LE LICENCIEMENT DES FEMMES ENCEINTES Par Olivier Gady Par principe, il est interdit de licencier une salariée en état de grossesse. Les dispositions du Code du Travail sont claires, sans équivoque et visent à protéger les salariées enceintes contre les velléités d un employeur qui souhaiterait se séparer d elles puisque son absence future sur le lieu de travail est certaine. Aussi, des conditions tenant aux motifs du licenciement et exorbitantes du droit commun sont définies par la Loi. Des conditions tenant à la forme sont également posées en ce qui concerne la motivation même de la lettre de licenciement. Enfin, les sanctions qui s attachent aux licenciements infondés des femmes enceintes finissent de définir le cadre protecteur de la matière. L article L. 1225-4 du Code du travail dispose que : «Aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d une salariée lorsqu elle est en état de grossesse médicalement constatée et pendant l intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé maternité, qu elle use ou non de ce droit, ainsi que pendant les quatre semaines suivant l expiration de ces périodes. Toutefois, l employeur peut rompre le contrat s il justifie d une faute grave de l intéressée, non liée à l état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l accouchement. Dans ce cas, la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail mentionnées au premier alinéa.» En réalité, deux situations doivent être distinguées. Soit la salariée enceinte n a pas commencé ou a terminé son congé maternité, alors seule une faute grave ou une impossibilité de maintenir le contrat peut fonder son licenciement. Soit le congé maternité est en cours. Une rupture peut alors intervenir pour les mêmes motifs mais ne pourra prendre effet qu après la fin de ce congé maternité. Le bénéfice de la protection des salariées enceinte ne peut toutefois intervenir que si l employeur est informé de la grossesse. A cet égard, l article R. 1225-1 du Code du travail précise que : «Pour bénéficier de la protection de la grossesse et de la maternité, prévue aux articles L.1225-1 et suivants, la salariée remet contre récépissé ou envoie par lettre recommandée avec avis de réception à son employeur un certificat médical attestant son état de grossesse et la date présumée de son accouchement ou la date effective de celui-ci [ ]».
A ce stade, une première question intervient, celle des modalités d information de l employeur. Faut-il nécessairement que l information soit donnée par lettre recommandée? Il est évident qu il s agit du moyen le plus sûr pour prouver la bonne information de l employeur et la date certaine à laquelle il a connaissance de l état de grossesse. Seulement les rapports dans les entreprises ne sont pas toujours à la suspicion ni à l envoi de lettres recommandées. Aussi, la Cour de cassation a pu juger qu il ne s agissait pas d une obligation dite substantielle. En cas de contestation, la jurisprudence autorise les salariées à apporter toute preuve de nature à établir la date certaine à laquelle l information a été donnée à l employeur. Mais le débat n est pas aisé et la preuve parfois difficile à établir. Nul ne peut ignorer les difficultés que rencontre un salarié pour obtenir des témoignages de la part de leurs collègues toujours en poste. Afin d accroitre encore la protection des salariées enceintes qui n auraient pas informé l employeur de leur état de grossesse, l article L1225-5 du Code du Travail les autorise à produire le certificat de grossesse après le licenciement. Dans les 15 jours suivant la notification du licenciement, les salariées peuvent transmettre le certificat de grossesse. Le licenciement est dès lors annulé de plein droit sauf si l employeur invoque une faute grave ou une impossibilité de maintenir le contrat et décide de maintenir le licenciement prononcé malgré la grossesse. Si la définition de la faute grave et des circonstances visées par ce type de licenciement sont désormais bien connues, il en va autrement de «l impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à la grossesse». Le Code du Travail prévoit ce motif mais n y apporte aucune définition. La jurisprudence a donc dû en définir les contours. L hypothèse vise principalement le motif économique du licenciement. S agissant des motifs de licenciement admis par l article L. 1225-4 du Code du travail, la Chambre sociale de la Cour de cassation juge de façon constante que l existence d un motif économique de licenciement ne constitue pas à elle seule l impossibilité de maintenir le contrat de travail de la salariée en état de grossesse médicalement constaté.
Il appartient en effet aux Juges du Fond de relever les circonstances particulières, autres que la situation économique de l entreprise, permettant d établir l impossibilité dans laquelle s est trouvé l employeur de maintenir le contrat de travail de la salariée enceinte. Cass. Soc. 6 octobre 2010, n 08-70.109 Cass. Soc. 6 janvier 2010, n 08-44.626 Cass. Soc. 21 mai 2008, n 07-41.179 Sur la forme, la jurisprudence se montre particulièrement rigoureuse concernant la motivation de la lettre de licenciement de la salariée en état de grossesse. En effet, le licenciement d une salariée enceinte est nul dès lors que l employeur qui entend se prévaloir de l impossibilité de maintenir le contrat de travail de l intéressée pour un motif étranger à la grossesse n en fait pas état dans la lettre de licenciement et ne précise pas le ou les motifs sur lesquels se fonde cette impossibilité : «ayant constaté que la lettre de licenciement ne mentionnait pas l un des motifs exigés par l article L. 1225-4 du Code du travail, la cour d appel [ ] en a exactement déduit que le licenciement était nul.» Cass. Soc. 24 octobre 2000, n 98-41.937 Cass. Soc. 21 mai 2008, n 07-41.179 L employeur doit non seulement préciser dans la lettre de licenciement les raisons économiques justifiant la mesure de licenciement, mais doit également indiquer les éléments caractérisant l impossibilité de maintenir le contrat de travail de la salariée. A défaut, le licenciement sera entaché de nullité, peu important que la lettre de licenciement ait visé l existence de difficultés économiques et que ces difficultés soient réelles. Cass. Soc. 21 janvier 2009, n 07-41.841 D où l on voit que les dispositions légales encadrent très strictement le licenciement des salariées enceinte. Reprenant l esprit du Législateur, et sa volonté de protéger les femmes enceintes, la jurisprudence s est construite depuis des décennies dans cette optique. Le licenciement d une femme enceinte, en ce qu il doit rester par nature très exceptionnel, est soumis à des conditions de fond mais également des conditions de forme très strictes. Cette protection est encore renforcée sur le terrain des sanctions des licenciements contraires à cette interdiction. La nullité du licenciement est ici encourue. La salariée disposera alors d un libre choix s il est reconnu que son licenciement fut infondé. Elle pourra solliciter la réintégration à son poste de travail avec paiement de ses salaires depuis son licenciement jusqu à la date effective de son retour dans l entreprise.
Les délais des procédures Prud homales viennent ici freiner ces volontés. Comment en effet être réintégrée sur un poste que l on a quitté depuis plus de 2 ou 3 ans, au terme d une procédure judiciaire particulièrement longue et éprouvante? Plus encore, il est parfois difficile de retourner travailler sous la subordination d un employeur qui a déjà pris l initiative de licencier la salariée. Le lien de confiance mutuel, nécessaire et inhérent au contrat de travail s en trouvera-t-il rétabli? Le Législateur, en prévoyant à titre de sanction la réintégration a souhaité ainsi pousser jusqu à son terme le raisonnement juridique selon lequel un acte nul, en ce qu il porte atteinte gravement à l ordre public, doit disparaître de l ordonnancement juridique. Si la réintégration est opérée avec paiement des salaires, c est gommer les effets, voir l existence même du licenciement. C est faire disparaître l acte nul. Mais rien ne peut obliger un salarié à travailler pour un employeur contre sa volonté. Aussi peut-il préférer l indemnisation du préjudice résultant du licenciement nul. A cet égard, l article L. 1225-71 du Code du travail dispose que l inobservation par l employeur des dispositions précitées donne lieu à l attribution de dommages-intérêts au profit de l intéressée qui s ajoute à l indemnité de licenciement. Sur ce point, la Chambre sociale de la Cour de cassation a précisé que l indemnité réparant le préjudice résultat du caractère illicite du licenciement, dont le montant est souverainement apprécié par les Juges du Fond, doit au moins être égale à l indemnité prévue par l article L. 1235-3 du Code du travail, qui s élève à 6 mois de salaire. Cass. Soc. 9 octobre 2001, n 99-44.353 Cass. Soc. 19 mars 2008, n 07-40.599 Plus encore que l indemnisation du préjudice, l article L. 1225-71 alinéa 2 du Code du travail dispose que lorsque le licenciement de la salariée enceinte est nul, l employeur est tenu de lui verser le montant des salaires qu elle aurait perçus pendant la période couverte par la nullité. A cet égard, la Chambre sociale de la Cour de cassation a précisé qu «il résulte de l article [L. 1225-71 alinéa 2] du Code du travail que la période légale de protection doit s'entendre des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles la salariée a droit en application de l'article [L. 1225-17] de ce Code (congé maternité), ainsi que pendant les quatre semaines qui suivent l'expiration de ces périodes.» Cass. Soc. 19 novembre 1996, n 93-40.509 La protection dont bénéficie la salariée enceinte s étend donc 10 semaines après l accouchement et perdure 4 semaines après son retour à son poste, soit un total de 14 semaines après l accouchement.
La Chambre sociale de la Cour de cassation a eu de nombreuses occasions de réaffirmer que l article L. 1225-71 du Code du travail constitue une «disposition impérative, qui ne souffre aucune exception». Cass. Soc. 26 janvier 2005, n 02-44.236 Ces rappels de salaire s ajoutent aux indemnités de rupture et aux dommages-intérêts réparant le préjudice résultant du caractère illicite du licenciement. Cass. Soc. 9 octobre 2001, n 99-44.353 Cass. Soc. 19 mars 2008, n 07-40.599 Une telle protection exceptionnelle est dite «exorbitante du droit commun». En d autres termes, la protection conférée à tout salarié contre un licenciement infondé trouve en la matière un renfort de poids. En ces temps où les fondamentaux du droit du travail sont remis en cause au nom d une flexi-sécurité censée assouplir le marché de l emploi sans pour autant rencontrer le moindre effet, nul ne songe, encore, à affaiblir la protection des femmes enceintes. Espérons que les circonstances ne contraignent personne à venir s attaquer à ce pilier social.