BIG BANG ROYAL. L ACTU Maroc EN COUVERTURE



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Transcription:

L ACTU Maroc BIG BANG ROYAL Fusion de l ONA et de la SNI, retrait de la Bourse et cession d un paquet de filiales Avec un coût estimé de 24 milliards de dirhams, c est le plus gros chamboulement capitalistique que le Maroc ait jamais connu. Enquête et explications. PAR FAHD IRAQI AVEC MEHDI MICHBAL AFP / PHOTOMONTAGE TELQUEL Ce 25 mars, au siège casablancais de l ONA, c est jour de conseil d administration, sous la houlette du PDG Mouatassim Belghazi. Mounir Majidi, secrétaire particulier de Mohammed VI et administrateur du groupe au nom de Siger, la société de participations royale, est-il là? Même si aucun des administrateurs de l ONA ne nous l a formellement confirmé (étrangement, tous leurs portables étaient sur silencieux cette semaine), la présence du vrai patron des holdings royaux ne fait que peu de doute. C est que le conseil de ce jeudi est exceptionnel. La rumeur enflait depuis quelques jours déjà : la fusion de l ONA et de la SNI, sa maison-mère, va être officiellement annoncée. Et c est bien de cela qu il s agit en partie : une opération gigantesque qui se chiffre en milliards de dirhams, séquencée en trois phases. D abord un retrait des deux holdings de la Bourse de Casablanca ; ensuite, leur fusion ; et enfin, la cession d une partie de leurs actifs. Un mot : waw! C est sans aucun doute la plus grosse opération capitalistique que le Maroc ait jamais connue. Hormis les initiateurs de l opération, c est à dire les représentants de Siger (son DG Hassan Bouhemmou est aussi PDG de la SNI), aucun administrateur du groupe royal n était au parfum. Pour des raisons évidentes de déontologie et d efficacité, ce genre de projet ne peut être débattu en dehors d un conseil d administration. Il a été donc présenté aux actionnaires, pour la première fois, le 25 mars, a déclaré à Tel- Quel Mouatassim Belghazi, avec une franchise qui force l admiration. Le lendemain, dès l ouverture du marché, la communauté des traders découvre, stupéfaite, que les actions de l ONA, de la SNI, et de leur dizaine de filiales inscrites en Bourse, sont suspendues de la cote. On avait tous les yeux rivés sur Internet, raconte un trader. On attendait qu un communiqué tombe pour comprendre ce qui se passe. Il tombera, sur le site de l agence officielle MAP, bien entendu, à 11h43 très précisément. Dès lors, les téléphones s affolent, et la même question fuse de tous les côtés : depuis quand travaillent-ils sur ce montage inouï? Nous avons commencé à étudier les scénarios au début de l année 2010, nous répond Belghazi. Mais l opération de réorganisation est l aboutissement d un long processus de maturation datant de plusieurs années. Le PDG de l ONA a raison : pour comprendre la logique de cette méga-opération, il faut remonter...11 ans en arrière. Star incontestable de la Bourse, le groupe ONA sera bientôt retiré de la cote. Hormis les représentants de Siger, aucun administrateur du groupe royal n était au courant de ce qui se préparait. Une fusion attendue depuis 11 ans Tout commence en juillet 1999, quand la Société nationale d investissement (SNI), holding industriel au portefeuille de participations bien garni (Sonasid, Lafarge, Brasseries du Maroc ) tombe dans l escarcelle de l ONA. Une prise de contrôle pour laquelle il a fallu batailler dur sur le front boursier notamment contre le banquier Othman Benjelloun, qui n hésitait pas à surenchérir pour rafler tous les titres SNI en circulation (lire encadré p. 22). L ONA, qui finit par remporter le combat aux points, se retrouve majoritaire dans le capital de la SNI. Dès cette époque, l idée de fusionner les deux holdings commence à faire son chemin. Le scénario est sérieusement étudié par l état-major de l ONA. Evidemment, nous avons creusé cette piste, raconte cet ancien du holding royal. Mais nous avons été découragés par le coût fiscal énorme de l opération, et surtout par le risque, pour l actionnaire de référence, de se retrouver dilué dans la nouvelle entité. Et puis, à l époque, nous avions d autres priorités. Il fallait d abord digérer le coût d acquisition de la SNI. On s était dit qu on verrait plus tard. Opération décalée, mais pas enterrée! Du moins pour les professionnels du marché, frappés par la taille du nouveau duopole royal (32,6 milliards de dirhams de capitalisation boursière à fin 1999). Pendant les mois qui ont suivi la prise de contrôle de la SNI par l ONA, le microcosme boursier est resté sur le qui-vive : le moindre mouvement des cours des deux sociétés était frénétiquement décrypté par les analystes financiers, pour tenter d y déceler les prémices d une fusion Quatre ans plus tard, précisément le 24 septembre 2003, quand le nouveau président de l ONA, Bassim Jaï Hokimi, convoque une conférence de presse surprise, la galaxie boursière est convaincue que l heure de la grande annonce a enfin sonné. Mais Hokimi prend tout le marché à contre-pied. Non, il n y aura pas de fusion ONA-SNI, mais une rotation de participations. Un montage financier inédit au Maroc, qui chamboule la configuration des holdings royaux. Par un tour de passe-passe financier (tout à fait légal, en l absence de lois protégeant les intérêts des petits actionnaires), ce n est plus l ONA qui contrôle la SNI, mais l inverse. Désormais, Siger détient (via Copropar, une coquille vide dont l unique fonction est de faire écran à la famille royale) 60% de la SNI, qui détient elle-même 30% de l ONA. Avec ce nouveau montage, optimal pour l actionnaire de référence (c est ainsi qu on désigne pudiquement Mohammed VI), le marché ne croit plus au scénario de la fusion. Il y en aura bien une, de fusion, et même une grosse. Mais ce ne sera pas celle-là. En novembre 2003, la Banque commerciale du Maroc (filiale bancaire de l ONA) se paie Wafabank TNIOUNI 18 19

L ACTU MAROC BIG BANG ROYAL LA NOUVELLE FIGURE DU GROUPE ROYAL La SNI et l ONA vont donc fusionner dans une nouvelle entité. Parmi les entreprises qu elle détiendra, certaines, dont les joint-venture avec des étrangers, resteront sous contrôle. D autres seront (partiellement) cédées en Bourse, en vue de leur autonomisation. Entités contrôlées On garde les meilleurs! Mines, grande distribution et relais de croissance (énergie et télécoms) : rien ne bouge pour ces trois secteurs qui représentent la moitié du portefeuille de l ONA *. La nouvelle entité en conserve donc le contrôle, car ils sont appelés à générer de gros bénéfices dans les années à venir. * Part dans l actif net réévalué, chiffres 2008 WANA ONAPAR MARJANE SOPRIAM OPTORG MANAGEM NAREVA LONGOMETAL 69% 91% 78% 99% 50% 16% 33% pour 2 milliards de dirhams. Une autre opération qui prend le marché de court, et qui donne naissance à la plus grosse banque privée du royaume : 42 milliards de dirhams de crédits, 73 milliards de dépôts, et un total-bilan qui frôle les 90 milliards! Avec une telle assise financière, le duo ONA-SNI trouve les ressources pour développer et restructurer son portefeuille tentaculaire. Outre le renforcement dans ses métiers classiques (agroalimentaire et mines, essentiellement), le groupe royal développe les métiers de la grande distribution (Marjane, Acima) et de la finance (Attijariwafa bank, Wafa Assurance) Autant de filiales qui deviennent vite de grosses machines à cash. Mais pas suffisamment pour les ambitions gargantuesques des hommes d affaires de Sa Majesté, qui doivent financer à coups de milliards de dirhams leurs nouvelles aventures dans les télécoms (Wana), l immobilier (Onapar) ou encore l énergie (Nareva). Ces derniers secteurs sont présentés aux petits actionnaires du groupe comme des relais Joint-ventures Partenaires bien aimés Ciments, acier, et fonds d investissement marocoémirati (Somed) : là non plus, rien ne bouge. Ce que contrôlait la SNI sera contrôlé par la nouvelle entité. Quant aux partenaires étrangers, ils restent dans le capital et aux manettes. Ce sont en effet eux qui assurent la gestion effective de ces entités, expertise oblige. LAFARGE SONASID SOMED 67% ATLAS HOSPITALITY MOROCCO 84% 50% 34% 66% PARTENAIRES de croissance. Comprenez : c est de là que viendront les (gros) bénéfices futurs. Cela vaut bien quelques sacrifices : l endettement du groupe explose, ses charges financières s alourdissent et la distribution de dividendes aux actionnaires reste limitée. Entités autonomisées On réalise les plus-values! Les sociétés agroalimentaires du groupe royal ont atteint leurs limites en termes de marge de progression des bénéfices. Et comme elles distribuent des dividendes exceptionnels depuis des années, leurs réserves sont largement entamées. Bref, c est le moment de vendre! Reste un mystère : pourquoi céder 13% d Attijariwafa Bank? Seule explication : les 6,9 milliards attendus serviront, en partie ou en totalité, à financer le retrait de la Bourse du groupe royal. Aujourd hui 43% Aujourd hui 75% Aujourd hui 62% Aujourd hui 63% LESIEUR COSUMAR CENTRALE LAITIÈRE Sociétés cotées Et soudain, la bombe! Avec tout ça, le marché boursier avait fini par oublier le scénario tant attendu de la fusion ONA-SNI. Si son annonce, à l issue du conseil d administration du 25 mars dernier, a pris tout le monde (encore une fois) de court. A en croire le dossier de presse conjoint distribué à l occasion par les deux holdings, il ne s agit pas d une simple fusion. L élément principal dans cette opération est le changement de vocation du groupe. Celui-ci aurait pu ne pas s accompagner d une fusion. Mais ce schéma s est révélé le plus efficient, grâce notamment au nouveau régime fiscal applicable aux fusions. La coïncidence est, en effet, fort heureuse : quelques mois plus tôt, une disposition de la Loi de Finances 2010, passée quasiment inaperçue, exonérait généreusement les sociétés fusionnées de l impôt sur la plus-value nette réalisée à la suite de l apport de l ensemble des éléments de l actif immobilisé et des titres de participation. Bref, des gains de trésorerie par centaines de millions. Bien sûr, il ne faut pas compter sur les managers royaux pour admettre avoir fait du lobbying en vue d un tel cadeau fiscal. Les récents aménagements de la Loi de Finances viennent répondre à des doléances exprimées depuis plusieurs années par la CGEM, dont le groupe fait partie, nous explique innocemment le PDG de l ONA. C est oublier un peu vite la colossale influence du groupe royal au sein de la Confédération patronale, dont il fait et défait les présidents à sa guise. Il est vrai que cette disposition fiscale profite à tous les grands groupes marocains, encouragés à fusionner par des économies d impôts conséquentes. A combien se chiffrentelles pour le cas ONA-SNI? Belghazi ne donne aucun chiffre, et joue sur les mots : Il ne s agit pas d économie fiscale, mais d un report de la taxation des plus-values lorsqu il y aura événement de cession, qui interviendra compte tenu de notre nouvelle vocation. Bref, on saura plus tard. Un jour. Peut-être. Mariage hors cote A terme, donc (mais on ne risque pas d attendre trop longtemps), la fusion ONA- SNI va donner naissance à une nouvelle entité, qui héritera de toutes les participations détenues par les deux holdings. Un portefeuille qui vaut aujourd hui, en Bourse, la bagatelle de 50 milliards de dirhams! Sauf que ce méga-mariage, tant attendu par la place, se fêtera finalement hors cote, c est-à-dire une fois les deux structures radiées de la Bourse. Ainsi en ont décidé les managers du groupe royal. Et pour expliquer ce retrait du marché financier, ils ne manquent pas d arguments. Il est de plus en plus rare de par le monde de voir des holdings cotés qui sont essentiellement constitués d actifs euxmêmes cotés, ce qui est le cas de SNI et ONA. Les investisseurs en Bourse peuvent légitimement s interroger sur la valeur ajoutée des holdings de participations, dès lors qu ils peuvent acquérir directement les titres cotés qui constituent le portefeuille, peut-on lire dans le dossier de presse du groupe. Un raisonnement d autant plus implacable que sur les marchés développés, les cours de Bourse des maisonsmères sont souvent pénalisés d une décote de 20% par rapport à la valeur de leurs actifs. Et de marteler : Le retrait de la cote aboutira à une meilleure représentativité de la Bourse de Casablanca. En effet, la capitalisation de SNI ONA et de leurs participations cotées représentent 30% de la capitalisation boursière à fin 2009. Ce poids est sans commune mesure avec le poids réel de l ensemble dans l économie marocaine, soit 3% du PIB. Un raisonnement qui était encore plus valable il y a quelques années, quand les deux holdings pesaient les deux-tiers de la capitalisation boursière marocaine. Ce n est qu à l arrivée en Bourse de mastodontes comme Maroc Telecom, Addoha ou CGI, que le pourcentage s est dilué. Un prix étrangement généreux Mais si les arguments avancés pour justifier le retrait de la Bourse sont pertinents, ils ne suffisent pas à justifier le coût abyssal de l opération. Pour soustraire l ONA et la SNI de la cote, la loi oblige les actionnaires initiateurs à offrir aux autres actionnaires, institutionnels comme petits porteurs, la possibilité de se retirer en vendant leurs actions à des tarifs convenables. On appelle cela une Offre publique de retrait (OPR). Pour La fusion ONA-SNI va donner naissance à un mastodonte qui pèse pas moins de 50 milliards de dirhams! celle de l ONA-SNI, deux banques d affaires internationales mandatées par le groupe, Lazard et Léonardo Finance, se sont chargées d évaluer le prix des actions : 1650 DH pour l ONA, 1900 pour la SNI. Des prix qui semblent corrects, mais qui méritent tout de même d être examinés de plus près. Si le prix proposé pour l action SNI n est pas très loin de son dernier cours en Bourse (1874 dirhams), pour l ONA, le prix proposé offre une prime de 22% (par rapport à son dernier cours, qui était de 1355 dirhams). C est très généreux, surtout que les initiateurs doivent racheter beaucoup plus de titres ONA (24% de flottant en Bourse) que de titres SNI (15% de flottant). Mais, comme souvent dans le milieu de la finance, il y a un truc : A l arrêté des comptes fin juin 2009, la SNI valorisait l action ONA dans son portefeuille à 1900 dirhams. C est 15% de plus que le prix proposé aujourd hui par l OPR, explique cet analyste financier à TelQuel. De deux choses l une : soit la SNI survalorisait l ONA pour gonfler ses actifs, soit le prix de l OPR n est pas si généreux que ce qu on veut nous faire croire. Au vu du comportement récent du titre ONA sur le marché, c est la deuxième hypothèse qui est la plus plausible. Depuis le début de l année, le cours du titre n a augmenté que de 3,1% En attendant que la fusion devienne effective, Mouatassim Belghazi vit ses derniers mois en tant que PDG de l ONA. alors que l indice général de la Bourse (qui reflète l évolution moyenne du marché) a progressé, lui, de 6%. Le cours du titre était endormi, nous confie un trader qui a prudemment réclamé l anonymat. Il y avait toujours un mystérieux vendeur pour servir n importe quelle quantité de titres ONA demandée sur le marché. Et si ce mystérieux vendeur n était autre qu une société apparentée au groupe ONA-SNI? Des rumeurs persistantes (et impossibles à vérifier formellement, en l état du marché) évoquent en effet des gestionnaires de fonds d Attijariwafa Bank, qui auraient eu pour consigne ces derniers mois d éviter une hausse du cours ONA, de manière à ce que le prix de la future OPR puisse paraître attractif. Oh, la méchante accusation! Vu les concernés, en tout cas, ce n est pas le très timoré CDVM (gendarme du marché boursier) qui se risquerait à enquêter sur de sournoises présomptions de manipulation de cours Discussions sur l appétit Des OPR, il va en falloir deux pour sceller le retrait de la Bourse de la SNI et de l ONA. La première, portant sur les titres de l ONA, devrait être initiée par la SNI, son actionnaire de référence. Pour la deuxième, c est Copropar (étage intermédiaire, pour rappel, entre Siger et ses dépendances) qui propose au marché de racheter les actions SNI. Les deux offres publiques de retrait seront lancées simultanément, explique Mouatassim Belghazi à TelQuel. Le coût maximal théorique de cette opération est de 8 milliards de dirhams pour la SNI et 16 milliards pour l ONA. En tout, ça fait 24 milliards de dirhams à mobiliser. Pour donner un ordre de grandeur, le budget 2010 de la Défense TNIOUNI 20 21

L ACTU nationale est de 21 milliards, et celui de l Intérieur, de 13 milliards Mais comme dit Belghazi, ce n est là qu un montant maximal théorique. Pour qu il soit effectivement décaissé par Siger, il faudrait que tous les actionnaires de la SNI et de l ONA lui vendent les titres qu ils détiennent dans les deux holdings (scénario 1, p. 23). Ce qui est peu probable. Le coût réel sera certainement inférieur à 24 milliards, vu l accueil favorable des actionnaires lors du conseil d administration, commente Belghazi. En fait, les gestionnaires des affaires royales savent qu ils peuvent compter sur leurs alliés historiques : les partenaires étrangers, mais surtout les institutionnels marocains. Leur entrée en scène, selon les différentes approches envisageables, va drastiquement réduire la note de radiation des holdings royaux. D abord, et tout simplement, ils peuvent choisir de ne pas se joindre au rachat des actions constituant le flottant en Bourse, mais tout en conservant leurs titres ONA-SNI (scénario 2). Ils peuvent aller encore plus loin en se positionnant comme co-initiateurs des OPR c est-à-dire en participant eux-mêmes au rachat du flottant en Bourse. Et dans ce cas de figure, tout est envisageable : ils peuvent racheter à proportion de leurs parts actuelles (scénario 3) ou à plus, ou à moins que leur proportion. Inutile, cela dit, de nous épuiser en conjectures : les autres actionnaires de la nouvelle entité postfusion feront comme le décideront les MAROC OTHMAN BENJELLOUN La paix des braves Présent dans le tour de table du groupe royal via RMA Watanya, Othman Benjelloun n est pas un actionnaire de l ONA et de la SNI comme les autres. Jadis bête noire des hommes d affaires de Sa Majesté, le patron du groupe Finance.com (bancassurance) est aujourd hui un de leurs alliés stratégiques les plus importants. Ses positions dans le groupe royal ne sont pas négligeables : 7% dans l ONA et 12% dans la SNI. Des parts certes insuffisantes pour s opposer au projet de fusion (il lui faudrait pour cela une minorité de blocage de 34%) Benjelloun, seul, n a pas le pouvoir de bloquer l opération. Mais s il décide de vendre ses parts, il peut alourdir dangereusement la facture. mais suffisamment importantes pour alourdir dangereusement la facture de l opération, s il décide de vendre ses actions aux initiateurs de l OPR (Offre publique de retrait de la Bourse). Mais le Othman Benjelloun d aujourd hui n est plus l homme qui a essayé, en 1999, de doubler l ONA en faisant main basse sur la SNI. Depuis la cuisante défaite boursière qu il a essuyée à l époque, l ex- banquier terrible ne demande plus qu une chose : la paix des braves avec les gestionnaires de la fortune royale. Déjà, en 2003, il n avait pipé mot quand, par la grâce de la fameuse rotation de participations, le contrôle de la SNI par l ONA s était inversé. Il n avait rien dit non plus quand, en 2005, l ONA avait débauché son dauphin Saâd Bendidi. Ce n est certainement pas aujourd hui, à 78 ans et alors que son groupe est enfin stabilisé et à l abri des convoitises, qu il va recommencer à ruer dans les brancards. Et il le fera d autant moins que la Caisse de dépôt et de gestion (CDG, dite Makhzen Bank ) vient de s offrir 8% du capital de sa banque, à sa grande satisfaction. Bref, entre Benjelloun et les hommes d affaires de Sa Majesté, BIG BANG ROYAL ET LES ACTIONNAIRES, DANS TOUT ÇA? Lesieur, producteur d huile et filiale de l ONA, figure sur la liste des sociétés à céder partiellement. gestionnaires des affaires royales. Le PDG de l ONA nous le confirme à sa manière : Les règles d allocation pour les OPR dépendront de l appétit de chaque initiateur, et seront déterminées dans le cadre des discussions pour la composition des consortiums d initiateurs. Comme on aimerait être une petite souris sous la table, le jour où ces discussions sur l appétit auront lieu A l heure où nous passons sous presse, le détail des OPR n était pas encore communiqué. Les notes d information seront déposées aux autorités du marché début avril, a annoncé dans la presse Hassan Bouhemmou, PDG de la SNI et patron annoncé de la nouvelle entité. Ce sont ces documents qui lèveront définitivement le voile sur l identité des initiateurs de l OPR qui accompagneront Siger et la SNI. D ores et déjà, le soutien indéfectible des institutionnels marocains n est pas à mettre en doute. Dans les opérations frappées du sceau royal, ils ont toujours répondu présent. Ils l ont fait en 1999 pour la Le président de Finance.com est désormais un allié stratégique de Siger la hache de guerre est bel et bien enterrée. Reste un détail : quand le banquier reviendra-t-il siéger personnellement aux conseils d administration de l ONA-SNI, auxquels ils n est plus le bienvenu depuis 11 ans? Gageons que cela ne saurait tarder AIC PRESS AFP EN BOURSE Tant que la SNI et l ONA sont en Bourse, leur fusion ne sera pas effective. Imaginons qu elle le soit déjà, pour voir qui détient quoi de la nouvelle entité. GROUPE RMA WATANIYA 1,9% 8,9% 5,5% MCMA/ MAMDA ACTIONNAIRES CIMR 50,4% 3,8% 8,7% BOURSE 20,5% 0,3% CMR La répartition actionnariale ci-dessus est une projection théorique de TelQuel. Pour la réaliser, nous avons d abord additionné les capitalisations boursières actuelles de l ONA et de la SNI, en partant des prix des actions proposés pour l Offre publique de retrait (de la Bourse) : 1900 DH pour l action SNI, et 1650 DH pour l action ONA. Total : un petit peu moins de 50 milliards de dirhams. Puis nous avons fait le même calcul pour les actionnaires, pour déterminer combien chacun d entre eux détient, sur les 50 milliards en question. Enfin, par une simple règle de trois, nous en avons déduit les pourcentages de chaque actionnaire. Sans surprise, la société royale Siger en détient la moitié. TNIOUNI Mounir Majidi, Secrétaire particulier du roi et PDG de Siger. HORS DE LA BOURSE Pour sortir de la Bourse, il faudra donc racheter les 20,5% cotés au moins. Qui rachètera quoi, et comment évoluera l actionnariat de la nouvelle entité? Au moins 3 scénarios sont possibles. SCÉNARIO 1 Siger rachète tout Siger est la seule initiatrice des deux offres de retrait (ONA et SNI), et tous les autres actionnaires décident de lui vendre leurs parts. Pour tout racheter, Siger ( et SNI) doit décaisser 24 milliards de dirhams. C est le scénario le plus improbable. RMA WATANIYA La société de participations royale est toujours la seule initiatrice des deux Offres publiques de retrait. Mais les autres actionnaires ne vendent pas leurs titres. Siger ( et SNI) ne rachète donc que le flottant en Bourse. Coût de l opération : 9,7 milliards de dirhams. RMA WATANIYA SCÉNARIO 2 Siger ne rachète que le flottant en Bourse GROUPE 8,9% 5,5% GROUPE 11,1% 6,9% 1,9% MCMA/ MAMDA ACTIONNAIRES CIMR 2,4% MCMA/ MAMDA ACTIONNAIRES CIMR 3,8% 4,8% 11,4% 8,7% 63% 70,9% 0,3% 0,4% CMR SCÉNARIO 3 Tous les actionnaires rachètent le flottant en Bourse, à proportion de leurs parts CMR Tous les actionnaires participent à l Offre publique de retrait autrement dit, ils se liguent pour racheter les 20,5% flottant en Bourse, chacun en proportion de la part qu il détient de la nouvelle entité (cf. schéma en haut à gauche). Dans cette configuration, Siger (via Corporpar et SNI) débourse alors 6 milliards de dirhams à moins que les actionnaires ne décident d acheter plus que leur proportions. Dans ce cas, la facture de la société royale sera encore moins lourde. 22 23

L ACTU MAROC BIG BANG ROYAL prise de contrôle de la SNI, ils l ont refait en 2003 pour la rotation de participations Ce n est sûrement pas aujourd hui qu ils vont commencer à jouer aux têtes brûlées. Méga-emprunt en vue Quoi qu il en soit, la société royale de tête est contrainte de miser 6 milliards de dirhams (au meilleur des cas - cf. scénarios p.23) pour boucler l opération. Vu l état globalement tendu des liquidités sur le marché bancaire, mobiliser une telle somme aujourd hui est mission impossible pour n importe quel groupe marocain sauf, apparemment, pour les actionnaires de l ONA et la SNI. C est avec un calme et une assurance remarquables que Hassan Bouhemmou a annoncé, cette semaine dans la presse, que les OPR seront financées par un recours à l endettement. Dans les couloirs des banques d affaires, on se fait déjà l écho de la préparation d un gigantesque emprunt impliquant une bonne partie des banques du pays. Et les rumeurs vont bon train : Bank Al-Maghrib devra signer une dérogation spéciale pour permettre aux banques de prêter plus d argent au holding royal, prophétise un banquier. Il se trouve que Bank Al-Maghrib a décidé, à l issue de son conseil tenu il y a quelques jours à peine (le 30 mars), de baisser le taux de réserve obligatoire des banques (parts de leurs ressources qu elles doivent impérativement laisser dans les coffres de la banque centrale), le faisant passer de 8 à 6%. En clair, les banques ont plus de cash à prêter. Il est vrai qu une telle mesure est bienvenue pour tout le monde, vu la tension qui règne sur les liquidités nationales depuis quelque temps. Disons, comme pour le bonus fiscal aux fusions, que le groupe royal bénéficie d une heureuse coïncidence Une fois l ONA et la SNI radiées de la Bourse et fusionnées dans la fameuse nouvelle entité (on attend son nom avec impatience), il est prévu de céder, en Bourse, une partie de ses participations dans certaines sociétés qu elle contrôle. Quatre stars de la galaxie ONA sont concernées : Lesieur, Cosumar, Centrale Laitière (avec ses filiales Bimo et Sotherma) et Attijariwafa. Des Le changement de vocation du groupe royal n est-il qu un emballage rhétorique pour justifier une sortie de Bourse financée à découvert? structures qui ont atteint leur vitesse de croisière, disent les dirigeants du groupe, qui entendent y baisser leurs participations jusqu à 30%. Recette prévisionnelle de ces cessions : au moins 14 milliards de dirhams. De quoi rembourser largement la dette nécessaire aux deux OPR, et consolider la force de frappe financière du groupe royal comme jamais. Mais les dirigeants de l ONA et de la SNI ne veulent pas s abaisser à ces vulgaires considérations d argent. La main sur le cœur, ils préfèrent mettre l accent sur les bienfaits des futures cessions sur la place boursière : L augmentation des flottants qui en découlera donnera aux investisseurs institutionnels une plus grande influence sur les sociétés cotées, et renforcera par là même l attractivité de la place boursière marocaine pour les investisseurs internationaux qui sont d autant plus sensibles à la profondeur des flottants, explique doctement le dossier de presse. Pas de doute, l argument est pertinent, et le marché boursier retrouvera un nouveau souffle grâce à ces cessions. L effet d annonce a déjà mis en transe l indice casablancais (voir ci-dessous). AIC PRESS BOURSE Electrochoc royal La journée du 26 mars 2010 restera dans les annales de la Bourse de Casablanca. Dès l annonce de la fusion de l ONA et de la SNI et malgré la suspension de leurs transactions, comme le prévoit la loi en pareille situation, une fièvre sans précédent saisit la communauté des traders. Les indices s emballent (le MASI gagne 5 points en quelques minutes!), les volumes explosent et les valeurs s échangent tous azimuts. En trois séances de marché seulement, la capitalisation boursière gagne 30 milliards de dirhams. Du jamais vu! Ça fait longtemps qu on n avait plus travaillé dans cette ambiance. Ça nous manquait, confie un trader avec émotion. C est que l effet d annonce du Big Bang royal a réveillé, d un coup, des cohortes de petits porteurs dormants. J ai reçu plusieurs coups de fil de clients qui ne s étaient plus manifestés depuis le déclenchement de la crise mondiale, fin 2008. Ils voulaient tout savoir de ce qu il se passait, et guettaient la moindre opportunité de placement avec fébrilité, raconte, aux anges, le patron d une société de Bourse. Cet engouement a deux raisons. Techniquement, le retrait de la Bourse des titres ONA-SNI chamboulera la capitalisation de la place, et partant, la structure même des indices boursiers. Le cash qui sera libéré par les rachats du flottant du groupe royal ne demandera qu à être replacé ailleurs. Surtout pour les gestionnaires de A l annonce de l opération la place de Casablanca a soudain retrouvé son euphorie d antan. fonds qui calquent leurs mouvements sur l évolution de l indice, explique un analyste financier. Anticipant la forte demande à venir, les boursicoteurs se placent déjà sur quelques valeurs phares de la cote (Addoha, Maroc Telecom) en attendant le grand jour. D où l emballement du marché. Les futures introductions en Bourse promises par le groupe royal y sont également pour quelque chose. Des promesses de papier frais qui redonneront un nouveau souffle à la place Vive le roi! 24

L ACTU MAROC BIG BANG ROYAL DIVIDENDES ROYAUX 10 ANS DE TRANSPARENCE ET PUIS S EN VA (Chiffres en millions de dirhams) 1999 38 2003 50 2004 192 Une autonomie très encadrée Cela étant dit, parler d influence grandissante des investisseurs institutionnels, c est aller un peu vite en besogne. Car à 30% du capital de Lesieur, Cosumar, Centrale Laitière ou Attijariwafa bank (et même à moins que ça), le groupe royal sera toujours leur actionnaire de référence. Ne disait-on pas cela de Siger quand elle ne détenait, avant 2003, que 13% de l ONA? Même si on s en tient strictement au droit des sociétés qui fixe la minorité de blocage de toute entreprise à 34% racheter 4% de n importe quelle société détenue par des institutionnels marocains est, et restera toujours un jeu d enfant pour le groupe royal. Qui continuera donc qui en doutait? à faire la loi dans les conseils d administration, faisant et défaisant les présidents à sa guise Se reposer sur les institutionnels marocains pour verrouiller les conseils d entreprise est un modèle qui était déjà appliqué pour l ONA elle-même et certaines de ses filiales au début des années 2000, explique ce vieux routier de la Bourse. C est juste un retour à l ancien modèle avec la réalisation, au passage, de plus-values faramineuses. Procès d intention? Peut-être. Attendons de voir ce que va donner l autonomisation des filiales promise par MM. Bouhemmou et Belghazi D autre part, le choix des filiales à céder n échappe pas à une lecture politique. C est une évidence, même si les managers des affaires royales refusent catégoriquement ce débat. Dans les chancelleries, le désengagement royal du secteur des denrées alimentaires de première nécessité, même relatif, passe clairement pour un signal du Palais à l Union Européenne, au lendemain de l obtention par le Maroc du fameux statut avancé. Les Européens ont toujours critiqué la mainmise des entreprises royales sur des secteurs sensibles comme celui du sucre, du lait ou des huiles de table ; chose qui ne favorise pas le libre jeu de la concurrence, explique un expert consulté par TelQuel. Alors, Sa Majesté premier producteur de sucre, d huile et de lait fini, tout ça? Pas vraiment, soupire notre expert. Pour que ce soit le cas, l ONA aurait dû se délester de toutes ses participations dans ces entreprises. Le signal aurait été plus clair. Politique mise à part, il était temps, pour le groupe royal, de se désengager de ces filiales. Vues sous un angle financier, en effet, Cosumar, Lesieur et la 2008 246 2006 205 Brassant 17 milliards de dirhams de chiffre d affaires par an, les supermarchés Marjane et Acima restent propriétés exclusives de la nouvelle entité. 2009 250 A partir de 2010? Jusqu en 2003, Siger (çàd la famille royale) n encaissait que les dividendes que lui rapportait sa part de l ONA (13%). C est cette année-là que survient la rotation de participations réalisée par le PDG Bassim Jaï Hokimi. Siger se retrouve alors détentrice de 5% de l ONA, et surtout de 60% de la SNI. Résultat mécanique : dès 2004, ses dividendes quadruplent pour atteindre 192 MDH. En 2009, Siger en percevra encore 30% de plus. La fusion ONA-SNI devrait augmenter encore les dividendes royaux dans les années à venir. De combien? On ne le saura jamais, puisque la nouvelle entité ne sera plus cotée en Bourse. Rien ne l obligera donc plus à publier des chiffres aussi intimes Bientôt en vente : Lesieur, Cosumar, la Centrale laitière, Attijariwafa Recette prévue : au moins 14 milliards de dirhams. Centrale Laitière ne sont plus ce qu elles étaient. Quand les dirigeants de l ONA disent qu elles sont matures, il faut comprendre qu elles n ont quasiment plus de marge de progression. Leurs résultats d exploitation stagnent depuis des années et leurs réserves financières ont été sérieusement entamées, à force de distribution de dividendes exceptionnels. Parfois, il vaut mieux céder et réaliser des plus-values que rester à attendre des dividendes, philosophe un analyste financier. Et si, en plus, l opération a des avantages politiques, eh bien c est ce qu on appelle faire d une pierre deux coups. Changement de vocation, vraiment? Les managers des business royaux, on l a dit, se cabrent dès qu on évoque la dimension politique de la méga-opération annoncée le 25 mars. Ils se cabrent tout autant quand on évoque les plus-values qu ils comptent en retirer comme si gagner de l argent n était pas leur métier. Officiellement, il ne s agit de rien d autre qu un changement de vocation du groupe : dépasser l approche multi-métiers au profit de celle de holding d investissement exerçant un seul métier, celui d actionnaire AFP professionnel. Actionnaire professionnel dont la mission, nous dit-on, consiste à accompagner dans la durée des entreprises leaders et des projets structurants pour l économie marocaine, (jouer le rôle d ) incubateur et (de) développeur d entreprises, seul ou en partenariat avec des leaders mondiaux, (en vue de) céder au marché le contrôle des entreprises ayant atteint leur vitesse de croisière. En deux mots, ça s appelle du capital-risque. Mais attention, on joue ici dans le haut de gamme. Incuber des entreprises surcapitalisées comme Nareva ou Wana n est pas à la portée du premier capital-risqueur venu. Nareva fait dans les énergies renouvelables, un secteur appelé à exploser, entre autres grâce au fameux plan solaire marocain décidé par Mohammed VI et appelé à être le chantier de la décennie. Wana, de son côté, est bien partie pour se tailler, dans les années à venir, une part plus qu importante dans le marché des télécoms, qui brasse 35 milliards de chiffre d affaires par an. La nouvelle entité garde aussi sous sa coupe quelques gros morceaux comme Managem (mines) ou Marjane (grande distribution). A suivre la logique des managers des affaires royales, ces entreprises ne seraient donc pas suffisamment matures pour qu on s en désengage. Curieuse appréciation, sachant qu elles brassent respectivement 2 et 17 milliards de dirhams de chiffre d affaires par an. Ces sociétés ont encore beaucoup de marge de progression. Elles sont appelées à devenir de plus en plus rentables, décrypte notre analyste. La maturité consisterait-elle donc à atteindre le seuil des rendements décroissants? En dehors des entités à céder (partiellement), et de celles qui restent sous contrôle majoritaire, le groupe royal détient aussi plusieurs filiales en jointventure avec des partenaires étrangers. Pour celles-là aussi, rien ne va bouger. Les schémas de contrôle de Lafarge Maroc, Sonasid, Somed et Atlas Hospitality Morocco resteront donc inchangés tout comme leur gestion, déjà déléguée aux partenaires étrangers, tous des experts dans leurs domaines respectifs. Bref, et en gros, le périmètre d influence de la nouvelle entité ne changera en rien. Au final, l abandon de la vocation multi-métiers, invoqué à cor et à cris par les dirigeants du groupe royal n est pas vraiment crédible. Cela ressemble plus à un emballage rhétorique pour justifier un raffermissement de contrôle (via la fusion) et une sortie de Bourse financée à découvert. Le PDG de l ONA le dit sans fausse pudeur, dans une des nombreuses interviews qu il a accordées cette semaine : Les recettes des cessions ne serviront ni au désendettement, ni à l investissement, mais essentiellement aux OPR afférentes au retrait de la cote de l ONA et de la SNI. Tout ça pour ça La fin de la transparence? Mais alors, que gagne le groupe royal en se retirant de la Bourse? A priori, rien si ce n est de s éloigner de la portée des radars de la communauté financière. Certes, la nouvelle entité, même radiée, gardera un pied dans la cote. Les titres d emprunts obligataires émis par elle continueront en effet à 26 27

L ACTU MAROC BIG BANG ROYAL s échanger sur la place casablancaise. Interrogé par TelQuel à ce propos, Mouatassim Belghazi a été clair : Il n est pas prévu de radier les obligations cotées émises par la SNI et l ONA. C est une bonne nouvelle parce que, même hors cote, la nouvelle entité restera, par cette voie détournée, soumise à l obligation légale de publier ses résultats semestriels. Nuance de taille, cela dit : la publication du bilan et des comptes de produits et charges, assez sommaires, suffit pour être conforme à la loi. En matière de transparence, il ne faudra pas s attendre à ce que la nouvelle entité fasse du zèle. Déjà, quand la SNI est passée dans le giron de Siger en 2003, la qualité de sa communication financière en a souffert, rappelle cet analyste. Cela fait plusieurs années, en effet, que le holding ne transmet plus aux analystes financiers ses rapports annuels, seul type de document social suffisamment étoffé pour permettre de retracer la vie d une entreprise. Hassan Bouhemmou, PDG de la SNI, n a jamais animé non plus de conférence de presse, ni de rencontre avec des analystes financiers contrairement aux PDG successifs de l ONA, qui se sont prêtés régulièrement à ce type d exercice. A partir de maintenant, c est le brouillard Plus besoin, par exemple, de communiquer les dividendes encaissés par les actionnaires de la nouvelle entité. Le calcul annuel auquel se livre la presse pour révéler les dividendes perçus par la famille royale deviendra impossible. Plus besoin, non plus, de communiquer les changements mineurs de structure capitalistique. Siger, actionnaire de référence de la nouvelle entité, pourrait par exemple racheter, ni vu ni connu, une bonne partie des actions détenues par ses partenaires institutionnels marocains et à n importe quel prix puisque, hors cotation, rien n oblige à fixer le prix d une action dans une fourchette déterminée. Mieux encore, la nouvelle entité pourra à l avenir réaliser des acquisitions importantes, sans être obligée d en communiquer les détails au marché. Bien sûr, toute transaction de ce type doit faire l objet d une annonce légale dans un journal ou un autre et le choix est vaste. Alors, pour ONA/SNI DERNIERS RÉSULTATS AVANT RADIATION (Chiffres en millions de dirhams) 2009 ONA Progression p.r 2008 Chiffre d affaires consolidé 37 333 +2% Résultat net part de groupe 2917 +160% Hassan Bouhemmou, PDG de la SNI, prendra les rênes du futur mastodonte. Que gagne le groupe royal en se retirant de la Bourse? A priori, rien si ce n est de s éloigner des radars de la communauté financière. 3 428 1 007 SNI 2009 Progression p.r 2008 +1% +143% L annonce de la fusion de l ONA et de la SNI a totalement éclipsé la communication de leurs résultats annuels. Rien d extraordinaire à relever, cela dit. Hormis l effet de la plus-value comptable de Wana (suite à l augmentation de son capital avec l arrivée de Zaïn/Ajial), les chiffres d affaires des filiales du groupe royal sont, globalement, en stagnation tomber sur une annonce légale concernant la nouvelle entité, noyée dans une marée d annonces de création de SARL à 10 000 DH de capital Amis journalistes, bon courage! De manière générale, un retrait de la cote est toujours synonyme de recul de la transparence, au Maroc comme n importe où dans le monde. Puisque la tendance est universelle, pourquoi s en inquiéter particulièrement en ce qui concerne le groupe royal? La réponse tombe sous le sens : parce qu il est royal, justement! Et que l argument n 1 de la monarchie, pour justifier sa présence dans les affaires, a toujours été le suivant : Le roi tire l économie vers le haut. Le sondage réalisé l été dernier par TelQuel (et censuré par les autorités), révélait que 69% des Marocains donnent foi à cet argument, et estiment que l implication du roi dans l économie est une bonne chose, parce qu il donne l exemple. Un sentiment tout à fait justifié, vu la spectaculaire réussite du méga-groupe qu il détient. Ce sera moins vrai, dorénavant, en termes de transparence. D après cet économiste qui a choisi de garder l anonymat, la loi obligeant les hauts commis de l Etat à déclarer leur patrimoine vient tout juste d entrer en vigueur. Et c est au même moment que le groupe royal annonce sa décision de se retirer de la Bourse, avec tout le recul de transparence que cela implique. Politiquement, ça brouille un peu le message. Un peu, oui. DR 28