Structure du marché bancaire et stabilité financière



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Transcription:

Juin 2011 Structure du marché bancaire et stabilité financière Mémoire réalisé sous la direction de Jézabel Couppey-Soubeyran Guillaume ARNOULD Université Paris1 UFR 02 Sciences Economiques - Master 2 Recherche Monnaie, Banque, Finance.

Résumé : La relation entre la structure du marché bancaire et la stabilité financière est abordée à travers trois canaux : le pouvoir de marché, la complexité bancaire et la diversification du portefeuille des banques. La base de données comprend 108 pays sur la période 1995-2009. Les principaux résultats des régressions sont que la concentration a un effet négatif sur la stabilité financière, et que le pouvoir de marché semble être la principale caractéristique d un marché bancaire concentré, pour la stabilité financière, ie le canal du pouvoir de marché est identifié au sein des régressions. «L université de Paris 1 Panthéon Sorbonne n entend donner aucune approbation, ni désapprobation aux opinions émises dans ce mémoire ; elles doivent être considérées comme propre à leur auteur» - 2 -

Sommaire Partie I. Introduction.. p.4 Partie II. Revue de la littérature. p.6 Partie III. Présentation des données et de la méthode de régression p.16 3.1 Données.... p.16 3.2 Méthodologie d estimation du modèle empirique. p.24 Partie IV. Résultats.. p.26 4.1 Régression principale. p.27 4.2 Régressions liées aux canaux. p.29 Partie V. Conclusion p.31 Bibliographie p.33 Annexes p.36-3 -

I. Introduction A la suite de la crise financière de 2007 un large mouvement de fusions et de rachats au sein du secteur bancaire de nombreux pays s est mis en marche, Bank of America a par exemple racheté Merrill Lynch en 2008. La période précédant la crise ayant déjà été très riche en consolidation de banques, le degré de concentration du marché bancaire devient de plus en plus important et commence à inquiéter les autorités de supervision qui s interrogent sur les effets de ce phénomène sur l économie, et en particulier sur la stabilité financière. Plus généralement la relation entre la structure du marché bancaire et la stabilité financière est un sujet fondamental pour les superviseurs et pour les politiques publiques ; car tout facteur d instabilité qui pourrait engendrer une crise qui toucherait l économie dans son ensemble est un enjeu public. Toutefois avant d étudier la relation entre ces deux variables, il est nécessaire de les définir plus précisément, car elles recouvrent toutes deux de vastes réalités. Ainsi, la structure du marché bancaire a deux principales dimensions, la première est le degré de concurrence, c'est-à-dire la structure plus économique. La seconde dimension est liée à la concentration du marché bancaire, c est une structure plus réel, plus concevable ne serait-ce qu à travers le nombre brut de banques. Néanmoins, même si la structure d un marché a deux dimensions principales, celles-ci ne sont pas indépendantes l une de l autre. Ainsi le degré de compétition est difficilement mesurable, car bien qu il émerge avant tout d une structure réelle de la concurrence, comme le nombre de concurrent, il est aussi le résultat de règles et lois explicites et implicites ; c est pourquoi la concurrence peut prendre plusieurs formes comme celle de barrières à l entrée d un marché. Les articles qui traitent de la concurrence sont obligés de trouver une valeur mesurable en absolu afin de l approcher, c est pourquoi il arrive souvent que dans les études empiriques le degré de concentration soit utilisé comme proxy du degré de concurrence. Dans le cas du sujet qui nous intéresse, pour prendre au mieux la mesure de la structure du marché bancaire, il est nécessaire de se focaliser sur le degré de concentration, et d y ajouter des variables de contrôle comme l ouverture du marché bancaire ou le poids de la supervision. Le degré de concentration peut varier selon la base utilisée (actifs ou dépôts par exemple) ou bien selon le marché considéré. En ce qui concerne la variable de la stabilité financière, elle est encore plus difficile à aborder que la structure du marché bancaire ; en effet il n existe pas de définition précise de cette dernière, la meilleure - 4 -

approche consiste à la définir en creux, c'est-à-dire en se basant sur l instabilité financière. Celle-ci étant vue comme un fléau économique, les définitions sont pléthoriques comme le montre l article de VanHoose.D (2011), où il en répertorie pas moins de 14. Toutefois il les classe en seulement deux catégories. Celle où c est un choc qui, touchant de nombreux acteurs, entraine des faillites simultanées qui déstabilisent toute l économie, et celle où les acteurs (en particulier les banques) sont très interconnectés ; ainsi la faillite d un seul peut entrainer une faillite générale du système c'est-à-dire une crise systémique comme l a démontré l exemple de Lehman Brother. Ces définitions néanmoins se contentent de préciser l origine de l instabilité, or afin de réaliser une étude empirique il faut être capable de l évaluer, de la mesurer. Ainsi pour simplifier on peut considérer deux cas d instabilité ; celle où la faillite n est qu une probabilité, qui peut être importante, mais qui n est pas réalisée formellement. Ce cas de figure recouvre bien une réalité, car le système peut basculer à tout moment et engendrer une crise financière. Il existe un outil intéressant pour évaluer cette configuration ; le Z score 1, de part sa construction il représente une proximité à la faillite symbolisée par un score nul. Le deuxième cas de figure qui n est pas incompatible avec le premier, s intéresse aux crises systémiques réalisées, en mettant en place des critères de pertes ou de mesures comme le font Laeven et Valentia.F (2008, 2010). Cette approche a le mérite de ne considérer que les crises systémiques effectives et non pas potentielles, ce qui la rend plus précise mais aussi plus limitée dans sa conception d instabilité financière. Afin d examiner la relation entre ces deux variables aux contours mal définis, que sont la concentration et la stabilité financière, on se basera avant tout sur trois articles ; celui de Beck, Dermiguc-Kunt et Levine (2007), celui de Boyd, De Nicolo et Al Jalal (2006) et enfin celui de Uhde et Heimeshoff (2009). Le premier trouve une action positive de la concentration dans la prévention des crises alors que pour les deux autres papiers la concentration est un facteur d instabilité. Toutefois il est clair que se focaliser simplement sur la relation entre nos deux variable est insuffisant, il est nécessaire de s intéresser aux canaux par lesquels passent cet effet ; tout d abord afin d en avoir une meilleure compréhension, mais aussi car cela permettra de constituer des recommandations de politique économique dans le but de favoriser la stabilité financière. La base de donnée utilisée dans l estimation empirique est constituée de 108 pays sur une période allant de 1995 à 2009 ; le nombre de donnée relativement important est un facteur en faveur de la précision des résultats, de plus la plage des années permet de 1 Z-score = (ROA + EQTA)/σROA où le ROA est le return on assets, le EQTA le ratio de equity sur assets et σroa l écart type du ROA - 5 -

prendre en compte des années de stabilité financière et d autres de forte instabilité financière mondiale, comme la crise asiatique en 1998 et la crise des subprimes en 2007. La structure est organisée comme suit : la partie II. est une revue de la littérature qui identifie les canaux par lesquels la concentration peut influer sur la stabilité financière et apporte un éclairage théorique et empirique sur chacun. La partie III. présent les données et de la méthodologie de régression employée. La partie IV. expose les résultats de la régression et commente les tableaux situés en annexe. Enfin la partie V. est constituée de la conclusion. II. Revue de la littérature Traditionnellement les revues de la littérature concernant ce sujet sont rangées selon si elles appuient l idée que la concentration au sein du marché bancaire a un effet stabilisateur ou bien si au contraire cette dernière tend à faire croitre l instabilité du système financier. Bien que cette classification soit efficace en général, il semble qu une approche en termes de canaux puisse mieux rendre compte de la façon dont la concentration du marché bancaire influe sur la stabilité financière. Trois canaux ont pu être identifiés suite à une abondante documentation sur le sujet. Tout d abord celui du pouvoir de marché qui provient du fait que dans un marché bancaire concentré, la concurrence peut s en retrouver réduite et en conséquence les banques y opérants sont moins sujettes à la pression concurrentielle. Selon la littérature théorique l effet anticipé de ce canal est ambigu. Le second canal est celui de la diversification qui suppose que dans un système bancaire plus concentré, les banques ont une taille moyenne plus grande et sont donc plus à même de diversifier leurs actifs. L effet de ce canal est moins ambigu, car la diversification reste le meilleur moyen de diminuer les risques et donc de limiter l instabilité du secteur financier. Enfin le troisième canal est celui de la complexité des banques, l idée étant que les grandes banques sont plus opaques, donc plus difficiles à contrôler ; mais aussi qu elles sont moins nombreuses au sein d un système concentré plutôt qu atomisé, ce qui pourrait alors faciliter la supervision en permettant aux autorités de contrôle de ne se préoccuper que de quelques banques. - 6 -

Dans de nombreux articles sur le sujet, degré de concentration et degré de compétition sont confondus, et ce en particulier au niveau de nombreux papiers empiriques qui utilisent le degré de concentration du marché bancaire afin d approcher la pression concurrentielle qui y règne, en posant l hypothèse réductrice que plus le nombre de banques est réduit plus la concurrence y est faible. La théorie des marchés contestables développée dans l article de Baumol (1982) va à l encontre de cette approche et défend l idée que c est aussi au niveau de la capacité d entrée et de sortie des firmes sur un marché que se mesure le degré de concurrence ; un marché très concentré mais où l entrée de nouveaux concurrents n est pas réprimée ne sera donc pas nécessairement peu concurrentiel. Ainsi il est clair que concentration et compétition sont deux éléments différents, comme le rappellent Canoy, Van Dijk, Lemmen et De Mooij (2001) et Carletti et Hartmann (2002) qui soulignent la complexité de la relation entre nombre de firmes et pouvoir de marché tout en prenant en compte les spécificités du marché bancaire où les lieux de compétition sont multiples (prêts, dépôts, ). Si compétition et concentration sont bien distinctes, ils n en sont pas moins liés ; un marché concentré rassemble plus probablement des firmes ayant un pouvoir de marché ; c est pourquoi ce dernier est considéré comme l un des canaux par lequel le degré de concentration du marché bancaire influe sur la stabilité financière. La littérature théorique concernant l influence du pouvoir de marché sur la stabilité financière met principalement en avant les profits plus importants des firmes qui disposent d une position dominante comme le souligne Freixas et Rochet (2006). Ces firmes exploitent ce pouvoir de marché en fixant des taux d intérêts plus élevés qu elles ne le feraient si elles étaient dans le cadre d une concurrence parfaite ; d où des revenus in fine plus importants 2. Ceux-ci leur permettent alors de se constituer un buffer, un coussin de capital, qui augmente leur capacité d absorption de chocs en cas de crise financière et qui en même temps diminue leur probabilité de subir un run bancaire Vives (2010). De plus ces profits supplémentaires liés à leur pouvoir de marché créent un coût d opportunité de faillite important. Idée que l on comprend bien si l on considère tout d abord qu une position dominante survit relativement longtemps une fois installée et si on approche la valeur présente de la banque par la valeur actualisée des profits futurs, ces derniers étant importants et sûrs, la valeur présente est donc élevée et le coût d opportunité de faillite aussi. Ainsi selon Matutes et Vives (2000) cette situation incite les actionnaires et les managers à ne pas s engager dans des opérations trop 2 Ce phénomène est par ailleurs confirmé par le modèle théorique CVH développé dans l article d Allen et Gale (2000) - 7 -

risquées, ce qui permettrait alors d augmenter la stabilité générale du secteur financier puisqu au sein d un système concentré, constitué de quelques grandes banques, ce phénomène apparaitrait chez la majorité de celles-ci. Ainsi une position dominante issue d un marché concentré peut être un facteur de stabilité en augmentant les revenus des banques. Toutefois, la hausse des taux d intérêt des prêts accordés par les banques ayant un pouvoir de marché, n est pas sans effet sur les emprunteurs, comme le souligne Beck, Dermiguc-Kunt et Levine (2007). En effet, des taux plus élevés ont tendance à éliminer la partie la moins risquée de la clientèle des banques qui préfèrera ne pas emprunter à ces taux. Le portefeuille de prêts de la banque risque alors de voir sa qualité se dégrader, puisque les prêts plus risqués et donc à plus fort rendement vont eux continuer à payer ces taux élevés ; c est la probabilité de faillite de la banque qui devient alors plus élevée. Ce phénomène est confirmé par le modèle théorique BDN 3 qui étend celui de Allen et Gale (2000) en autorisant la concurrence à la fois au niveau des dépôts et des prêts, ce qui dégage une relation positive entre le nombre de banques et la qualité du portefeuille de prêt (plus le système bancaire est concentré, plus le portefeuille de prêt est risqué). Toutefois la banque en situation de position dominante peut avoir conscience du risque de dégradation de la qualité de son portefeuille de prêt et décider d un rationnement du crédit couplé ou non à un monitoring renforcé des emprunteurs. En sélectionnant mieux ses clients la banque peut, de plus, augmenter son retour sur investissement, comme le souligne Boot et Thakor (2000), en diminuant le risque porté par son portefeuille de prêt. Le modèle développé par Caminal et Matutes (2001) montre lui que les banques ayant une position dominante ont tendance à choisir le monitoring sans avoir de réelle politique de rationnement de crédit. Or, comme les auteurs de l article le soulignent, en cherchant à minimiser les charges du monitoring, car le suivit de nombreux prêts diversifiés est très coûteux, la banque va avoir tendance à concentrer ses prêts dans une branche restreinte afin de réaliser des économies d échelle sur les informations à rassembler. Ainsi la diversification de son portefeuille de prêt diminue, la banque est donc bien plus sensible à un choc idiosyncratique, et cette dernière ayant une position dominante, sa faillite peut avoir des répercussions majeures sur la stabilité financière. Lorsque la concentration est particulièrement grande, certaines banques ont tellement de poids et de pouvoir de marché que leur faillite entrainerait dans leur sillage la totalité du 3 Développé dans l article Boyd, De Nicolo et Al Jalal (2006) - 8 -

système financier national voire même international ; ce sont les banques «Too big to fail». Du fait de l énorme risque qu elles font peser sur la stabilité financière, les Etats ont intérêt à éviter par tous les moyens qu un tel évènement se produise ; ainsi ces institutions «Too big to fail» sont donc toujours assurées implicitement voire explicitement contre le risque de faillite totale. Cette assurance particulière engendre un effet pervers comme le fait remarquer Mishkin (1998), car elle les incite à privilégier les actifs et les prêts risqués car plus rentables, assurées qu elles sont d être secourues en cas de défaillance majeure. Ainsi ces institutions qui émergent lorsqu un marché bancaire est très concentré sont une réelle menace pour la stabilité financière. L effet du pouvoir de marché comme phénomène émergeant d un marché bancaire concentré a donc un effet théorique ambigu sur la stabilité financière, car bien qu il octroie aux banques un surplus de revenu, celui-ci peut être plus volatil car acquis avec un portefeuille de prêt plus risqué. De plus une concentration importante peut donner jour à des établissements systémiques qui représentent une grande menace pour la stabilité financière. Les études empiriques qui visent à mesurer l effet du canal de pouvoir de marché présentent des résultats assez homogènes, en faveur d une influence négative sur la stabilité financière. L article de Schaeck, Cihak et Wolfe (2006) se base sur des données de 38 pays sur la période 1980-2003. Ils mesurent la concentration par le pourcentage des actifs totaux détenu par les trois plus grandes banques et approchent le degré de compétition par la H-stat 4. Dans leurs résultats le coefficient de la concentration n est jamais significatif lorsque la variable de la compétition est présente, c est donc bien que c est uniquement à travers le pouvoir de marché que la concentration influe sur la stabilité financière selon cette étude. De plus ils remarquent une corrélation positive entre la compétition et la stabilité financière ; c est donc que le pouvoir de marché des banques a un effet négatif sur la stabilité financière selon cette étude. Les résultats de Beck, Dermiguc-Kunt et Levine (2007) vont dans le même sens mais sont moins concluants. Ils utilisent les données de 69 pays sur la période 1980-1997, mesurent la concentration par le pourcentage des actifs totaux détenu par les trois plus grandes banques et approchent le pouvoir de marché par différentes variables et indices qui capturent les 4 Mesure du degré de compétition développée in Panzar et Rosse (1987) - 9 -

déterminants du degré de compétition 5. Leurs résultats ne confirment pas le pouvoir de marché comme canal par lequel la concentration influe sur la stabilité financière. Toutefois ils confirment qu une compétition non bridée a un effet positif sur la stabilité financière dans son ensemble. L étude empirique menée par Boyd, De Nicolo et Al Jalal (2006) portant sur les données de 134 pays sur la période 1993-2004, utilise le Z-score 6, une mesure de la proximité de chaque banque à la faillite, à l inverse des deux précédentes (qui employaient une dummy) pour approcher la stabilité financière. Ils mesurent la concentration par l indice de Hirschmann-Herfindahl 7 et approchent l effet du pouvoir de marché par les composants du Z-score. A savoir le return on assets (ROA), afin d examiner si le pouvoir de marché octroie un surplus de revenu aux banques, et l écart type du ROA (σroa), pour observer la qualité du portefeuille de prêt (une plus grande volatilité correspondant à un risque plus important). Leurs résultats montrent que le ROA est corrélé positivement au degré de concentration, ce qui appuie l idée que les banques ayant un pouvoir de marché ont des gains supérieurs. De plus le σroa est lui aussi corrélé positivement à la variable de la concentration, ceci indique que les banques présentes au sein d un marché concentré ont un portefeuille de prêt plus risqué. Ainsi, malgré l augmentation des revenus liée à la concentration du marché bancaire, les auteurs montrent que l effet des portefeuilles plus risqués (σroa) domine ; le pouvoir de marché qui émerge de la concentration bancaire a donc un effet délétère sur la stabilité financière selon cette étude. D autres articles empiriques utilisent des approches très similaires à celle de Boyd, De Nicolo et Al Jalal (2006), comme Uhde et Heimeshoff (2009) qui utilise des données portant sur les 25 pays de l Union Européenne sur la période 1997-2005. Leurs résultats confirment ceux de Boyd, De Nicolo et Al Jalal (2006). Enfin L étude menée par Shehzad, Scholtens et De Haan (2009) sur 1800 banques de pays de l OCDE et de pays non OCDE sur une période 1998-2008 arrive aussi à la conclusion que les banques au sein d un système concentré ont des revenus plus volatils. 5 Capital regulatory index / Banking freedom / Fraction of entry denied / Activity restriction / Moral hazard index / Economic freedom / Required reserves / Official supervisory power / KKZ composite / State ownership / Foreign ownership 6 Z-score = (ROA + EQTA)/σROA où le ROA est le return on assets, le EQTA le ratio de equity sur assets et σroa l écart type du ROA 7 Il est établi en additionnant le carré des parts de marché (généralement multipliées par 100) de toutes les entreprises du secteur considéré. Plus l'ihh d'un secteur est fort, plus le secteur est concentré. - 10 -

Les effets du canal du pouvoir de marché sur la stabilité financière bien que relativement ambigus sur le plan théorique semblent plus tranchés au niveau des études empiriques. Et, malgré la présence possible d un surplus de revenu lié à une position dominante, c est l augmentation de la volatilité du portefeuille qui semble diriger la relation ; selon les études empiriques le pouvoir de marché comme canal de la concentration bancaire a un effet négatif sur la stabilité financière. Toutefois, malgré des preuves empiriques d une volatilité plus grande des revenus du portefeuille, il est nécessaire de s intéresser de plus près à la diversification des actifs d une banque, car il n est pas anormal de s attendre à ce qu une plus grande banque ait les moyens de mieux diversifier son portefeuille et par là de réduire son risque de faillite. De nombreux articles soulignent le rôle majeur de la diversification, et en particulier de celle du portefeuille de prêt des banques, dans la réduction du risque ; comme le montre Diamond (1984) dans le cadre d un modèle où la diversification des prêts accordés favorise un meilleur monitoring de ces derniers et donc une amélioration de la stabilité financière. L article de Mishkin (1998) s appuie lui sur une critique du Glass-Steagall Act 8, qui n a été abrogé qu en 1999 après avoir largement été contourné par les banques. Ce texte de loi limitait les activités des banques à une activité banque d investissement ou banque commerciale et bornait les possibilités de prêts à un Etat des Etats-Unis voire à une région. Les prêts des banques étaient alors extrêmement corrélés à cause de la limitation régionale, de plus les secteurs activités des Etats des Etats-Unis étant relativement différents, la diversité du domaine économique des emprunteurs était elle aussi très limitée ; ainsi comme l a souligné cet article, les crises bancaires étaient certes limitées à un Etat, mais elles étaient systématiques dès qu une industrie était fragilisée. C est pourquoi Mishkin vante les mérites de la diversification régionale et même internationale dans le but de décorréler la fragilité des banques à celle d un pays ou d une activité en particulier. De même il s est fait l avocat d une diversification du domaine d activité des banques afin de réduire le risque qu elles portent et améliorer la stabilité du système bancaire et financier. De plus les fusions-acquisitions, qui sont l une des dynamiques de la concentration, peuvent permettre de réaliser des économies d échelle voire de gamme qui réduisent alors les coûts de fonctionnement 9, augmentent la 8 Généralement connu sous le nom de Banking Act, promulgué en 1933 aux États-Unis, celui-ci a instauré une incompatibilité entre les métiers de banque de dépôt et de banque d'investissement, mais a aussi créé le système fédéral d'assurance des dépôts bancaires et enfin a introduit le plafonnement des taux d'intérêt sur les dépôts bancaires. 9 Toutefois de nombreuses études montrent que les économies d échelles sont relativement limitées pour les banques (cf Les systèmes financiers mutation, crises et régulation sous la direction de C.De Boissieu) - 11 -

surface financière comme le montre le modèle développé dans l article de Williamson (1986) et bien souvent augmentent la diversification du portefeuille, ou bien même des activités, de la banque. La diversification semble donc être selon les papiers théoriques un moyen efficace d améliorer la stabilité financière, or il est clair que les grandes banques, que l on rencontre plus souvent dans le cadre de marchés bancaires concentrés, ont plus d opportunités de diversification ; celle-ci serait donc un canal de la concentration qui pousserait vers une meilleure stabilité du système financier. Toutefois certains articles mettent en garde contre des situations où ce rôle stabilisateur de la diversification est remis en question. L article de Cetorelli et al. (2007) expose les risques d une diversification mal conduite ou bien mal maîtrisée. Les auteurs soulignent qu une diversification vers des actifs ou bien vers des métiers très différents peut réduire l efficacité du contrôle interne. En effet une banque doit collecter de l information afin de réduire les chances d octroyer des prêts qui feront défaut, or ce monitoring a un coût qui peut être réduit grâce à des économies d échelle. Une banque dont les domaines de prêts sont très diverses et donc de faible taille, risque de vouloir diminuer le coût du monitoring et donc la diversité des prêts ; c est donc la qualité du portefeuille de prêt qui risque de se dégrader. Ce raisonnement peut aussi s appliquer aux activités bancaires ; une banque conduisant trop d activités différentes (activité de prêt, de marché, d assurance, ) peut selon sa taille ne pas consacrer suffisamment à la collecte d information et donc risquer de mettre en place des opérations menaçant sa profitabilité. La diversification ne doit donc pas se faire à tout prix. Une critique plus théorique formulée par Wagner (2010) sous entend qu une diversification trop poussée conduirait à une homogénéisation des portefeuilles et donc in fine à une augmentation du risque systémique. Bien que cette mise en garde ne soit que théorique et très loin d être réalisée, on peut considérer les fusions-acquisitions comme une diversification qui conduit le portefeuille des banques à se ressembler, ce qui peut augmenter la corrélation du risque entre les banques. Néanmoins la diversification des activités d une banque semble être un facteur de stabilité selon la littérature théorique, on peut donc s attendre à ce que ce canal de la concentration, par le biais de la présence de banques de grande taille au sein de systèmes concentrés, ait un effet positif sur la stabilité financière selon la littérature empirique. Peu d études empiriques essaient de mesurer l effet de la diversification des banques sur la stabilité financière dans le cadre de la concentration, néanmoins les résultats sont - 12 -

homogènes et en accord avec la théorie. L article de Beck, Dermiguc-Kunt et Levine (2007), déjà cité précédemment, approche la diversification des banques à travers trois facteurs. Celui du «mean bank size» soutient l idée que les plus grandes banques sont aussi plus diversifiées, le facteur du «no foreign loans» capture la limitation à la diversification des prêts que les banques peuvent accorder, et enfin la variable de «size of the economy» capture les opportunités de diversifications de la banque au sein de son pays d activité. Leurs résultats montrent que l introduction de ces variables fait perdre sa significativité à celle de la concentration ; ce qui signifie que selon les auteurs c est principalement à travers la diversification que la concentration a un impact sur la stabilité financière, impact positif et significatif. Ces résultats soutiennent la théorie selon laquelle les systèmes bancaires plus concentrés incluent des banques de taille plus importantes en moyenne et plus diversifiées, ce qui permet d améliorer la stabilité financière. Une autre étude empirique menée par Shehzad, Scholtens et De Haan (2009) arrive à des résultats comparables. Il avait déjà été mentionné que cette dernière avait conclut que les banques d un marché concentré sont plus risquées, mais les auteurs arrivent aussi à la conclusion que la taille de la banque a un effet négatif sur la volatilité des revenus, ces résultats ne sont pas incompatibles et abondent donc dans la direction d une concentration stabilisatrice grâce au canal de la diversification. Ainsi les effets du canal de la diversification, à travers la présence de banques de plus grande taille dans un système concentré qui ont donc plus de possibilités de se diversifier, sur la stabilité financière vont dans le sens d une diminution du risque du portefeuille, et donc d une réduction des crises bancaires. Sur ce point les études empiriques ou bien les articles théoriques sont vont dans le même sens. Toutefois il semble logique qu une plus grande diversification mène aussi à une plus grande complexité interne des banques. Ce phénomène de la complexité des banques a avant tout un effet sur le monitoring de celles-ci, car plus les activités de la banque sont sophistiquées, plus il sera difficile de déterminer le véritable risque encouru par la banque elle-même mais aussi par le système financier dans son ensemble. Or au sein d un système bancaire concentré, les grandes banques sont plus présentes, et il semble approprié de supposer que de plus grandes banques ont plus de chances d être complexes ; ainsi la complexité est un phénomène qui peut émerger de la concentration bancaire et agir sur la stabilité financière, c est le troisième canal identifié. La littérature théorique sur ce sujet, comme phénomène lié aux grandes banques et donc émergeant de la concentration, se focalise sur son lien avec la supervision, mais aussi sur la qualité du contrôle interne ; deux phénomènes influençant la stabilité financière. En premier - 13 -

lieu, Allen et Gale (2000), soutient sur la base d un modèle théorique que dans un système concentré où seules quelques grandes banques sont présentes, le superviseur voit sa tâche facilité puisqu il lui suffit de contrôler ces quelques grand établissements avec soin pour assurer la stabilité du système. Ainsi le nombre d établissements à contrôler étant limité, la supervision n en serait que meilleure malgré une probable complexité plus importante au sein des grandes banques. L aspect négatif de la complexité sur la supervision serait donc plus que compensé par le gain de temps lié au nombre limité d établissement à contrôler. Toutefois cet argument est réfuté par Cetorelli et al. (2007), qui souligne le fait que les grandes banques actuelles, sont des conglomérats financiers, agissant sur de nombreux marchés organisés ou non, dans de multiples pays, utilisant quantité d instruments financiers parfois très complexes et menant parfois des opérations opaques. Ainsi la capacité du régulateur à la superviser efficacement ou même la qualité du contrôle interne propre à la banque risqueraient d être affectés négativement par cette complexité et cette opacité, augmentant alors le risque qu un déséquilibre ou un choc ne se transforme en crise aux retombées potentiellement dangereuses pour la stabilité financière. Les études empiriques menées sur ce sujet dans le cadre d un système bancaire relativement concentré ie où de grandes banques sont présentes, ne sont pas très concluantes concernant l effet que la complexité bancaire a sur la stabilité financière. Celle menée par Beck, Dermiguc-Kunt et Levine (2007) s attache à savoir si un système concentré est plus facile à superviser du fait du plus faible nombre d établissements à contrôler. Ils approchent la qualité de la supervision par trois variables : «number of banks», «activity restriction» avec l idée que plus l on impose de restrictions aux banques plus la supervision serait aisée. Enfin ils utilisent la variable «cash flow» qui représente la fraction des droits liée au cash flow détenue par les principaux actionnaires de chaque banque, afin d approcher le fait que dans les pays où les lois et la réglementation ne protègent pas efficacement les petits actionnaires, les cash-flow seront plus concentrés afin de mieux peser sur la banque et exercer un meilleur monitoring. Les résultats de cette étude ne sont néanmoins pas concluant sur le fait qu un système concentré soit plus aisé à superviser. Une autre étude empirique menée par Laeven et Levine (2007) s intéresse aux effets de la complexité des banques sur leur valorisation de marché et donc sur l opinion qu à le marché de leur valeur. La complexité des banques est approchée par des indices de diversification au niveau des revenus et des actifs. Les auteurs remarquent alors qu il existe un décalage entre la somme des valeurs intrinsèques de toutes les branches d un conglomérat financier et sa valorisation en tant - 14 -

qu entité les regroupant toutes, sur le marché ; la dernière étant inférieure à la première. Les auteurs en déduisent que le marché a conscience des problèmes potentiels de contrôle interne qui émergent lorsqu un conglomérat devient de plus en plus complexe, et répercute ces coûts potentiels sur la valorisation de marché du groupe. Les effets du canal de la complexité des banques en tant que phénomène émergeant de la concentration bancaire par le truchement de banques plus grandes sur la stabilité financière ne sont pas tranchés. D un point de vue théorique deux approches opposées se contredisent, l une argumentant que la complexité des banques est un obstacle à un contrôle efficace de la part du superviseur et de la part de la banque elle-même sur ses propres activités. L autre mettant en avant le fait que cette difficulté de contrôle efficace est plus que compensée au niveau du régulateur par le nombre plus faible de banques à contrôler car dans un système concentré les banques sont de plus grande taille mais elles sont aussi par conséquence moins nombreuses. L étude empirique de Laeven et Levine (2007) semble aller dans le sens de la complexité comme frein à un contrôle efficace, néanmoins elle se borne à observer l opinion du marché à ce sujet et ne s interroge pas sur les conséquences pour la stabilité financière. Trois canaux ont été identifiés ; celui du pouvoir de marché, celui de la diversification et celui de la complexité. L effet du premier sur la stabilité financière est incertain, puisque moins de concurrence augmente les revenus des banques, mais les rends aussi plus fragiles. Le second canal n a lui aucune ambigüité, la diversification reste un facteur de stabilisation. Le troisième et dernier canal identifié, a lui un effet incertain, puisqu il dépend de la capacité du monitoring et du superviseur à surmonter la complexité interne des banques. Ainsi il est nécessaire de mener une étude empirique afin d identifier quels canaux existent effectivement. - 15 -

III. Présentation des données et de la méthode de régression 3.1. Données La base de données est constituée de 108 pays sur la période 1995-2009 ; le nombre d observations relativement important va donc en direction d une minimisation des biais d estimation. De plus la plage temporelle choisie permet de couvrir deux crises systémiques majeurs qui ont particulièrement affecté les banques de par le monde ; celle de la crise asiatique de 1998 et celle engendrée par les subprimes en 2007. Mais elle prend aussi en compte des périodes relativement stables comme celle allant de 2003 à 2006. Toutes les variables sont prises au niveau macroéconomique d un pays ; elles sont donc soit une agrégation soit une moyenne lorsqu elles concernent les banques. Une description plus précise des données, comme la matrice des corrélations est disponible en annexe (Annexe C) ; on remarque par ailleurs que la corrélation entre les variables utilisées est relativement limitée, ce qui permet d éliminer le biais de multi colinéarité. Les données concernant la variable des crises financières systémiques sont tirées intégralement de l article de Laeven et Valentia.F (2008) où ils identifient les dates de début et de fin des crises bancaires sur la période 1970-2007. Selon leur approche deux critères doivent être réunis afin de considérer une crise bancaire comme systémique. Tout d abord des signes évidents de défaillance financière au sein du système bancaire tel que les run bancaires ou bien des pertes anormalement importantes de la part des banques doivent apparaitre. De plus une intervention significative des instances de supervision ou gouvernementale doit être mise en place 10. Toutefois, ils ajoutent une condition suffisante pour considérer une crise comme systémique car les interventions ne sont pas toujours aussi étendues ; ainsi, si les pertes du système bancaire sont exceptionnelles dans l ordre de 20% de non performing loans, ou bien si les coûts de restructuration des banques atteignent au moins 5% du PIB, la crise est automatiquement estampillée systémique. Les auteurs ont effectué une mise à jour de cette base de données dans l article Laeven et Valentia (2010) où ils définissent comme condition de fin de crise deux années consécutives de croissance 10 Pour que ce critère soit considéré comme effectif au moins trois des six mesures suivantes doivent être activés: restructuration de banques, nationalisations, extension des garanties, achat massif d actifs, gel des dépôts, support de liquidité. - 16 -

positive du PIB et du crédit, la première de ces deux années étant alors considérée comme la date de fin de la crise. Toutefois dans le cas de crises de longue durée, ils ajoutent une limite de 5 ans. Enfin dans cette mise à jour de la base de donnée, ils l étendent jusqu à 2009, permettant de prendre en compte la période où la crise des subprimes a été la plus sérieuse et ajoutent des borderline crises, c'est-à-dire des crises qui sont à la limite de remplir les critères. Au final les crises systémiques sont représentées par une dummy qui prend la valeur de 1 lorsqu une telle crise est détectée et 0 sinon ; on utilisera dans un premier temps les crises systémiques remplissant strictement la définition des auteurs (scrisis), puis on ajoutera les borderline crises (lcrisis) afin de conduire un test de robustesse. Toutefois cette approche de la mesure des crises systémique n est pas sans limites, inhérentes avant tout à la définition problématique de ce concept, ni sans critiques. Ainsi dans l article de Boyd, De Nicolo et Loukoianova (2009) les auteurs développent un modèle théorique d un marché bancaire et démontrent que les interventions gouvernementales ou des autorités de supervision soufrent d un décalage constant par rapport à la date réelle de la crise. De plus ils établissent qu il existe une différence essentielle entre la probabilité qu une crise soit systémique et la probabilité d une intervention publique. Les indicateurs de crise systémique basés sur la mise de place de réponses de la part de l Etat, peuvent donc être largement biaisés. Afin de contrôler ce possible biais, deux mesures alternatives des crises bancaires sont utilisées dans des régressions de robustesse. Le pourcentage de non performing loans (nonperfloan) est une approche de base de la solidité du secteur bancaire, toutefois elle a l intérêt de ne pas prêter le flanc au biais spécifié précédemment et d être un indicateur intéressant de la santé des banques. Le Z score (zscore) est lui définit par l équation suivante : Z-score = (ROA + EQTA)/σROA (où le ROA est le return on assets, le EQTA le ratio de equity sur assets et σroa l écart type du ROA) Etant une mesure de la distance au défaut 11 d une banque en tant que mesure de la probabilité que la valeur des actifs d une banque soit inférieure à la valeur de sa dette, il peut donc être utilisé de manière agrégé ou bien comme une moyenne, au niveau d un pays, afin d évaluer la solidité de son marché bancaire. Ainsi il est fréquemment employé au sein d études empiriques s intéressant à la stabilité financière comme celle de Boyd, De Nicolo et Al Jalal (2006) ou celle de Uhde et Heimeshoff (2009). Par ailleurs il est intéressant de souligner la 11 Ce dernier se caractérisant par des valeurs nulles ou négatives - 17 -

nette opposition des résultats des études empiriques quant aux effets de la concentration sur la stabilité financière, selon si le Z score ou bien une dummy comme celle construite par Laeven et Valentia (2008) est utilisé. Celles employant le Z score concluent en grande majorité à un effet négatif 12 de la concentration sur la stabilité alors que la majorité de celles utilisant une dummy concluent positivement 13. Ainsi il sera intéressant de vérifier si cette opposition est intrinsèque aux mesures ou bien si elle est conduite par d autres facteurs comme le choix de la période ou des variables de contrôle. Toutefois il est à noter que la base de données des variables de nonperfloan ainsi que du zscore ne couvrent pas la totalité de la période ni des pays. En ce qui concerne la concentration (conc), cette dernière est représentée par le pourcentage des actifs détenu par les trois plus grandes banques par rapport au total des actifs détenu par les banques du pays en question. D autres mesures existent comme celle se basant sur cinq banques au lieu de trois ou bien celle utilisant l indice de Hirschmann-Herfindahl 14, de plus toutes ces mesures peuvent aussi se focaliser sur les dépôts à la place des actifs. Bien qu il n ait pas été possible de produire une série alternative pour la mesure de la concentration, la seule mesure à travers le pourcentage des actifs détenus par les trois plus grandes banques suffit, car comme l a montré l article de Uhde et Heimeshoff (2009), la corrélation entre les trois types de mesure est très forte. Afin d estimer au mieux la relation entre concentration du marché bancaire et stabilité financière et de limiter les biais liés à l omission de variables, des variables de contrôles sont ajoutées à la régression ; elles portent sur l environnement macroéconomique des pays concernés, l efficacité et la profitabilité des banques de leur marché bancaire, le contexte de supervision et de régulation de ce marché et enfin l environnement institutionnel propre à chaque pays. Le choix de ces variables est principalement inspiré de l article de Beck, Dermiguc-Kunt et Levine (2007), mais s appuie aussi sur celui de Uhde et Heimeshoff (2009), car ce dernier utilisant le Z score propose une perspective complémentaire. Afin de contrôler l influence des facteurs macroéconomiques sur la santé du marché bancaire à travers par exemple la qualité de leurs actifs ou bien leur profitabilité, sept variables sont ajoutées. Tout d abord on introduit la croissance économique du pays (gdpg), 12 Voir entre autre : Boyd, De Nicolo et Al Jalal (2006), Uhde et Heimeshoff (2009), Shehzad, Scholtens et De Haan (2009), De Nicolo, Bartholomew, Zaman et Zephirin (2004) 13 Voir entre autre : Beck, Dermiguc-Kunt et Levine (2007), Beck, Dermiguc-Kunt et Levine (2004) 14 Il est établi en additionnant le carré des parts de marché (généralement multipliées par 100) de toutes les entreprises du secteur considéré. Plus l'ihh d'un secteur est fort, plus le secteur est concentré. - 18 -

avec les hypothèses que les opportunités d investissement sont liées aux cycles macroéconomiques et que les emprunteurs sont plus solvables dans les périodes de croissance économique ; le signe attendu est donc négatif dans le sens où une croissance solide n est pas en faveur de l apparition d une crise bancaire. On ajoute ensuite le taux d inflation (cpi1) qui a été décalé d une période afin de limiter la colinéarité qu une matrice de variance avait mis à jour. Les effets de l inflation sur les banques dépendent avant tout de son anticipation ou non par les banques, dans le second cas son effet est déstabilisateur alors qu il reste ambigu dans le premier cas puisque l inflation contribue aussi bien à augmenter les coûts des banques que ses profits à travers une hausse des taux d intérêt. De la même manière l effet du taux d intérêt réel de court terme (r) est difficile à prédire puisqu une hausse de ce dernier entraine une hausse des taux débiteurs des banques et donc de leurs coûts, et en même temps une hausse des taux créditeurs, qui bien qu augmentant leurs profits diminue aussi la qualité des emprunts. De plus afin de prendre en compte l influence que peut avoir le reste du monde sur le marché bancaire du pays concerné, on introduit une variable représentant le taux de dépréciation du taux de change (depr) 15 ; bien qu une dépréciation de la monnaie nationale puisse faire partie d une politique de relance de l économie, elle a à court terme un effet négatif sur l économie et donc sur la qualité des emprunteurs des banques, le signe attendu est donc positif. Le taux de croissance du crédit (credg) a lui une influence un peu plus ambigüe, car si un sentier de croissance efficace va de pair avec une croissance du crédit, une croissance trop rapide peut être le signe précurseur de la constitution d une bulle. Enfin, on inclue une mesure mise à jour du moral hazard index (mhi) en se basant sur la définition de cet indice faite par Demirguc-Kunt et Detragiache (2002) mais en utilisant la base de données plus complète fournie par Barth, Caprio et Levine (2001a, 2001b, 2004, 2008), toutefois aucun point de comparaison pour vérifier l indice calculé sur la période donnée n était disponible. Ainsi cet indice, basé sur une agrégation de valeurs représentant la générosité des assurances dépôts des pays concernés 16, cherche à quantifier l incitation à une prise de risque plus importante lorsque les pertes sont mieux couvertes ; le signe attendu est donc positif dans le sens où plus d aléa moral contribue à une déstabilisation du système bancaire. Pour finir, il est aussi intéressant d inclure une variable reflétant l envergure du secteur bancaire au 15 Dans le cas où l un des pays change de monnaie au cours de la période (comme dans le cas de l introduction de l euro), le taux de dépréciation de l année de changement de monnaie est fixé à 1. 16 Les facteurs sont : existe-t-il une assurance dépôt explicite, les dépôts en monnaie étrangère et les dépôts inter bancaires sont-ils couverts, existe-t-il une coassurance, le fond est-il permanent, est-il dirigé par le secteur privé, le secteur public ou de manière conjointe, l adhésion est-elle obligatoire et enfin quel est le niveau de couverture des dépôts? La valeur 1 est donnée lorsque le facteur augmente le risque moral (par exemple couvrir les dépôts interbancaires l augmente) selon l analyse portée sur ces facteurs dans l article de Demirguc-Kunt, Kane et Laeven (2007). - 19 -

sein de l économie, approche qui n a jamais été réellement mise en œuvre dans le cadre du thème de l influence de la concentration du marché bancaire sur la stabilité financière, or plus la place des banques est importante au sein de l économie plus un choc économique touchant les banques risque de se répercuter sur l économie dans son ensemble et provoquer une aggravation de la crise. De même, inversement, plus les banques ont un poids important plus un choc macroéconomique comme une catastrophe naturelle risque de se répercuter sur leurs bilans. Afin d introduire cette dimension, on ajoute la variable du pourcentage du crédit domestique fournit par les banques (domcred) ; cette variable bien qu imparfaite a toutefois l avantage d approcher la taille du volume des crédits fournit par les banques ; ce qui reste leur principale activité. Le signe attendu est toutefois ambigu car les crédits ne sont pas la seule source de revenu des banques et donc un faible pourcentage de crédits fournit par les banques n implique pas toujours une place limité des banques au sein de l économie. Après l introduction de variables de contrôle au niveau macroéconomique, il est nécessaire d en ajouter aussi au niveau du marché bancaire. Ce dernier varie en effet largement entre les pays au niveau de la profitabilité et de l efficacité des banques ; par exemple, si les banques anglaises sont parmi les plus efficaces au monde, celles de l Afrique le sont généralement moins ; il est donc nécessaire de contrôler ces phénomènes avec l introduction de variables agrégées au niveau des pays. Le cost to income ratio (costinc) approche l efficacité des banques et la net interest margin (intmarg) aborde la profitabilité. Les signes attendus sont donc positifs pour le premier et négatifs pour le second. Les variables de contrôle de l environnement économique étant introduites, on se tourne désormais vers celles contrôlant pour le contexte de supervision. Ces dernières sont intégralement tirées des articles de Barth, Caprio et Levine (2001a, 2001b, 2004, 2008) ; les données ne sont toutefois pas disponibles en continue mais seulement pour les années 2000, 2003 et 2007. Néanmoins comme le souligne l article de Abiad, Detragiache et Tressel (2008) la fréquence de modification du système de régulation et de supervision du système bancaire est relativement faible 17, ainsi trois jalons suffisent pour une prise en compte assez précise. Il est toutefois intéressant de noter que dans de nombreuses études empiriques ces variables du contexte de la réglementation et de la supervision sont considérée comme stables au court du 17 Le plus fort taux de réforme au sein de leur base de donnée est en 1995 et concerne 50% des pays, toutefois parmi ces 50% seulement 5% étaient des réformes importantes, les autres étant des réformes limitées. De plus à partir de 1995 le taux de réforme annuel décroît rapidement et n est plus qu à 7% de réformes limitées en 2005-20 -