Le régime de la responsabilité civile des enseignants Document réalisé par le SE-UNSA 94 Octobre 2014 Complexité : tel est le maître mot du régime de la responsabilité des enseignants. Ses grands principes ont été énoncés par le code civil ainsi que par le code de l éducation, mais les contours de ce régime ont été redéfinis par les tribunaux. Ces derniers rendent des décisions concernant une situation bien précise et ne sont pas tenus de respecter le sens de cette décision lors d une autre affaire aux caractéristiques similaires. Ces arrêts permettent néanmoins de tracer les grandes lignes d un régime en perpétuelle évolution. Il faut tout d abord distinguer responsabilité civile et responsabilité pénale. La responsabilité civile est une obligation légale imposant à toute personne de réparer les dommages faits à une victime de son fait, de celui des personnes dont elle doit répondre ou des choses dont elle a la charge. Les grands principes relatifs à la responsabilité civile sont énoncés aux articles 1382 et suivants du code civil. Il s agit du régime de droit commun, des précisions relatives au métier d enseignant sont apportées par l article L911-4 du code de l éducation. La responsabilité pénale, est l obligation faite à une personne ayant commis une infraction pénale de subir la peine prévue. Les contraventions, les délits et les crimes sont des infractions pénales. Auparavant, si une personne était relaxée par le juge pénal suite à des poursuites pour infraction d imprudence ou de négligence, la victime ne pouvait pas obtenir réparation de son préjudice devant le juge civil. Cet état du droit a été modifié par la loi du 10 juillet 2000 Elle a introduit l article 4-1 du Code de Procédure pénale qui permet désormais aux victimes de demander et de potentiellement obtenir réparation devant les juridictions civiles quand bien même une relaxe aurait été prononcée par le juge pénal.
Plan : I- Responsabilité de l enseignant A- Conditions d engagement de la responsabilité civile 1) Le dommage 2) La faute 3) Le lien entre le dommage et la faute B- Causes exonératoires de responsabilité 1) Force majeure 2) Faute de la victime 3) Fait d un tiers II- Responsabilité de l Etat A- Personnels concernés par la substitution de responsabilité B- Activités concernées
III- Procédure A- Recherche de la responsabilité B- Indemnisation de la victime C- Assignation d un enseignant à tort Le régime de la responsabilité civile des enseignants Le Code de l éducation met en exergue deux grands principes : - Le principe de la responsabilité pour faute de tous les enseignants : ces derniers, qu ils appartiennent à l enseignement public ou privé, sont responsables des dommages causés par leurs élèves ou à leurs élèves s il est prouvé qu ils ont commis une faute en relation avec le dommage. - Le principe de la substitution de l Etat à la responsabilité de l enseignant : si l enseignant est responsable du dommage causé ou subi par un de ses élèves et qu il est membre de l enseignement public ou de l enseignement privé sous contrat avec l Etat, la responsabilité de l État se substitue à la sienne. L État est responsable à sa place. Ceci n est pas synonyme d une totale impunité pour un enseignant qui aurait commis une faute : l Etat se réserve la possibilité d exercer dans un second temps une action récursoire contre l enseignant (à détailler plus loin). Ce dernier, s il est condamné, pourra alors se voir condamné à rembourser à l Etat tout ou partie de l indemnité que ce dernier aura versée à la victime.
L application de ces principes a des incidences sur le déroulement de la procédure. I- RESPONSABILITE DE L ENSEIGNANT A- Les conditions d engagement de la responsabilité civile 1- Le dommage Les dommages, aussi bien corporels (blessure ) que matériels (perte d un vêtement ) sont pris en compte. La responsabilité de l enseignant peut être engagée pour différents types de dommages : - Dommage causé par l enseignant lui-même - Dommage causé à l élève par lui-même (cela n exclut pas a priori la responsabilité de l enseignant) - Dommage causé à l élève par un tiers (la responsabilité de l enseignant n est pas non plus a priori exclue) - Dommage causé par l élève (la responsabilité de l enseignant peut être recherchée quand bien même la responsabilité de l élève n aurait pas été établie). Pour engager la responsabilité de l enseignant, le dommage doit survenir lorsque les élèves sont sous sa surveillance (heures de classe, intercours et récréations) à l occasion d une activité d enseignement (activités scolaires et parascolaires). 2- La faute Il ne suffit pas qu un dommage survienne alors que les élèves sont sous la surveillance de l enseignant. Une faute de la part de ce dernier est également exigée en application de l article L911-4 du Code de l éducation (issu de la loi du 5 avril 1937). Cette faute devra être prouvée. Il est impossible de citer toutes les fautes possibles : elles sont appréciées souverainement par les juges du fond, au cas par cas. On peut cependant dégager certaines caractéristiques. Tout d abord, la faute peut constituer aussi bien en un acte qu en une abstention. a) Faute résultant d un acte : il s agit de la faute personnelle de l enseignant. Cette dernière peut être : - volontaire (dans le cas d un enseignant frappant sur un élève, à titre d exemple) - involontaire (dans le cadre d une maladresse ou d une imprudence) b) Défaut de surveillance
Les enseignants sont soumis à un devoir de surveillance. Cette notion varie en fonction de nombreux critères : - La nature de l activité pratiquée et sa dangerosité potentielle - les élèves (on prend en compte leur âge, leurs capacité et leur niveau de maîtrise) On distingue deux grands niveaux de surveillance : - surveillance ordinaire (activités normales quotidiennes des élèves) - surveillance renforcée. Face à des enfants très jeunes, la surveillance doit être continue et l enseignant ne doit pas quitter son poste sans s être assuré de la continuité de la prise en charge des élèves. A l inverse, pour des élèves de 16 ans, il est admis que la surveillance peut être moins constante. La surveillance doit être renforcée dans le cadre d activités présentant un risque évident. On ne saurait se contenter de la simple présence de l enseignant. Dans tous les cas, ce dernier doit exercer une surveillance active et être en mesure d intervenir à tout moment. Il est également tenu d une obligation de prévoyance. Il doit ainsi, de manière préventive, prendre les précautions nécessaires et les mesures propres à une surveillance efficace. Dans bon nombre de cas, sont reprochés un manque de vigilance, d initiative ou encore de diligence. Souvent, la faute consiste en un manque de vigilance, d initiative ou de diligence. Ceci dit, il faut distinguer la faute caractérisée de l enseignant de l organisation déficiente ou des matériels non adéquats qui sont des fautes ou des négligences imputables aux établissements eux-mêmes et non aux personnels enseignants. 3- Le lien entre le dommage et la faute La responsabilité de l enseignant sera retenue uniquement s il existe un lien de causalité suffisant entre le dommage et la faute. Les magistrats ne se contentent pas de la preuve de la négligence de l établissement d enseignement, la négligence de l enseignant est appréciée en fonction de la situation bien particulière dans laquelle il se trouvait. B- Les causes exonératoires de responsabilité Elles permettent à l enseignant de se dégager, totalement ou partiellement, de la responsabilité qu il encourt. On distingue trois causes exonératoires : - la force majeure - la faute de la victime - le fait d un tiers 1) Le cas de force majeure
IL s agit d un évènement extérieur à la volonté des parties (la cause du dommage est étrangère, elle ne saurait être imputée à l enseignant), imprévisible (il n y avait aucune raison particulière de penser que cet évènement se produirait), et irrésistible (rien de pouvait en empêcher les effets, un évènement inévitable et insurmontable). Ces éléments sont à apprécier en fonction du cas d espèce. 2) La faute de la victime Il est parfois considéré que la faute de la victime a joué un rôle dans la réalisation de son dommage. Ces agissements peuvent alors atténuer la responsabilité de l enseignant. Tel est le cas quand un élève enfreint un règlement ou pratique une activité sans y avoir été autorisé. Une part de responsabilité pourra alors rester à la charge de la victime. 3) Le fait d un tiers La faute d un tiers peut avoir concouru à la réalisation du dommage. L enseignant n encourt alors qu une responsabilité partielle. II- LA RESPONSABILITE DE L ETAT L article L911-7 du Code de l Education (article 2 de la loi du 5 avril 1937) édicte un principe de substitution de responsabilité de l État au profit des membres de l enseignement public. Si les conditions détaillées en A sont réunies, alors la victime sera indemnisée de son préjudice par l État et non par l enseignant, quand bien même ce dernier est reconnu comme responsable de la faute à l origine du préjudice. L État se substitue à l enseignant pour assumer les conséquences du comportement fautif de l enseignant.
L Etat se réserve cependant la possibilité à certaines conditions d exercer une action récursoire contre l enseignant. A- Personnels concernés par la substitution Sont concernées par cette substitution deux grandes catégories : - les enseignants (du 1 er degré, du second degré ou de l enseignement supérieur) ou les éducateurs, en tant que fonctionnaires de l éducation nationale. Tel est aussi le cas pour les professeurs stagiaires des ESPE qui effectuent un stage en classe. Sont également visés les enseignants des établissements privés sous contrat d association, rémunérés par l État ou sous la tutelle de l État. Ne sont pas concernés les membres de l enseignement privé sous contrat simple. - le personnel administratif concourant à l activité pédagogique sans dispenser d enseignement : les chefs d établissement (proviseurs, principaux) et les directeurs d école leurs adjoints (proviseurs adjoints, principaux adjoints, conseillers d éducation) les conseillers d éducation, les surveillants d externat, les maîtres d externat. Les autres personnels ne remplissant que des fonctions administratives ou chargés uniquement de tâches matérielles ne sont pas concernés, sauf cas particuliers. B- Activités concernées par la substitution Selon l article L911-4 du Code de l éducation, la prise en charge des élèves par des membres de l enseignement public doit d être effectuée «pendant la scolarité, ou en dehors de la scolarité, dans un but d enseignement ou d éducation physique non interdit par les règlements». La nature de l activité va être examinée très attentivement pour déterminer si cet article est applicable. Les accidents visés sont ceux survenus : - pendant le temps scolaire correspondant à l emploi du temps des élèves - lors des activités éducatives organisées hors temps scolaire, en accord avec l autorité hiérarchique, qu elles aient lieu à l intérieur ou à l extérieur de l établissement. - pendant les activités dites périscolaires (classes d environnement, appariements et échanges de classes) III- PROCEDURE
A- Recherche de la responsabilité Une victime considérant que l enseignant a une part de responsabilité dans la survenance de l accident peut prendre directement contact avec les membres de l éducation nationale dans le cadre d une démarche amiable. En cas d échec de la démarche amiable, la victime souhaitant intenter une action en responsabilité doit établir la faute de l enseignant, l existence du dommage et le lien de causalité entre la faute et le dommage. L action sera alors intentée contre l Etat (en pratique on assigne le préfet du département du lieu où le dommage a été causé) et non contre l enseignant à titre personnel. Ce dernier ne peut être mis en cause ou entendu comme témoin mais peut s il le souhaite intervenir au procès. En fonction du montant de l indemnité demandée, l action sera portée devant le tribunal d instance ou devant le tribunal de grande instance du lieu où le dommage a été causé. Cette action doit être intentée dans un délai de 3 ans à partir du jour où le dommage a été causé (le délai est suspendu pendant la minorité de la victime). B- Indemnisation de la victime 1) si une faute est retenue à l encontre de l enseignant Le juge prononcera une condamnation financière pour indemniser la victime. Elle sera prise en charge par l Etat. Si l enseignant a commis une faute personnelle, l Etat pourra exercer à l encontre de ce dernier une action récursoire afin de lui demander remboursement. En pratique, cette action n est que rarement engagée, en cas de faute grave, voire intentionnelle. L enseignant peut avoir souscrit une assurance de type responsabilité civile professionnelle. 2) Si aucune faute n est reconnue à l encontre de l enseignant La victime est déboutée de son action en responsabilité. Elle peut néanmoins rechercher la responsabilité : - de l élève auteur direct du dommage (si ce dernier est mineur, c est celle de ses parents qui sera recherchée) - de l Etat en cas de défaut dans l organisation ou le fonctionnement du service - de la collectivité de rattachement, à raison d un dommage d ouvrage public. C- Assignation d un enseignant à tort
Il peut arriver qu un enseignant reçoive une assignation personnelle à comparaitre devant le tribunal : c est une erreur de procédure, l action devant être dirigée contre le préfet du département. Il appartiendra alors à l enseignant, seul ou par l intermédiaire de son avocat de signaler que l assignation a été dirigée à tort contre lui.