L Évolution de la théorie d élasticité au XIX e siècle



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Kaouthar Messaoudi L Évolution de la théorie d élasticité au XIX e siècle Publibook

Retrouvez notre catalogue sur le site des Éditions Publibook : http://www.publibook.com Ce texte publié par les Éditions Publibook est protégé par les lois et traités internationaux relatifs aux droits d auteur. Son impression sur papier est strictement réservée à l acquéreur et limitée à son usage personnel. Toute autre reproduction ou copie, par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon et serait passible des sanctions prévues par les textes susvisés et notamment le Code français de la propriété intellectuelle et les conventions internationales en vigueur sur la protection des droits d auteur. Éditions Publibook 14, rue des Volontaires 75015 PARIS France Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55 IDDN.FR.010.0116190.000.R.P.2011.030.31500 Cet ouvrage a fait l objet d une première publication aux Éditions Publibook en 2012

À mon cher papa, disparu le 28 avril 2010 À monsieur Christian Houzel, qui m a appris que, derrière les formules et les équations, il y a des hommes et des femmes dont la vie et le combat sont fascinants.

Sommaire Avant-propos...13 Introduction générale...15 Première partie : La théorie de l élasticité au début du XIX e siècle...23 Introduction...25 Chapitre I Les premières tentatives pour le fondement d une théorie d élasticité des solides à trois dimensions...27 I- Sophie Germain : une intruse dans le domaine des mathématiques...27 I-1- Sur les pas d Euler...29 I-2- Recherches sur les surfaces élastiques...31 II- Le fondement de la théorie d élasticité par Navier...35 II-1- Le principe des vitesses virtuelles de Lagrange...36 II-2- Les surfaces élastiques...37 II-3- Le fondement de la théorie de l élasticité des corps solides à trois dimensions..39 II-3-1- Les équations générales de l équilibre...40 II-3-2- Calcul des conditions aux limites...42 III- Poisson : un grand mathématicien à la recherche de grandes idées...47 III-1- Le programme de Laplace et la théorie moléculaire de Poisson...49 III-2- Le premier mémoire de Poisson en élasticité...52 III-3- Le deuxième mémoire de Poisson...55 III-4- Le troisième mémoire de Poisson...57 III-5- Calcul probabiliste...60 Chapitre II La naissance de la théorie de l élasticité dans l ombre de la théorie de la lumière...63 I- Introduction de la mécanique des milieux continus : la première théorie d élasticité de Cauchy...63 I-1- La 1 re théorie d élasticité des solides...63 I-1-1- Les nouveaux principes de la lumière...65 I-1-2- Analogie entre les hypothèses de Cauchy et les principes de Fresnel...66 I-1-3- Le principe des pressions...68 I-1-4- Résolution du problème...70 I-1-4-1- Les équations complètes de l équilibre...75 I-1-4-2- Les équations d équilibre à deux constantes...77 I-1-5- Condensation, dilatation et rotation dans les milieux continus...80 9

II- Application de la première théorie... 83 II-1- La propagation du son... 84 II-2- La propagation de la chaleur... 84 II-3- Une méthode universelle... 86 III- La deuxième théorie d élasticité des solides... 87 III-1- Une nouvelle méthode... 87 III-2- La notion de pression ou tension dans un système de points matériels... 95 III-3- Nouvelle définition du concept de la pression... 100 IV- Comparaison des deux théories... 102 IV-1- Étude d une plaque anisotrope : introduction de la notion de l analyse dimensionnelle... 112 IV-2- Application de la théorie de l élasticité aux phénomènes lumineux... 124 IV-2-1- Comparaison entre la théorie de la lumière et la théorie de l élasticité des solides... 125 IV-2-2- Les équations différentielles du mouvement vibratoire de l éther... 127 IV-3- Conclusion... 131 Deuxième partie : Le potentiel élastique... 135 Chapitre III L introduction du potentiel dans le calcul de l élasticité des solides... 137 I- Introduction... 137 II- La méthode variationnelle de George Green... 137 II-1- Potentiel des actions moléculaires... 139 II-2- Potentiel des corps élastiques... 140 II-3- Réduction des nombres de constantes :... 142 II-4 La preuve de l existence de vingt et un coefficients indépendants... 144 II-5- Réduction des coefficients... 147 a- Trois plans de symétries :... 149 b- Axe de symétrie ou d élasticité... 150 c- Isotropie... 150 II-6- Équations d équilibre et conditions aux limites... 151 III- Les travaux de Stokes dans le cadre de l élasticité des solides... 154 III-1- Propagation d une perturbation arbitraire dans un milieu élastique... 158 III-2- Calcul de l équation différentielle d un pont suspendu... 165 IV- Sur les relations, établies par Boussinesq, entre l énergie interne d un corps fluide ou solide et ses pressions et forces élastiques... 170 IV-1- Application de la théorie de l élasticité à la théorie de la lumière... 182 V- Conclusion... 191 Chapitre IV La théorie de l élasticité selon Kirchhoff... 197 I- Introduction... 197 II- Une nouvelle organisation de la mécanique... 200 III- Les plaques élastiques... 202 III-1- Équation d équilibre d une plaque... 204 III-2- Discussion des conditions aux limites d une plaque par Boussinesq... 213 III-3- Unicité de la solution... 215 10

IV- Étude de l équilibre d une tige ou l analogie cinétique de Kirchhoff...219 V- Mémoires ultérieurs...243 VI- Plaque courbe...255 VII- Calcul de la force mécanique d un corps polarisé ou magnétisé...256 VIII- L application de la théorie de l élasticité des solides à la théorie de la lumière...262 IX- Tige transversale...263 X- Conclusion...267 Troisième partie : La thermodynamique de la déformation...271 Chapitre V La considération des effets thermiques pendant le processus de déformation par W. Thomson...273 Introduction...273 I- La théorie dynamique de la chaleur de William Thomson...275 I-1- La thermoélasticité...277 I-1-1- Tenseur de contraintes...278 I-1-2- Tenseur de déformations...279 I-1-3- Définition de l énergie potentielle pour un solide déformé...280 a- Premier principe de la thermodynamique...280 b- Le deuxième principe de la thermodynamique...281 I-2- L équation contrainte-énergie dans le cas des solides...284 I-2-1- Formulation du problème :...284 I-2-2 Cas des petites déformations...289 I-2-3 Le nombre de coefficients d élasticité dans les cristaux...293 I-2-4 Équation d équilibre d un solide élastique par la méthode thermodynamique...295 a- Traction longitudinale et contraction latérale...299 b- La dilatation...300 II- Problème dynamique d une sphère élastique...300 III- Élasticité parfaite et viscosité...311 III-1- Élasticité parfaite...311 a- Formulation de la loi de Hooke...312 b- Cas particuliers de la loi de Hooke...313 c- la défaillance de la loi de Hooke...314 III-2- Viscosité...316 III-3- Module d élasticité statique et cinétique...321 IV- Application de la théorie de l élasticité à la propagation des ondes lumineuses327 V- Conclusion...347 Conclusion générale...351 Bibliographie...357 11

Avant-propos L objet de cette thèse est d étudier l évolution de la théorie de l élasticité des solides à trois dimensions, au cours du XIX e siècle. C est au début de ce siècle qu est née la théorie de l élasticité, qui a rapidement attiré l attention de nombreux savants et mathématiciens. Dans ce travail, nous nous intéressons aux différents concepts et théories qui ont participé aux progrès de cette branche de la physique. Il y a un siècle et demi ou même moins, des traités tels que ceux de Saint- Venant, de A. E. H. Love ou de Todhunter pouvaient contenir l histoire du développement de cette discipline. Dans cette dernière décennie, l ouvrage d Amy Dahan a permis de rafraîchir les mémoires sur une partie de l histoire de l élasticité en France qui avait un lien étroit avec Cauchy. Tout au long du XIX e siècle, la théorie de l élasticité a connu une période d intense développement. Dans ces conditions, toute tentative d écrire l histoire complète et détaillée des résultats et méthodes de la théorie de l élasticité, dans le cadre d une thèse de doctorat, semble vouée à l échec. C est pourquoi nous avons choisi de ne retenir que ce qui nous a semblé fondamental dans son évolution et ce qui représente un grand tournant dans son histoire. L histoire de l élasticité des solides est étroitement liée au développement des moyens mathématiques. Ce lien a suscité la mise au point de nouveaux outils mathématiques. Les efforts employés pour l amélioration de ces outils sont souvent la source du progrès de cette théorie. Le développement de la théorie de l élasticité est principalement dû à Navier, Poisson, Cauchy, Lamé, Kirchhoff, Maxwell, Clebsch et Thomson. Ce dernier a essayé surtout de généraliser la solution et d éliminer les hypothèses auxquelles cette théorie était assujettie. Plusieurs principes ont été introduits dans l étude de l élasticité des corps : parmi ceux-ci, celui concernant la continuité de la matière paraissait nécessaire pour l utilisation des 13

intégrales. Cauchy remplaça ce principe erroné, car la matière n est pas continue, par celui de la continuité des déplacements géométriques. La théorie de l élasticité peut se réduire à l établissement des relations fondamentales liant ses différents paramètres physiques et à l étude des conditions aux limites à l aide des équations aux dérivées partielles, comme l a démontré Cauchy. La théorie de l élasticité des corps n est pas une théorie mathématique, mais une branche de la mécanique qui, à son tour, représente une partie de la physique. Ce qui nous amène à tenir compte des différentes propriétés d ordre pratique. Des méthodes spécifiques ont été mises en œuvre par différents savants ou mathématiciens au cours des XIX e et XX e siècles pour rendre compte de ces propriétés. Certaines méthodes ou solutions étaient fondamentales dans l histoire de la théorie. Parmi celles-ci, nous allons étudier la mécanique des milieux continus de Cauchy, la méthode du potentiel de Green et Kirchhoff, sans oublier les effets de la chaleur sur la déformation des corps solides introduits par Thomson. Cet ouvrage est limité au cadre de l élasticité tridimensionnelle linéaire des corps isotropes ou non, au XIX e siècle. Nous avons aussi cherché à connaître les raisons pour lesquelles les mathématiciens et les physiciens se sont intéressés au domaine de l élasticité des solides sans que cette discipline ait un lien quelconque avec leurs formations d origine. Nous allons essayer de répondre à cette question tout au long de ce travail. 14

Introduction générale L histoire des théories et des expériences, qui ont donné lieu au développement de la théorie de l élasticité des solides, présente un très grand intérêt. Plusieurs théories physiques ont été utiles pour saisir la réalité du phénomène de l élasticité. En effet, à travers les siècles, la théorie de l élasticité des solides est passée par plusieurs étapes qui ont contribué à son développement et à son accomplissement. On peut considérer que la théorie moderne de l élasticité est née en 1821, quand Navier donna pour la première fois, dans son célèbre mémoire 1, les équations générales de l équilibre et du mouvement d un corps solide élastique. La plupart des problèmes que pose cette théorie ont déjà été partiellement résolus ou discutés dans des cas particuliers aux XVII e et XVIII e siècles ; de Galilée à Euler en passant par Hooke et les Bernoulli, plusieurs résultats d un grand intérêt avaient été obtenus. Seulement, aucune théorie mathématique rigoureuse n a été établie. Au XIX e siècle, la loi de Hooke fut le point de départ de plusieurs recherches qui débouchèrent sur la naissance d une vraie théorie mathématique de l élasticité. La loi de Hooke et la théorie de la lumière, précisément la conception de l éther, furent à l origine d une théorie complète et générale de l élasticité des solides et des recherches supplémentaires dans le cas des fluides. Cauchy, Green, Kirchhoff, Thomson et beaucoup d autres savants ont établi une théorie générale de l élasticité avant d étudier les phénomènes lumineux à proprement parler. Parmi les théories les plus instructives en histoire de la physique, on trouve, en première position, celle de la lumière. Dans l antiquité grecque, les philosophes considéraient que la vision était causée par la projection de particules lumineuses qui se détachaient des objets et venaient frapper l organe de la vue. Au contraire, les pythagoriciens supposaient que l œil projetait des rayons qui servaient à saisir les objets perçus. Les platoniciens se positionnaient entre ces deux doctrines opposées. Quant à l école péripatéticienne, elle considérait la lumière comme une qualité des corps 1 Navier, «Mémoire sur les lois de l équilibre et du mouvement des corps solides élastiques», in : Comptes rendus de l Académie des sciences, t.vii, 1821. 15

lumineux. Ibn al-haytham refusa la théorie ancrée dans la tradition grecque. Il donna une description géométrique au concept de la propagation de la lumière dans son livre Optique. Il fallut attendre Kepler, six siècles plus tard, pour faire des avancées comparables à celles de Ibn al-haytham. Il semble que Galilée fut le premier savant qui se fût interrogé sur le temps que met la lumière pour se déplacer d un point à un autre ; il a même établi une expérience à cette fin, mais les techniques de l époque n étaient pas suffisantes pour obtenir des résultats convenables. Par la suite, cette expérience s avéra féconde. Descartes essaya, par le biais des expériences, de se faire une idée sur la nature de la lumière et conclut que la vitesse de la lumière devait être infinie. Plus tard, il donna une explication des couleurs en les attribuant au mouvement de rotation qu effectuent des petites sphères de la matière subtile dans les pores des corps terrestres. Descartes insista sur le fait qu il n est pas nécessaire qu une action matérielle ait lieu entre les objets et l œil. Ce postulat le place parmi les précurseurs de la théorie des ondulations, bien qu il ne considérât pas la lumière comme une propagation d ondes successives, mais comme une pression transmise instantanément. Cette idée de la propagation instantanée, il la contredira lui-même dans sa démonstration de la loi de la réfraction. À la même époque que Descartes, Fermat s intéressait à ce sujet en étudiant le phénomène de la réfraction. Il posa un principe de minimum et non une hypothèse de nature causale concernant la réfraction ; d après ce principe, la nature agit par les voies les plus courtes et les plus aisées, c est-àdire que la lumière met le minimum de temps pour parcourir une distance séparant deux points distincts appartenant à deux milieux contigus ayant la propriété de posséder chacun une vitesse de propagation différente. Cette hypothèse entre dans une forme analytique qui choisit le chemin optique minimal (le principe du chemin optique minimum par rapport au temps de parcours dans le cas relatif à la réfraction). Deux doctrines différentes sur la nature de la lumière virent le jour à partir de la deuxième moitié du XVII e siècle. La première fut proposée par Huygens dans son Traité de la lumière, qui suggère la théorie ondulatoire comme une explication à la cause même de la transmission de la lumière : la lumière se propage en formant des ondes dans un milieu éthéré, distinct de l air qui transmet le son, composé de petites boules élastiques. En étudiant la transmission de la lumière à travers un éther élastique, Huygens détermina les lois de la réfraction et retrouva la valeur correspondant au rapport des sinus déduite par Fermat. En poursuivant son raisonnement, Huygens dédui- 16

sit une théorie sur la double réfraction dans les cristaux uniaxes. La théorie des ondes de Huygens fut oubliée pendant de longues années, cédant la place à sa rivale, qui triompha au XVIII e siècle et dont le maître d œuvre porte le nom d Isaac Newton. Newton revint à la théorie de l émission de la lumière, qui stipule que des petits corpuscules émanant des corps lumineux produisent la vision de la lumière en heurtant la rétine. Il croyait aussi à l existence d un milieu animé de vibrations successives et rapides dans lequel les corpuscules sont en mouvement et capables de produire un certain effet. Il admettait que chaque rayon de lumière possédât une structure périodique, ce qui explique les phénomènes de la réflexion et de la réfraction. En résumé, à la fin du XVIII e siècle, en optique, les idées soumises sont les théories des ondulations et de l émission ; elles donnent des explications causales aux phénomènes, c est-à-dire l existence de substances constituées de particules lumineuses ou d éther qui produisent la lumière. Restées longtemps dans l oubli, les idées de Huygens furent ressuscitées par Young et Fresnel dès le début du XIX e siècle. Grâce à sa fameuse expérience des deux miroirs et à ses nombreux écrits sur la diffraction, Fresnel donna une consécration définitive à la loi des interférences. Fresnel considérait l éther comme un solide élastique ; seulement à cette époque, aucune théorie générale de l élasticité n existait encore. Fresnel démontra également qu il n existait aucune analogie entre la lumière et le mouvement des ondes sonores, et il affirma la nécessité de vibrations transversales de l éther luminifère pour expliquer la polarisation. Les recherches de ce savant lui permirent de créer une doctrine des ondes lumineuses qui fut, surtout après sa disparition, perfectionnée et complétée par les travaux analytiques de nombreux savants comme Poisson, Lamé et, surtout, Cauchy et Green. La théorie des ondes de Fresnel consiste à déterminer les équations différentielles qui décrivent la propagation des ondes lumineuses, en considérant un milieu éthéré. Il posa quelques hypothèses sur les rapports de cet éther avec la matière pondérable, tout en tenant compte de la continuité de la matière. Ces équations ont été simplifiées à l aide d hypothèses adéquates afin de réduire les difficultés analytiques, comme c est le cas dans plusieurs questions de la physique mathématique. L existence de l éther était indiscutable pour les plus grands physiciens et mathématiciens de l époque ; au point que l Anglais William Thomson déclarait : «L éther n est pas une création imaginaire du philosophe spéculatif, mais qu il nous est aussi important que l air que nous respirons.» Il réussit 17

même à déterminer le rapport de la masse volumique de cette substance par rapport à celle de l eau ; ce résultat fut retrouvé plus tard par Boussinesq. Dans le cadre de la physique mathématique, les phénomènes électriques offraient un vaste sujet de recherches. De la découverte des actions électromagnétiques et des recherches qui suivirent, allaient se construire peu à peu toute la science et toute l industrie électrique d aujourd hui. Après la découverte de la loi de Coulomb, l électricité statique conduisit d éminents savants comme Laplace, Poisson, Green et leurs successeurs à établir des théories très riches et intéressantes dans ce domaine, pendant qu Ampère essayait, en électricité dynamique, de réduire les actions électrodynamiques et, par conséquent, tout l électromagnétisme à des forces de type newtonien, s exerçant entre les éléments de courant et satisfaisant au principe de l égalité des actions et des réactions. Plus tard, la théorie d Ampère fut développée par des physiciens comme Weber, Grossmann et Helmholtz. Avec le physicien Faraday, la théorie de l électricité a pris un autre tournant. En effet, les idées de Faraday qui paraissaient, au début, comme purement qualitatives et assez obscures, se sont précisées petit à petit en une théorie des lignes de force à travers les diélectriques, c est-à-dire en un champ électromagnétique. Faraday n étant pas un mathématicien, ce fut Maxwell qui démontra l importance de ces résultats. En introduisant la notion du courant de déplacement et en appliquant les lois de l électromagnétisme, Maxwell détermina les équations fondamentales entre les forces électriques et magnétiques. À partir de ces équations, il posa l hypothèse qu une onde électromagnétique se propage à la vitesse de la lumière. Cette idée garda un aspect hypothétique jusqu à ce que le physicien allemand Hertz eût élaboré, en 1888, des expériences sur la propagation des ondes électromagnétiques auxquelles son nom est resté attaché. Ces découvertes n exclurent pas l importance de l éther en tant que matière essentielle pour la propagation de la lumière ; ce qui explique que Maxwell considérait l éther comme un fluide inducteur responsable des actions électromagnétiques. Cette correspondance des deux théories est claire dans le cas des corps isotropes, où la vitesse de la molécule éthérée de Fresnel a la même direction que la force électrique. Pourtant, il existe une grande différence entre l éther de Fresnel et le fluide inducteur de Maxwell. Ce dernier regardait le potentiel électrique comme le potentiel interne, qui est complètement exclu de la construction de l éther auquel Thomson attribuait la propagation de la lumière. Thomson a imaginé un éther absolument 18