Devenir du médicament dans l organisme et Bases de pharmacocinétique Dr Mireille Canal-Raffin Laboratoire de Pharmacologie Clinique et de Toxicologie
Pharmacocinétique (PK) Etude descriptive et quantitative du devenir des médicaments dans l organisme Paramètres PK spécifiques pour quantifier les différentes étapes du devenir du médicament Biodisponibilité (F) Volume de distribution (Vd) Clairance (Cl) métabolique, rénale ou totale Demi-vie d élimination (t 1/2 )
Les 4 phases du cheminement d un médicament dans l organisme Absorption (A) Distribution (D) Métabolisme (M) Elimination (E) Dose administrée ABSORPTION Concentration dans la circulation générale DISTRIBUTION Concentration au site d action Effet pharmacologique METABOLISME ELIMINATION Effet toxique Effet clinique
ABSORPTION = Ensemble des phénomènes régissant le transfert du principe actif médicamenteux depuis sa libération par la forme pharmaceutique jusqu à son arrivée dans la circulation sanguine systémique Notion de barrière : Paroi cellulaire séparant deux compartiments pouvant être de compositions différentes - plasma/urine - lumière digestive/plasma - plasma/lait ; etc.. Lumière intestinale Sang Tissu Eau Lipide Eau Lipide Eau Eau Filtre
Voies avec résorption Sans effraction cutanée Voie trans-cutanée («patches») Voie orale Voie rectale Voie sublinguale Voie nasale («sprays») Voie respiratoire
Voie orale La plus commune et la plus pratique Beaucoup de possibilités (absorption rapide ou retardée) Soumise à l effet de premier passage hépatique Toxicité locale Non utilisable dans certaines circonstances
FRANCHISSEMENT DES BARRIERES PAR LES MEDICAMENTS - Diffusion passive diffusion simple (entre cellules) diffusion trans-cellulaire (diffusion non ionique) diffusion facilitée - Transport actif
DIFFUSION PASSIVE TRANS-CELLULAIRE - dans le sens du gradient de concentration (δ) - vitesse de passage proportionnelle à δ - passage jusqu à équilibre des concentrations (en forme libre) - n intéresse que les molécules suffisamment liposolubles (forme non ionisée, non dissociée du médicament) - pas de risque de saturation, ni de compétition Ex : la plupart des barrières cellulaires DIFFUSION PASSIVE FACILITEE (transporteur) - dans le sens du gradient de concentration - passage jusqu à équilibre de la concentration (en forme libre) - risque de saturation - risque de compétition TRANSPORT ACTIF (transporteur) - consomme de l énergie (ATP) - peut aller contre le gradient de concentration - risque de saturation - risque de compétition Ex : excrétion tubulaire
Paramètre PK : Biodisponibilité (F) Permet d évaluer l absorption : Fraction de la dose de médicament administré ou de principe actif libéré par la forme pharmaceutique qui atteint sous forme inchangée la circulation sanguine systémique. Influence de la voie d administration Voie intraveineuse = voie de référence : F = 100% 100% du PA libéré arrive dans la circulation systémique
Biodisponibilité La quantité de médicament qui atteint la circulation générale est fonction : De la dose administrée ou de la quantité absorbée par l épithélium digestif D éventuels processus d élimination pré-systémique : dégradation dans la lumière intestinale, métabolisme au niveau des entérocytes (cf métabolisme), captage hépatique important au premier passage (si forte affinité pour l hépatocyte et les enzymes hépatiques) Effet de premier passage hépatique => quantité médicament qui arrive dans la circulation générale. Concerne : la voie orale et, en partie, la voie rectale.
Biodisponibilité ABSOLUE : comparaison d une forme extravasculaire à la voie IV = 100% Biodisponibilité relative : comparaison de la biodisponibilité d un même principe actif sous deux formes différentes ou du même principe actif commercialisé par un autre laboratoire (ex.: génériques) Facteur vitesse - Mesure de la constante de vitesse d absorption Ka - Mesure du temps maximal (Tmax) pour atteindre la concentration maximale (Cmax) Concentration plasma Cmax Durée de l effet Amplitude de l effet Tmax Temps
Ex. Voie IV X Absorption Biodisponibilité 100 % Dose différente de per os Pas de premier passage hépatique
Ex. Voie orale Absorption : diffusion passive à travers muqueuse gastrique et intestinale Acides faibles (aspirine, AINS ) puis bases faibles en fonction du ph (4,8 À 8) Premier passage hépatique : transformation du médicament avant toute distribution dans l organisme Destruction des médicaments par les enzymes digestives Facteurs influençant : Vacuité de l estomac Débit sanguin intestinal Interactions nutriments-médicaments Âge, déficiences enzymatiques pathologies Concentration plasma Cmax Durée de l effet Amplitude de l effet Tmax Temps
DISTRIBUTION Quelque soit la voie par laquelle ils sont absorbés, les médicaments atteignant le compartiment y seront distribués vers les différents liquides de l organisme puis vers les tissus. Transport sanguin (phase plasmatique) Diffusion tissulaire (phase tissulaire): Franchissement de la paroi capillaire (phase extravasculaire et extra-cellulaire) Diffusion dans l organe cible
Transport sanguin Dans le sang, les médicaments peuvent Se dissoudre dans l eau plasmatique (hydrosolubles) Se lier à la membrane cellulaire ou pénétrer dans les cellules sanguines Être partiellement métabolisés par les enzymes circulantes ou intracellulaires Se lier aux protéines plasmatiques (albumine, alphaglycop ) : équilibre avec leur forme libre dans l eau plasmatique (réversible) Médicament libre+ protéine libre---> complexe médicament-protéine Forme inactive, forme de réserve, non diffusible pas diffusion, pas de métabolisme Seule la forme libre est active, diffusible, métabolisable, éliminable
Formes libre et liée Liée Saturable Non diffusible (non active) Réserve En équilibre permanent avec la concentration libre Libre Non saturable Diffusible Active Métabolisable et éliminable En équilibre permanent avec la concentration liée
Liaison des médicaments aux protéines du plasma Groupe 1 Ionisés au ph du plasma (acides faibles) Fraction liée supérieure à la fraction libre Forte affinité pour un nombre limité de sites «spécifiques» Risque de saturation et de compétition Ex : Médicament acide faible Groupe 2 Peu ionisés au ph du plasma Liaisons de faible intensité pour un nombre «illimité» de sites non spécifiques Pas de risque de saturation ou de compétition Ex : Médicament base faible
Quelques médicaments fortement liés Anticoagulants oraux (AVK, ex: warfarine) Aspirine et anti-inflammatoires non stéroidiens Sulfamides (hypoglycémiants, antibactériens, diurétiques thiazidiques) Digitaliques, Méthotréxate, hormones thyroïdiennes
Facteurs modifiant la fixation - Interactions médicamenteuses déplacement du médicament moins fixé et donc augmentation de la fraction libre active : surdosage Ex : AINS + AVK : risque hémorragique - Age, IR, IHC : hypoalbuminémie En pratique, la fixation protéique n est à considérer que si elle est élevée (> 90 %) et si le médicament a une marge (ou un index) thérapeutique étroite (concentration toxique proche de la concentration efficace).
Diffusion tissulaire - Le médicament diffuse et se fixe réversiblement aux tissus à des concentrations qui peuvent être considérablement plus élevées que les concentrations plasmatiques (en forme libre). - Action pharmacologique ou non (simple stockage) - Diffusion tissulaire dépend : Caractéristiques physico-chimiques du médicament (lipophilie) La fixation protéique (sanguine et tissulaire) Le débit sanguin tissulaire (très élevé pour le foie et le rein, faible pour l os et la peau )
Avant l injection Immédiatement après l injection A l équilibre après distribution
Paramètre PK : Volume de distribution Volume théorique fictif dans lequel le médicament devrait se répartir pour être à la même concentration que celle du plasma Vd = Quantité de médicament dans l organisme Concentration plasmatique x F V d petit V d grand Au maximum volume plasmatique = 0,04 l/kg concentration tissulaires élevée/plasma distribution non homogène
Dose 10 mg Volume réel 1 litre Sans charbon Concentration 10 mg/l Volume apparent 1 litre Avec charbon Concentration 1 mg/l Volume apparent 10 litres
Volume de distribution - Si le principe actif a une forte fixation tissulaire : La concentration plasmatique sera faible et le volume de distribution sera grand. (et réciproquement). - Etre humain standard : 40 litres d eau corporels = 3 l plasma + 12 l liquide interstitiel + 25 l liquide intra-cellulaire - Ex: antidépresseurs imipraminiques : Vd > 1000 L En cas d intoxication, dialyse rénale peu efficace
Facteurs limitant la diffusion Volume liquidiens de l organisme Age (nourrisson ), déshydratation Rapport masse maigre/tissu adipeux Obésité, age Hémodynamique Etat de choc, insuffisance cardiaque chronique Diminution de la concentration d albumine Grossesse, dénutrition, grands brûlés, cirrhose
Les 4 phases du cheminement d un médicament dans l organisme Absorption (A) Distribution (D) Métabolisme (M) Elimination (E) Dose administrée ABSORPTION Concentration dans la circulation générale DISTRIBUTION Concentration au site d action Effet pharmacologique METABOLISME ELIMINATION Effet toxique Effet clinique
METABOLISME Après l absorption et la distribution dans l organisme, les médicaments peuvent être Médicament hydrophobe éliminés totalement ou partiellement sous forme inchangée, (ex : aminosides) ou subir des transformations enzymatiques Métabolisme hépatique Métabolites hydrophyles
METABOLISME Définition : il s agit d une biotransformation (modification de la structure chimique) de la molécule par des réactions enzymatiques. Lieu de la Métabolisation : dans de nombreux sites mais surtout au niveau du foie +++ (poumon, rein, intestin..) Objectif : rendre les molécules plus hydrosolubles donc plus facilement éliminables par voie urinaire
2 types de réactions enzymatiques : Réaction enzymatique de Phase I : Oxydation, hydrolyse, hydroxylation.. Enzymes : les Cytochromes P450 (3A4, 2D6 ) Réaction enzymatique de Phase II : Réaction avec résidus endogènes polaires (acétylation, glucuronoconjugaison ) Produit conjugué (acétyl, glucuronyl ) plus hydrosoluble que la molécule mère Conséquences : formation de Métabolites inactifs éliminés Métabolites actifs (diazépam donne oxazépam) - Molécule mère inactive et métabolite actif : prodrogue Métabolites toxiques
Cytochromes P450 - Famille d enzymes pouvant agir sur différents substrats ou agissant sur les mêmes mais avec des affinités et des vitesses différentes - Localisées majoritairement au niveau hépatique, mais aussi au niveau intestinal - Nombreux isoformes isolés dans les microsomes hépatiques : CYP1A2, CYP2A6, CYP2C9, CYP2D6, CYP2E1, CYP3A4 Ils réalisent 90 % des réactions d oxydo-réduction hépatique dont 60% par le CYP 3A4
Facteurs de variation Polymorphisme génétique Différence de métabolisme entre les individus Polymorphisme d acétylation : isoniazide acétyleurs lents : 45 % européens, 90 % asiatiques Polymorphisme d oxydation : 3A4, 2D6 Facteurs pathologiques atteinte hépatique (hépatites, cirrhose), âge Interactions (CYP450 +++) Induction enzymatique Inhibition enzymatique
Induction enzymatique Définition : Augmentation, par une autre substance, de la vitesse de biotransformation d un médicament. - Exemples les plus fréquents au niveau d un processus d oxydation lié au système des cytochromes 450 - Barbituriques : phénobarbital - Rifamycine RIFADINE - Anti-épileptiques : phénytoïne DIHYDAN, carbamazépine TEGRETOL -alcool chronique - Induction lente : 15 jours - agent inducteur lui même substrat de l enzyme induite (induction de son propre métabolisme = tolérance à ce médicament)
Inhibition enzymatique Définition : Diminution, par une autre substance, de la vitesse de biotransformation d un médicament. - Exemples les plus fréquents : processus d oxydation lié au système des cytochromes 450 - Macrolides (antibiotiques) : érythromycine - Imidazolés (antifongiques) : métronidazole FLAGYL,miconazole DAKTARIN - Anti-sécrétions, anti H 2 : cimétidine TAGAMET - antiprotéases (ARV) : ritonavir - Jus de pamplemousse - L inhibition des CYP 450 est rapide : 24-48h
INDUCTION ET INHIBITION ENZYMATIQUES induction inhibition med métabolite inactif activité activité med métabolite actif?? précurseur métabolite actif activité activité med métabolite toxique toxicité toxicité
Ex. d induction enzymatique Ex.: Warfarine (antivitamine K, anticoagulant oral) augmentation de son métabolisme par induction du CYTP2C9 par la carbamazépine (anticonvulsivant), la rifampicine (antituberculeux) Il faut augmenter les doses pour garder une efficacité anticoagulante Si augmentation des doses, risque hémorragique à l arrêt de l inducteur si oubli de rebaisser les doses de l AVK.
Ex. d inhibition enzymatique macrolides (Antibiotiques) + alcaloides de l ergot de seigle (Dihydroergotamine, méthylergométrine, méthysergide) ==> Risque d ergotisme, de nécrose des extrémités antifongiques azolés (itraconazole, miconazole, fluconazole, ketoconazole) + cisapride ==> Risque de troubles du rythme (torsade de pointe)
ELIMINATION Définition : Excrétion du principe actif et/ou de son (ses) métabolites à l extérieur de l organisme Voies d élimination : Rénale : principale voie d élimination Biliaire :!!! «cycle entéro-hépatique» Réabsorption dans l intestin du médicament excrété par la bile Autres voies : respiratoire, mammaire, salive, sperme, cheveux
Elimination Concerne Le médicament sous forme inchangée (active) Un métabolite inactif Un métabolite actif Un métabolite toxique Un métabolite conjugué Le médicament conjugué
Elimination rénale 3 sortes Filtration glomérulaire Réabsorption tubulaire Sécrétion tubulaire
Filtration glomérulaire Passive (entre espaces intercellulaires) Non spécifique: seules les très grosses molécules (protéines) ne passent pas Dans le sens du gradient de concentration (sous forme libre) Pas de phénomène de saturation ni de compétition Médicament hydrosoluble
Re-absorption tubulaire La réabsorption (passive) : concerne les molécules non-ionisée au ph de l urine (variable: 5 à 8) Réabsorption dans le sens du gradient de concentration
Sécrétion tubulaire Active (consomme de l énergie) Utilise un transporteur: possibilité de saturation et de compétition Peut aller contre le gradient de concentration La clairance tubulaire s ajoute à la clairance de filtration (cas de M à forte élimination rénale)
Elimination biliaire (intestinale) Molécules non éliminables par le rein (grosses molécules, molécules non hydrosolubles, etc.) Elimination intestinale avec possibilité de cycle entéro-hépatique
Cycle entéro hépatique Exemple de la digitoxine Médicament indiqué dans les troubles du rythme Très liposoluble (biodisponibilité > 90%) Métabolisme hépatique (>80%) : métabolites actifs Excrétion par la bile +++ dans la lumière intestinale et réabsorbption par l intestin Demi-vie = 168 heures, effet très prolongé L élimination est peu diminuée en cas d insuffisance rénale
Paramètres PK : clairance et demi-vie Clairance (= débit) ml/min Définition : volume de plasma épuré d une substance par unité de temps (ml/min) Clairance totale = somme des clairances = dose/auc Clairance rénale = 1, 2 ou les 3 mécanismes impliqués Clairance hépatique = clairance biliaire + clairance métabolique
Demi-vie Définition : T 1/2 temps nécessaire pour que la concentration plasmatique diminue de moitié La demi-vie dépend de la clairance et du volume de distribution T 1/2 = 0,693xVd/Cl Après 5 demi-vie, le produit est considéré comme totalement éliminé
La pharmacocinétique à quoi ça sert en pratique? Déterminer la posologie et rythme d administration Eviter les interactions potentielles avec les médicaments éventuellement associés Adapter la posologie selon certaines pathologies, l âge Choisir le médicament en fonction Des traitements associés De la rapidité d action souhaitée (demie-vie..) Du rythme d administration souhaité (observance) Du patient (âge, pathologies )