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Transcription:

Javier Blas Le négoce de matières premières p5 Simon Arnold Le négociant en céréales p9 Le Prix Pictet Luc Delahaye p14 Harry Vafias L entrepreneur-armateur p17 Introduction au monde du vin La passion est la clé du succès p21 José Carreras Offrir sa voix pour lutter contre la leucémie p26 Marco Dunand et Daniel Jaeggi Les négociants en énergie p31 Maurits Quarles van Ufford et Jos Knijn La gestion du risque dans le domaine des marchandises p37 Alexandre Sabeti Le secteur agroalimentaire mondial p43 Chloé Koos Dunand Le point de vue de Pictet sur p47 numéro 12 hiver 2013

ÉDITO Encore peu connu dans les années 90, le négoce de matières premières n attirait alors que des placements relativement modestes. Aujourd hui, les investisseurs désireux de diversifier leur portefeuille se bousculent, alléchés par des rendements élevés et une protection contre l inflation dans un contexte économique morose depuis la crise. Entre-temps, les maisons de négoce sont devenues des conglomérats internationaux qui investissent également dans le stockage, le transport et la transformation de multip. Au vu de l assèchement des liquidités bancaires, certaines se sont également lancées dans le financement. D autres ont fait leurs débuts en bourse et doivent faire face aux préoccupations croissantes entourant la sécurité alimentaire et la pénurie de produits industriels de base. Cette édition s ouvrira sur une présentation générale du secteur par le spécialiste en énergies du Financial Times, avant de s intéresser à deux grandes sociétés internationales, l une active dans le négoce de produits agricoles depuis le XIX e siècle et l autre spécialisée dans le négoce d énergie depuis dix ans. Nous avons également rencontré un négociant en céréales dont l entreprise de niche est basée à Genève, qui accueille 400 sociétés de négoce et domine les transactions mondiales de pétrole et de sucre. Mais le négoce de matières premières repose aussi sur plusieurs rouages essentiels. Le transport en est un et vous découvrirez le parcours brillant d un jeune entrepreneur grec spécialisé dans les méthaniers. Les assurances en sont un autre: deux experts vous expliqueront comment ils aident les négociants à gérer les risques liés à leurs activités internationales. Cette édition se fermera enfin sur deux sujets bien différents mais tout aussi passionnants. Le responsable vins de Christie s à Genève vous donnera ainsi quelques conseils sur les placements dans le vin, sans oublier de rappeler la dimension plaisir d un tel investissement. Et le grand ténor José Carreras évoquera la fondation de lutte contre la leucémie qu il a créée après sa guérison spectaculaire un bel exemple de philanthropie pratique. Nous espérons que cette immersion dans le monde secret et complexe du négoce des matières premières sera pour vous une découverte intéressante. Philippe Bertherat Associé, Pictet & Cie Janvier 2013 Illustration en couverture Terminal charbonnier d'oba, port d'amsterdam Equipe éditoriale de Pictet & Cie Ninja Struye de Swielande et Olivier Capt Conception et conseil éditorial Winkreative Rapporteur John Willman Photographie Richie Hopson, Ralf Barthelmes, Luc Delahaye, Petros Efstathiadis, Mariano Herrera, Beat Schweizer et Robert Huber Hiver 2013 ISSN 1664-0098 Pour en savoir plus sur les modalités d'abonnement, veuillez vous adresser à: privatebanking@pictet.com

Table des matières Introduction Les entrepreneurs Javier Blas Le négoce de matières premières p5 Simon Arnold Le négociant en céréales p9 Harry Vafias L entrepreneur-armateur p17 Marco Dunand et Daniel Jaeggi Les négociants en énergie p31 Alexandre Sabeti Le secteur agroalimentaire mondial p43 Agir Luc Delahaye Le Prix Pictet p14 José Carreras Le philanthrope p26 En savoir plus Michael Ganne Le vin p21 Maurits Quarles van Ufford et Jos Knijn Les assurances en matières premières p37 Chloé Koos Dunand Le point de vue de Pictet p47 3

le négoce de matières premières

Les investisseurs s intéressent aux matières premières afin de diversifier leurs portefeuilles et de les couvrir contre l inflation. Classe d actifs à part entière, elles représentent désormais plus de USD 400 mias d actifs sous gestion, contre tout juste 10 en 2000. Cet afflux de capitaux est intervenu à un moment où l évolution des sociétés de négoce de matières premières exigeait des investissements beaucoup plus lourds. Le négoce de matières premières Une demande croissante de matières premières JAVIER BLAS ResponsAble RUBRIQUE MATIÈRES PREMIÈRES FINANCIAL TIMES Les petits négociants rapprochant jadis acheteurs et vendeurs de carburants, de matières premières et de denrées alimentaires se sont transformés en sociétés de négoce puissantes et diversifiées, intervenant à tous les niveaux de la chaîne d approvisionnement et levant des fonds extérieurs La tendance est à la consolidation. Il y a 20 ans, 15 à 20 négociants traitaient chacun une matière première. Aujourd hui, il y a une quinzaine de grandes maisons à l échelle mondiale, traitant pétrole brut, essence, gaz, maïs, zinc, charbon, minerai de fer... Les plus grandes vont des métaux au pétrole en passant par le blé ou le sucre. Deuxième tendance lourde, l intervention tout au long de la chaîne. Dans les années 70, les négociants étaient des intermédiaires. On achetait p. ex. du cuivre à un producteur chilien qui n avait pas de réseau à l étranger pour vendre à une fonderie japonaise ne sachant où acheter au meilleur prix. Mais dans les années 80, les traders ont commencé à tirer parti de leur connaissance des marchés pour faire de l arbitrage, acheter dans un pays pour vendre dans un autre aux prix plus élevés, ou acheter en période de faible demande pour vendre quand elle avait augmenté, avec des profits supérieurs. Mais la généralisation de cette pratique l a rendue moins lucrative. Phase ultime, l intégration verticale. En intervenant dans l agriculture, les gisements pétroliers, les mines, les ports, le transport maritime, le raffinage et la fonderie, les sociétés de négoce peuvent accroître leurs profits. D où l offre d achat du groupe minier Xstrata par Glencore ou l achat du réseau africain de stations-service Shell par Vitol, société de négoce énergétique p. ex. Quand les négociants n étaient que des intermédiaires, leurs besoins en capitaux étaient réduits: ils empruntaient aux banques pour financer leurs transactions. Un transport de pétrole d Arabie saoudite vers la Corée du Sud le négoce de matières premières 5

Ces besoins de financement se sont encore accrus du fait de la hausse des prix des matières premières de 40 jours était financé par des lettres de crédit garanties par la marchandise. Mais un groupe investissant dans des gisements pétroliers, des mines ou des raffineries devra immobiliser des millions de dollars sur de longues périodes, jusqu à 20 ou 30 ans. Les sociétés de négoce commencent donc à faire appel aux marchés financiers. Glencore, p. ex., a été introduite en bourse en 2011. Trafigura a recouru à l emprunt, tout comme Louis Dreyfus Commodities, qui a émis ses 1 res obligations en 160 ans. Et d autres ont cédé des filiales et fait entrer des partenaires stratégiques. Vitol a créé VTTI pour acquérir ses terminaux, ports et activités de stockage et en a cédé 50% au Malaisien MISC. Trafigura prévoit d introduire en bourse sa filiale Puma, qui exploite des terminaux, des installations de stockage et des stations-service. Et le négociant en pétrole Mercuria a cédé 50% de ses terminaux et de sa filiale de stockage au Chinois Sinopec. Ces besoins de financement se sont encore accrus du fait de la hausse des prix des matières premières. Il y a dix ans, avec un baril à 25 dollars, le transport d un million de barils exigeait un investissement de 25 mios, financé par des lettres de crédit. En 2008, quand il frôlait les 150 dollars, cette cargaison aurait exigé près de 150 mios alors que le système financier s effondrait. Un négociant qui se finançait jadis avec une ligne de crédit de USD 2 mias peut avoir besoin aujourd hui de 20 mias. Or tous les grands bailleurs de fonds dans ce domaine BNP, Crédit Agricole, ING et Société Générale réduisent leur bilan. Des chiffres récents de la Banque du Canada montrent ainsi que la part du financement des sociétés de négoce par les banques européennes est tombée en deux ans de 80 à 50%. 6 le négoce de matières premières

Les traders recherchent donc d autres sources de financement. De nouvelles banques arrivant sur le marché utilisent des produits dérivés pour couvrir la valeur des marchandises constituant la garantie, notamment Citi et JP Morgan, ainsi que des banques du Japon, du Moyen-Orient, de Singapour et de Chine. Les sociétés de négoce deviennent par ailleurs très créatives. Ainsi, elles titrisent des instruments tels que les lettres de crédit pour les vendre à des investisseurs comme les fonds de pension en France et en Allemagne. Elles font également appel à des sociétés de capital investissement (private equity) et à des fonds souverains, courtcircuitant les banques et s adressant directement aux investisseurs. La levée de fonds auprès d investisseurs exige toutefois une évolution culturelle. Traditionnellement très opaques, ces sociétés tiraient leur rentabilité de l identification d opportunités sur les marchés des matières premières. Mais dans un monde désormais plus transparent, l information se propage rapidement à travers les médias numériques. Les possibilités d arbitrage lucratif ne durent que quelques jours et non plus des mois. Et les investisseurs extérieurs exigent inévitablement plus d informations sur l activité et les perspectives de l entreprise. Le recours à des investisseurs extérieurs a sensibilisé les traders à l importance de leur image. Le scandale «pétrole contre nourriture» en Irak et les exportations de déchets pétroliers de Trafigura vers la Côte d Ivoire ont gravement nui à leur réputation et, à présent, le secret n est plus une option. De nombreux négociants intègrent désormais la responsabilité sociale à leurs activités et s attaquent aux questions de développement durable au sein de la chaîne d approvisionnement. Parallèlement, les marchés mondiaux des matières premières connaissent une évolution rapide. Historiquement, le négoce était concentré sur la Belgique et les Pays- Bas, dans des ports comme Anvers ou Rotterdam, avant de migrer vers Londres et New York, puis Chicago, proche des grandes entreprises agroalimentaires américaines. Après la Seconde guerre mondiale, les sociétés de négoce nord-américaines telles que Cargill et Alcoa décidèrent de démarrer des activités en Europe et découvrirent que la Suisse était l endroit idéal. Pays neutre, au régime fiscal attrayant, c était un centre financier et juridique important deux aspects essentiels pour le négoce des matières premières. La Suisse bénéficiait également d excellentes télécommunications, à la différence de nombreux autres pays européens à l époque. Vinrent ensuite les négociants égyptiens de coton après la prise du pouvoir du président Nasser, puis les traders russes après l effondrement du communisme. Enfin, ce fut le tour d entreprises européennes, attirées par les offres de services et la concentration de talents. En intervenant dans l agriculture, les gisements pétroliers, les mines, les ports, le transport maritime, le raffinage et la fonderie, les sociétés de négoce peuvent accroître leurs profits le négoce de matières premières 7

Aujourd hui, Genève avec Zoug et Lugano est le principal centre européen du négoce de pétrole, de métaux et de produits agricoles. D autres centres se sont créés ailleurs, comme Houston au Texas après la dérégulation du marché américain de l électricité et du gaz dans les années 80. En Asie, Singapour devient un centre international en raison de son rôle d entrepôt pour l industrie pétrolière mondiale. Une bonne partie de la croissance et du développement du négoce depuis 2000 s explique par les fortes hausses de prix liées à l industrialisation de la Chine et d autres pays en croissance rapide. La demande a été forte pour toutes, après une période d investissements insuffisants du côté de l offre. Résultat: le prix du baril de pétrole a frôlé les 150 dollars, rentabilisant l investissement dans l exploration. Mais ce «supercycle» ralentit avec l arrivée de nouvelles offres. Dans ce «supercycle moins super», la demande restera ferme et les prix élevés. Le cours du pétrole ne retombera pas à 20 dollars le baril. Mais les prix ne monteront pas éternellement non plus: le baril n atteindra pas les 200 dollars et devrait se stabiliser entre 90 et 130 dollars. Cette stabilisation pénalisera les producteurs de matières premières, dont les coûts augmentent et les marges se resserrent. Au vu des salaires des pays plus riches, leurs employés exigent d ailleurs déjà de meilleures conditions, p. ex. en Afrique du Sud. Les gouvernements voudront aussi leur part. C est pourquoi les actions des sociétés minières et pétrolières sont malmenées. Le secteur des matières premières, par ailleurs, pourra-t-il suivre le rythme de croissance de la population mondiale? La demande fera monter les prix, ce qui se traduira par l exploitation de nouvelles sources comme le gaz de schiste et les gisements situés dans les profondeurs ou en altitude. Même si l offre de nombreuses matières premières a atteint son apogée dans le monde Javier Blas est depuis 2010 responsable de la rubrique Matières premières au «Financial Times», qu il a rejoint en 2007 en qualité de correspondant Matières premières. Il dirige une équipe de reporters basés à Londres, Pékin et New York, qui couvrent les marchés du pétrole, des métaux et des produits agricoles, ainsi que les sociétés de négoce et la géopolitique des ressources naturelles. Auparavant, il était responsable de l économie internationale à «Expansión», le principal quotidien économique espagnol. Javier Blas a remporté le prix AH Boerma décerné par l Organisation des Nations Unies pour l alimentation et l agriculture (FAO) pour sa couverture de la crise alimentaire de 2007 2008. développé, les perspectives de hausse de la production sont énormes sur les marchés émergents d Afrique et d Asie centrale. Les difficultés politiques et d infrastructures y seront fréquentes (pénurie d électricité p. ex.), mais les retombées de ces nouvelles sources de matières premières seront considérables et contribueront à surmonter ces obstacles. La population mondiale est passée de 2,5 mias en 1950 à 7 mias aujourd hui et les ressources suffisent à nourrir, vêtir et chauffer tout le monde. Mais chaque jour, de nombreuses personnes ont faim en raison d une répartition inégale. Dans la perspective de 9 mias d humains d ici à 2050, j ai bon espoir que l offre de matières premières nécessaire à leur survie parvienne à suivre le rythme de croissance de la population mondiale. 8 le négoce de matières premières

Le négociant en céréales Simon Arnold Le fondateur d une société de négoce de céréales achète du blé et de l orge en Europe et le vend au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Il met à profit sa connaissance du secteur pour garantir la sécurité aux agriculteurs et la qualité aux consommateurs le négociant en céréales 9

Pour Simon Arnold, le négoce de céréales est le «maillon ingrat» de la chaîne qui relie les agriculteurs à ceux qui consomment les produits de ces récoltes ou en font un autre usage. Fondée en 2002 à Genève, Seagrain achète des céréales dans des régions en surplus de production et les achemine vers ses clients partout dans le monde. L entreprise, qui compte quatre employés à Genève, expédie du blé de mouture de qualité supérieure et de l orge de brasserie, mais aussi du blé et de l orge fourragers. Bien que Seagrain ait diversifié ses sources d approvisionnement, la plupart des céréales viennent de l ouest et de l est de l Europe. Grâce à un silo d exportation récemment construit dans un port letton, l entreprise peut désormais se procurer les céréales dans les pays baltes et les greniers à blé russes, ukrainiens et kazakhs. Les clients de Seagrain sont des importateurs céréaliers et des consommateurs tels que les minotiers ou les producteurs de fourrage au Moyen- Orient et en Afrique du Nord. «Les marchés que nous approvisionnons s étendent du Maroc à l Iran, en passant par le Golfe et de l Afrique du Nord, jusqu à l Afrique du Sud», affirme Simon Arnold. «J utilise mes connaissances en minoterie pour fournir les types de blé requis, que ce soit pour des miches de pain en Afrique du Nord ou des galettes plates au Moyen-Orient.» 10 le négociant en céréales

Il attribue son succès à deux ingrédients: premièrement, le réseau de fournisseurs et clients qu il s est construit en 30 ans de carrière dans le négoce de céréales. «En ce qui concerne le côté physique de l activité, les gens ne changent pas beaucoup et on finit par connaître les agriculteurs, les coopératives, les importateurs et les minotiers. Je me rends à la conférence annuelle de l Association internationale des exploitants meuniers pour évoquer la situation du marché des prix devant 800 participants.» «Le second ingrédient est notre connaissance approfondie du marché des céréales. Pour chaque pays producteur, nous déterminons le niveau de ses stocks, la production attendue ainsi que son volume de consommation et d exportation. Pour chaque pays de destination, nous évaluons ses besoins sur la base des tendances de consommation. Nous contrôlons ces données chaque jour car elles peuvent changer. Cette base de connaissances nous aide à appréhender l offre et la demande à tout moment. Nous partageons ces informations avec les fournisseurs et les clients afin qu ils comprennent l évolution des prix. S ils doivent compter sur les marchés à terme pour s informer des prix, ils s exposent à une volatilité qui peut les induire en erreur sur la réalité du marché.» «Les négociants en céréales physiques sont les amis des agriculteurs, ajoute Simon Arnold. La plupart préfèrent connaître le prix qui leur est offert, ce qui les aide à financer leurs récoltes, même si les prix à terme montent ou baissent ensuite. Notre connaissance du marché nous a forgé une bonne réputation, ce qui est essentiel pour une petite entreprise.» Simon Arnold est convaincu que les producteurs peuvent satisfaire une demande céréalière «Pour une petite société de négoce comme la nôtre, la réputation joue un rôle essentiel» croissante dans un monde préoccupé par la sécurité alimentaire. «L Europe occidentale produit 136 millions de tonnes de blé par an avec 6 tonnes par hectare. Mais le rendement moyen est de 3 tonnes par hectare en Russie et de 1,2 tonne au Kazakhstan: ces pays pourraient doubler leur production de 100 millions de tonnes de blé par an s ils augmentaient leurs rendements pour atteindre le niveau européen, sans devoir mettre d autres terres en production.» La baisse de la dépendance vis-àvis des stocks de céréales, qui peuvent être conservés jusqu à dix ans, affecte le marché mondial. Auparavant, les gouvernements achetaient de grandes quantités pour soutenir les agriculteurs et garantir l approvisionnement des consommateurs. L UE a ainsi constitué des stocks d intervention en achetant des céréales au prix de soutien. Mais ce prix en Europe est maintenant inférieur de plus de 100 euros la tonne au prix du marché et les gros stocks de céréales ont disparu. «Maintenant que ces stocks sont épuisés, nous sommes sur le fil du rasoir. Aujourd hui, le monde s approvisionne en céréales dans l hémisphère nord durant six mois et dans l hémisphère sud les six autres mois, ce qui peut poser des problèmes si le mauvais temps affecte la production dans un hémisphère et fait grimper les prix. Les négociants doivent donc posséder un réseau qui leur permette de s approvisionner quand ils sont un peu justes.» Simon Arnold a commencé sa carrière auprès d une minoterie française. Il a suivi une formation de deux ans promue par la GAFTA (Grain and Feed Trade Association) pour acquérir les compétences nécessaires au négoce. le négociant en céréales 11

La baisse de la dépendance vis-à-vis des stocks de céréales, qui peuvent être conservés jusqu à dix ans, affecte le marché mondial Il s est également forgé une expérience solide, à la fois du côté des fournisseurs en travaillant dans des silos et en prenant des livraisons de céréales, et du côté des consommateurs dans une minoterie et un élevage de poulets. La première grande entreprise de négoce qui l a embauché était Tradergrain, qui expédiait des céréales d Afrique du Sud en Europe. A sa fermeture en 2001, Simon Arnold a décidé de créer Seagrain à Genève, avec quelques collègues. «Nous voulions être actifs entre l Europe et les USA, mais il y avait des barrières de négoce et des subventions dans la plupart des pays. La Suisse représentait une base attrayante car elle était en dehors des grands blocs politiques et appliquait un régime fiscal attractif. Les banques ont apporté leur soutien financier, ce qui explique pourquoi le négoce des matières premières se pratique autant depuis Genève.» A l heure actuelle, les autres grands centres de négoce sont situés aux Etats-Unis avec Chicago et Kansas City et en France avec le MATIF à Rouen. Simon Arnold pense que Singapour va devenir un centre important en raison de sa proximité avec les marchés indien, chinois et indonésien. Mais il se demande si Genève pourra conserver sa place alors que le franc suisse fort fait grimper les coûts en Suisse pour les grandes entreprises de négoce, qui ont souvent des centaines d employés. «Le secteur des céréales a aujourd hui moins de petits négociants comme Seagrain, ajoutet-il, car les conditions sont difficiles pour les nouveaux arrivants. Nous avons eu beaucoup de chance de pouvoir surmonter tous les obstacles. Outre des ressources financières considérables, il faut être accepté par la communauté céréalière et jouir d une bonne réputation. Il est donc important d être au cœur de cet univers et d avoir la confiance des banques. Notre connaissance du secteur nous a pour notre part permis d obtenir le soutien de deux grandes banques.» Depuis quelques années, les investisseurs montrent un intérêt croissant pour les céréales, mais selon Simon Arnold, les stocks ne devraient pas s avérer attrayants pour les fonds institutionnels. Même s ils possèdent des stocks, ils doivent compter sur des prestataires pour les entreposer et les transporter au juste prix. «En l absence de transparence, les fonds d investissement s en sont tenus aux contrats à terme car ils peuvent avoir une vision claire de leurs positions avec l évaluation à la valeur du marché. Une alternative serait d acheter des actions d un négociant en céréales, mais ce n est pas la même chose que l acquisition de céréales physiques l entreprise pourrait commettre des erreurs.» Pour le secteur, le défi consiste à former suffisamment de nouveaux entrants. «Nous devons attirer plus de jeunes dans ce métier, mais beaucoup l assimilent malheureusement à du day trading, où les opérations sont bouclées dans la journée. Pour réussir dans le négoce physique de céréales, il faut se former à des aspects pratiques tels que le chargement de céréales sur des bateaux et connaître notamment la qualité, la couleur et la consistance requises pour un produit donné. Il faut dix ans pour devenir négociant, car ce métier nécessite également une solide formation financière: crédits, contrats, droit maritime, assurances, etc. Mais c est un univers passionnant et j encourage tous ceux qui s y intéressent à se lancer. Beaucoup plus qu un métier, c est un mode de vie fantastique que j apprécie énormément.» 12 le négociant en céréales

le négociant en céréales 13

Le Prix Pictet Luc Delahaye Gagnant de la 4 e édition du Prix Pictet 2012 Créé en 2008, le Prix Pictet utilise la photographie et son pouvoir évocateur dans le but de sensibiliser le public aux enjeux sociaux et environnementaux qui caractérisent notre époque. Il s est imposé comme une récompense internationale majeure dans le domaine de la photographie. Le thème choisi pour sa 4 e édition, «Power», se prêtait à une interprétation très large, embrassant contradictions et paradoxes. Quelque 650 photographes de 76 pays ont soumis leur candidature sur proposition d un réseau mondial de spécialistes. 14 le prix pictet

Remis en octobre dernier, lors d une cérémonie qui s est tenue à la Saatchi Gallery, à Londres, le 4 e Prix Pictet a été décerné au Français Luc Delahaye, récompensé pour une sélection de dix clichés faisant partie d un remarquable travail photographique réalisé au cours des dix dernières années. Connu pour ses photographies grand format en couleur illustrant des conflits armés, des événements internationaux ou des sujets de société, Luc Delahaye a commencé sa carrière comme photojournaliste. Ses clichés se distinguent par un regard frontal, précis et détaché, un style documentaire avec lequel tranchent l intensité dramatique et la structure narrative de l image. Plusieurs fois primées, ses photographies de guerre, dans lesquelles se mêlent souvent une dangereuse proximité avec les événements et une certaine distance intellectuelle, rendent compte de manière brute et immédiate de l actualité. «Mes images sont souvent empreintes d un certain lyrisme. Il reste assez léger et contrôlé, mais il leur donne des couleurs et semble apparaître dès que les images représentent des gens, en particulier s ils sont impliqués dans une action à dimension tragique. C est une qualité qui a disparu des sociétés évoluées, qui nous limitent à des actions individuelles, utilitaires et au bout du compte absurdes.» 132 e conférence au siège de l OPEC, le 15.09.2004, à Vienne le prix pictet 15

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L entrepreneur-armateur Harry Vafias Après avoir créé ex nihilo une société de transport pétrolier en 2000, le fils d un grand armateur grec est devenu le plus jeune directeur exécutif d une société cotée, avec l entrée de sa 2 e entreprise au Nasdaq en 2005 Harry Vafias est né avec le négoce dans les gênes et s est lancé tout naturellement dans le transport maritime dès la fin de ses études, en 2000. Mais il n a pas voulu travailler dans la société familiale, se lançant dans les pétroliers, activité dont son père se méfiait à cause des risques de marée noire. «La demande en GPL est toujours forte car c est la 1 re source d énergie utilisée par les pays émergents quand ils abandonnent le bois» Son père a alors mis à sa disposition 4 millions de dollars pour créer la Stealth Maritime. «Je suis arrivé au bon moment. Le marché des pétroliers était mal en point en 2000, ce qui m a permis de racheter des navires à bas prix. Et après la grave pollution provoquée par l Erika en 1999, les compagnies pétrolières étaient prêtes à payer très cher l affrètement de navires plus sûrs.» «Je comptais facturer 8000 dollars par jour et par navire, ce qui, avec des coûts d exploitation quotidiens de 5000 dollars, m aurait laissé 3000 dollars par navire et par jour. Mais j ai pu obtenir en moyenne 27 000 dollars par jour, pour un bénéfice quotidien de 22 000 dollars par navire. Nous avons donc remboursé nos dettes beaucoup plus vite que prévu et constitué une flotte de 16 pétroliers, dont 6 des plus grands navires de transport de brut des VLCC.» «En 2005, j ai pensé à tort que le marché avait atteint son apogée et l année suivante, j ai cédé 11 pétroliers pour 400 millions de dollars. Pas mal comme rendement, après avoir investi tout juste 4 millions six ans plus tôt!» Harry Vafias vite surnommé le «Harry Potter du transport maritime» pour sa réussite spectaculaire représente la 3e génération d une famille de brillants entrepreneurs. Son grand-père, parti de rien de l île Chios, a bâti l une des plus grandes affaires de négoce de viande d Amérique latine. Son père Nicholas a créé Brave Maritime en 1972, mais investi également dans l immobilier. Pour Harry, tout a commencé à 17 ans, le jour où son père l a fait embarquer sur un cargo. «Je ne connaissais personne les officiers venaient d Europe de l Est et l équipage était philippin. J y ai acquis un savoir qu on n apprend pas dans les livres, comme le fonctionnement de la salle des machines, l accostage du navire ou le déchargement de la cargaison.» Harry savait dès l enfance qu il voulait devenir armateur, mais il avait compris que l envie ne suffisait pas pour réussir. Il a ainsi obtenu en 2000 un mastère en négoce l entrepreneur-armateur 17

StealthGas a été la 1 re société cotée purement consacrée au GPL maritime et en finance, tout en travaillant pour deux courtiers maritimes afin d apprendre comment affréter, vendre et acheter des navires. Avant même de revendre ses pétroliers, il s était mis en quête de nouvelles opportunités, notamment dans le vrac, les produits chimiques et le gaz. Et il a découvert rapidement une concurrence beaucoup moins vive dans les méthaniers, où les navires en construction sont moins nombreux, avec en plus des opportunités de consolidation dans un secteur surtout composé d armateurs assez modestes. Les taux de fret sont moins volatils que ceux des pétroliers, où les importants profits d une année peuvent être effacés l année suivante. Il a donc créé StealthGas et acheté son 1 er navire GPL en 2004. «La demande en GPL est toujours forte car c est la 1 re source d énergie utilisée par les pays émergents quand ils abandonnent le bois. Les villages d Afrique et d Asie sans électricité (Chine, Thaïlande, Indonésie) utilisent pour cuisiner et se chauffer des bonbonnes de GPL car ce n est pas très cher. Et contrairement au gaz naturel, le GPL n exige pas de pipelines. Il est transporté par des géants des mers jusqu à des ports comme Singapour. Une partie des cargaisons est ensuite transférée sur mes bateaux, moins grands et très flexibles, jusqu aux petits ports d Extrême- Orient. Comme leur tirant d eau est faible, ils peuvent remonter les fleuves et toucher des ports inaccessibles aux gros navires. «Les deux tiers de mes bateaux, qui naviguent en Extrême-Orient, peuvent desservir encore plus de ports car le déchargement du GPL n exige pas de terminaux: la gazéification et la liquéfaction peuvent s effectuer à bord du navire, en fonction des besoins des clients. Nos concurrents ont opté pour les navires vraquiers, délaissant un marché de niche, pourtant moins concurrentiel et générant des rendements stables. Nos 33 navires ont pris 14% du marché du GPL, ce qui fait de nous le n O 1 du secteur. Le cours de notre action a doublé depuis novembre dernier!» Quand sa flotte est passée à 9 navires GPL, Harry Vafias a voulu emprunter à sa famille pour 18 l entrepreneur-armateur

s agrandir. Mais elle était réticente car sa priorité était les vraquiers et l immobilier. On lui a suggéré de lever des fonds en bourse. Et c est ainsi qu n 2005, à 27 ans, il a débuté une tournée des investisseurs de 28 jours à travers les Etats- Unis avant d introduire en bourse StealthGas, devenue ainsi la 1 re société cotée purement consacrée au GPL. S y est ajouté pour Harry Vafias le prestige de devenir le plus jeune CEO au monde d une société cotée, qui lui a valu une distinction du Nasdaq. «A Londres, les investisseurs font attention à l âge, mais les Américains s en moquent tant que les affaires sont bonnes. Nous avons vendu 55% des titres pour 160 millions de dollars.» Il avait promis aux investisseurs de tripler la flotte en trois ans, d en affréter la majorité à terme fixe afin d éviter la volatilité du marché au comptant et de maintenir les coûts au niveau le plus bas du secteur. Trois ans après, il avait 50 navires, 75% en affrètement à terme fixe, et une dette inférieure à 50% des actifs. Ses coûts d exploitation sont les plus bas hors de Chine, grâce à une gestion en prise directe: achat des approvisionnements en gros et approbation personnelle de toutes les factures. Ironie de l histoire, aucun de ses navires ne bat pavillon grec. Un équipage national coûterait 20% plus cher et les jeunes sont difficiles à recruter. Ils ne veulent pas passer six mois en mer. Il utilise plutôt des équipages philippins, ou même indiens. «J adorerais battre pavillon grec, et la communication serait plus facile. Mais pour mes clients, seuls les taux de rendement comptent.» En 2009, son père a décidé de se retirer. Harry Vafias a alors repris Brave Maritime, qu il gère désormais en plus de Stealth Maritime et StealthGas. Avec 71 navires, y compris ceux en commande, le groupe Vafias est désormais le 3 e plus important en Grèce en nombre de navires. «Notre valeur totale atteint environ 1,7 milliard de dollars pour une dette de 950 millions, notre valeur nette est donc d environ 700 millions, à un moment où la plupart des compagnies maritimes ont des fonds propres négatifs.» Pour lui, le secteur maritime doit relever trois défis importants. Le 1 er est le grand nombre de navires commandés avant la crise financière à livrer l an prochain notamment des vraquiers, des pétroliers et des porte-conteneurs. Même avec une demande de transport maritime soutenue, la croissance de l offre va exacerber la concurrence et réduire les prix d affrètement. Le 2 e défi est celui du ralentissement conjoncturel qui pèse sur la demande mondiale et s ajoute à la pression baissière sur les taux. «La majorité des navires sont affrétés à des taux bien inférieurs à leur point mort et la plupart des armateurs perdent de l argent.» Enfin, 3 e défi, la liquidité s assèche, car les banques notamment en Europe réduisent leurs prêts au secteur. «Les armateurs qui désirent s agrandir à un moment où les prix sont bas n obtiennent pas de crédits bancaires. Ils doivent autofinancer leurs achats ou lever des fonds auprès d investisseurs privés, directement ou en émettant des obligations. Mais les armateurs ne peuvent réaliser des acquisitions sur fonds propres parce qu ils en ont besoin pour compenser leurs pertes jusqu à la reprise du marché. Le déficit de financement paralyse tout.» «A Londres, les investisseurs font attention à l âge, mais les Américains s en moquent tant que les affaires sont bonnes» l entrepreneur-armateur 19

Harry Vafias est quant à lui un peu à l abri de ces pressions, car il opère dans une niche: sur les 876 compagnies maritimes grecques, seules quatre se consacrent au GPL. Sa stratégie l a également protégé: «Nous n avons jamais spéculé sur le marché au comptant. Nos contrats d une durée de quatre à sept ans garantissent le rendement de notre capital. Et nous n avons jamais accumulé les dettes, car c est ce qui vous anéantit quand les perspectives sont mauvaises.» Autre menace pour les armateurs: les sociétés de négoce de produits de base qui s implantent au sein de la chaîne d approvisionnement, y compris dans le transport maritime. C est une stratégie qui n a pas toujours réussi. Harry Vafias raconte ainsi que Vale, le géant minier brésilien, a commandé quelques très grands vraquiers à 120 millions de dollars l unité pour transporter du minerai de fer vers la Chine. Manque de chance, la Chine a bloqué leur utilisation. Il admet toutefois que d autres sociétés de négoce plus prudentes, qui ont acheté des navires d occasion, lui posent davantage de problèmes. A court terme, la crise financière grecque freine toute expansion. «Je ne veux pas partir, mais si l état d esprit se dégrade, nous pourrions devoir envisager une délocalisation, notamment si la Grèce revient à la drachme.» Espère-t-il que son fils poursuivra la tradition entrepreneuriale familiale? Harry Vafias pense qu à chaque génération il devient plus difficile de développer les affaires familiales comme son père et lui l ont fait. «Les risques se multiplient quand vous disposez de plus d argent pour débuter. Je serais content si mon fils parvenait à conserver ce que nous avons. Et s il peut faire encore mieux, alors ce sera fantastique!» 20 l entrepreneur-armateur