COMPTE-RENDU DE LA CONFÉRENCE DU JEUDI 12 SEPTEMBRE 10H30-11H30 Réussir la transmission d'une entreprise métiers d'art



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Transcription:

COMPTE-RENDU DE LA CONFÉRENCE DU JEUDI 12 SEPTEMBRE 10H30-11H30 Réussir la transmission d'une entreprise métiers d'art Intervenants Marcelle Lubrano-Guillet, entreprise Guillet Olivier Mellerio, entreprise Mellerio dits Meller Fabienne Saligue, Maison Fey Jean-François Perche, Moissonnier. Modérateur : Alexis Govciyan, directeur de l'institut supérieur des Métiers (ISM), en charge du label d'état Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV). Alexis Govciyan remercie les Ateliers d'art de France, en particulier son président Serge Nicole, d'avoir réussi à organiser ce magnifique salon au Grand Palais. Il souligne que cette manifestation, qui met à l'honneur les métiers d'art dans un lieu aussi exceptionnel, est une première mondiale. Il présente ensuite le thème de cette première conférence, qui est la transmission d'une entreprise de métiers d'art. Il rappelle que cette notion de transmission a toujours existé dans l'histoire de l'humanité, en lien étroit avec la notion de tradition : en latin, «traditio» signifie «transmettre». Toutefois, dans les métiers d'art, la création est omniprésente et bien souvent, c'est également l'innovation qui est transmise. Alexis Govciyan est directeur de l ISM qui décerne le label d'état EPV à des entreprises territoriales d'exception, alliant trois caractéristiques majeures : un savoir-faire rare, la maîtrise de techniques d'excellence et une renommée nationale, voire internationale. Naturellement, la transmission se fait à travers la formation. Dans ce cadre, la CCI de Paris a développé un programme très important de formation et d'accompagnement, qui sera opérationnel en 2014. Alexis Govciyan présente le premier intervenant : Olivier Mellerio, de l'entreprise de joaillerie Mellerio dits Meller. Cette maison a fêté ses 400 ans d'existence en 2013, mais en réalité, le début d'activité de la famille Mellerio est encore plus ancien, puisqu'il a démarré en 1515. Alexis Govciyan souligne le caractère exceptionnel de cette entreprise d'excellence, qui appartient toujours à la même famille depuis sa création, et interroge son représentant sur cette transmission de génération en génération depuis près de cinq siècles. Olivier Mellerio retrace brièvement l'histoire de sa famille qui est venue d'italie en 1515, grâce à un privilège accordé par la reine Marie de Médicis à trois villages italiens, autorisant les artisans qui en étaient originaires à faire commerce dans tout le royaume sans être soumis aux réglementations en vigueur. À cette époque, les Mellerio étaient des colporteurs itinérants qui vendaient des objets en cristal taillé. Le privilège dont ils ont bénéficié a subsisté jusqu'à la Révolution française. Ensuite, Mellerio est devenu le joaillier des impératrices Joséphine et Eugénie et des familles régnantes d'europe. Cette famille a donc 1

connu une clientèle exceptionnelle en exerçant le même métier pendant 14 générations. Aujourd'hui, la 15 e génération a pris le relais. Selon Olivier Mellerio, il n'existe aucune recette particulière pour assurer la pérennité sur le long terme d'une entreprise familiale. Cependant, il convient de ne pas perdre de vue deux aspects importants. Tout d'abord, il faut réinventer le modèle d'entreprise à chaque génération. Olivier Mellerio insiste sur la nécessité d innover : la transmission doit allier la tradition et la création. Ensuite, il faut absolument garder à l esprit que rien n est acquis : en dépit de l héritage du savoir-faire et du patrimoine légués par les ancêtres et malgré le travail accompli depuis des décennies, voire des siècles, l entreprise peut disparaître. Une vigilance constante s impose, surtout dans les entreprises de métiers d art dont la stratégie s'inscrit dans la création et dans la fabrication sur mesure, sans entrer dans l industrialisation de la production. Alexis Govciyan aborde la question de la transmission qui s'organise différemment selon qu'elle s'effectue au sein d'une même famille ou en dehors du cercle familial. Il souhaite savoir s'il existe des problématiques particulières dans le cadre d une transmission familiale, notamment sur le plan financier. Olivier Mellerio évoque le débat interne, qui revient à chaque génération, entre les membres de la famille qui pensent qu'il est temps de vendre et ceux qui tiennent viscéralement à la continuité de l entreprise familiale. Ces derniers doivent absolument veiller à conserver la majorité pour conserver l entreprise au sein de la famille. Olivier Mellerio signale que ce débat n'existe que s il y a des héritiers. Au Japon, les dirigeants d'entreprise qui n'ont pas d'héritiers ont la possibilité d'adopter la personne de leur atelier considérée comme étant la plus compétente. Celle-ci prend alors le nom de la famille et continue à faire vivre l'entreprise après le retrait de son «adoptant». En France, à défaut d'héritier, ceux qui ne souhaitent pas vendre peuvent passer par le système de la fiducie, qui permet de confier leur entreprise à un fiduciaire chargé de gérer l'entreprise pendant une ou deux générations, puis de la transmettre aux générations suivantes. En l'occurrence, la maison Mellerio dits Meller a créé une holding familiale à 100 %, avec des filiales immobilière et opérationnelle. Grâce à des joint-ventures créés par le biais de la filiale opérationnelle, elle a pu ouvrir le capital à l'international et bénéficier ainsi des fonds propres indispensables à son développement. Olivier Mellerio observe que si ce dispositif a permis de renforcer la solidité financière de l'entreprise, il convient cependant d'être extrêmement attentif et de veiller aux équilibres avec la plus grande vigilance pour pouvoir conserver le contrôle familial. Alexis Govciyan remercie Olivier Mellerio pour son témoignage. Il présente Marcelle Lubrano-Guillet qui a transmis récemment son entreprise familiale de parures florales. La maison Guillet, qui existe depuis 1896, a fourni aussi bien les plus grands créateurs de mode que les décorateurs et costumiers de théâtre et de cinéma. Depuis 2006, elle a rejoint Chanel en tant que Maison des métiers d'art. Alexis Govciyan interroge Marcelle Lubrano-Guillet sur le cheminement qui l'a conduite à transmettre une entreprise familiale à un grand nom du luxe. Marcelle Lubrano-Guillet retrace l'histoire de la maison Guillet, que son grand-père a créée à Nantes en 1896, puis installée à Paris. Jusqu'en 1939, le père et le grand-père de Marcelle Lubrano-Guillet ont beaucoup travaillé pour l'étranger, surtout pour l'amérique du Sud qui représentait 80 % de ses exportations. Après la guerre, il s'agissait plutôt de décorer 2

des grandes vitrines (par exemple, pour la maison Hermès) et d'honorer des commandes passées à l'occasion de grands événements. La maison a également travaillé pour le monde du spectacle vivant et du cinéma et fourni la reine d'angleterre. Parallèlement, Marcelle Lubrano-Guillet a innové en se lançant dans la création de mode, ce qui lui a permis de collaborer avec les plus grands créateurs, aussi bien en France qu'à l'étranger : Chanel, Lacroix, Ungaro, Louis Féraud, Sonia Rykiel, Dior, Nina Ricci, Armani, Dolce & Gabanna, etc. Elle a également travaillé pour les créateurs japonais pendant une vingtaine d années. Marcelle Lubrano-Guillet a toujours eu le souci de la transmission de ce métier très rare, pour lequel n existe qu un CAP départemental. À ce jour, elle a formé une cinquantaine de personnes. À la soixantaine, son mari et elle-même ont commencé à songer à la transmission. Leurs trois fils ayant choisi une autre voie et ne souhaitant pas reprendre l'entreprise familiale, Marcelle Lubrano-Guillet et son mari ont tenu à protéger le patrimoine et le savoir-faire attaché à leur maison. Aussi, ils ont cherché les fournisseurs et les clients les plus importants dans leur entourage, susceptibles de reprendre l'entreprise. La maison Chanel représentait 25 % de leur chiffre d'affaires depuis des années et manifestait un vif attachement au métier de la parure florale. C'est donc à Chanel que la maison Guillet a été cédée en 2006. Après ce rachat, Marcelle Lubrano-Guillet est restée dans l entreprise pendant trois ans et son mari, pendant deux ans. Ils se sont retirés après s'être assuré que les jeunes qu'ils avaient formés étaient désormais capables de prendre la relève. Marcelle Lubrano-Guillet ne cache pas qu'après un tel passé et un tel investissement personnel dans une entreprise qui faisait partie d'elle-même, la rupture a été très difficile. Néanmoins, elle insiste sur la nécessité de préparer la transmission de l'entreprise suffisamment tôt pour se donner la chance de se lancer dans une seconde vie. Pour sa part, elle s'investit à fond dans la transmission des savoir-faire d'excellence et dans la vitalité du secteur des métiers d'art, à travers l'association des Maîtres d'art dont elle est la présidente. Alexis Govciyan souligne qu'en acceptant de céder son entreprise à Chanel, les dirigeants de la maison Guillet ont préservé non seulement l'entreprise et son savoir-faire, mais aussi les emplois des salariés. Marcelle Lubrano-Guillet ajoute que cela a également permis de sauvegarder l'extraordinaire patrimoine constitué par les 14 000 outils de l'atelier. Alexis Govciyan passe ensuite la parole à Jean-François Perche qui a repris depuis quatre ans l'entreprise Moissonnier, fabricant de meubles d'art depuis 1885. Alors qu'il venait d'un secteur complètement différent, Jean-François Perche a parfaitement réussi cette reprise, développant même Moissonnier à l'international. Alexis Govciyan lui demande de raconter cette expérience. Jean-François Perche indique qu'auparavant, il dirigeait un grand groupe agroalimentaire, très éloigné de l'univers du luxe et de la création. Il y a quelques années, ses pas l'ont mené vers cette entreprise familiale qu il a reprise, au plus fort de la crise économique qui touchait beaucoup de petites et moyennes entreprises. Après une année difficile, il a néanmoins réussi à développer la maison en développant une activité commerciale très soutenue, tout en préservant ses valeurs fondamentales et son cœur de métier. Aujourd'hui, Moissonnier est présent dans une cinquantaine de pays et réalise 80 % de son chiffre d'affaires à l'international. Jean-François Perche reconnaît que cette reprise n'a pas été facile. Les salariés étaient inquiets de voir arriver un repreneur venant d'un univers complètement différent. Aussi, il a 3

pris soin d'accompagner les équipes en interne pour les aider à évoluer face aux enjeux économiques, tout en respectant la sensibilité de chacun. Peu à peu, de nouvelles méthodes se sont mises en place et la maison est entrée dans une nouvelle dynamique. Jean-François Perche souligne qu'il a fallu s'adapter et faire preuve de beaucoup de tact ; dans une entreprise familiale depuis 160 ans, où travaillent des ébénistes, des sculpteurs, des artistes et des maîtres d'art, il n'est pas question d'appliquer à la lettre les techniques de marketing préconisées par les écoles de commerce. Aussi, Jean-François Perche s'est beaucoup attaché à la communication interne, pour faire comprendre aux collaborateurs les intérêts commerciaux de la maison. Il a également pris soin de les associer aux grandes décisions stratégiques. Ces moments d'échanges et de partage ont permis d'organiser différemment le fonctionnement des ateliers pour les adapter au développement international. Alexis Govciyan remercie Jean-François Perche de son intervention et se tourne vers Fabienne Saligue qui a repris depuis deux ans la maison Fey, spécialisée dans la gainerie d'ameublement. Désireuse de reprendre une entreprise du patrimoine vivant, Fabienne Saligue est venue trouver Alexis Govciyan à l'institut Supérieur des Métiers pour lui demander un soutien et des conseils, car venant d'un monde extérieur, elle ne connaissait pas le milieu des métiers d'art. Aujourd'hui, Alexis Govciyan lui demande de raconter cette expérience de reprise réussie. Fabienne Saligue commence par expliquer son parcours. Après une formation en école de commerce, elle a entamé une carrière de consultante en marketing pour des PME. Souhaitant aller au-delà du rôle de conseil et se lancer dans l'action sur le terrain, elle a décidé de racheter une entreprise et n'a pas hésité un seul instant sur le secteur qui l'intéressait : le patrimoine vivant. Elle est donc allée à l ISM où elle a demandé une liste d'entreprises répondant à trois critères : premièrement, le monde de la décoration ; deuxièmement, une implantation en région parisienne ; troisièmement, une taille critique d'entreprise correspondant à une fourchette de prix d'achat. L ISM s'est montré très réactif et lui a communiqué très rapidement une liste d'entreprises correspondant au profil souhaité. Fabienne Saligue précise que l ISM lui a également apporté une aide pour constituer son dossier, notamment sur le plan financier. Grâce à son soutien, elle a obtenu des prêts d'honneur sans intérêt de la Région, qui ont contribué à augmenter son niveau de capitaux propres. En moins d'un an, Fabienne Saligue a pris contact avec une demi-douzaine d EPV. Elle en a visité trois et après avoir étudié chaque dossier, son choix s est porté sur la maison Fey qu elle a achetée le 1 er octobre 2011. Elle a découvert le métier de la gainerie d art et d ameublement, qu'elle ne connaissait pas et qu'elle a tout de suite apprécié. Elle s est vite sentie adoptée par l'équipe qui est assez jeune (une trentaine d'années en moyenne), ce qui revêt une grande importance à ses yeux, car à long terme, cela lui permet de penser que l'entreprise perdurera après son départ. De plus, le métier très rare de gainierdoreur ne s'enseigne plus du tout, il n'est que brièvement abordé dans la formation de maroquinier. Aussi, il est primordial de transmettre le savoir-faire. Fabienne Saligue compte sur ses salariés pour assurer la relève. Elle souligne qu'en dépit des difficultés qui sont inévitables lors de toute reprise, cette aventure s'est avérée très gratifiante grâce à l'équipe qu'elle a rencontrée. Elle ne tarit pas d'éloges sur ses collaborateurs qui sont à la fois professionnels, motivés et très ouverts à l'innovation. Ce dernier aspect est indispensable pour que l'entreprise puisse durer. Dans cette optique, la maison Fey vient de lancer deux nouvelles gammes à base de cuir de Cordoue brodé et de cuir brodé main. 4

Alexis Govciyan remercie Fabienne Saligue et aborde la question du financement, cruciale lors de la transmission ou du développement d'entreprise. En ce domaine, il sollicite l'intervention d'isabelle Ginestet-Naudin, de Bpifrance (ex-cdc Entreprises), qui va prochainement lancer un fonds d'investissement dédié uniquement aux EPV. Isabelle Ginestet-Naudin remercie la Commission nationale de labellisation des Entreprises du Patrimoine vivant de l avoir accueillie, car cela lui a donné l'occasion de connaître la richesse et la diversité des entreprises candidates au label. Dans ce cadre, Alexis Govciyan lui a demandé d'accompagner un groupe de travail sur le financement. En effet, au sein de Bpifrance, Isabelle Ginestet-Naudin gère depuis 2004 des fonds dédiés aux entreprises créatives. Elle confirme la prochaine création d'un fonds destiné aux savoir-faire d'excellence. Elle précise que l'accompagnement des EPV s'adapte à la typologie des métiers qui y sont exercés ; le temps passé à la réalisation d un objet d art étant souvent très long, le soutien se déroule sur des cycles plus longs que pour les entreprises traditionnelles, qui sont plutôt basées sur un rapide retour sur investissement. Elle ajoute que ces fonds ne s'adresseront qu'à des entreprises d'une certaine taille, réalisant un minimum de 500 000 euros de chiffre d'affaires. Olivier Mellerio signale une autre possibilité de financement pour les entreprises du patrimoine vivant : les dons des particuliers assujettis à l'isf. En investissant dans une PME dans la limite de 60 000, toute personne soumise à l ISF peut bénéficier d'une réduction d'impôt de 50 %, à condition d investir pendant cinq ans au minimum. Ce financement est très intéressant pour les entreprises de métiers d'art, car il est sans intérêts, sans dividendes et il permet de créer des actions sans droit de vote. Par ailleurs, bon nombre de ces investisseurs deviennent par la suite des clients. Olivier Mellerio regrette que très peu d'entreprises pensent à ce système particulièrement attractif : la plupart recourent à des sociétés d'intermédiation qui prélèvent des commissions, minorant ainsi l'avantage fiscal. Olivier Mellerio fait également observer que bien souvent, lorsque l entreprise a été transmise, la nouvelle équipe n'a pas toujours la crédibilité nécessaire vis-à-vis des banques ; les ratios qu elle présente ne sont pas forcément très bons et il existe beaucoup d'incertitudes sur la réalisation du nouveau modèle. Les entreprises traversent donc une période de fragilité. Pour les aider, des réflexions sont en cours pour essayer de mettre au point de nouveaux systèmes de financement. En tant qu'élu de la Chambre de Commerce et d Industrie de Paris (CCIP), Olivier Mellerio annonce qu un programme intitulé «Transmission», soutenu par le ministère de l Industrie, a vu le jour en septembre 2011, co-financé par la CCI et la Direction générale de la Compétitivité, de l'industrie et des Services. Pendant deux années, quarante entreprises ont été accompagnées au moment lors de leur cession ou de leur transmission. M. Sauvage, de la CCIP, détaille les différentes prestations qui leur sont proposées : diagnostic, estimation de leur valeur, recherche active de repreneurs si besoin. Pour bénéficier de cette aide, les entreprises doivent être implantées en Île-de-France, compter au moins deux à trois salariés et exercer une activité relevant de la nomenclature des métiers d'art. M. Sauvage indique que ce programme a été prolongé jusqu en décembre et qu une dizaine d entreprises pourront en bénéficier pour que la CCIP atteigne son objectif de cinquante entreprises soutenues. Il ajoute que par la suite, cette expérience fera l objet d un rapport décrivant les méthodes utilisées, dans le but de rédiger ultérieurement un guide. 5

Alexis Govciyan le remercie pour cette intervention. Il invite l assistance à communiquer largement sur ce dispositif et à en parler aux entreprises qui pourraient être intéressées. Dans la salle, un participant demande aux repreneurs s ils ont cherché à se former au métier exercé dans l entreprise rachetée, afin d asseoir leur légitimité vis-à-vis de l ancienne équipe. Jean-François Perche répond qu il s est posé la question au départ, mais il s est rendu compte qu il ne fallait surtout pas essayer de jouer les ébénistes face aux artisans d exception présents dans l entreprise. Il souligne que de toute manière, ce n était pas ce que les salariés attendaient de lui. Fabienne Saligue a tenu le même raisonnement ; son équipe ne lui demande pas d être performante en gainerie, mais de comprendre les problèmes de l entreprise et d apporter des solutions. Toutefois, elle cite une personne de son entourage qui a repris une entreprise de maroquinerie et qui a souhaité passer un CAP de maroquinier, avec succès. Marcelle Lubrano-Guillet partage l avis de Fabienne Saligue et Jean-François Perche. Lorsqu'elle était à la tête de la maison Guillet, elle maîtrisait parfaitement les fondamentaux du métier puisqu'elle y baignait depuis le plus jeune âge, mais lors de la cession de son entreprise, elle a pu constater que le directeur possédait toutes les compétences requises pour diriger une EPV, sans être passé par l'apprentissage de la fleur artificielle. Pour elle, cette étape n'est pas nécessaire, à condition de s'intéresser aux métiers d'art et de prendre en considération les observations des chefs d'atelier. Un manager apporte autre chose : le développement de l'entreprise, les orientations stratégiques, les compétences administratives, l'innovation. Olivier Mellerio rappelle cependant que ce sont les produits qui font le succès des métiers d'art ; aussi, il est important que le repreneur respecte les valeurs, le style, le savoirfaire et la culture de l'entreprise. Alexis Govciyan indique qu aujourd'hui, 25 % des dirigeants d'entreprise artisanale viennent de l'enseignement supérieur. Ils n'ont pas suivi la carrière classique des artisans en passant par des CAP, mais leur formation leur permet de porter un autre regard sur les entreprises de métiers d'art. Dans la salle, un ébéniste dirigeant une EPV labellisée indique qu'il envisage de céder son entreprise. Le label reposant entièrement sur son savoir-faire, il cherche un repreneur en capacité de maintenir l'entreprise au niveau exigé par le label. Aussi, il demande à Alexis Govciyan si l ISM envisage de mettre en place une bourse d'offres et de demandes pour les cessions d'entreprise, pour être certain de trouver un repreneur suffisamment qualifié. Alexis Govciyan rappelle que ce label d'état est tout récent, puisqu'il existe depuis 2006. À ce jour, plus de 1000 entreprises sont labellisées EPV sur 3 500 000 entreprises en France. La création et la mise en route de ce label ont pris un certain temps. Alexis Govciyan estime qu'effectivement, il est temps de mettre en place un système plus organisé en identifiant au mieux les besoins des entreprises, y compris en termes de transmission. Il y a deux ou trois ans, 15 % des entreprises labellisées étaient à transmettre dans les cinq à dix ans à venir. Il est donc nécessaire de créer un dispositif, en coopération avec d'autres organismes tels que la CCI. Alexis Govciyan énumère les associations auxquelles peuvent s adresser les EPV qui ont besoin de soutien financier ou de conseils. Il cite notamment l ECTI, association de retraités proposant leurs services aux PME. 6

M. Amsellem, directeur général de l ECTI, évoque une action menée pour des entreprises labellisées EPV en Auvergne : «Infiniment Luxe» est un regroupement permettant aux entreprises de mutualiser leurs moyens et de bénéficier d'un accompagnement sur des salons à l'étranger. Olivier Mellerio approuve cette initiative et souligne que pour beaucoup d'entreprises de métiers d'art de petite ou de moyenne taille, la mutualisation des moyens financiers et humains est la seule façon de réussir le développement à l international, même si c est parfois difficile à mettre en œuvre. Jean-François Perche et Fabienne Saligue sont interrogés sur leur façon de faire accepter les aspects de marketing à une équipe plutôt habituée à des valeurs artisanales traditionnelles. Jean-François Perche répond que la notion de création est restée au cœur de la vie de l'entreprise. Christine Duval, directrice générale de Moissonnier, précise que même si elle est issue d'une direction marketing d un grand groupe, elle a évité à tout prix d utiliser les techniques classiques de marketing et le vocabulaire qui y est associé. À son sens, la meilleure attitude consiste à être à l écoute des salariés et à encourager la créativité. À partir de là, il est possible de mettre au point une stratégie commerciale adaptée à l entreprise, sans créer de tensions au sein de l équipe. Elle est appuyée par Fabienne Saligue qui estime que dans une entreprise de métier d art, il est évidemment nécessaire de faire de marketing, mais discrètement vis-à-vis de l équipe et surtout, sans en utiliser le vocabulaire, celui-ci étant souvent rédhibitoire pour les collaborateurs. Pour sa part, elle essaie de développer le plus possible la création et dès son arrivée, elle a pu constater que les salariés en étaient fortement demandeurs. Alexis Govciyan remercie vivement Marcelle Lubrano-Guillet, Fabienne Saligue, Olivier Mellerio et Jean-François Perche pour leurs interventions. (Applaudissements.) 7