Les services opérationnels de la DGAl sont-ils devenus une entreprise de production de rapports d inspection?



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Vers une Cour suprême? Par Hubert Haenel Membre du Conseil constitutionnel. (Université de Nancy 21 octobre 2010)

Transcription:

Les services opérationnels de la DGAl sont-ils devenus une entreprise de production de rapports d inspection? Près de 45 ans après la création de fait, par la loi du 8 juillet 1965 relative à la modernisation du marché de la viande, de directions des services vétérinaires dans chaque département, directions fondues au 1 er janvier 2010 dans les DD(CS)PP, le constat de l évolution de nos missions, de leurs objectifs et de leurs méthodes peut être fait. Nous observons aussi un malaise grandissant chez les agents, à l origine d une moindre efficacité du service rendu. Nous pensons que cette évolution est une des principales causes de ce malaise. I - Un peu d histoire Le développement de l approche de normalisation dans le secteur agro alimentaire au début des années 90 (assurance qualité, accréditation par le COFRAC), devenue familière pour les agents des services d inspection, a conduit en 1993 un petit groupe de vétérinaires inspecteurs à s intéresser à une nouvelle norme en préparation relative au fonctionnement des organismes privés d inspection. La transposition de cette norme, qui posait le principe de la séparation du contrôle sanitaire par rapport à la promotion économique, au domaine d activité des services vétérinaires a été utilisée comme un outil stratégique de défense (et de reconquête) de l indépendance des services vétérinaires vis-à-vis de l administration départementale à visée économique (la DDAF) sous la tutelle de laquelle ils avaient été placés par le décret du 28 décembre 1984. Cette démarche est à l origine de la mise en place de l assurance qualité dans les services vétérinaires. Cette stratégie, aidée par une succession de crises sanitaires plaçant nos missions au cœur des attentes sociétales, a effectivement abouti le 14 juin 2001 à l annonce par le ministre de l agriculture de la création de directions départementales des services vétérinaires de plein exercice. Celles-ci ont servi de socle à la constitution des DD(CS)PP au 1 er janvier 2010 dans le cadre de la RéATE (réforme de l administration territoriale de l État, elle-même partie prenante de la RGPP). Alors que les initiateurs de la démarche assurance qualité pensaient améliorer la professionnalisation des inspecteurs, chacun peut aujourd hui constater que les notions de métier, de compétence technique, d opportunité et de flair professionnel sont perdues de vue. L objectif de progrès sanitaire et les valeurs professionnelles liées à notre métier (notamment le partenariat avec les professionnels) ont été petit à petit relégués au second plan, avec pour conséquence une démotivation des agents. L objectif d accréditation par le COFRAC, en l absence de toute obligation nationale ou internationale, puis son maintien une fois cette accréditation obtenue, imposent une mobilisation des équipes rendant difficile toute analyse critique sur le bien-fondé de cette démarche. À cette démarche de mise sous assurance qualité, propre à la DGAl au sein de l administration, se sont ajoutés des outils informatiques cherchant à enregistrer l ensemble des actions, comme si le réel était totalement codifiable. Sans qu ils aient pu s approprier les objectifs et les méthodes des outils nécessaires au pilotage de leur action, les agents subissent une «bigbrothérisation» de leur travail, génératrice de souffrance et de perte de sens. 1/6

Parallèlement, les crises sanitaires continuent à mobiliser l ensemble des agents sur des actions hautement reconnues par la société, qui sont la raison d être de nos services mais que la démarche assurance qualité ne prend pas en compte, voire même entrave sérieusement. Enfin la création des DDPP a amené la coexistence au sein de mêmes services d agents de différents ministères, singulièrement dans les services en charge du contrôle de la chaîne alimentaire, sans que pour autant la poursuite de la démarche qualité de la DGAl ne soit interrogée au regard de cette nouvelle donne. Il est particulièrement symptomatique que la DGAl et la DGCCRF continuent, sur leur lancée et séparément, des démarches qualité basées sur des référentiels différents, l une avec une exigence d accréditation multisites, l autre non. Un vague maquillage faisant croire à un rapprochement des démarches a été mis en place mais il ne trompe personne. Il s est ainsi installé au sein des agents de la DGAl en poste en départements, une grave schizophrénie, dont l analyse est nécessaire avant d espérer pouvoir la traiter. II - Comment en est-on arrivé là? Si ces outils de management (AQ, informatisation, gestion en mode LOLF) ont clairement été porteurs de progrès, trois facteurs majeurs ont, à notre avis, contribué à la perte de sens évoquée en préambule : 1. L utopie d un «homme machine» Dans l esprit de beaucoup d entre nous, la machine, capable de produire un travail reproductible, juste et indépendant du contexte, s oppose à l homme, qui se caractérise par sa variabilité, ses faiblesses et ses défaillances. Afin de lutter contre cette supposée faiblesse de l être humain, les organisations développent des techniques (informatisation, procédures) destinées à rendre plus fiables les processus faisant intervenir une décision ou une action humaine. L augmentation constante du nombre et de la taille des instructions, qui cherchent à répondre à l avance à tous les cas de figure, la mise en service de logiciels de plus en plus nombreux et précis, les vade-mecum d inspection toujours plus complets témoignent, dans nos services, de cette course sans fin vers une standardisation et une nouvelle taylorisation de leur action. Pourtant, peu de critiques sont émises, car personne ne peut s opposer à l idée d harmoniser et de fiabiliser notre action, surtout pas les agents concernés. Cette conception qui fait de l homme le maillon faible du système est pourtant critiquable car elle repose sur deux erreurs. La première consiste à croire à la toute puissance des considérations scientifiques et techniques, alors que celles-ci ne résultent le plus souvent que d observations in vitro. Si les techniques mises au point par la science expérimentale fonctionnent dans les conditions réelles, c est en général grâce à l action de l homme. La deuxième erreur consiste à assimiler les lois naturelles (gravité, pesanteur ) et les lois instituées par l homme (normes, décrets, règlements ) et de leur attribuer ainsi le même caractère incontournable alors que l on sait que les lois humaines, confrontées à la réalité, avancent par infractions et jurisprudences successives. 2/6

2. L utopie de la standardisation du réel Les nombreux supports de l AQ (procédures d inspection, enregistrements SIGAL, contrôle de gestion ) visent à standardiser les modes d intervention des agents, afin qu ils agissent et réagissent de façon semblable - malgré la diversité des inspecteurs, la singularité des sites, la variabilité des systèmes de production. Néanmoins, l inspection reste et restera l application de la loi commune à une situation singulière : l observation du travail des inspecteurs montre que les situations d inspection résistent toujours aux efforts de standardisation. Les inspecteurs évoluent en effet dans un univers où toutes les connaissances ne sont pas stabilisées : il peut arriver qu un problème technique émerge sans être pris en compte sur le plan juridique ou au contraire que des seuils réglementaires ne correspondent plus à la réalité du fonctionnement industriel ou artisanal. Aussi, quel que soit le degré de formalisation des réglementations et des méthodes d inspection, celles-ci sont retravaillées, accommodées par les inspecteurs qui veillent à leur respect. L inspection est une mise en tension constante entre un pouvoir de discernement de l inspecteur et les garanties standardisées exigées par l action administrative. L impossible standardisation du réel laisse, et c est tant mieux, une part incompressible au jugement professionnel de l inspecteur. 3. L utopie de la séparation inspection / décision La mise sous AQ sépare l acte d inspection (réalisé le plus souvent par un technicien) de la décision (qui relève d un échelon hiérarchique : chef de service, directeur, préfet). Ainsi, elle déresponsabilise et décrédibilise totalement l inspecteur aux yeux du professionnel. Cette exigence est d ailleurs contradictoire avec ce que prévoit le code rural qui précise que (article L.233-1) que les inspecteurs «peuvent ordonner la réalisation de travaux, d'opérations de nettoyage, d'actions de formation du personnel et d'autres mesures correctives, ainsi que le renforcement des autocontrôles. En cas de nécessité, le préfet peut prononcer, sur proposition de ces agents, la fermeture de tout ou partie de l'établissement ou l'arrêt d'une ou de plusieurs de ses activités.» Pour qu un dialogue fructueux s instaure entre l inspecteur et le professionnel inspecté, il est nécessaire que l inspecteur dispose de l autorité lui permettant de prendre les décisions adaptées à l objectif de sécurité sanitaire. Sa crédibilité peut rapidement être mise à mal si le professionnel constate que les décisions prises par sa hiérarchie ne correspondent pas aux propos tenus par l inspecteur lors de sa visite La place et l importance des activités d inspection pour nos services ne doivent pas faire oublier que c est l acte de décision qui est au cœur de notre mission de service public, et non la production de rapports d inspection. S agissant d une mission de police administrative, la séparation entre l acte d inspection et la décision semble bien artificielle. En fait, ce principe de séparation est issu du rôle assuré par les organismes privés d inspection, dont la fonction (remettre un rapport d inspection au donneur d ordre qui décide des suites à donner) est bien éloignée de celle d un service public. De façon générale, en présentant les services de la DGAl comme une entreprise de production de rapports d inspection normalisés, séparés artificiellement de la décision, l AQ tend à occulter la finalité des DD(CS)PP : la production et le maintien de l ordre public sanitaire. 3/6

III - L urgence d un retour à une conception pragmatique du rôle du service public des DD(CS)PP dans le domaine sanitaire 1. La nécessaire coproduction de la sécurité sanitaire Comme dans le domaine de la sécurité publique, l objectif de sécurité sanitaire ne peut être atteint que par une coopération bien comprise entre l ensemble des acteurs : professionnels, partenaires et sous-traitants (vétérinaires sanitaires, laboratoires, GDS ), organismes d appui technique, chambres consulaires et syndicats professionnels, sans oublier le rôle de l autorité judiciaire. Nos services remplissent nécessairement des fonctions diverses dans ce dispositif partenarial : pédagogie sur la réglementation, accueil des entreprises, inspection des établissements, décisions sur les non conformités, délivrance d agrément ou de certificats sanitaires, préparation à la gestion de crises La capacité de nos services à construire et à renforcer des partenariats, à agir en chef d orchestre de l ensemble des acteurs de la sécurité sanitaire, est une condition essentielle de leur efficacité. 2. Un métier de régulation ou de «chien de berger» Comme toutes les activités de contrôle des services de l État, l action des DD(CS)PP s inscrit dans un processus de régulation de moyen terme orienté par la réglementation. Il ne s agit en aucun cas pour les inspecteurs de relever l ensemble des non-conformités à la règle et d engager systématiquement dans la foulée des sanctions pour non-respect des textes, mais plutôt, dans une perspective «pédagogique», d obtenir du contrôlé un engagement que les pratiques non-conformes vont être amendées, que des travaux seront entrepris, et une nouvelle organisation mise en place. Le bon chien de berger, qui par une juste économie, subtil dosage de menaces et de fermeté, sait conduire son troupeau, est une image qui décrit bien le travail de régulation effectué en DD(CS)PP. Cela ne signifie pas que les relations avec les exploitants soient toujours apaisées ou que des sanctions soient systématiquement écartées. Simplement, les sanctions sont prises dans un esprit d exemplarité, comme l aboutissement d un mécanisme d avertissements gradués, passage obligé pour tendre vers le respect collectif de la règle. Cette conception de l inspection nécessite un dialogue discret, un partenariat de proximité, associés à l idée de progrès, peu compatibles avec la formalisation excessive imposée par l AQ. 3. Le service public de la sécurité civile vétérinaire À côté de l inspection, les DD(CS)PP sont aussi le «service public départemental de la sécurité civile vétérinaire» ou «service public d épidémiologie vétérinaire d intervention», chargé sous l autorité des préfets de la prévention et de l éradication des épizooties et des zoonoses ainsi que de la gestion des crises sanitaires alimentaires, voire des crises environnementales. À la culture de l inspection, qui requiert une certaine distance, succède ici la culture du résultat plus proche de celle de l ingénieur ou du pompier. À l indépendance revendiquée de l inspection, succède le partenariat nécessaire avec les personnes locales privées (vétérinaires praticiens, éleveurs, industriels ). À l empire de la règle et de la procédure, succède la mobilisation locale d un droit aménagé au service de l intervention. Sur le terrain, les situations deviennent si instables et imprévisibles qu il est de plus en plus fait appel à l initiative des acteurs pour s adapter en régime dégradé. 4/6

Depuis 15 ans, les efforts de mise en conformité avec le référentiel d inspection ISO 17020 ont occulté que les missions les plus critiques des DDSV puis des DD(CS)PP la gestion de crise ne relèvent pas d un travail d inspection 4. L indispensable confiance en l homme plutôt qu au système Il faut cesser de vouloir caractériser toujours mieux et à l infini les situations et leurs conséquences pour faire confiance aux capacités «jurisprudentielles» des acteurs de notre communauté de travail. Dans l approche procédurale, prônée par l AQ, la compétence technique n apparaît plus comme propre à un individu ou à un service de terrain, mais produite et qualifiée par des structures faisant office de bureaux des méthodes. Il faut à nouveau considérer l homme comme une ressource intelligente qui va donner du sens aux principes fixés par l autorité et cesser de le considérer comme un simple pion sans discernement, un homme machine, qu il faut guider jusqu à l absurde, pour réduire ses défaillances et ses capacités d adaptation qui sont pourtant la base de son efficacité. Cette approche ne remet pas en cause la nécessité de fiabiliser les processus et de les harmoniser. Elle récuse simplement les méthodes actuelles. Une analyse qui fait confiance à l homme doit remettre celui-ci au cœur des processus d harmonisation. Il faut savoir et admettre que le travail des inspecteurs est caractérisé par une modification constante des cadres d analyses et des modes d investigation, étayée par une construction patiente de sa légitimité. Ses jugements, sa compétence, son discernement reposent sur une forme d intelligence et de pensée, un ensemble complexe, mais très cohérent, d attitudes mentales, de comportements intellectuels qui combinent le flair, la sagacité, la prévision, la souplesse d esprit, la feinte, la débrouillardise, l attention vigilante, le sens de l opportunité, des habiletés diverses ce que les grecs anciens appelaient la mètis IV Redonner un sens aux missions et aux agents Loin des nostalgies, nous devons assumer la complexité et la modernité des missions que nous assurons, en faisant preuve d innovation quant à leurs outils de gestion. Les politiques publiques de prévention des risques agricoles, alimentaires et naturels, du fait de leurs caractères foisonnants et irréguliers, s accommodent mal des outils de gestion issus de la production industrielle. Il nous paraît tout d abord nécessaire que soient prises en compte l ensemble des activités des services de la DGAl, qui ne peuvent se résumer aux missions d inspection. Pour ce qui concerne la conduite des activités d inspection, on observe deux tendances en matière d assurance qualité : - soit une logique de recherche de sécurité, de sécurisation des procédés, dont la démarche ISO constitue une figure prototypique qui détermine des manières de faire reproductibles et permet de réduire des facteurs d insatisfaction, - soit une logique d amélioration continue qui vise à garantir dans la durée les meilleures réponses à apporter aux besoins évolutifs pour lesquels un service intervient. Dans ce cas, l initiative, la réactivité aux aléas, la sagacité sont valorisées en tant qu elles s inscrivent dans la perspective d augmenter la satisfaction aux besoins identifiés et l adaptation aux situations en régime dégradé. 5/6

Si, comme dans le cadre ISO, on multiplie les procédures, on n aboutit pas à l amélioration continue de la veille, de la régulation et de la réactivité, cœur de l activité des services de terrain. Il faut des normes métiers plus ouvertes, pas de standards fermés. L écart à une référence mérite souvent d être analysé dans le cadre du contexte rencontré, en allant audelà du simple constat de non-conformité. Au plan international, la démarche conduite par l OIE (Performance of veterinary services PVS) ne fait pas référence à l approche ISO, alors qu en France cette approche a longtemps été perçue comme la seule possible. Aujourd hui, sans rejeter les progrès de méthodologie réalisés grâce à l assurance qualité ni bien sûr le travail très utile fourni par l'ensemble de la collectivité et tous les animateurs de la démarche qualité, le temps est venu de se poser de nouvelles questions au regard de l'expérience acquise et d esquisser des propositions qui pourraient être : limiter le champ de l'accréditation ISO aux services où le travail est plus facilement standardisable et aux domaines où l'accréditation procurerait un avantage comparatif par rapport à l étranger (exemple les postes frontaliers et certaines filières d inspection désignées par une observation des méthodes de travail des inspecteurs) ; dans ce cadre ISO, s interroger sur le référentiel normatif choisi. Les DREAL et la DGCCRF ont choisi l'iso 9001:2000 : cette norme semble plus plastique pour embrasser l'ensemble des missions et des métiers exercés dans les DD(CS)PP. Nous la pratiquons d ailleurs au quotidien puisque c est elle que la DGCCRF utilise sans objectif d accréditation pour sa démarche qualité ; abandonner l accréditation qui n est exigée par aucune norme nationale ou internationale et se contenter des audits internes. Objectivement, à part un affichage à son obtention, l accréditation multisites n a rien apporté à la DGAl et à ses agents ; replacer les audits métiers prônés par l OIE dans la démarche PVS ainsi que par la Commission européenne dans son document «Une nouvelle stratégie de santé animale pour l Union européenne (2007-2013) Mieux vaux prévenir que guérir.», au centre du dispositif d évaluation des services vétérinaires français ; réduire les instructions écrites de la DGAL aux DD(CS)PP en se limitant à l'explication des principes de base et en utilisant les réseaux de référents pour harmoniser les situations spécifiques. Ce texte est l actualisation par mes soins et sous ma propre responsabilité d un texte inédit élaboré début 2008 par un groupe de quatre ISPV dont je faisais partie. La mise en route de la RéATE en juillet 2008 nous avait amenés à différer puis abandonner sa diffusion. Il demeure pour l essentiel totalement d actualité. Je le reprends et l actualise en mon nom propre. Didier PERRE Inspecteur en chef de la santé publique vétérinaire Directeur départemental de la protection des populations de la Loire. 6 juillet 2012 6/6