un rapport direct de subordination entre les salariés et le co-employeur ; Ou une confusion d intérêts, d activités et de direction entre deux sociétés. A ce jour, les décisions sur le co-emploi sont principalement intervenues entre sociétés d un même groupe. Mais, les critères du co-emploi pourraient s appliquer en dehors d un groupe, par exemple, dans le cas d un sous-traitant totalement dépendant économiquement, géré en fait par son donneur d ordres et dont les activités pourraient être considérées comme une extension de celle du donneur d ordres.
15 2. Sur le fondement de l article 1382 du Code Civil La Cour de Cassation a reconnu dans un arrêt du 14 novembre 2007 que les salariés d une entreprise avaient subi un préjudice propre qui leur ouvrait la possibilité d agir en responsabilité délictuelle à l encontre de la personne responsable, selon eux, par ses fautes, de leur licenciement. La Cour d Appel de Versailles a récemment condamné une société mère à indemniser les salariés de sa filiale, en dehors d une situation de co-emploi, pour avoir mis en œuvre une stratégie commerciale visant à l abandon de la filiale, dans le but de se réorganiser à moindre frais en s exonérant des conséquences financières de la faillite prévisible de cette dernière (CA Versailles, 31 oct. 2011, n 10/00578). La portée de ces décisions reste incertaine mais il y a là une source de responsabilité majeure pour l ensemble des partenaires de l entreprise dont les donneurs d ordres qui auront tiré profit d une situation de dépendance au détriment de leurs sous-traitants et de ses salariés. Les donneurs d ordres ont donc là encore tout intérêt à avoir une relation équilibrée avec leurs soustraitants.
16 Intervenant FTPA _ Antoine Tchekhoff Associé fondateur du cabinet, Serge-Antoine Tchekhoff est membre du barreau de Paris depuis 1977. Il a fondé le cabinet FTPA avec une certitude : celle que le conseil juridique s appuie sur une vision stratégique globale des dossiers et une connaissance profonde des métiers de sa clientèle. Il a su constituer autour de lui une équipe de professionnels aguerris dans tous les domaines du droit des affaires qui partagent la même vision du métier. Il partage son temps entre le conseil et le contentieux.
17 Intervenant FTPA _ Edouard Fabre Edouard Fabre intervient principalement en contentieux des affaires et dans le traitement des entreprises en difficulté. Il intervient également en droit de la responsabilité des entreprises dans le cadre de litiges français et internationaux industriels et commerciaux. Il dispose d une grande expérience des procédures collectives et intervient soit aux côtés des dirigeants soit aux côtés des administrateurs judiciaires dans le cadre de procédures de prévention, de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire. Edouard Fabre est avocat au Barreau de Paris depuis 1996.