Vol. 3 La notation extra financière



Documents pareils
CHARTE RESPONSABILITE SOCIALE DE L ENTREPRISE MAJ : 2013

Notre offre ISR pour l Epargne Salariale. Document non contractuel

Charte Investissement Responsable des acteurs de la Place de Paris: Actions menées par les signataires pour répondre à leurs engagements

Notre façon d investir n est pas seulement une question d argent

Etude relative aux rapports des présidents sur les procédures de contrôle interne et de gestion des risques pour l exercice 2011

Position de l ASTEE sur l innovation en matière de services d eau et de déchets

CHARLES DAN Candidat du Bénin pour le poste de Directeur général du Bureau international du Travail (BIT)

LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES Anne DIETRICH Frédérique PIGEYRE 2005, repères, La découverte

22 avril l investissement responsable de la maif

FACE AUX DÉFIS ÉCOLOGIQUES

Conférence mondiale sur les déterminants sociaux de la santé. Déclaration politique de Rio sur les déterminants sociaux de la santé

Notre offre ISR pour l Epargne Salariale. Document non contractuel

Étude EcoVadis - Médiation Inter-Entreprises COMPARATIF DE LA PERFORMANCE RSE DES ENTREPRISES FRANCAISES AVEC CELLE DES PAYS DE L OCDE ET DES BRICS

CHARTE ETHIQUE DE WENDEL

Le point de vue de l UNSA

CHARTE D ÉTHIQUE PROFESSIONNELLE DU GROUPE AFD

La RSE au service de la stratégie de l entreprise et de la création de valeur

CM-CIC Actions ISR. CM-CIC Actions ISR Code de Transparence AFG / FIR / EuroSif. 1. Données générales

Les chartes de France Investissement

LES ACHATS RESPONSABLES

Compétences, qualifications et anticipation des changements dans le secteur de l électricité en Europe

En 2003, la Fédération française des sociétés d assurance et la

S engager à agir pour le développement durable dans une période de changement

L ISR Investissement. LES MINI-GUIDES BANCAIRES SEPTEMBRE 2012 ÉPARGNE. Le site pédagogique sur la banque et l argent

Questionnaire Entreprises et droits humains

La mesure et la gestion des risques bancaires : Bâle II et les nouvelles normes comptables

Le pilotage et les outils du développement durable

Rapport d évaluation du master

ENJEUX, PRATIQUES ET RÉGLEMENTATION EN ASSURANCE AUTOMOBILE : UNE COLLABORATION RÉUSSIE ENTRE L AUTORITÉ ET LE GAA

BREVET DE TECHNICIEN SUPÉRIEUR ÉPREUVE DE MANAGEMENT DES ENTREPRISES BOITIER PHARMA

Collection Au Quotidien

POLITIQUE DE VOTE DU FONDS CCR ACTIONS ENGAGEMENT DURABLE CCR ASSET MANAGEMENT

Allocution de Monsieur le Ministre à l occasion du 1 er meeting sur l information financière

4 avril. Formation IDSE mai 2012

La lettre semestrielle ISR de MACIF Gestion - n 15 Mars 2010

MÉTHODOLOGIE DE L ASSESSMENT CENTRE L INSTRUMENT LE PLUS ADÉQUAT POUR : DES SÉLECTIONS DE QUALITÉ DES CONSEILS DE DÉVELOPPEMENT FONDÉS

des valeurs 2006 PRINCIPES VALEURS FONDEMENTS

L obligation de négocier sur la pénibilité dans les entreprises. Premiers éléments de bilan. Direction générale du travail

Les Français et les outils financiers responsables : notoriété, perception et intérêt

Préparer la formation

Fonds de placement Le modèle adapté à chaque type d investisseur.

PRESENTATION STRATEGIQUE

Quel contrôle de gestion pour les ONG 1?

Code à l intention des partenaires commerciaux

«Identifier et définir le besoin en recrutement»

CHARTE DES UNIVERSITÉS EUROPÉENNES POUR L APPRENTISSAGE TOUT AU LONG DE LA VIE

LA PROFESSIONNALISATION DU COACHING EN ENTREPRISE :

Conseil d administration Genève, mars 2000 ESP. Relations de l OIT avec les institutions de Bretton Woods BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL

Charte du tourisme durable

Programme «Société et Avenir»

Groupe de travail. Renforcer la confiance mutuelle RAPPORT

Déclaration du Capital naturel

Séminaire «L éducation non formelle, un projet pour les habitants dans la cité»

Notre expertise au service des personnes morales

MASTER 1 MANAGEMENT PUBLIC ENVIRONNEMENTAL CONTENU DES ENSEIGNEMENTS

Note à Messieurs les : Objet : Lignes directrices sur les mesures de vigilance à l égard de la clientèle

DONNER DU INVESTISSEMENT

Pourquoi la responsabilité sociétale est-elle importante?

pas de santé sans ressources humaines

3. Un crédit à la consommation responsable

Notre approche pour les investissements en bourse

CANDIDATURE AUX FONCTIONS DE DIRECTEUR GENERAL DE L ENSAM

L environnement juridique et fiscal

Commentaires sur le projet de lignes directrices (G3) pour l évaluation de la durabilité de la Global Reporting Initiative

10 ème Forum IES 2010 Enjeux et Perspectives de l Intelligence Economique Au carrefour des Pratiques REIMS 6-8 octobre 2010

DEMANDE DE SOUTIEN - RAVIV. Fonds de Soutien à l Initiative et à la Recherche

LE GROUPE MACIF ET LA RSE

CREATIVE WORK VALORISATION DE LA PI

DES PAROLES ET DES ACTES : LES 4 MENSONGES DE MONSIEUR LENGLET

Fondation de Luxembourg Politique d Investissement Socialement Responsable (ISR)

Après quatre tests d évaluation passés dans des pays différents (USA et Amérique latine), la norme SA 8000 a été validée et diffusée.

L AUDIT DE L ETHIQUE DES AFFAIRES,

Université de Lorraine Licence AES LIVRET DE STAGE LICENCE

Introduction Quels défis pour l Administration Publique face àla crise? Crise et leadership : quelles relations? Quels défis pour les dirigeants?

GUIDE DU BENEVOLE. Mai 2011

Agriculture et Finances

Introduction : histoire et concept de l économie sociale Lucile Manoury

Baromètre 2014 Club de l Epargne Salariale - Harris Interactive

Bien vivre, dans les limites de notre planète

«La Mutualité Française ouvre de nouveaux chantiers innovants.»

Mesures évaluées % %

Master Audit Contrôle Finance d Entreprise en apprentissage. Organisation de la formation

Lettre de mission. Services de consultant pour une évaluation à mi-parcours de la Stratégie de l UIP

FONDATION COMMUNAUTAIRE D OTTAWA POLITIQUE

alpha sélection est une alternative à un placement risqué en actions et présente un risque de perte en capital, en cours de vie et à l échéance.

L emploi des jeunes dans les entreprises de l économie sociale et solidaire

Participation des habitants et contrats de ville Quels enjeux? Quelle mise en oeuvre?

Juillet Réponse de la MGEN et de la MS Consultation sur la gouvernance d entreprise 1

Recommandation concernant les produits financiers durables

Les investissements internationaux

TROISIEME REUNION DU FORUM SUR L ADMINISTRATION FISCALE DE L OCDE

UFF PRESENTE UFF OBLICONTEXT 2021, NOUVEAU FONDS A ECHEANCE D OBLIGATIONS INTERNATIONALES, en partenariat avec La Française AM

L élaboration de la fiche de poste

BUREAU DU CONSEIL PRIVÉ. Vérification de la gouvernance ministérielle. Rapport final

ENQUETE QUALITE AUPRES DES DIRIGEANTS PME / PMI. Contribuer à la performance de l entreprise. Novembre GT015-rev octobre 2002

Une gamme complète de solutions d investissement et de services à destination des investisseurs

ASSURANCE-LITIGE EN MATIÈRE DE BREVETS

FONDS D INVESTISSEMENT CLIMATIQUES

Comment un. accident. peut-il engager la. responsabilité pénale. des élus locaux et des fonctionnaires territoriaux?

Termes de référence pour le recrutement d un consultant en communication

Transcription:

Cahiers de N 6 Juillet 2012 DOSSIER Notation = évaluation? Vol. 3 La notation extra financière Avant propos Résumé du numéro L entreprise et le monde La responsabilité sociale de l entreprise L investissement socialement responsable L information extra financière Entretien avec Nicole NOTAT Filmographie Billet de l économiste Nicolas Treich, Ecole d économie de Toulouse (TSE)

Quelques clefs de lecture Règles du jeu Revue électronique annuelle d une centaine de pages publiant des articles et des interviews. Les articles proposés sont soumis à l appréciation d un Comité d orientation dont les avis concourent au choix des textes et, éventuellement, à leur amélioration, tant en ce qui concerne leur qualité scientifique que la clarté de leur exposé. Les opinions et les jugements exprimés par les auteurs n engagent qu eux mêmes et non les institutions auxquelles ces auteurs appartiennent. Ils n engagent, a fortiori, ni la Direction générale du Trésor ni le ministère de l'economie et des Finances ni le Centre d analyse stratégique. Définitions L évaluation consiste à porter un jugement de valeur fondé sur une démarche cognitive. Les politiques publiques englobent toutes les modalités d action permettant aux pouvoirs publics (au sens large) d infléchir les comportements des acteurs sociaux en vue de l intérêt général. Dossiers De nombreuses histoires d évaluation à raconter, des histoires réussies et d autres moins. Ce sont ces histoires que Les Cahiers se proposent de rapporter dans des dossiers thématiques afin de favoriser une compréhension intuitive des problématiques d évaluation. L accent est mis sur les aspects concrets de l évaluation, en privilégiant, dans la mesure du possible, des exemples d évaluation appliquée et en proposant dans chaque numéro l interview d une personnalité (décideur, expert, acteur de la société civile) à l expérience reconnue. Chaque dossier constitue une entité autonome, une «brique» d information pouvant être lue indépendamment. Suivant leur importance, les dossiers seront traités en un ou plusieurs numéros. Chaque dossier s articule autour d articles choisis pour leur capacité à éclairer la thématique abordée. Ce sont, en général, des articles ayant déjà été publiés, accompagnés de compléments rédigés par la rédaction (biographie, encadrés méthodologiques, définitions ) mais il pourra être fait appel, le cas échéant, à des contributions originales. Interrogations Qu est ce que l évaluation? Que sont, au juste, les politiques publiques? À ce stade, les réponses ne peuvent être qu esquissées. Les définitions proposées ci contre, pour imparfaites qu elles soient, présentent le mérite d ouvrir une large avenue à l évaluation des politiques publiques et donc de ne pas restreindre a priori le champ d investigation de la revue. L explication des termes économiques peut, par ailleurs, être recherchée sur des glossaires en ligne, notamment celui proposé par la revue Problèmes économiques de la Documentation française. Directeur de la publication : Rédactrice en chef : Rédaction Secrétariat Renseignements : Diffusion : Claire Waysand, directrice générale adjointe à la Direction générale du Trésor, chef économiste du ministère de l'économie et des Finances Martine Perbet, Direction générale du Trésor Mel : martine.perbet@dgtresor.gouv.fr Cynthia Lavison, Eliana Valles Martine Perbet Tél. : 01 44 87 72 90 Fax : 01 53 18 36 28 Mel : cahiers evaluation@dgtresor.gouv.fr Sites www.strategie.gouv.fr et www.tresor.economie.gouv.fr ISSN 1760 5725 Comité d orientation : Claire Aubin, secrétaire générale du Conseil d orientation des retraites / IGAS, ministère du Travail, de l Emploi de la Formation professionnelle et du Dialogue social Marie Jeanne Amable, adjointe au chef du service du contrôle General Economique et Financier (CGEFI), ministère de l'économie et des Finances Xavier Bonnet, chef du service Économie, évaluation et intégration du développement durable, ministère de l Ecologie, du Développement durable et de l Energie Dominique Bureau, délégué général au Conseil économique pour le développement durable / CEDD, ministère de l Ecologie, du Développement durable et de l Energie Vincent Chriqui, directeur général du Centre d analyse stratégique / CAS Pierre Deprost, inspecteur général des Finances à l IGF, ministère de l'économie et des Finances Alban de Loisy, chef de la mission d évaluation des politiques publiques (MEPP), ministère de l'économie et des Finances Florence Dubois Stevant, cheffe du service de la législation et de la qualité du droit au Secrétariat général du gouvernement / SGG François Écalle, conseiller référendaire à la Cour des comptes Annie Fouquet, inspectrice générale des Affaires sociales, présidente de la Société française de l évaluation Michel Houdebine, chef du service des politiques publiques à la Direction générale du trésor / DG Trésor, ministère de l'économie et des Finances Jean Maia, conseiller d Etat Bertrand du Marais, professeur de droit public à l'université Paris Ouest Nanterre La Défense Bernard Perret, chef de la mission Évaluation des politiques publiques au Conseil général de l environnement et du développement durable/cgedd, ministère de l Ecologie, du Développement durable et de l Energie Michel Quéré, directeur de la Direction de l évaluation, de la prospective et de la performance au ministère de l Éducation nationale Fabienne Rosenwald, directrice du service de la statistique et de la prospective, ministère de l Agriculture, de l Agroalimentaire et de la Forêt Béatrice Sédillot, cheffe de service adjointe au directeur de la Direction de l animation, de la recherche, des études et des statistiques / DARÈS ministère du Travail, de l Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social Nicolas Treich, directeur de recherche à l Institut national de la recherche agronomique, chercheur au LERNA, Toulouse School of Economics (TSE) Franck Von Lennep, directeur de la recherche, des études, de l évaluation et des statistiques / DREES, ministère du Travail, de l Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social Cahiers de l évaluation, n 6, juillet 2012 Page 1 sur 127

Sommaire DOSSIER : Notation = évaluation? Vol. 3 Notation extra financière * Avant propos de Claire Waysand... p. 4 Résumé du numéro...p. 6 L entreprise et le monde Des Quakers.........p. 16 à la Word Company....p. 22 La responsabilité sociale de l entreprise (RSE) Faire du profit!.....p. 29 dans le cadre de règles mondiales p. 34 sous la pression de la société civile....p. 41 pour VIVRE ENSEMBLE sur la planète.. p. 48 L investissement socialement responsable (ISR) Les pionnières : les Golden Sisters..... p. 56 Les familles de la Finance responsable.....p. 63 Quelles motivations des investisseurs?...p. 74 Opportunistes ou altruistes?...p. 79 L information (notation) extra financière Entretien avec Nicole NOTAT 11 Arese, première agence française.....p. 85 12 La notation extra financière....p. 93 13 Les agences en 2011...p. 101 p. 8 14 Les critiques...p. 110 15 En guise de conclusion...p. 122 Filmographie..p. 123 Billet de Nicolas Treich (Toulouse School of Economics)....p. 125 *Avertissement. Les trois premières parties donnent des éléments de contexte que le lecteur averti peut négliger. Un coup d œil à la page 64 peut néanmoins être utile pour identifier les grandes familles de l ISR et être au clair quant à la terminologie qui sera utilisée dans la suite du numéro. Le lecteur désireux de plus de de précisions sur la RSE, l ISR et l information extra financière se reportera à différents sites internet : http://www.novethic.fr, http://www.semaine isr.fr, http://www.eurosif.org. Un glossaire est disponible sur le site de Novethic : http://www.novethic.fr/novethic/v3/le glossaire.jsp. Cahiers de l évaluation, n 6, juillet 2012 Page 2 sur 127

Cahiers de l évaluation, n 6, juillet 2012 Page 3 sur 127

Avant propos de Claire Waysand Acôté des agences de notation financière sont apparues, au cours de ces dix dernières années, des agences de notation extra-financière, qui se donnent pour objectif d évaluer le degré de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Si la crise financière a mis en évidence des défaillances dans la supervision et la régulation du secteur financier mondial, dont celle de la notation financière sujet traité par les précédents Cahiers de l évaluation force est de constater que l on dispose aujourd hui encore de peu de recul pour apprécier la qualité et la contribution de la notation extra-financière, son influence sur les choix des investisseurs et son impact sur les comportements des entreprises. Les notations ESG (environnement, social, gouvernance) peuvent répondre à une demande multiforme, guider les investisseurs sensibles à ces problématiques (motif altruiste), mais aussi servir à d autres investisseurs, de manière plus opportuniste, d indicateurs des risques portés par les entreprises. Même si elles gagnent en influence, elles n ont pas à ce stade un caractère aussi systémique que la notation financière. Les moyens qui y sont consacrés ne sont pas non plus comparables : le chiffre d affaire des agences de notation extra-financière ne représente que de 1 à 2% de celui des agences de notation financière. Nos sociétés doivent cependant parvenir à évoluer vers des modes de fonctionnement plus soutenables, ce qui passe aussi par la maîtrise des risques de diverses natures. L information extra-financière peut y contribuer. Comme le souligne Nicole Notat dans son interview, le point crucial est que le destinataire de la notation comprenne bien ce qu il convient de faire dire à la notation ou de ne pas lui faire dire. Cette transparence peut aussi être favorisée par une politique publique visant, par exemple, à encadrer les pratiques des agences et à standardiser l information de base produite par les entreprises, comme l envisage l Autorité des Marchés Financiers. Ce numéro, comme les précédents, cherche à alimenter la réflexion en rassemblant des points de vue variés, émanant d acteurs d horizons différents. C est ce qui en fait la richesse et c est la raison pour laquelle je m associe aux vœux de succès que Benoit Coeuré, mon prédécesseur, a formulés pour les Cahiers de l évaluation. Claire Waysand Directrice générale adjointe du Trésor Directrice de publication des Cahiers de l évaluation Cahiers de l évaluation, n 6, juillet 2012 Page 4 sur 127

Cahiers de l évaluation, n 6, juillet 2012 Page 5 sur 127

Résumé du numéro 6 «Les agences de notation [ ] rendent publiques des informations qui autrement resteraient privées. Elles contribuent donc à atténuer les asymétries d information.» Ces mots écrits dans le précédent numéro à propos des agences financières valent aussi pour les agences extrafinancières dites aussi, parfois agences «éthiques». Celles ci fournissent une évaluation des risques environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) portés par les multinationales, à l intention des investisseurs souhaitant intégrer des critères extra financiers dans leurs choix. Investissement «éthique», commerce équitable, relèvent de la même logique. Tout se passe comme si les acteurs sociétaux percevaient la mondialisation des échanges comme devançant la mondialisation des régulations. Ils tentent donc de remédier à ce déficit de régulation publique en modifiant leurs comportements. Ils amènent ainsi les entreprises à adopter des standards supérieurs (droit du travail, droit de l environnement ) à ceux imposés par les cadres normatifs dont elles dépendent, souvent ceux des pays en voie de développement. Se forge ainsi un substitut de régulation, assez médiatisé, qui gagne en importance (articles 2 à 6). Dossier : Notation = évaluation? Vol. 3 Notation extra financière * Des Quakers à la Word Company Faire du profit! dans le cadre de règles mondiales sous la pression de la société civile pour VIVRE ENSEMBLE sur la planète Les pionnières : les Golden Sisters Les familles de la Finance responsable Quelles motivations des investisseurs? Opportunistes ou altruistes? 11 Arese, première agence française 12 La notation extra financière 13 Les agences en 2011 14 Les critiques 15 En guise de conclusion * Ce numéro est le troisième et dernier volume d un dossier consacré à la notation (voir n 4 et 5, les deux précédents numéros des Cahiers. L investissement «éthique» ou «socialement responsable» (articles 1 et 7) est d abord déterminé, comme l investissement classique, par la notation financière. L usage, en sus, de critères ESG témoigne de la priorité donnée à la Responsabilité sociale des entreprises (RSE 1 ). Ces préoccupations éthiques sont cependant présentes avec des nuances : on distingue ainsi au sein de la Finance responsable, les «altruistes», prêts à accepter un rendement moindre de leur placement socialement responsable pour accroitre le bien être collectif (article 10), des «opportunistes» qui, au contraire, espèrent un meilleur rendement du fait d une meilleure gestion des risques au sein des entreprises. Au total ces investisseurs socialement responsables choisissent des modes d actions en ligne avec leurs convictions, qui peuvent être d inspiration religieuse, écologique, syndicale De ce fait, l ISR renvoie à une mosaïque d approches (articles 8 et 9). L expression «notation extra financière» englobe en réalité toute une gamme d informations extra financières qui varient dans la forme (indices boursiers, rating, indicateurs ) et dans le fonds (environnement, social, gouvernance). Ces informations renseignent les sociétés de gestion sur le niveau de RSE des entreprises (articles 12 et 13). La fonction de production des agences est très contrainte, du fait de problèmes techniques, tels que l imperfection des données d entreprises, et aussi de ressources limitées. Ces deux handicaps pèsent sur la capacité des agences à forger les outils adéquats. Qui plus est, le débat court toujours sur le type d information à produire pour répondre à la demande. Des indicateurs retraçant l impact des principaux critères ESG sur la performance financière à l intention d investisseurs opportunistes? Des évaluations de rentabilité collective destinées aux investisseurs altruistes? Cette diversité fait de la notation extra financière une industrie à la recherche de son business model. (articles 11 à 13). En conclusion, si les imperfections d information sont omniprésentes dans la sphère extra financière, les marchés de l information qui se mettent en place (agences, consultants ) n en sont pas exempts. Une professionnalisation de l information extra financière apparait donc aujourd hui nécessaire pour conserver à l ISR la confiance que les investisseurs lui ont marqué durant la crise financière. Tenir compte des critiques (article 14) est un premier pas pour que la notation extra financière contribue à relier les comportements d aujourd hui et les choix de demain (Jean Pisani Ferry, article 15). 1 Ce sigle signifie aussi parfois «Responsabilité Sociétale de l'entreprise» ou «Responsabilité Sociale et Environnementale». Faute de définition consensuelle, la RSE renverra ici aux actions des entreprises visant à assumer les impacts négatifs de leurs activités sur la collectivité, étant entendu que chaque auteur est responsable de la définition qu il en donne. Sur le fonds, le concept de RSE est débattu dans l article 3. Cahiers de l évaluation, n 6, juillet 2012 Page 6 sur 127

Cahiers de l évaluation, n 6, juillet 2012 Page 7 sur 127

Entretien avec Nicole Notat Présidente de Vigeo, agence de notation extra financière Martine Perbet (MP) : Vous avez été pendant dix ans secrétaire générale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) puis, en 2002, vous prenez la Présidence de Vigeo. Comment passe-t-on du syndicalisme à la notation «extra financière» des entreprises 1? Nicole Notat, après des études à l École normale d instituteurs, choisit de devenir institutrice pour enfants en difficulté. En 1969, elle adhère à la Confédération française démocratique du travail (CFDT), au sein de laquelle elle progresse rapidement jusqu à devenir la secrétaire générale de 1992 à 2002. Dans ce cadre elle s'attache à promouvoir la transformation sociale par le dialogue et n'hésite pas à discuter avec le patronat et à soutenir les réformes qui lui paraissent indispensables. Son soutien au plan Juppé de réforme de la Sécurité sociale, en 1995, lui vaudra d ailleurs de nombreuses critiques. En 2002, après trois mandats consécutifs, elle laisse une CFDT renforcée, majoritaire chez les cadres et dans les PME, pour prendre la présidence de Vigeo, société d évaluation des performances sociales et environnementales des entreprises RSE. Parmi de nombreuses autres responsabilités, Nicole Notat a présidé le groupe «Gouvernance» du Grenelle de l environnement, elle est membre du Conseil d'orientation du think tank «En Temps Réel» et présidente du club «Le Siècle». Elle a publié plusieurs ouvrages : en 1997, avec Hervé Hamon, «Je voudrais vous dire» (Le Seuil), en 1998 «Le bon usage des 35 heures» (Le Seuil) et, avec Frybes Marcin et Geremek Bronislaw, «La Nouvelle Europe centrale» (La Découverte). Nicole Notat (NN) : Je souhaitais engager un autre projet professionnel après ma responsabilité syndicale, la question s est donc posée de la définition de ce projet. Je l ai progressivement pensé, construit et conçu sur la base d un constat, déjà patent au début des années 2000 : dans la mondialisation ambiante l entreprise est de plus en plus interpellée sur ses résultats financiers, mais aussi sur les conditions dans lesquelles elle participe, positivement ou négativement, aux enjeux sociaux et environnementaux qui se posent au niveau de la planète. Le mot "Vigeo" signifie, en Ce mouvement latin "être sur le qui vive, serait irréversible, garder l'œil ouvert". De les entreprises cette racine, le français a seraient de plus en plus, tenues de conservé deux mots: "vigie" rendre compte de et "vigilance". leur responsabilité sociale (RSE). Il conviendrait alors de mesurer, d évaluer j utilise sciemment les deux mots la réalité et la tangibilité de leur engagement. Il y aurait besoin d un tiers externe indépendant qui vienne authentifier les dires des entreprises. Cette mesure, cette évaluation, intéresserait des investisseurs qui, de plus en plus, regardent l entreprise à partir de la façon dont elle maîtrise ses externalités, sociales ou environnementales et territoriales, avec l idée que ces investisseurs voient dans le comportement vertueux de l entreprise une source de création de valeur durable, d abord pour elle-même, puis pour leur placement. C était là l amorce à l époque, ce n étaient que des signaux faibles de 1 Les termes en couleurs dans l interview renvoient aux moments clefs du système de notation de Vigeo. On les retrouve dans l encadré ci après sur le modèle de Vigeo. Cahiers de l évaluation, n 6, juillet 2012 Page 8 sur 127

comportements, y compris financiers, qui étaient en train d évoluer quant à la manière de lire et d arbitrer les investissements. MP : La notation extra-financière suscite beaucoup d intérêt mais aussi beaucoup d interrogations. Qui a avantage à ces notations et sur quel marché s échangent-elles? Qui produit quoi et pour quel destinataire? Comment sont définies, objectivées et évaluées les bonnes pratiques que doivent viser les entreprises? NN : À quoi sert le travail de Vigeo et à qui s adresse-t-il? Nos recherches sont orientées directement vers des investisseurs, ou des gérants d actifs, puisque nous analysons des multinationales européennes, américaines et asiatiques cotées en bourse (1.700 entreprises sous revue Je n'aurais sans doute pas créé actuellement). Nous leur vendons le cette société si je n'avais pas été résultat de notre recherche, à auparavant témoin des débats et charge pour eux de déterminer par la suite l usage qu ils en feront et la controverses sur le capitalisme, l'économie de marché et ses modes manière dont elle impactera la de régulation. [ ] les termes du sélection de leurs placements. Au nom de quoi évaluons-nous l entreprise? Sur quels critères et sur quel référentiel? En quoi ce dernier est-il légitime? Dans le domaine des critères dits extrafinanciers, c est-à-dire des critères sociaux, environnementaux, de gouvernance (critères ESG), il débat sur le rôle et la responsabilité des acteurs du marché, c'est à dire des entreprises, m'ont semblé paradoxalement se poser d'une nouvelle manière avec la mondialisation.» (Nicole Notat, Revue Esprit, octobre 2006) n existe aujourd hui, aucune norme qui puisse nous guider sur la manière d utiliser et de structurer un référentiel. Il a fallu innover. Pour prétendre évaluer une entreprise, mesurer un degré d engagement sur un objectif donné, il était nécessaire de déterminer les critères à partir desquels nous allions observer si l entreprise avait des politiques, si elle avait des dispositifs qui garantissent le déploiement de ces politiques et à quel résultat elle parvenait. Les multinationales agissant dans le monde entier, il fallait des critères qui fassent consensus au niveau de la communauté internationale. Le référentiel de départ a donc été construit à partir de la soft law internationale, c est-à-dire les conventions, les principes directeurs, les résolutions de l Organisation internationale du travail (OIT), de l Organisation mondiale de la santé (OMS), de l Organisation des Nations unies (ONU), de l OCDE, bref, de toutes ces institutions internationales qui élaborent, avec les parties prenantes, gouvernements, syndicats, employeurs, etc. des recommandations et des principes, des normes. Ce référentiel comprend six domaines d évaluation, contenant les critères (une quarantaine) à partir desquels les entreprises sont évaluées. Le premier domaine, par exemple, correspond aux droits fondamentaux établis par l OIT. Ces derniers s imposent à l entreprise, même si le pays dans lequel elle intervient n a pas ratifiée la convention. C est donc au niveau international qui s établissent des principes que, sans être de la hard law, permettent d interpeller l entreprise si elle ne les respecte pas. Parmi ces droits fondamentaux se trouve la question du travail des enfants et des prisonniers ainsi que celle de la non-discrimination. MP : Très concrètement, sur l âge des enfants par exemple, quels sont vos textes de référence? Comment faites-vous pour tenir compte du contexte local? Travailler à 13 ans n a pas la même signification en Chine, en Inde que dans un pays développé. NN : Le principe de base est qu en dessous de 15 ans pour les pires formes du travail, selon le texte de l OIT, l enfant ne doit pas être placé en situation de travail. Le travail artisanal, familial, n est pas visé, au contraire du travail des enfants pour les multinationales. La responsabilité de l entreprise à respecter ce principe s étend aussi à ses fournisseurs Si un fournisseur local, en Chine par exemple, fait travailler des enfants, et que cette pratique est révélée, la multinationale qui a eu recours à lui est directement visée et atteinte dans sa réputation Nous sommes dans le cadre d un élargissement des responsabilités des entreprises. Celles-ci l ont compris et rares sont par exemple les distributeurs qui ne mette en place des dispositifs de prévention du risque fournisseur. Tout cela est très «normé», nous n avons pas de souci pour identifier ce dont il s agit, les entreprises non plus d ailleurs car elles sont maintenant très imprégnées de ces sujets. Cahiers de l évaluation, n 6, juillet 2012 Page 9 sur 127

En pratique, pour évaluer la pertinence de la politique de l entreprise en la matière, cette dernière doit nous prouver que son objectif (prohiber le travail des enfants) est visible, c est-àdire qu il est diffusé à l intérieur de l entreprise, qu il est exhaustif, c est-à-dire que son contenu reprend bien tout ce qui est attendu de l entreprise dans la convention internationale, et qu il est porté, c est-àdire qu il est pris en charge par le management au sein du groupe puis par des opérationnels. Une fois défini le référentiel, il fallait construire une méthode d analyse. L information spécifique sur chaque entreprise est déterminante. C est notre matière première. L enjeu est alors pour nous de collecter une masse critique d information, émanant de plusieurs sources d information. De l entreprise évidemment, mais aussi celles publiées par diverses parties prenantes, les médias, les syndicats, des ONG, Concernant l entreprise, encore faut-il que l information existe en son sein et que celle-ci ait donc mis en place des dispositifs de reporting ESG au niveau mondial, au même titre qu il existe des reporting financiers, ce qui est loin d être le cas les entreprises sont seulement en train de les construire la disponibilité d information est un indicateur pertinent pour apprécier le degré de maturité de l entreprise A partir de cette information, un score est attribué à chacun des items visibilité, portage et exhaustivité, puis les trois notes sont agrégées pour attribuer une note de 0 à 100 sur la pertinence de la politique considérée. Le degré de déploiement de cette politique et les résultats obtenus par celle-ci seront évalués en suivant une démarche similaire. Les trois notes permettent alors d attribuer une note au critère (pour plus de détail sur le processus de rating se reporter à l encadré ciaprès, ndlr). MP : Comment procédez-vous pour objectiver les évaluations relatives à des critères plus «mous» comme, par exemple, l action de l entreprise sur le développement des territoires? NN : La question est de savoir comment l entreprise participe au développement local, permet que le Franck Riboud (PDG de Danome) et Muhammad Yunus (président de la banque de microcrédit Grameen et Prix Nobel de la paix 2006) créent Grameen Danone Foods au Bangladesh pour produire Shokti+, un yaourt contenant 30% des apports journaliers recommandés en cinq nutriments essentiels, au prix unitaire compris entre 5 et 8 centimes d euro. (http://www.danone.com) territoire, ou le pays, dans lequel elle intervient profite de sa présence en terme d emplois directs et indirects, en terme de contribution à des politiques locales. Pour une firme qui produit des biens de consommation on s interrogera sur l accessibilité de ces produits pour la population locale. Un bon exemple est, typiquement, la création par Danone de yaourts-nutriments pour le Bangladesh (cf. cidessous). Un autre cas, encore, est celui d une entreprise qui est amenée à réduire ses effectifs, voire à fermer une usine, ce que nous apprécierons sera la capacité de l entreprise à compenser les emplois perdus par d autres activités sur le site et à accompagner les salariés concernés vers un autre emploi, la responsabilité de l entreprise ne se limite pas au respect du minimum légal et local, où qu elle se situe dans le monde, elle vise à réduire au mieux les conséquences négatives de ses choix et de ses actes sur ses parties prenantes concernées MP : La société civile est réceptive à la prise en compte des aspects extra-financiers de l activité des entreprises, tels que celui que vous venez d évoquer. Pour autant, tout ceci apparait vraiment complexe et pas toujours très lisible. Pour améliorer les choses, ne pourrait-on progresser vers des référentiels communs en matière de RSE? La question d un référentiel européen est en débat, qu en pensez-vous? NN : Il est souhaitable de donner un contenu précis aux objectifs de responsabilité sociale sur lesquels les entreprises sont attendues. Ce cadre n est pas à inventer. Les conventions internationales, les principes directeurs de l OCDE, des directives et conventions européennes constituent un cadre pertinent de portée internationale. L Europe pourrait rapidement en faire le cadre de référence pour l ensemble des multinationales européennes. Ce référentiel international devra ensuite être complété au fur et à mesure que de nouveaux enjeux ESG apparaissent. MP : En aval des référentiels, il y a les modèles, les méthodes, qui sont les sources de l information agrégée. La transparence devient alors problématique : rendre publiques (peu ou prou) les Cahiers de l évaluation, n 6, juillet 2012 Page 10 sur 127

Qui est Vigeo? Vigeo et son modèle de notation Le chiffre Le chiffre d affaires du du groupe (France, Belgique, Italie, Royaume Uni, Maroc) et son et actionnariat son actionnariat en 2011 en 2011 Vigeo Rating offre de l information extrafinancière (notation déclarative ou rating) aux gestionnaires d actifs. Vigeo enterprise conseille et/ou audite les entreprises. Dans ce cadre elle leur offre la notation sollicitée ou le reporting développement durable. Son modèle de notation (déclarative) / rating Le processus de notation déclarative se déroule sur six mois environ. La première démarche consiste à informer l entreprise qu elle entre dans le processus de notation de Vigeo car, n ayant pas elle même sollicité la notation, elle ignore que Vigeo l analyse en vue de fournir une notation aux gestionnaires d actifs. L élaboration de la note s appuie ensuite sur le modèle Equitics certifié Research Quality Standard dont Vigeo souhaite faire un standard européen. Comme la plupart des modèles de ce genre, il comprend quatre blocs : «Référentiel» (I), «Pondérations» (II), «Mesure de la performance» (III) et «Rating» (IV). Le rating, produit final de l analyse, est un indicateur normalisé qui situe la performance de l entreprise au sein de son secteur. I Un référentiel adossé à des normes internationales CFDT (France), Confederación Sindical de Comisiones Obreras et Union General de Trabajadores (Espagne) Confederazione Italiana Sindacati Lavoratori (Italie) Forum Ethibel (14%) et Confédération des Syndicats Chrétiens (Belgique) Accor, Thales, Total, Rhodia, Veolia, Alcan, Danone, Saint Gobain, Vinci, Alcatel, Solvay Sa, Arcelor, Financiere Lafarge, Spie Banque populaire / Caisse d épargne (35%), Amundi, AG2R, Confederacion Espanola de Cajas de Ahorros, Crédit Coopératif, Dexia AM, Inter Expansion (Ionis), Lazard Frères Gestion, Macif, Ofivalmo, S2G Vigeo s appuie sur les normes produites par les institutions Internationales (ONU, Organisation internationale du travail ou encore OCDE), émises sous forme de principes, de recommandations ou de conventions, pour caractériser la Responsabilité Sociale des Entreprises. Cet adossement au droit international rend ces principes invocables par les parties prenantes auprès de juridictions légales. Six domaines sont considérés : 1. Droits humains. Respect des droits humains fondamentaux dans la société. 2. Ressources humaines. Points clefs de la relation d emploi. 3. Environnement. Préservation du capital et des ressources pour les générations futures. 4. Clients fournisseurs. Comportement de l entreprise au sein de la chaîne de production (i.e. comportement sur les marchés). 5. Gouvernance d entreprise. Mécanismes mis en place pour contrôler l action de l entreprise et son pilotage. 6. Engagement sociétal. Répercutions de l activité de l entreprise sur les acteurs économiques et sociaux. Définition du critère Principes d action Comment passe t on du critère aux principes d action? (Exemple du critère: Engagements en faveur du développement économique et social du territoire d'implantation) L'entreprise s'engage t elle à contribuer durablement aux progrès économiques et sociaux des territoires d accueil par le biais de l optimisation des retombées économiques locales liées à son activité : Investissements locaux, Politique de promotion de l emploi local, Transferts de technologies et compétences, Prise en compte des impacts des restructurations sur le bassin d emploi local. Optimiser les retombées économiques locales liées à l activité Favoriser la création et le développement d entreprises sur le territoire d implantation Promouvoir le transfert de technologies et de compétences vers les PVD et économies en transition Promouvoir l emploi et la formation du personnel local Favoriser le marché de l emploi local Limiter les impacts des fermetures de sites sur les territoires Cahiers de l évaluation, n 6, juillet 2012 Page 11 sur 127

Mesurer le degré de RSE d une organisation suppose d examiner la façon dont celle ci met en œuvre ces grands principes. Pour ce faire, le référentiel normatif est subdivisé en 38 critères, eux mêmes déclinés en principes d action (200 au total pour l ensemble des critères). Par exemple, l engagement sociétal d une entreprise sera jugé à l aune de son «engagements en faveur du développement économique et social du territoire d implantation» dont l une des dimensions est l action en faveur de l emploi local (voir ci dessus). II Des pondérations qui définissent des référentiels sectoriels Le référentiel (critères et principes d action) ainsi défini reste encore trop général pour rendre compte des enjeux propres à chaque secteur. Suivant les branches, certaines dimensions ont plus d importance que d autres : les critères environnementaux ont, par exemple, plus de sens dans la chimie que dans l'assurance. Des référentiels sectoriels sont donc établis en associant au cadre d ensemble des tables de pondération des critères. Cette pondération découle d une analyse du risque fondée à la fois sur la nature de l impact (F1), sur l exposition des parties prenantes (F2) et sur les répercussions possibles en termes juridiques et réputationnels (F3). A l issue de cette analyse la pondération associée à chaque critère peut prendre trois valeurs : 1 (critère sensible), 2 (critère essentiel) ou 3 (critère névralgique). Le critère de la sécurité est ainsi considéré comme névralgique dans l industrie chimique (cf. encadré ci après). Exemple de calcul de pondération Critère "Amélioration des conditions de santé sécurité" dans le secteur des industries chimiques Facteur F1 Nature de l impact : Les salariés peuvent être en présence de substances pouvant induire des maladies professionnelles graves (benzène etc.) et des accidents graves, voire mortels, surviennent. La valeur maximale de 3 est attribuée. Facteur F2 Exposition des parties prenantes : Les questions de santé sécurité ne sont pas circonscrites à une catégorie négligeable des salariés, au contraire, les impacts évoqués ci dessus sont liés au cœur de métier du secteur, où les ouvriers représentent une part importante des effectifs. La valeur maximale de 3 est attribuée. Facteur F3 Risque de répercussion sur l entreprise : 1. Les risques légaux sont avérés, en particulier les montants importants versés pour compenser les dommages causés aux salariés atteints de maladies professionnelles. 2. La réputation de l entreprise peut être atteinte. 3. Ceci induit, entre autres, une difficulté pour l entreprise dans l obtention des licences nécessaires pour opérer. 4. La cohésion et la motivation des salariés peuvent également être affectées. Quatre classes de risque sont identifiées ci dessus pour ce facteur, ce qui correspond à une valeur de 2 pour ce facteur. La pondération du critère est fonction du produit des résultats obtenus pour les trois facteurs, lequel s inscrit dans une fourchette de 1 (1x1x1) à 27 (3x3x3). La pondération attribuée est la suivante : 1 = critère sensible (produit inférieur à 10), 2 = critère essentiel (de 10 à 17), 3 = critère névralgique (supérieur ou égal à 18). En l occurrence ce produit est de 18 (=3 3 2) ce qui correspond à une pondération de 3 (critère névralgique) pour ce critère. III Mesure de la performance Pour estimer la performance de l organisation étudiée Vigeo prend en considération : l'affichage d une politique RSE (P), les mesures adoptées (le déploiement ou D), les résultats obtenus (R). Chaque item, Politique / Déploiement / Résultats est à son tour abordé sous trois angles, ce qui donne, au total, neuf angles d approche par critère, c est à dire neuf indicateurs à renseigner pour aboutir au scoring (cf. figure ci contre). Le scoring de chaque domaine résulte d un processus pyramidal : o Notation des indicateurs désagrégés : La notation consiste à attribuer neuf notes (une par indicateur) à chacun des 38 critères, ce qui fait un total de 300 à 400 notes. L analyste en charge de cette notation est un spécialiste du marché considéré. Il cherche ses informations auprès de sources publiques (rapports publiés par l entreprise, banques de données internationales) mais se rapproche aussi des partenaires internes ou externes de l entreprise. Il sollicite également Cahiers de l évaluation, n 6, juillet 2012 Page 12 sur 127

l entreprise concernée, soit pour un entretien, soit pour obtenir une réponse à un questionnaire personnalisé. A l issue de cette collecte d information, l analyste opère un travail de standardisation des données destiné à obtenir une notation la plus objective possible. Le but poursuivi par Vigeo est en effet de tendre vers un référentiel capable de s actualiser automatiquement par mise à jour des données chiffrées issues des différentes sources sans l intervention de l analyste (J. Igalens). Ce traitement aboutit à l attribution d un score qui peut aller de 1, «engagement non tangible» à 4, «engagement avancé» (colonne «score» de la figure ci contre). A chaque score correspond une note équivalente sur 100 (la colonne «points» de la figure ci contre), respectivement 0, 30, 65 et 100%. o Consolidation au niveau du domaine. Les notes des indicateurs sont d abord agrégées par item (Politique ou Déploiement ou Résultat, P, D, R, «62» pour la Politique dans l exemple ci contre) puis par critère, et ainsi de suite étape par étape, en tenant compte des pondérations définies par le référentiel sectoriel concerné jusqu à l obtention de six notes finales, une pour chaque domaine (Droits humains, Ressources humaines, Environnement, Clients fournisseurs, Gouvernance d entreprise, Engagement sociétal). Ces six notes ne sont pas consolidées : du fait de l hétérogénéité des thématiques. La production d une note finale unique serait peu porteuse de sens. IV le rating Au stade de la publication de la note, se pose avec une particulière acuité la question du sens de celle ci. Intuitivement, il apparaît délicat de comparer la note environnementale d une start up produisant des logiciels (à l empreinte carbone anecdotique) avec celle d une entreprise de BTP (très productrice de rejets). D une façon générale, l ampleur des sujets abordés (environnement, gouvernance, droit ) au cours de cette démarche, l hétérogénéité des process techniques de production mis en œuvre par les entreprises, la variété des modes d organisation de celles ci, incitent à ne comparer que les entreprises opérant au sein d un même secteur d activité. Le produit final de la notation de Vigeo est donc «le rating», c'est à dire un indicateur de l avancement de la démarche RSE de l entreprise par rapport à son secteur dans chacun des six domaines. Ce rating est issu d un processus statistique qui classe les scores des entreprises les unes par rapport aux autres selon une courbe de Gauss (voir figure ci contre), ceci pour chaque domaine. L entreprise se voit alors attribuer une note par domaine, note qui va de (++) à ( ) selon l échelle de notation qui est la suivante : ( ) les moins avancées du secteur (5 %) ( ) en dessous de la moyenne du secteur (25 %) ( = ) dans la moyenne du secteur (40 %) ( + ) actives (25 %) ( + + ) les plus engagées du secteur (5 %) Au final, l ensemble des notations (i.e. rating) effectuées par Vigeo forme la base de données Equitics mise à disposition de ses clients, gérants d actifs et investisseurs institutionnels. La note rendue publique n a pas de signification en soi, elle signale seulement, au sein d un secteur donné, les entreprises les plus dynamiques en matière de RSE. C est le principe de la notation best in class (qui désigne, dans le monde de l industrie pharmaceutique un nouveau composé d une classe de médicaments qui apporte un bénéfice thérapeutique supplémentaire par rapport aux autres médicaments). Avertissement : Cette partie, rédigée par la rédaction, vise à rendre compréhensible le processus d élaboration d une notation extra financière de type best in class. Elle se fonde sur des études et informations concernant Vigeo :rapport d activité 2011 chiffres d affaires et actionnariat de Vigeo, site internet de Vigeo les autres schémas ), sur le compte rendu de l intervention de Madame Notat à la Conférence du Club Énergie Mines du 19 décembre 2003 ainsi que sur la présentation du modèle de Vigeo effectuée dans l article de Jacques Igalens, Frédérique Déjean, Assaad El Akremi, «La notation sociétale Influence des systèmes économiques et sociaux»,sur le site http://econtent.essec.fr. Pour autant elle ne prétend pas retracer fidèlement le process actuel de Vigeo. Cahiers de l évaluation, n 6, juillet 2012 Page 13 sur 127

méthodes accroit l expertise collective. mais fragilise les agences dont elles constituent le patrimoine immatériel. Par comparaison avec les agences de notation financières qui ont des cadres plus normés, progresse-t-on sur ce sujet en ce moment? MP : En aval des référentiels, il y a les modèles, les méthodes, qui sont les sources de l information agrégée. La transparence devient alors problématique : rendre publiques (peu ou prou) les méthodes accroit l expertise collective. mais fragilise les agences dont elles constituent le patrimoine immatériel. Par comparaison avec les agences de notation financières qui ont des cadres plus normés, progresse-t-on sur ce sujet en ce moment? NN : Je ne sais pas si les méthodes employées par Standard & Poor s, Moodys et Fitch Rating, qui attribuent les fameux AAA, BB, etc., sont si bien connues. Par contre, ce qui est normé pour une entreprise dans le processus de reddition des comptes, c est la manière de rendre compte via des normes, telles les normes IFRS. La note financière renseigne sur la solvabilité d une entreprise et sa capacité à rembourser son crédit mais la transparence des méthodes reste un sujet sur lequel des progrès sont attendus. MP : Effectivement, et la notation des produits subprimes l a bien montré. Mais justement, n est-ce pas là un signal qui devrait inciter chaque agence à confronter son modèle aux autres modèles, ceci dans la mesure du possible? NN : Nous concernant, l enjeu de la transparence nous est apparu décisif pour donner à notre activité, sa pleine reconnaissance et toute sa légitimité. Si vous regardez sur notre site, vous verrez qu on en dit beaucoup. On présente tous nos critères, on décrit la méthode (cf. encadré ci-avant, ndlr). Une méthode conçue pour garantir l égalité de traitement entre toutes les entreprises : un cadre structuré, normé, avec un contrôle de qualité par ailleurs, fait que plusieurs analystes travaillant au sein de Vigeo réalisent l analyse de l entreprise selon les mêmes méthodes et doivent aboutir in fine quasiment au même résultat. S agissant de transparence il faut distinguer la transparence publique c est ce qu on a sur le site et la transparence devant nos clients qui doit être totale MP : À partir de la base de données, peuvent-ils reproduire vos modèles? NN : Ils pourraient les reproduire directement mais cela nécessiterait un tel investissement qu ils ont recours à des fournisseurs de données et de recherche, mais évidemment, il leur appartient de définir leur propre méthode d agrégation et de pondération des données que nous leur fournissons. MP : Y-a-t-il place pour des approches un peu différentes, en relation avec des demandes spécifiques d investisseurs? NN : Oui, il existe plusieurs approches et plusieurs techniques d investissement socialement responsable le best in class, en sélectionne les entreprises qui présentaient les meilleurs résultats dans un secteur donné. Certains investissent sur de nouveaux segments d activités «dites vertes» ou s attachent à promouvoir des entreprises qui ont de bons comportements sur le plan environnemental ou sur les droits de l homme. Certains sont sensibles aux «controverses» que connaissent les l entreprises, ce qui, de mon point de vue, est une approche superficielle de l investissement responsable si elle se limite à ce seul critère. Des investisseurs peuvent également choisir de ne pas investir dans des sociétés aux activités dites «controversées» du type alcool, nucléaire, tabac ou qui s implantent dans des pays où les violations des droits de l homme sont avérées. Par exemple, Total, en Birmanie, a suscité à cet égard une controverse très médiatisée (cf. encadré 3 de l article 7, ndlr). On peut avoir un débat, sur la tendance à réduire les indicateurs de RSE à quelques indicateurs de résultat la diminution de la production de CO 2 d une entreprise dans un secteur donné est à l évidence un indicateur pertinent à produire. Mais est-ce que cela résume l engagement de l entreprise au regard de l enjeu environnemental? La réponse est alors négative. On voit bien qu il y a là un choix d investisseur : c est à lui de savoir quel indicateur il Cahiers de l évaluation, n 6, juillet 2012 Page 14 sur 127

veut privilégier parmi ceux qu on lui fournit pour faire son propre choix d investissement. MP : Les agences pourraient ainsi produire des notations à la carte? NN : Nos bases de données et notre recherche permettent aux praticiens de l ISR de s en servir selon leur propre représentation de leur responsabilité d investisseur socialement responsable. Certains par exemple, mettront prioritairement l accent sur la performance en matière de droits de l homme et de gestion des ressources humaines, d autres sur la qualité de la gouvernance et d autres prendront en compte l ensemble des facteurs du référentiel. Peu importe, le point crucial est que le destinataire de la notation comprenne bien ce qu il convient de faire dire à la notation ou de ne pas lui faire dire. Ceci posé, il me semble de bon augure que chacun s approprie le concept et dise comment il va le mettre en pratique d investissement MP : Quels sont vos souhaits pour l avenir? NN : Que la crise nous aide à nous convaincre qu il est temps de regarder l entreprise, certes dans sa capacité à rémunérer ses actionnaires, mais aussi dans sa capacité à être attentive aux autres parties prenantes, ses salariés, les territoires, etc. C est le grand sujet de la responsabilité sociale et de l investissement responsable. «Je veux croire que la dignité, la citoyenneté, sont des valeurs d avenir. Je veux croire que chaque individu trouvera dans une société moins bancale l accès au savoir, au jugement critique. Je veux croire au pouvoir d être libre de sa destinée, de combattre l injustice, d engendrer des espérances. Je veux croire que le bien être matériel ne sera pas réservé à quelquesuns, que le sentiment d utilité sociale, d appartenance, par le travail, à la collectivité, renaîtra chez tous. Je veux croire que le confort des uns ne s obtiendra pas au prix de l inconfort des autres [ ] Je veux croire que la singularité de chacun peut être reconnue sans que l autre soit nié, sans que l unité bien comprise du groupe en soit écornée. Je veux croire que nos villes ne se transformeront pas en juxtaposition de ghettos rivaux. Je veux croire que la liberté et la responsabilité l emporteront sur la propagande et le réflexe primaire. Je veux croire à tout cela qui tient en deux mots : solidarité et engagement.» Extrait de l ouvrage de Nicole Notat, avec Hervé Hamon, «Je voudrais vous dire» publié en 1997 au Seuil, La schizophrénie pourrait gagner les dirigeants les plus éclairés. Les marchés financiers attendent d'eux des stratégies et des résultats qui ne sont pas toujours compatibles avec toutes les exigences et les rythmes propres à la vie et au contexte de l'entreprise. [ ]. Parallèlement, le dirigeant sait que l'efficience, le développement et la performance durables de l'entreprise passent par la prise en compte du temps long, la mobilisation des collaborateurs, la conquête de marchés qui ont leurs spécificités et leurs contraintes, la prise en compte d'attentes en évolution des consommateurs et des clients, la promotion des valeurs et d'une culture d'entreprise, des responsabilités à assumer à l'égard de l'environnement naturel et territorial. Autant de nécessités et d'intérêts qui ne convergent pas magiquement sur une position garantissant l'équilibre parfait dans leur prise en compte. Ils appellent arbitrage, mais un arbitrage construit et assumé. Je vois dans ce mouvement qui s'amorce en faveur de la reconnaissance de responsabilités élargies de l'entreprise une brèche ouverte pour s'attaquer aux dérives d'un capitalisme trop financier. Une opportunité, aussi, donnée aux dirigeants pour reconquérir la confiance de l'opinion au regard d'une image de l'entreprise bien mise à mal. Extrait de l entretien de Nicole Notat, «Capitalisme mondial : de nouvelles responsabilités pour les entreprises?», Revue Esprit, (supplément d octobre 2006 intitulé «L'éthique comme frontière»). Cahiers de l évaluation, n 6, juillet 2012 Page 15 sur 127

Vol. 3 Notation extra financière Des Quakers L Investissement Socialement Responsable renvoie à la notion de responsabilité sociale des entreprises (RSE) et, par conséquent, aux attentes de la société envers les entreprises. Sont-elles seulement des pourvoyeuses de biens et services, des acteurs de marché recherchant leur intérêt privé ou doivent-elles se préoccuper de l intérêt général? Ce débat émerge aux Etats-Unis dès le XVIIIe siècle sur fond de convictions éthiques. Les Quakers, acteurs importants du monde des affaires, individus profondément religieux, pensent que le «business» doit bénéficier à la collectivité et non lui nuire. Ils décident donc de se conduire dans le monde des affaires comme dans leur vie privée, en se conformant à leurs règles morales. En plaçant ainsi l intérêt général au-dessus de l intérêt privé, ils se positionnent comme les précurseurs de la responsabilité sociale des entreprises. Cahiers de l évaluation Auteurs de l article : Charles Henri d Arcimoles, Pascal Bello, Geneviève Ferone, Najib Sassenou «L origine et le développement de l investissement socialement responsable» Extrait de l ouvrage «Le développement durable», Editions d'organisation, 2001. Le texte n est pas repris intégralement, les notes de bas de page ont été supprimées et les références omises afin de faciliter la lecture, les titres de l article ci dessous (en bleu) sont ajoutés par la rédaction. Charles Henri d Arcimoles est enseignant à l Ecole de Management de la Sorbonne (Université Paris 1). Pascal Bello est l un des fondateurs de l agence de Notation BMJ Ratings. Geneviève Ferone est la fondatrice d Arese, la première structure d évaluation de l investissement durable en France (cf. article 11 du présent numéro). Najib Sassenou est un ancien élève de l'école Nationale de la Statistique et de l'administration Économique (ENSAE). Les racines historiques L investissement socialement responsable commence réellement chez les Quakers au XVIIe siècle. Les Quakers, dont la grande majorité fit fortune dans le commerce et l industrie en Grande-Bretagne, furent les premiers à refuser de tirer profit, une fois installés à Philadelphie, de l industrie de la guerre et de l esclavage. Les racines contemporaines de l investissement socialement responsable se retrouvent dans leur histoire particulière. Les Quakers en Grande-Bretagne. Les Quakers sont les membres d une communauté protestante créée en 1747 par George Fox en Angleterre. Les principes directeurs de cette communauté sont simples et austères : s érigeant contre la possession de richesses et en faveur de l égalité, ils incarnent aux yeux de leurs contemporains des personnes dures à la tâche, ignorant les plaisirs tels que la danse, la musique, tous les arts en général et insensibles aux marques de pouvoir et à la possession de richesses. Les Quakers, par la force de leur labeur et leur rigueur, deviennent rapidement une communauté aisée de marchands et d industriels réinvestissant toutes leurs richesses dans leur outil de travail. Les membres ont accès à l expertise en affaires de leurs pairs ainsi qu à des taux d intérêt avantageux. Au cours du XVIIIe siècle, ils deviennent des acteurs économiques de première importance et au cours du XIXe siècle, ils détiennent les principales industries du pays : Barclays, Lloyds, Price Waterhouse, Swan Hunter, Clarks Shoes, Huntley and Palmer, Cadbury, Fry s and Rowntree, ont toutes des origines Quaker. En affaires comme dans leur vie privée, les Quakers étaient réputés pour leur intégrité fondée sur le respect des contrats, le respect des prix fixés de façon équitable et l absence d inclination au marchandage. Cohérents avec leurs Cahiers de l évaluation, n 6, juillet 2012 Page 16 sur 127

principes et leur foi jusque dans les moindres détails de leur vie quotidienne, ils développèrent un réel savoir-faire dans la production de biens de première nécessité et portèrent une attention particulière à l apprentissage ainsi qu à la sécurité et l hygiène au travail, notamment dans l industrie chimique. Nous pouvons citer ici le fameux dicton de William Penn : «La véritable piété ne soustrait pas les hommes au monde mais les conduit à y vivre mieux et à l améliorer.» Leurs préoccupations sociales s illustrent par l attention portée à la formation, la santé et les conditions de vie de leurs employés. Cette définition rejoint aujourd hui parfaitement la description d une attitude paternaliste. Les Quakers américains. Cette prospérité ne peut gommer les persécutions dont les Quakers furent victimes à différentes périodes de l Histoire, en raison de leur interprétation personnelle du message du Christ, pouvant être entendu, compris et vécu sans intermédiaire ni formalisme. Ils furent en grande majorité contraints à l exil comme d autres communautés. Les Quakers acceptèrent au début l esclavage aux États-Unis comme un fait social acquis. Cependant, ils furent parmi les premiers à refuser de s enrichir par la vente d esclaves et ce refus s appliqua également au commerce des armes. En 1758, au Quaker Philadelphia Yearly Meeting, l achat et la Stewardship principle [Le devoir de l'homme riche, c'est] " de considérer tous les surplus de revenus qu'il réalise simplement comme un dépôt qu'il lui appartient en stricte obligation d'administrer de telle sorte que, selon son jugement, ils soient susceptibles de produire les résultats les plus avantageux pour la communauté. L'homme riche devient ainsi un simple intendant et un agent à l'égard de ses frères plus pauvres, plaçant à leur service sa sagesse, son expérience, sa compétence administrative supérieures" (A. Carnegie, "The Gospel of Wealth", 1889) Les Quakers renoncèrent au commerce d êtres humains en 1758, soit plus d un siècle avant l abolition de l esclavage aux Etats Unis (1865). vente d êtres humains furent définitivement interdits. Étant au cœur de la richesse économique de leur pays, cette application stricte ne fut pas sans conséquences sur les investissements de l époque et trouva un écho auprès de leurs contemporains. Comme en Grande-Bretagne, les Quakers étaient riches mais exclus des débats et des carrières politiques en raison de leurs croyances. Ce faisant, ils consacrèrent leur argent à de vastes campagnes sociales, comme l abolition de l esclavage, l amélioration des conditions de vie en prison, l éducation et la salubrité du développement urbain. [ ] Entre la guerre de sécession et la première guerre mondiale émerge un nouvel ordre social L investissement socialement responsable prend véritablement racine entre 1890 et 1917. Cette période est appelée aux États-Unis «Age of reform». Sous la plume de T. Roosevelt est décrit l état de la société américaine après la guerre civile de 1865 : «Une manifestation d individualisme matérialiste, dans laquelle le principe de liberté individuelle totale se traduit en pratique par la loi du plus fort pour affaiblir les plus démunis L omnipotence des barons du capitalisme a progressé à pas de géant, alors que le contrôle réglementaire par l État demeurait archaïque et dès lors impuissant.» [cf. encadré 2]. L âge des croisades. Les historiens décrivent les quinze premières années du XXe siècle (jusqu à l entrée en guerre en 1917) comme un âge de croisades. L avènement d un nouvel ordre social domine la vie politique en trois principaux points : champ personnel : la moralisation de la conduite des individus passe par un combat contre l alcool, le tabac et autres formes de drogues ; Social Welfare : la protection sociale des plus défavorisés, qui ne peuvent se défendre seuls (les plus démunis, les femmes, les enfants, les ouvriers) ; changement institutionnel : redéfinition des relations entre le gouvernement et les gouvernés, ainsi que des relations entre les grands empires industriels et la société. Cet ordre inspire encore aujourd hui le calendrier des réformes politiques aux États-Unis et mobilise les investisseurs socialement responsables. Comme les Quakers l avaient défini, l investissement socialement responsable trouve sa source dans le besoin de retrouver une intégrité personnelle et d adopter une attitude cohérente entre ses investissements et son éthique personnelle. Le premier fonds socialement responsable, Les millionnaires William Henry Vanderbilt, Jay Gould, Cyrus nommé Pionner Fund, a été lancé en 1928 par l église évangéliste Field et Russell Sage se partagent le gâteau américain avec leurs monopoles (Puck, vers 1885), repris de Wikipédia d Amérique et s opposait à la consommation d alcool et de tabac. Ainsi, toutes les actions d entreprises liées à ces industries étaient directement éliminées de leur univers d investissement. Cahiers de l évaluation, n 6, juillet 2012 Page 17 sur 127

L expression sin stocks était née (actions du péché).cette croisade contre les vices stigmatisés par la Bible est allée beaucoup plus loin que le champ personnel avec la prohibition, la réglementation des jeux d argent (loteries, courses de chevaux) et l interdiction des drogues. Les États-Unis vivent toujours sur cet héritage, à mi-chemin entre la sphère privée et le monde public. Les investisseurs socialement responsables, par leurs prises de positions publiques, ont voulu rendre opposables aux tiers leurs convictions personnelles. Le Social Welfare. Le 4 décembre 1908, le Federal Council of Churches, Conseil fédéral des églises, adopte le Social Creed for Churches, le credo social des églises. Ce document, toujours d actualité un siècle plus tard, était remarquable par la vision de la société défendue par les églises. Le conseil des églises se prononçait en faveur de : droits égaux et une justice pour tous sans distinction ; l abolition du travail des enfants ; la réglementation des conditions de travail des femmes, dans le but de sauvegarder la santé physique et morale de la communauté ; la fin de l exploitation des ouvriers ; la réduction graduelle et raisonnable des heures de travail hebdomadaires à un niveau aussi bas que possible, et pour un temps de loisir suffisant pour tous, ce qui est une condition indispensable au respect des droits de l homme ; un jour de congé par semaine ; le droit d accès aux biens de première nécessité et d être toujours protégé contre toute spoliation de ses droits, de quelque nature qu elle soit ; le droit des travailleurs à une forme de protection contre les privations, qui sont souvent le résultat des bouleversements rapides des fréquentes crises industrielles; un salaire minimum décent dans toutes les industries, et pour le salaire le plus élevé possible ; la protection des travailleurs contre les dangers liés aux machines, les maladies professionnelles et l accident mortel sur les lieux de travail ; le principe de conciliation et d arbitrage dans les conflits dans l industrie ; un partage des produits et des profits industriels aussi équitable que possible. Les sin stocks, ainsi que les énoncés du credo social des églises, ont constitué et constituent encore aujourd hui le socle de l investissement socialement responsable. Cet investissement souligne la responsabilité Global Sullivan Principles (1977) Ces principes ont été définis par le pasteur américain Leon H. Sullivan, contemporain et ami de Martin Luther King. Il fut militant des droits de l'homme et fit partie des dirigeants du groupe General Motors pendant vingt ans à partir de 1970. C'est à ce titre qu'il initia en 1977 un code de conduite principalement orienté sur le respect de droits de l'homme et originellement publié à l'attention des entreprises qui avaient des activités en Afrique du Sud. Ce code de conduite a notoirement joué un rôle important dans la fin des discriminations raciales sur le lieu de travail en Afrique du Sud, mais il s'applique au delà de cette situation particulière. Source : http://www.globalsullivanprinciples.org individuelle dans la création et la gestion de la richesse. Ceci signifie apporter du capital, de l argent, là où cet apport permettra de créer de la richesse mais aussi une société plus humaine. Double bottom line est une expression très souvent utilisée pour illustrer ce double objectif des investisseurs. Ce credo social a aussi inspiré le contenu de codes de conduites dans le domaine des droits de l homme et de la responsabilité sociale des multinationales américaines dans les pays émergents. Les Global Sullivan Principles, du nom du révérend Sullivan, s y réfèrent expressément [cf. ci-contre]. Le changement institutionnel. En 1906, le Corporation Counsel de la ville de Chicago décrit AT&T comme un monopole cruel, oppressif et accablant. Cette phrase reflétait assez bien l opinion dominante de cette époque dont on apprécie mal aujourd hui les enjeux. Pour la première fois dans l histoire de l humanité, si on laisse de côté les forces armées, on assiste à la création et au développement d énormes structures industrielles (ex : US Steel en 1901). Face à la toute-puissance croissante de ces industries concentrant une multitude de fonctions en une forme de pouvoir centralisé, la société, le gouvernement, les constitutions des différents États d Amérique doivent redéfinir leurs relations à ces nouveaux acteurs économiques et sociaux. Ces réformes ont souvent été à l origine de la création des premières agences fédérales (ex : Food and and Drug Administration, créée en 1870) visant à équilibrer en faveur de la société les influences potentiellement négatives de ces énormes entreprises (rail, acier, mines, automobile). De l engagement militant à la naissance d une nouvelle industrie financière Du début du XXe siècle jusqu à la fin des années 1960, l investissement socialement responsable progresse lentement sous l impulsion de quelques églises et de quelques individus qui excluent les sin stocks de leurs portefeuilles d investissement. Cahiers de l évaluation, n 6, juillet 2012 Page 18 sur 127

Encadré 1 : A partir des années soixante l ISR dépasse le cadre religieux Les mouvements pacifistes au moment de la guerre du Vietnam (années soixante) «Le contexte géopolitique et historique a été un levier important, puisque la guerre du Vietnam vient de s achever, les industries de l armement ont dégagé des profits considérables grâce notamment à la production du gaz napalm ou encore des herbicides dévastateurs, les armes, l électronique militaire dont les répercussions sur les populations ont été plus que néfastes. L essor des mouvements pacifistes dans les universités conduit les autorités financières des universités à s interroger sur la destination des flux financiers qu elles octroient, il y a donc une prise de conscience et un rejet de l immoralité au service du profit destructeur. Des établissements comme le Council on Economic Priorities décide d établir une liste des firmes impliquées dans la production d armes de guerres à destination du Vietnam, c est ce travail de recensement et d évaluation du seuil d implication de l entreprise qui constitue la caractéristique de l investissement socialement responsable. A partir de l établissement de cette liste, chacun en son âme et conscience a pu évincer de son portefeuille d actions et d obligations les entreprises qui sont en inadéquation avec ses aspirations morales. Par ailleurs les années soixante ont aussi été fortement marquées par les mouvements sociaux et environnementaux pour la défense des droits civiques fondamentaux à l égard des femmes, des minorités ethniques ou encore les relations au travail, les questions relatives au management. La lutte contre l apartheid en Afrique du Sud (années soixante dix) Les investisseurs américains sont de plus en plus nombreux à s intéresser à l investissement social qui prend une nouvelle acuité dans les années soixante dix en raison de la prise de conscience politique du régime de l Apartheid en Afrique du Sud. Des centaines de firmes sont impliquées et confortent le régime de Pretoria telles que General Motors. Les actionnaires de ces firmes qui sont des universités, des Eglises et des fonds de retraites ne veulent en aucun cas contribuer à l essor de ces firmes, par conséquent des dispositions réglementaires sont appliquées visant à la non discrimination, la non ségrégation des races dans les bâtiments, salaire égal, l établissement d un programme de formation des Noirs, l accession aux postes d encadrement, l amélioration des conditions de vie. Ces principes dits «Sullivan» seront mis en place dans douze multinationales présentes en Afrique du Sud afin de garantir le maintien de l actionnariat. Par la suite, un indice des firmes non impliquées dans le commerce avec l Afrique du Sud sera créé par une banque de Boston : le South Africa Safe Equity basé sur le Standard & Poor 500 [sur les indices boursiers voir l encadré 1 de l article 11 et l encadré 3 de l article]. De plus une résolution de l ONU incite l ensemble des actionnaires à retirer leurs fonds des entreprises ne respectant pas les principes Sullivan ce qui amène les fonds de retraite de l Etat de Californie à désinvestir plus de 90 milliards de dollars en 1987, ces fonds de retraite exigent que l entreprise Xerox cesse ses ventes à destination de la police Sud Africaine. Les firmes qui appartenaient à l indice Safe (South Africa Safe Equity) diminuent de manière drastique passant de 125 à 50 en 1990. Pour ne pas être exclues des portefeuilles de nombreux investisseurs, les entreprises telles que Coca Cola, IBM, Kodak se retirent du marché d Afrique du Sud. L investissement socialement responsable devait s effacer peu à peu suite à la déclaration de Nelson Mandela sur l apartheid et à la mise en place d élections libres et équitables en Afrique du Sud le 24 septembre 1993. Les analystes étaient loin d imaginer que l environnement deviendrait un enjeu et une préoccupation majeure des investisseurs. Les préoccupations environnementales. et l introduction de critères positifs de sélection à côté des critères d exclusion (années 1990) Une enquête publiée par le Social Investment Forum démontre que l investissement social a connu une expansion spectaculaire au cours de la dernière décennie aux Etats Unis. Le Social Investment Forum est l un des premiers grands fonds d investissement éthique en portefeuille d actifs financiers. Il réunit aussi bien des particuliers que des institutions. L environnement est devenu un nouveau critère de sélection de l entreprise, la multiplication des catastrophes écologiques de Bhopal, Tchernobyl et de l Exxon Valdez, l approfondissement des connaissances et des recherches concernant les risques de réchauffement planétaire, la répétition des marées noires, l épuisement des ressources naturelles ont contribué à cette prise de conscience collective. Dès le début des années 1990, à côté des critères d exclusion traditionnels apparaissent les premiers critères de sélection. Cette apparition résulte de la pression exercée sur les entreprises, amenées à communiquer et à rendre des comptes sur leurs activités à l égard de la collectivité. Le naufrage de l Exxon Valdez en 1989 a mobilisé un nombre important d investisseurs y compris les plus grand fonds de pension des Etats Unis, TIAA CREF [Teachers Insurance and Annuity Association College Retirement Equities Fund est une entreprise d'assurance et de Fonds de placement américaine], et a donné lieu à la création du CERES (Coalition for Environmentally Responsible Economies) qui pour la première fois a permis l énoncé de règles de responsabilité environnementale par les investisseurs institutionnels en direction des entreprises. Cette pression est elle même relayée par les travaux des institutions supranationales : le rapport Bruntland sur le développement durable de 1987 et le sommet de la Terre de Rio en 1992. Ces critères de sélection reposent également sur une vision simple : sélectionner les entreprises affichant des principes de corporate social responsability (CSR) se traduisant sur le plan social et environnemental. Ce concept n est alors pas clairement formalisé mais il marque néanmoins une rupture avec l investissement éthique perçu comme un déni et utilisé comme une forme de boycott systématique, rejetant toute idée de dialogue avec le monde de l entreprise.» Source : Sonia DEVIN, Fonds éthiques et critères de notation, Communications de la journée (Jeudi 15 mai 2003), Association internationale de management Encadré 2 : Les réformes de Roosevelt après l ère des «barons voleurs» «L ère progressiste (Progressive Era) est le nom donné à une période de l histoire des États Unis qui va des années 1890 aux années 1920, bien qu elle soit parfois associée de façon plus restrictive aux années de présidence de Théodore Roosevelt (1901 1909). C est une ère en rupture partielle avec le laissez faire et l individualisme de la période précédente, marquée par des réformes économiques, politiques, sociales et morales[ en réponse aux mutations et aux problèmes induits par la révolution industrielle* : disparition d'une vie sociale organisée autour de petites communautés, instabilité résultant du développement anarchique de l'industrie, du commerce, des affaires, des grandes villes, de l'agriculture, immigration massive du sud et de l est de l' Europe, escalade de la violence des conflits sociaux, bouleversements causés par les progrès technologiques. La Cour suprême s'oppose cependant avec constance à toute régulation de l'économie ou du marché du travail, déclarant anti constitutionnelles des lois limitant le travail des enfants** ou instaurant des salaires minimums: c'est la période dite de l'ère Lochner de la Cour suprême, qui dure jusqu'à la fin des années 1930.» *La révolution industrielle fut aussi marquée par l'ascension d'industriels et de financiers millionnaires tels que John D. Rockefeller, Andrew Carnegie ou encore J.P. Morgan. Les critiques les plus sévères de ces grands entrepreneurs les baptisèrent les «barons voleurs» (robber barons), en raison de leurs fréquents abus de pouvoir, et de leurs pratiques financières, souvent peu soucieuses du code déontologique. ** La révolution industrielle marque également le début du travail à la chaîne et de la division du travail. Des enfants et des femmes travaillent dans les mines, les usines et les «sweatshops» pour des salaires dérisoires. La population rurale et les nouveaux immigrants viennent s entasser dans les taudis des grandes villes insalubres, où se développent des tensions sociales. Source : wikipédia, notamment «Ère progressiste», http://fr.wikipedia.org/wiki/%c3%88re_progressiste, consulté le 9/05/2012 Cahiers de l évaluation, n 6, juillet 2012 Page 19 sur 127