26 Baromètre de la diversité > Logement Chapitre 2 Recommandations
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28 Baromètre de la diversité > Logement I. LA DISCRIMINATION DANS LE DOMAINE DU LOGEMENT VUE DU CENTRE Le logement constitue assurément l un des besoins essentiels les plus élémentaires pour mener une vie conforme à la dignité humaine. Le droit à un logement décent figure d ailleurs parmi les droits économiques et sociaux consacrés par l article 23 de la Constitution belge. Le Centre reçoit régulièrement des signalements de personnes à la recherche d un logement qui s estiment discriminées sur base d un des critères protégés par les législations antidiscrimination, des personnes qui se voient dès lors dénier leur droit au logement. C est une des raisons pour lesquelles ce secteur a très vite été identifié comme un des domaines à couvrir dans le cadre du projet de Baromètre de la diversité. Afin de mieux calibrer les actions du Centre, il lui fallait objectiver et comprendre ces phénomènes. Si les secteurs privé et public répondent à des logiques qui leur sont propres, ils n en restent pas moins liés, l évolution de l un exerçant une influence sur l autre. Les conditions d accès au marché privé ont un impact sur la demande de logements sociaux, par exemple. De même, vu le manque de logements publics, et particulièrement sociaux, les candidats locataires n ont pas d autre choix que de se tourner vers le marché privé. Dans le contexte de crise que nous traversons, la demande pour certains types de logements, bon marché, dépasse largement l offre. La concurrence entre candidats locataires s en trouve exacerbée. La multitude de candidats tend à renforcer la dynamique discriminatoire. Certaines catégories de personnes plus fragiles (allocataires sociaux, personnes issues de l immigration, familles monoparentales, ) se retrouvent dès lors en position précaire. Etant donné la faiblesse de l offre de logements sociaux, ces publics n ont souvent pas d autre alternative que de se tourner vers des logements privés de très mauvaise qualité, petits, humides, peu ou pas isolés et donc chers en énergie, des logements en définitive très coûteux au regard de leur très piètre qualité. Après les critères liés à l origine ethnique ou nationale, le motif de discrimination le plus couramment invoqué par ceux qui s adressent au Centre est celui de la «fortune» (autrement dit celui des ressources ou revenus financiers d une personne), qui est par ailleurs en constante augmentation depuis quelques années. Il s agit typiquement de personnes qui se voient refuser un logement parce qu elles émargent au CPAS ou bénéficient d un revenu de remplacement. Des interpellations proviennent également d organisations de terrain qui éprouvent de très grandes difficultés à accompagner leurs publics (particulièrement les allocataires sociaux) vers le logement. Les résultats du volet du Baromètre consacré au logement privé confirment la fréquence de ces discriminations. Or, si la discrimination à l accès d un logement peut être le fait de préjugés non fondés à l encontre de certaines catégories de personnes, la sélection d un locataire par le bailleur (ou l agent immobilier) résulte souvent plus prosaïquement du souci, légitime, de confier son bien à un locataire scrupuleux du respect des termes du contrat de location, comme le paiement du loyer ou l entretien de son logement. Le traitement des signalements liés au critère de la fortune est, de fait, délicat à appréhender. Evaluer la capacité d un candidat locataire à pouvoir payer mensuellement le loyer et les charges demandées compte tenu de ses revenus est légal.
29 Il n y a discrimination que lorsque le bailleur juge a priori que les candidats bénéficiant de tel type d allocation (par exemple, le revenu d intégration octroyé par le CPAS) ou travaillant avec tel type de contrat (à durée déterminée ou intérimaire) sont à exclure d office, sans que soit examiné le montant des revenus dans leur ensemble (en y incluant par exemple, les allocations familiales, etc.). Par ailleurs, les candidats qui se voient réclamer des documents visant à attester de leur capacité financière (fiches de salaire, contrats de travail, preuves de paiements ), sont parfois confrontés à des exigences démesurées. De même, les exigences posées par les propriétaires sur le montant du revenu du locataire apparaissent parfois excessives. Il s agit dans tous ces cas d évaluer la proportionnalité de ces exigences au regard de l objectif poursuivi. Il convient enfin d insister sur la multiplicité des critères de discrimination qui sont souvent en jeu, une même personne présentant souvent plusieurs caractéristiques protégées (ex. : personne d origine étrangère, travaillant avec un contrat intérimaire, seule avec des enfants). Les effets cumulatifs de ces caractéristiques contribuent à accentuer encore davantage la fragilité des personnes concernées. 2 Recommandations
30 Baromètre de la diversité > Logement II. RECOMMANDATIONS DU CENTRE DANS LE SECTEUR DU LOGEMENT PRIVÉ A. Développer de nouveaux moyens pour lutter contre les discriminations La partie du Baromètre consacrée au screening des annonces montre que celles qui contenaient encore régulièrement jusqu il y a peu des mentions discriminatoires, souvent liées à l origine 11, ont pratiquement disparu. En ce sens, les législations antidiscrimination semblent avoir eu un effet. En revanche, lors de l étape suivante, celle du premier contact avec les propriétaires ou l agent immobilier, les tests de situation montrent que la discrimination reste une réalité. Cette évolution tend à montrer que les propriétaires ou les agents immobiliers sont désormais conscients de l interdiction de discriminer sur la base de certaines caractéristiques (surtout celles liées à l origine). Les stratégies d évitement ou de refus à l encontre de certaines catégories de locataires sont dès lors devenues plus subtiles, ce qui a pour conséquence de complexifier la possibilité de combattre ces phénomènes. Pour lutter efficacement contre les discriminations dans le secteur du logement privé, le Centre poursuit sa réflexion sur les instruments, comme le test de situation, qui permettent de récolter des preuves de discrimination, et préconise également le développement de nouveaux moyens. 1. Réfléchir à la possibilité de confier à l inspection du logement la mission d enquêter suite à une plainte individuelle de discrimination La régionalisation des matières liées au droit du bail pourrait être l occasion d étendre les compétences des services régionaux de l inspection du logement à l application de la réglementation antidiscrimination. Ces services devraient être outillés pour pouvoir effectuer des enquêtes et pour délivrer des sanctions financières en cas de plainte individuelle ou lors de contrôles auprès des agents immobiliers. Cette réflexion devrait évidemment être menée avec les instances concernées. 2. Prévoir des contrôles périodiques auprès des agents immobiliers Le Baromètre met en évidence le rôle des agents immobiliers dans les processus de discrimination. Leur sensibilisation reste par conséquent un des axes prioritaires du travail effectué par le Centre en collaboration avec l Institut professionnel des agents immobiliers (IPI), au moyen de différents outils : module e-learning sur les discriminations, élaboration d une fiche de renseignements-type, etc. Néanmoins, face aux pratiques largement répandues révélées par le Baromètre, des actions plus proactives semblent nécessaires, comme l utilisation régulière de «mystery clients» 12. Ceci pourrait être pris en charge par l IPI. 11 C est le classique «pas d étrangers», les exclusions liées à la fortune («CPAS s abstenir») subsistent encore, leur interdiction étant moins connue. 12 Le «mystery shopping» consiste en l utilisation de clients fictifs pour mesurer ou contrôler la qualité ou le respect de certaines règles lors d une prestation de service ou lors de la vente de biens. L approche du test de situation est un peu différente puisque celui-ci consiste à examiner comment sont traitées deux demandes de personnes au profil similaire à l exception d une caractéristique (leur origine, par exemple) en vue de mettre en évidence une éventuelle discrimination/ distinction de traitement.
31 B. Adopter des mesures visant la régulation du marché L offre de logement public, et en particulier social, étant très restreinte, une majorité de locataires doit se tourner vers le secteur du logement privé où l emprise des mécanismes de marché est logiquement très forte. Face à l augmentation des discriminations sur la base de la fortune, la nécessité de développer des politiques structurelles de régulation du marché du logement privé apparait de plus en plus. Nous en relevons deux, qui ont fait l objet d une réflexion approfondie par le Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l exclusion sociale 13 et dont la mise en œuvre contribuerait à réduire certaines formes de discriminations. 1. Mettre sur pied un fonds central des garanties locatives 2. Instaurer des «commissions paritaires locatives» Entre 2005 et 2007 des «commissions paritaires locatives» se sont réunies en trois villes du pays (Bruxelles-Ville, Gand et Charleroi). Elles étaient composées de propriétaires et de locataires et avaient reçu de la part des autorités fédérales, initiatrices de ces projets pilotes, les missions suivantes : organiser une médiation locative, mettre en place des grilles objectives de loyer et rédiger un bail type. Malgré des résultats prometteurs, ces projets n ont pas été prolongés. Ces commissions offraient pourtant un lieu de concertation où locataires et bailleurs pouvaient se rencontrer dans un processus de résolution de problèmes communs et, ceci dans une meilleure compréhension des logiques propres à chacune des parties. La régionalisation de la loi sur le bail pourrait représenter une occasion de relancer des commissions paritaires locatives au niveau régional. Actuellement, trois formules s offrent au candidat locataire pour rassembler le montant de la garantie locative : une garantie de deux mois sur un compte bancaire bloqué ; une garantie de trois mois dont le montant est avancé par la banque, moyennant remboursement mensuel auprès de la banque pendant 3 ans ; l intervention du CPAS. En pratique les banques sont très réticentes à mettre en œuvre la garantie bancaire en posant des conditions supplémentaires ou en exigeant des frais de dossiers élevés 14. L intervention des CPAS pose également problème. Un fonds central des garanties locatives pour tous les locataires aurait l avantage de les mettre tous sur le même pied, quels que soient leurs moyens et la nature de leurs revenus. 2 Recommandations 13 Les travaux du Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l exclusion sociale sont consultables sur son site : http://www.luttepauvrete.be/themelogement.htm 14 Plusieurs «tests» réalisés par des associations, mais aussi par Test Achats, ont mis à jour la forte réticence des banques à mettre en œuvre la loi.
32 Baromètre de la diversité > Logement III. RECOMMANDATIONS DU CENTRE DANS LE SECTEUR DU LOGEMENT PUBLIC A. Augmenter l offre de logements publics Cela semble une évidence au regard de l analyse qui nous est fournie. La Belgique se distingue de ses voisins par une offre de logements sociaux très faible dans les trois Régions du pays. Le Baromètre, en confrontant cette offre limitée à la demande, qui ne cesse d augmenter, montre à quel point elle est largement insuffisante. Les lacunes sont particulièrement criantes pour ce qui concerne les logements sociaux réservés à un public socio-économiquement fragile, et pour certains types de logements comme ceux de 3 chambres et plus, ainsi que les plus petites unités d une chambre. B. Harmoniser l attribution, tout en se donnant les moyens de répondre aux situations sociales les plus critiques Le mouvement vers plus d harmonisation et de transparence de l offre publique, initié dans les trois Régions, doit se poursuivre. C est en particulier le cas pour ce qui concerne le fonctionnement des comités d attribution qui, dans certains segments de l offre publique, opèrent encore de manière trop discrétionnaire. Néanmoins, le Baromètre montre aussi que, dans les trois Régions, la demande de logement social excédant de très loin l offre, le temps d attente avant de se voir proposer un logement est donc très long. A tel point que la possibilité de mener une politique d attribution qui prenne en compte des situations sociales problématiques semble compromise au regard des points obtenus selon l ancienneté, sauf à soutenir les efforts visant à adapter l attribution en fonction de cette réalité, reconnue par les Régions. C. Améliorer l information et l accompagnement Considérant l offre publique dans son ensemble, l étude met en évidence sa grande diversité et la segmentation institutionnelle qui la sous-tend, et ce malgré les efforts qui ont récemment été entrepris pour la rationnaliser. Dans un tel contexte, les risques de discriminations sont encore réels, particulièrement pour les personnes qui maîtrisent moins bien l une des langues nationales. Disposer de l information, savoir où la trouver, comprendre les règles (d inscription, d attribution, de réinscription ) sont autant d étapes à maîtriser pour espérer accéder un jour à un logement public. La lisibilité du secteur (qui fait quoi?), la publicité et l accessibilité systématique des règlements devraient être garanties. Des dispositifs tels que le guichet unique ou la cellule logement pourraient y contribuer. D. Utiliser avec prudence les mesures visant à favoriser l ancrage local Le Centre reçoit depuis quelques années des demandes d avis ou des signalements concernant des mesures publiques visant à favoriser l accès au logement des personnes pouvant
33 justifier d un ancrage local dans la commune où se situe le logement convoité 15. Certains opérateurs conditionnent ainsi l accès à leurs logements à l existence de ce lien avec la commune. Dans ce cas, le Centre est d avis que la mesure restreint de manière disproportionnée le droit au logement des personnes ne bénéficiant pas de cet ancrage, qui se voient alors totalement exclues de la possibilité d obtenir un logement quels que soient leurs besoins. D autres acteurs octroient des points de priorité pour l attribution de leurs logements aux candidats locataires qui présentent ce lien particulier avec le lieu en question. S il peut, dans cette situation, potentiellement s opposer aux législations antidiscrimination et au droit fondamental au logement, ce critère n est toutefois pas en soi discriminatoire s il répond à un objectif légitime. Il faudra dès lors examiner la cohérence de la mesure avec le but poursuivi et son caractère proportionnel en tenant compte de la politique globale menée par la localité concernée. Dans certaines situations, le Centre a en effet dû constater qu à côté d objectifs déclarés légitimes, coexistaient d autres objectifs dissimulés, dont la pertinence et la légalité pouvaient être remises en question. Le Centre plaide dès lors pour une utilisation prudente de ce critère d ancrage local en matière de logement. 2 Recommandations 15 La notion d ancrage local recouvre principalement les situations suivantes : avoir son domicile dans la commune où se situe le logement, y travailler, y avoir des attaches familiales, être pris en charge par le CPAS ou avoir un enfant dans une des écoles de la commune. Pour une explication plus détaillée de la position du Centre, voir son Rapport Annuel Discrimination Diversité 2012, p.110-113
34 Baromètre de la diversité > Logement IV. RECOMMANDATIONS DU CENTRE RELATIVES À LA MESURE Pour mener des politiques cohérentes, un enjeu crucial est de pouvoir rassembler des informations pertinentes sur les populations visées. Le Baromètre de la diversité vise à répondre à ce besoin, en récoltant des informations autant qualitatives que quantitatives, d un point de vue des comportements et des attitudes discriminatoires ainsi que de la participation réelle des groupes protégés par les critères des anti-discriminations. A plusieurs reprises, la mise en œuvre du Baromètre s est heurtée à la difficulté de collecter des informations quantitatives. Deux recommandations afférentes aux questions de mesure s imposent dès lors : 1. Dans le domaine du logement public, la systématisation et la standardisation des données récoltées et de la manière de les récolter -parmi le grand nombre d acteurs concernéssemble une nécessité pour assurer une observation efficace et fiable de ce secteur. Les possibilités d accès à ces données devraient également être facilitées, moyennant le respect des limites liées à la protection des données à caractère privé. 2. Par ailleurs, la recherche d informations quantitatives nous permettant de dresser un portrait de la situation de logement de ces groupes s est avérée difficile en raison notamment de la complexité de croiser des variables liées au logement avec des variables sociodémographiques (base de données pas disponibles pour ce type de croisement, effectifs trop réduits des échantillons) et par le manque de données spécifiques aux situations de logements, notamment pour la Région de Bruxelles-Capitale. Nous nous joignons dès lors aux recommandations déjà émises visant à élargir l échantillon de l enquête EU-SILC en Région de Bruxelles-Capitale. Cela permettra d une part le calcul fiable d un plus grand nombre d indicateurs pour cette région ; et d autre part de toucher avec plus de pertinence des groupes spécifiques tels que les personnes vivant dans la pauvreté, les personnes (d origine) étrangère, les familles nombreuses ou monoparentales. Prendre en compte ces deux éléments apparait essentiel dans la mesure où ces groupes peu représentés sont plus susceptibles de faire face à des situations socio-économiques et de logement précaires et ceci d autant plus dans le contexte d une grande ville comme Bruxelles. Dans cette même optique, nous ne pouvons qu encourager la mise en place d une enquête à grande échelle spécifique aux questions de logement à Bruxelles et permettant de s intéresser aux populations les plus précaires. Le Baromètre de la diversité dans le logement nous montre combien l accès pour tous à un logement décent reste un défi important, en particulier pour certaines catégories de populations issues de l immigration ou bénéficiaires de revenus de remplacement. Nous espérons que les conclusions des deux recherches, dont les rapports figurent ci-après, contribueront à aider les décideurs politiques à orienter leurs politiques de lutte contre les discriminations.
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