13 DECEMBRE 2010 S.10.0047.F/1 Cour de cassation de Belgique Arrêt N S.10.0047.F CENTRE HOSPITALIER JOLIMONT-LOBBES, association sans but lucratif dont le siège est établi à La Louvière, rue Ferrer, 159, demanderesse en cassation, représentée par Maître Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Watermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 36, où il est fait élection de domicile, contre B. M., faisant élection de domicile en l étude de l huissier de justice Willy François, établie à Mons, boulevard Kennedy, 85, défenderesse en cassation. I. La procédure devant la Cour
13 DECEMBRE 2010 S.10.0047.F/2 Le pourvoi en cassation est dirigé contre l arrêt rendu le 18 décembre 2009 par la cour du travail de Mons. Le président Christian Storck a fait rapport. L avocat général délégué Philippe de Koster a conclu. II. Le moyen de cassation Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants : Dispositions légales violées - articles 20, 1 et 3, 32 et 35 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail ; - article 1134 du Code civil ; - articles 2, 1 er, 5, 3, alinéa 3, 14, 16 et 17 de la loi portant un régime de licenciement particulier pour les délégués du personnel aux conseils d'entreprise et aux comités de sécurité, d'hygiène et d'embellissement des lieux de travail, ainsi que pour les candidats délégués du personnel ; - articles 23 à 27 du Code judiciaire. Décisions et motifs critiqués L'arrêt attaqué déclare l'appel recevable mais non fondé, confirme le jugement dont appel en ce qu'il condamne la demanderesse à payer à la défenderesse un montant brut de 120.647,40 euros, à majorer des intérêts légaux et judiciaires à partir du 3 juillet 2006, et, évoquant, condamne la demanderesse à payer à la défenderesse un montant brut de 64.065,37 euros, à majorer des intérêts légaux et judiciaires à partir du 3 juillet 2006, et à délivrer à la défenderesse la fiche de salaire et la fiche de rémunération 281.10
13 DECEMBRE 2010 S.10.0047.F/3 relatives aux indemnités de protection, et condamne la demanderesse aux dépens des deux instances. Il justifie cette décision par tous ses motifs, réputés ici intégralement reproduits, en particulier par les considérations en substance que : «[La demanderesse] reproche au jugement entrepris d'avoir considéré qu'elle avait posé un acte équipollent à rupture en date du 3 juillet 2006 alors que le contrat de travail devait être considéré comme suspendu à cette date par l'effet rétroactif de l'arrêt prononcé par la [...] cour [du travail] le 2 février 2007 ; En réalité, les courriers échangés du 27 juin au 4 juillet 2006 entre [la demanderesse], d'une part, et [la défenderesse] ou son syndicat, d'autre part, ainsi que les documents sociaux établis par [la demanderesse] (en particulier les mentions figurant sur le C4 suivant lesquelles [la défenderesse] a été licenciée pour faute grave et son occupation a pris fin le 30 juin 2006) révèlent que [la demanderesse] a manifesté sa volonté de rompre le contrat de travail à la date du 30 juin 2006, comme le soutient [la défenderesse], et que celle-ci en a pris acte par courrier du 4 juillet 2006 ; Dès lors que [la demanderesse] prenait l'initiative de rompre le contrat le 30 juin 2006, sans attendre la fin de la procédure qu'elle avait initiée le 9 mars 2006, la décision de suspendre le contrat, contenue dans l'arrêt rendu par cette cour [du travail] le 2 février 2007 (à la suite de l'appel dirigé contre l'ordonnance du 14 avril 2006), devenait sans effet (sans qu'il y ait pour autant, contrairement à ce que soutient [la demanderesse], atteinte à l 'autorité ou à la force de chose jugée de cet arrêt) ; La solution juridique est étrangère à l'effet rétroactif de la décision du 2 février 2007 vantée par [la demanderesse] : même si le contrat avait été suspendu par une ordonnance prise conformément à l'article 5, 3, de la loi du 19 mars 1991 portant sur un régime de licenciement particulier pour les délégués du personnel aux conseils d'entreprise et aux comités de sécurité, d'hygiène et d'embellissement des lieux de travail, ainsi que pour les candidats délégués du personnel, cette ordonnance n'eût pas empêché le congé, donné
13 DECEMBRE 2010 S.10.0047.F/4 postérieurement et alors que la procédure judiciaire était toujours en cours, de sortir ses effets, c'est-à-dire de rompre immédiatement le contrat ; En rompant le contrat de travail le 30 juin 2006, [la demanderesse] y a mis fin sans respecter les conditions et les procédures prévues par la loi du 19 mars 1991. Elle n'a pas accepté non plus de réintégrer [la défenderesse] malgré ses demandes et, en particulier, celle du 20 juillet 2006. [La demanderesse] est, dès lors, redevable des indemnités prévues par les articles 16 et 17 de la loi du 19 mars 1991 ; Les montants réclamés à ces titres paraissent exacts. Les intérêts sont dus en principe depuis la date de la rupture, mais [la défenderesse] ne les réclame qu'à partir du 3 juillet 2006». Griefs Première branche L'article 2, 1 er, de la loi du 19 mars 1991 portant un régime de licenciement particulier pour les délégués du personnel aux conseils d'entreprise et aux comités de sécurité, d'hygiène et d'embellissement des lieux de travail, ainsi que pour les candidats délégués du personnel, dispose : «Les délégués du personnel et les candidats délégués du personnel ne peuvent être licenciés que pour un motif grave préalablement admis par la juridiction du travail ou pour des raisons d'ordre économique ou technique préalablement reconnues par l'organe paritaire compétent. Pour l'application du présent article, est considéré comme licenciement : 1 toute rupture du contrat de travail par l'employeur, avec ou sans indemnité, avec ou sans respect d'un préavis, notifiée pendant la période visée aux paragraphes 2 ou 3 ;
13 DECEMBRE 2010 S.10.0047.F/5 2 toute rupture du contrat de travail par le travailleur en raison de faits qui constituent un motif imputable à l'employeur ; 3 le non-respect par l'employeur de l'ordonnance du président du tribunal du travail prise en application de l'article 5, 3, décidant de la poursuite de l'exécution du contrat de travail pendant la procédure en cours devant les juridictions du travail». Les articles 14 à 19 de la loi du 19 mars 1991 envisagent l'hypothèse d'une rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur sans respecter les conditions et les procédures visées aux articles 2 à 11. Ils instaurent une procédure en réintégration. En cas de licenciement irrégulier, l'employeur doit au travailleur une indemnité égale à la rémunération en cours, correspondant à la durée de quatre ans, lorsqu'il compte vingt années de services ou plus dans l'entreprise, en vertu de l'article 16 de la loi du 19 mars 1991. Par ailleurs, si la réintégration n'a pas été acceptée par l'employeur dans les trente jours qui suivent le jour où la demande lui a été envoyée par lettre recommandée à la poste, il est tenu de payer en outre la rémunération pour la période restant à courir jusqu'à la fin du mandat des membres représentants du personnel à l'élection desquels il a été candidat, en vertu de l'article 17 de la loi du 19 mars 1991. La défenderesse a, le 6 septembre 2006, introduit une demande basée sur les articles 16 et 17 de la loi du 19 mars 1991. La défenderesse invoquait un manquement de la demanderesse à ses obligations, étant de la faire travailler et de payer la rémunération, comme le prévoit l'article 20, 1 et 3, de la loi du 3 juillet 1978, faisant suite au refus de la demanderesse de signer une prolongation de la convention de dispense de prestations au-delà du 1 er juillet 2006. Elle déduisait de l'échange de courriers entre les parties et de l'attitude de la demanderesse la volonté de cette dernière de rompre la relation de travail. Elle relevait également que les mentions du C4 remis le 3 août 2006 confirment cette volonté de rupture. La demanderesse faisait notamment valoir que les courriers échangés entre les parties, ainsi que les mentions figurant sur le C4, se référaient à la procédure en cours relative à la reconnaissance du motif grave.
13 DECEMBRE 2010 S.10.0047.F/6 L'arrêt attaqué constate que les courriers échangés du 27 juin au 4 juillet 2006 entre la demanderesse, d'une part, et la défenderesse ou son syndicat, d'autre part, ainsi que les documents sociaux établis par la demanderesse, en particulier les mentions figurant sur le C4 suivant lesquelles la défenderesse a été licenciée pour faute grave et son occupation a pris fin le 30 juin 2006, révèlent que la demanderesse a manifesté sa volonté de rompre le contrat de travail à la date du 30 juin 2006. Il décide qu'en rompant le contrat de travail le 30 juin 2006, la demanderesse y a mis fin sans respecter les conditions et les procédures prévues par la loi du 19 mars 1991. Il ne résulte d'aucune des énonciations de l'arrêt attaqué qu'en refusant d'autoriser la défenderesse à reprendre le travail et de signer une nouvelle convention suspendant le contrat de travail, la demanderesse aurait, ce refus dût-il constituer un manquement à une obligation résultant pour elle du contrat de travail, eu la volonté de mettre fin au contrat autrement que par le motif grave à l'origine de la procédure en cours relative à la reconnaissance du motif grave. Les faits que la cour du travail a constatés, notamment les courriers échangés du 27 juin au 4 juillet 2006 entre la demanderesse, d'une part, et la défenderesse ou son syndicat, d'autre part, ainsi que les mentions figurant sur le C4, ne font pas apparaître, en eux-mêmes, la volonté certaine de la demanderesse de mettre fin au contrat de travail autrement que par le motif grave à l'origine de la procédure en cours relative à la reconnaissance du motif grave. L'arrêt attaqué ne justifie dès lors pas légalement sa décision selon laquelle, dans les circonstances qu'il constate, la demanderesse a rompu le contrat de travail le 30 juin 2006 et y a mis fin sans respecter les conditions et les procédures prévues par la loi du 19 mars 1991 (violation des articles 20, 1, 32, 35 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, 1134 du Code civil, 2, 1 er et 2, 5, 3, alinéa 3, 14, 16 et 17 de la loi portant un régime de licenciement particulier pour les délégués du personnel aux conseils d'entreprise et aux comités de sécurité, d'hygiène et d'embellissement des lieux de travail, ainsi que pour les candidats délégués du personnel).
13 DECEMBRE 2010 S.10.0047.F/7 Seconde branche En vertu de l'article 23 du Code judiciaire, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet de la décision, à la condition que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause, que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. Il ne suit pas nécessairement du fait que la cause et l'objet d'une cause définitivement jugée et la cause et l'objet d'une demande ultérieure entre les mêmes parties ne coïncident pas entièrement que le juge peut accueillir une prétention dont le fondement est inconciliable avec une cause antérieurement jugée. Dans le cadre de la demande de la demanderesse tendant à la reconnaissance d'un motif grave justifiant le licenciement de la défenderesse, la cour du travail a décidé, par son arrêt du 2 février 2007, que «le contrat de travail de [la défenderesse] sera suspendu durant la procédure relative à la reconnaissance du motif grave, cette décision prenant effet à la date de la saisine du président du tribunal du travail par la [demanderesse] en application de l'article 6 de la loi du 19 mars 1991», soit le 18 avril 2006. Dans le cadre de la demande introduite par la défenderesse et basée sur les articles 16 et 17 de la loi du 19 mars 1991, la cour du travail a décidé, par l'arrêt attaqué, qu'en refusant d'autoriser la défenderesse à reprendre le travail, la demanderesse a manifesté sa volonté de rompre le contrat de travail à la date du 30 juin 2006 et qu'en rompant le contrat de travail le 30 juin 2006, la demanderesse y a mis fin sans respecter les conditions et les procédures prévues par la loi du 19 mars 1991. Elle a enfin décidé que la demanderesse n'a pas accepté non plus de réintégrer la défenderesse malgré ses demandes, en particulier celle du 20 juillet 2006, et qu'elle est dès lors redevable des indemnités prévues par les articles 16 et 17 de la loi du 19 mars 1991. L'arrêt du 2 février 2007 et l'arrêt attaqué sont inconciliables. La cour du travail n a pu considérer qu'en refusant d'autoriser la défenderesse à reprendre le travail et de signer une nouvelle convention suspendant le contrat de travail, la demanderesse a manifesté sa volonté de rompre le contrat de
13 DECEMBRE 2010 S.10.0047.F/8 travail à la date du 30 juin 2006, sans détruire le bénéfice de la décision antérieure selon laquelle le contrat de travail est suspendu durant la procédure relative à la reconnaissance du motif grave avec effet au 18 avril 2006. Durant la suspension du contrat de travail, l'employeur n'est en effet pas tenu de faire travailler le travailleur et de lui payer la rémunération au temps et au lieu convenus conformément à l'article 20 de la loi du 3 juillet 1978. En accueillant une prétention dont le fondement est inconciliable avec la cause antérieurement jugée, l arrêt attaqué viole les articles 23 à 27 du Code judiciaire. III. La décision de la Cour Quant à la première branche : Aux termes de l article 2, 1 er, de la loi du 19 mars 1991 portant un régime de licenciement particulier pour les délégués du personnel aux conseils d entreprise et aux comités de sécurité, d hygiène et d embellissement des lieux de travail, ainsi que pour les candidats délégués du personnel, les délégués du personnel et les candidats délégués du personnel ne peuvent être licenciés que pour un motif grave préalablement admis par la juridiction du travail ou pour des raisons d ordre économique ou technique préalablement reconnues par l organe paritaire compétent. La circonstance qu un employeur poursuive devant la juridiction du travail la procédure prévue par cette loi en admission d un motif grave de licenciement n a pas pour effet que, aussi longtemps que la procédure est pendante, un juge ne puisse décider que l employeur a rompu le contrat qu à la condition de constater la volonté de l employeur de rompre le contrat pour un motif autre que le motif grave allégué. Le moyen, qui, en cette branche, repose sur le soutènement contraire, manque en droit.
13 DECEMBRE 2010 S.10.0047.F/9 Quant à la seconde branche : L arrêt attaqué considère que «les courriers échangés du 27 juin au 4 juillet 2006 entre [la demanderesse], d une part, et [la défenderesse] ou son syndicat, d autre part, ainsi que les documents sociaux établis par [la demanderesse] (en particulier les mentions figurant sur le C4 suivant lesquelles [la défenderesse] a été licenciée pour faute grave et son occupation a pris fin le 30 juin 2006) révèlent que [la demanderesse] a manifesté sa volonté de rompre le contrat de travail à la date du 30 juin 2006, comme le soutient [la défenderesse], et que celle-ci en a pris acte par courrier du 4 juillet 2006». Il ne se déduit ni de ce motif ni d aucun autre que l arrêt attaqué déduirait la rupture qu il impute à la demanderesse du seul refus de celle-ci d autoriser la défenderesse à reprendre le travail ou de signer une nouvelle convention suspendant le contrat de travail. Le moyen, qui, en cette branche, suppose le contraire, manque en fait. Par ces motifs, La Cour Rejette le pourvoi ; Condamne la demanderesse aux dépens. Les dépens taxés à la somme de cent quatre-vingt-trois euros soixante-huit centimes envers la partie demanderesse.
13 DECEMBRE 2010 S.10.0047.F/10 Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Christian Storck, les conseillers Christine Matray, Martine Regout, Alain Simon et Mireille Delange, et prononcé en audience publique du treize décembre deux mille dix par le président Christian Storck, en présence de l avocat général délégué Philippe de Koster, avec l assistance du greffier Marie-Jeanne Massart. M.-J. Massart M. Delange A. Simon M. Regout Chr. Matray Chr. Storck